[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Il4 avril 1791.) 97 sent faire directement ni indirectement, le com-mercepour leurcompte; sanscette incomptabilité, ils tourneraient à leur profit la connaissance secrète qu’ils auraient des différentes opérations qui se font dans le commerce : il n’a pas paru moins sage à votre comité d’exclure de la faculté d’exercer les fonctions d’agent de change, ceux qui auraient fait faillite. 11 faut dans cet état des personnes d’une probité reconnue : je ne crains pas de le dire, Messieurs, les faillites ne sont pas toujours l’effet d’événements malheureux. Le peu d’ordre, la grande dépense, la mauvaise foi, la fraude ne sont que trop souvent les causes des banqueroutes. Les hommes qui ont malheureusement ces défauts et ces vices, ne sont pas faits our exercer cet état. Ceux qui ne sont que rnal-eureux trouveront toujours des moyens de faire des arrangements avec leurs créanciers; d’ailleurs les faillites et banqueroutes ont toujours taché d’une espèce d’infamie, dans le commerce, ceux qui s’en rendaient coupables. Il faut maintenir ce principe, surtout dans le moment où l’esprit de notre Constitution va apprendre aux hommes à devenir meilleurs. Les agents de change, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, n’élaient dans le commerce que des intermédiaires qui exercent une espèce de fonction publique; les négociants qui les commettent, n’ayant de leurs opérations, d’autres preuves que leur aveu, il est important qu’ils soient assujettis à avoir des registres timbrés et paraphés, sur lesquels ils coucheront toutes les négociations qu’ils feront, pour servir de renseignements et de preuves légales en cas de contestation, afin qu’on puisse y avoir recours, quand il s’élèvera quelque difficulté sur les conditions de la négociation consommée par leur ministère. Le secret est l’âme des opérations de commerce. Un agent de change indiscret pourrait anéantir le crédit d’un négociant, et faire un tort considérable à sa fortune, il est de votre sagesse, je pourrais dire de votre devoir, de le prescrire à ceux qui entreprendront la profession de courtier et d’agent de change; l’importance de leurs fonctions a fait croire à votre comité qu’il était nécessaire d’infliger la peine d’une amende aux agents de change qui ne se conformeraient pas à la loi. C’est d’après toutes les réflexions que je viens de vous présenter, que le projet de décret que je vais avoir l’honneur de vous soumettre a été rédigé par votre comité d’agriculture et de commerce. Projet de décret. « Art. 1er. Les commissions de courtiers, agents de change, de banque, de commerce et d’assurance, tant de terre que de mer, conducteurs, interprètes dans les ports de mer, tant français qu’étrangers et autres, de quelque nature* et sous quelque dénomination qu’elles aieut été créées, sont révoquées, à compter du jour de la publication du présent décret. « Art. 2. Conformément à l’article 7 du décret sur les patentes, du 2 mars dernier, il sera libre à toutes personnes d’exercer la profession de courtier et agent de change, de banque et de commerce, taut de terre que de mer, mais à la charge de se conformer aux dispositions des règlements qui serontincessamment décrétés, sans que personne puisse être forcé d’employer leur ministère. l‘e Série. T. XXV. a Art. 3. Tout particulier qui voudra exercer les fonctions de courtier et agent de change, de banque et de commerce, tant de terre que de mer, sera tenu de prendre une patente, qui ne pourra lui être délivrée qu’autant qu’il rapportera la quittance de ses impositions. « Art. 4. Celui qui aura pris une patente sera tenu de se présenter devant le juge du tribunal de commerce; il y fera sa déclaration qu’il veut exercer la profession de courtier, d’agent de change et de commerce; et il prêtera le serment de remplir ses fonctions avec intégrité, de se conformer aux décrets de l’Assemblée nationale et aux règlements, et de garder le secret, sur les affaires qui lui sont confiées. « Art. 5. Le gieflier du tribunal lui délivrera une expédition de sa prestation de serment, qu’il sera tenu de produire à la municipalité, pour y justifier qu’il a rempli cette formalité, sans laquelle il ne pourra user de la patente. « Art. 6. Nul ne pourra exercer tout à la fois la profession de courtier, d’agent de change, et celle de négociant, banquier, marchand, fabricant, commissionnaire, et même être commis dans aucune maison de commerce; il