[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |14 février 1791.] 175 En mettant au contraire 25 livres par quintal sur tous les tabacs importés en France, vous aurez un bénéfice net qui, je crois, surpassera le bénéfice que vous feriez sur les régies. Aujourd’hui que vous avez déi rété la liberté du tabac, c’est le meilleur principe que vous puissiez adopter. Je conclus donc, Monsieur le Président, à ce que, laissant une régie pour la vente du tabac au profit du Trésor public, la seconde partie de l’article soit totalement retranchée. ( Applaudissement s.) M. Dupont (de Nemours). Le préopinant a très bien motivé les raisons qui doivent nous déterminer à établir une régie nationale. Quant à la seconde disposition de l’article du comité, je la trouve très sage; je propose seulement d’y ajouter que l’exemption des droits ne s’appliquera qu’aux tabacs importés dans nos ports par des vaisseaux français, américains et espagnols et que la régie sera tenue de se pourvoir dans les entrepôts. M. d’Estourmel appuie l’opinion de M. Dupont. M. Rœderer, rapporteur. Je propose de modifier, comme suit, la rédaction de l’article 6 : « Une régie nationale fera fabriquer et vendre du tabac au profit du Trésor public : les tabacs étrangers en feuilles, qu’elle jugera à propos d’employer, seront exempts de droits, elle sera tenue de s’en pourvoir dans les entrepôts qui auront lieu en vertu de l’article 4. » M. Rewbell. Il est évident que vous avez voulu favoriser la navigation, et il est évident que vous la détruiriez aujourd’hui, ainsi que le commerce, si vous adoptiez la mesure qu’on vous propose. On vous alarme sur le défaut de travail ; vos ouvriers seront recherchés par tous ceux qui voudront élever de nouvelles manufactures; bien loin de diminuer leur salaire, vous aurez augmenté leur bien-être, en leur procurant plus d’occasions de travailler. Je persiste dans mon opinion, et je demande la question préalable sur l’article même. M. Pierre de Delley ( ci-devant Delley d’Agier). Vous prendrez les mesures nécessaires pour faire disparaître les abus, mais vous voudrez conserver dans toute l’Europe la vente de vos tabacs supérieurement fabriqués, et tellement recherchés en Russie qu’ils s’y vendent jusqu’à 2 roubles et demi, c’est-à-dire 10 livres la livre ; mais pour ce, il faut une régie et traiter comme le propose le comité. M. d’André. On sait assez que je ne suis ni flamand ni alsacien; je défends l’intérêt du commerce français contre l’intérêt des traitants et des gens du fisc. ( Applaudissements .) L’intérêt du commerce français est qu’il n’y ait pas une compagnie qui ait le privilège exclusif d’enlever les tabacs. Or, une compagnie qui ne payera point de de droit aura un privilège exclusif : l’Assemblée, qui a détruit tous les privilèges, voudrait-elle en établir un sous le frivole avantage que c’est un bénéfice pour la nation? je prétends, moi, que c’est un grand préjudice pour la nation. ( Interruptions .) Il n’y a rien qui nuise plus à la fabrication et à l’industrie que les privilèges exclusifs, même au profit de la nation. Il faut donc en revenir au principe qui est de retirer le plus de profit possible de la fabrication du tabac ; et le moyen, c’est de faire payer tout le monde à Feutrée. Je conclus à mon amendement. (La discussion est fermée.) M. le Président met aux voix la première partie de l’article, portant établissement d’une régie nationale. (L’Assemblée décrète l’établissement d’une régie nationale.) M. le Président met aux voix la deuxième partie de l’article, relative à l’exemption des droits. (L’Assemblée décrète que la régie ne sera pas exempte des droits établis sur l’importation des tabacs étrangers.) Un membre propose, par amendement, que la régie ne soit assujettie qu’aux trois qurrts des droits décrétés pour les particuliers. (Cet amendement est rejeté par la question préalable.) M. de Folleville. Pour favoriser nos fabriques, je demande qu’il soit fait à la régie restitution de la totalité des droits payés par elle pour