ne pourra être pareillement délivré de patentes à ceux qui auraient fait un contrat d’atermoiement ou faillite à leurs créanciers, à moins qu’ils ne se soient réhabilités; de quoi ils seront tenus de justifier. « Art. 7. Ne pourront, ceux qui seront reçus courtiers et agents de change, faire, pour leur compte, aucune espèce de commerce et négociation, à peine de destitution et de 1,500 livres d’amende. Us ne pourront, sous les mêmes peines, endosser aucune lettre ou billet commerçable, donner aucun aval, tenir caisse ni contracter aucune société, faire ni signer aucune assurance et s’intéresser directement ni indirectement dans aucune affaire. Tous actes, promesses, contrats et obligations qu’ils auraient pu faire à cet égard seront nuis et de nul effet. « Art. 8. Ne pourront de même les négociants, banquiers, ou marchands, prêter leurs noms di-reebment ni indirectement, aux courtiers et agents de change, pour faire le commerce, et les intéresser dans celui qu’ils pourraient faire; et ce, sous peine d’être solidairement responsables et garantis de toutes les condamnations pécuniaires qui pourraient être prononcées contre les-dits courtiers et agents de change. « Art. 9. Dans tous les lieux où il sera établi des courtiers et agents de change, il sera dressé un tableau dans lequel seront inscrits leurs noms et demeures; ledit tableau sera affiché dans les tribunaux de commerce, et dans les lieux où les marchands et négociants sont dans l’usage de s’assembler, ainsi qu’à la maison commune. « Art. 10. Les courtiers et agents de change seront obligés de tenir des livres ou registres journaux en papier timbié, lesquels seront signés, cotés et paraphés par un des juges du tribunal de commerce : lesdits registres seront écrits par ordre de dates, sans aucun blanc, et par articles séparés; ils contiendront toutes les négociations et opérations de commerce, pour lesquelles lesdits courtiers, agents de change et de commerce auront été employés, le nom des parties contractantes, ainsi que les différentes conditions convenues entre elles; seront tenus lesdits courtiers de donner, aux parties intéressées, un extrait signé d’eux desdites négociations et opérations dans le même jour où elles auront été arrêtées. « Art. 11. Ils ne pourront, sous peine de des-7 98 (Assemblée nationale.] ARÇHIVES PARLEMENTAIRES. [U avril 1791.] titution et de responsabilité, négocier aucun effet, lorsqu’il se trouvera cédé par un négociant dont la faillite serait déclarée ouverte, ou qui leur serait remis par des particuliers non connus et non domiciliés. « Art. 12. Les particuliers qui, sans être pourvus de patentes, se seraient immiscés dans les fonctions de courtier et agent de change et de commerce, seront non recevables à aucune action, pour raison de leurs salaires; les registres où ils auront écrit leurs négociations n’auront aucune foi en justice; ils seront de plus sujets à l’amende déterminée par l’article 9 du décret du 16 février dernier. « Art. 13. Les courtiers et agents de change, de banque et de commerce ne pourront, à peine d’interdiction, se servir de commis, facteurs et entremetteurs pour traiter et conclure les marchés ou négociations dont ils seront chargés. « Art. 14. Il sera incessamment procédé par les tribunaux de commerce à la confection du tarif des droits de courtage, dans les différentes places de commerce du royaume : ce tarif aura force de loi, dans chaque ville où il aura été fait ; et jusqu’à la publication du nouveau tarif, ceux actuellement subsistants continueront à être exécutés. « Art. 15. Il sera également fait par les tribunaux de commerce un règlement sur la manière de constater le cours de change et des effets publics. « Art. 16. Les courtiers et agents de change se conformeront aux dispositions du présent décret à peine de destitution; et ceux contre lesquels elle aura été prononcée ne pourront, dans aucun temps, être pourvus de patentes pour en exercer les fonctions. « Art. 17. La connaissance des contraventions et contestations relatives à l’exécution du présent décret sera attribuée aux tribunaux de commerce. » (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. Germain. Il n’est personne dans l’Assemblée qui ne convienne qu’il faut des règlements pour les agents de change; mais la grande question est de savoir si le nombre des agents sera illimité ou déterminé. Les courtiers sont pour le premier avis; les agents de change tiennent pour le second. Quel est