des tabacs importés, qu’elle aurait fabriqués et qu’elle réexporterait. (Cet amendement est rejeté par la question préalable.) M. le Président consulte l'Assemblée sur la troisième partie de l’article, ponant obligation pour la régie de faire ses approvisionnements dans les entrepôts. (Cette disposition est rejetée par la question préalable.) L’article 6 (devenu article 5) est décrété en ces termes : « Art. 5. Une régie nationale fera fabriquer et vendre du tabac au profit du Trésor public, et sera assujettie aux mêmes droits que les particuliers. » L’ordre du jour est un rapport des comités ecclésiastique , des rapports et des recherches sur les troubles du Morbihan. M. Vieillard, rapporteur. Messieurs, quelques mouvements dernièrement excités par les ennemis du bien public, dans le département du Morbihan, ont été dénoncés à vos comités ecclésiastique, des rapports et des recherches, par le directoire du département du Morbihan. Les pièces, qui ont été envoyées à vos comités, ne laissent aucun doute sur la vérité des faits que je vais avoir l’honneur de vous rapporter. Il y avait déjà longtemps qu’on cherchait à exciter le peuple dans cette partie de l’Empire. Vers les derniers jours de décembre, il y eut une espèce de soulèvement dans le bourg de Sarzeau. Les habitants de la ville de Lorient y avaient envoyé plui-ieurs citoyens pour l’approvisionnement des grains. Les habitants de la paroisse de Meuve voulurent s’opposer au transport de ce grain destiné à subvenir à la consommation et à la nourriture du peuple de Lorient. La tentative risquée fut inutile; les marchands 176 lAssemblée nationale j ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [14 février 17U1.J s’approvisionnèrent; mais le peuple s’attroupa et chercha à pre dre sa revanche. 11 investit et assaillit les maisons de ceux qui distribuaient le blé; les vitres furent eas-ées ; quelques fenêtres furent brisées. Vous présumez bien que le décret du 27 novembre fut le prétexte des mouvements dont je vais avoir l’honneur de vous rendre compte. Il a d’abord été envoyé à vos comités 2 adresses de la part du directoire de département; la première, en date du 5 de ce mois, annonce qu’il y a une grande fermentation parmi le peuple ; que peu de fonction naires'publics ecclésiastiques ont prêté le serment. A cette adresse est jointe une pétition de citoyens qui s’opposent, dit-on, dans les campagnes, à ce que le serment exigé des ecclésiastiques soit prêté par eux, et une" lettre du directoire de Rochefort, portant que l’on n’a rien négligé pour prévenir le peuple contre le décret; qu’on persuade au peuple qu’il n’aura plus ni recteurs, ni curés, que les enfants ne seront plus baptisés, que les fidèles, à la mort, ne recevront plus les sacrements ; que ces discours, adroitement semés, font une sensation extraordinaire; que les paysans menacent d’aller mettre le feu aux bureaux de district. il est certain, disent les administrateurs du directoire, que les prêtres sont seuls les auteurs de ces pétitions. Les mêmes intrigues sont employées par eux dans les confessionnaux; les chaires retentissent de leur esprit de révolte et de sédition. Ils se plaignent de n'avoir que quelques débris du régiment de Walsh, mandais. Ils ajoutent que Lorient est la seule ville du département où, sur 15 fonctionnaires publics ecclésiastiques, 12 ont prêté serment; que partout ailleurs les prêtres et les campagnes sont séduites; que l’évêque du Morbihan, avant d’avoir quitté fit ville de Vannes, paraît avoir formé entre lui et tous les curés du département une coalition d’autant plus dangereuse, que le peuple ignorant est soumis à l’intluence de ses chefs spirituels. Le directoire observe de plus qu’il n’y a, dans le département, que 3 ou 4 compagnies du régiment de Walsh, < t 130 hommes de Normandie; il demande qu’il lui soit envoyé une garnison. Dans le même moment où cette adresse partait de Lorient, il pariait en même temps aussi de Vannes, de la part du département, une nouvelle adresse à l’Assemblée