l’intérêt du commerce? Le voici : sûreté, précision, vérité, promptitude et secret. Sûreté pour les effets; précision pour le cours; vérité pour les déclarations de ce cours; promptitude pour la négociation; secret enfin pour l’opération. Vous pressentez déjà, Messieurs, mon opinion; vous penserez, peut-être, comme moi ( Murmures prolongés.), qu’il estimpossiblequ’avec un nombre illimité on puisse réunir toutes ces conditions, réunion qui est cependant essentielle. Si le nombre des agents est illimité, les opérations seront divisées; dès lors elles seront nécessairement ralenties, et conséquemment point de promptitude dans les négociations. Le cours deviendra plus difficile à savoir, car le cours ne peut être fixé que par des opérations marquantes et faites à la même époque. A l’égard du secret, on sent très aisément qu’il est toujours plus compromis en raison du nombre. Ce nombre indéfini leur serait même réciproquement préjudiciable, au grand détriment du commerce. Je n’ai examiné, quant à présent, la question que relativement au commerce.Si je l’avais encore considérée relativement aux commerçants, je vous aurais montré d’autres inconvénients qui me con-firment dans l’opinion où je suis, que le nombre des agents de change doit être limité, fî’est ce qui m’engage à vous proposer le projet de décret suivant : « Le nombre des agents de change sera limité et il sera déterminé par les municipalités des lieux où ils exerceront leurs fonctions. » M. Helavïgsse. La discussion des articles proposés pur le comité exige beaucoup de réflexions et une grande maturité à cause de l’intérêt de Paris et de toutes les places de commerce pour le change. L’Assemblée devrait en prononcer l’ajournement. M. fiSouttcville-Bÿumetz. On peut toujours s’occuper du principe et décréter les deux premiers articles du comité. M. ISnzot. Vous avez rendu un décret qui établit la liberté des professions et ce décret a été reçu avec reconnaissance. L’obligation de se munir d’une patente et d’en acquitter le prix, les règlements à observer pour certaines vacations, ce sont là les seules conditions auxquelles vous avez attaché le libre exercice des différents genres d’industrie. Cependant, Messieurs, c’est une de ces libres professions qui sort maintenant de la ligne et qui vient réclamer une exception en sa faveur; c’est la profession d’agent de change; ce sont les soixante brevetés par l’ancien gouvernement qui viennent vous demander de mettre leur état au-dessus de la loi commune. Pour colorer leurs demandes, ils donnent à leurs fonctions une importance toute particulière. A les entendre, si vous ne faites pas pour les agents de change une loi d’exception, un corps dans la société; si vous ne limitez pas le nombre des membres dont ce corps doit être composé, il n’est pas de dangers qui n’en résultent pour le crédit public, pour la fortune des particuliers, pour la sûreté des affaires. Ce sont là, Messieurs, de faibles terreurs, que la moindre connaissance dissipe aisément; ce sont de vaines assertions de l’intérêt particulier, qui ne peuvent pas tenir contre les vues d’esprit public, qui doivent vous diriger dans cette matière. Aujourd’hui que les agents de change voient la liberté des professions établies, ils prétendent être des fonctionnaires publics, et à ce titre ils demandent encore la conservation de leur privilège; mais les entremetteurs sont-ils autre chose que des agents, des hommes de confiance qui facilitent par leur entremise les affaires de commerce? Il faudrait donc regarder aussi les banquiers, les commissionnaires, tous ceux qui font les affaires d’autrui, comme des fonctionnaires publics. Cependant a-t-on jamais pensé à donner à tous ces individus des privilèges? A-t-on jamais prétendu en limiter le nombre? Ces limites sont-elles compatibles avec une fonction de pure confiance? Les fonctionnaires publics sont salariés par le public et font les affaires des particuliers gratuitement ; proposer cette condition aux agents de change, ce serait, je crois, mettre leur patriotisme à une rude épreuve. ( Applaudissements .) On nous parle beaucoup de la confiance publique. Ne voit-on pas qu’il faut que les particuliers puissent se confier librement, et non qu’ils soient obligés de se livrer à une classe privilégiée d’individus? Ceux qui justifieront cette confiance ne tarderont pas à se faire une réputation, et cette réputation que leur probité et leurs lumières leur acquerront sera leur privilège.