nationale. Ce département a dressé, le 7 de ce mois, un procès-verbal des événements qui ont ni lieu. Le directoire fut instruit par un billet anonyme qu’il y avait aux environs de Vannes, au lieu qu’on appelle Gondot), un attroupement assez considérable. Le directoire écrivit sur-le-champ à la municipalité, qu’elle s’assurât du fait et prît des précautions. Le directoire fut aussi instruit que l’attroupement qui existait à Gondon n’était pas le seul ; qu’il en existait plusieurs autres semblables. Le directoire se détermina à demander à la ville de Lorient 4 pièces de canon et des artilleurs en nombre suffisant pour faire le service. Il dépêcha un des commis du directoire pour faire cette commission à midi dudit jour 7 février. La municipalité, qui avait envoyé un cavalier de maréchaussée, renvoya au directoire réponse qu’il y avait effectivement à Gondon un assez grand nombre de paysans qui y étaient rassemblés; que cela ne présentait rien d’alarmant ; que tout y paraissait tranquille, et que d’ailleurs la municipalité avait pris tous les moyens d’assurer la tranquillité publique. Le directoire ne trouva point que les mesures prises par la municipalilé fussent suffisantes. Il lui écrivit pour qu’elle eût à faire proclamer la loi martiale et dissiper l’attroupement qui existait à Gondon. A trois heures de l’après-midi, une députation de paysans, sachant qu’on voulait dissoudre leur assemblée, vint à la municipalité et demanda la permission de continuer leur assemblée. La municipalité ne crut pas devoir s’y opposer : elle fit part de ses motifs au directoire du département. Dans le moment où les administrateurs prenaient lecture de cetle lettre et se disposaient à y répondre, on annonce dans la salle du directoire une députation de dix à douze paysans qui étaient porteurs de diverses adresses. Au moment de les introduire, les administrateurs furent prévenus qu’il y avait à la porte cent cinquante paysans au moins, lesquels cent cinquante paysans étaient suivis d’un assez grand nombre d’écoliers et de gens du peuple. Un membre du directoire qui était sorti, avant que la porte fut assaillie, apercevant Je danger que pouvaient courir les administrateurs, se transporta à la municipalité et requit la force publique : 20 hommes de la garde nationale envoyés par ia municipalité partirent, ayant à leur tête deux ofliciers municipaux et un notable; l’attroupement fut promptement dissipé. Le directoire rentra dans le lieu de ses séances, et trouva sur son bureau plusieurs adresses qui avaient été déposées par ceux des paysans qui avaient élé envoyés en députation . Elles sont très inconstitutionnelles; mais j’ai l’honneur de vous observer, Messieurs, qu’elles ne portent aucune signature, quoiqu’elles aient été annoncées devoir être présentées au nom de 20 paroisses. Le département a cru devoir vous informer de ces faits, en vous envoyant le procès-verbal dont je vous, ai donné la substance : il y a joint une lettre conforme où il donne les plus grands éloges au dévouement du brave détachement de Walsh et de son chef Citoyen, M. O’Iliordan. Plusieurs membres à droite demandent la lecture des adresses. M. Vieillard, rapporteur . J’ai plusieurs adresses à lire à l’Assemblée, et j’observe qu’on est très curieux d’apprendre ce qu’on sait très bien; car les principes qui y sont consacrés sont ceux qui sont écrits dans les pamphlets qu’on distribue tous les jours aux portes de l’Assemblée nationale; et même elles renferment certains principes inconstitutionnels qui ont été avancés à la tribune . ( Applaudissements . ) Vous allez être à portée de juger de l’esprit de ces adresses par la lecture que je vais vous faire de la lettre écrite par les officiers municipaux de Sarzeau aux administrateurs du département, le 5 de ce mois. ( Murmures à droite.) Plusieurs membres à gauche : Les fabricateurs doivent les connaître. M. Vieillard, rapporteur. Voici la lettre : « Nous avons tous juré de maintenir la Constitution; mais c’est un principe dont vous devez convenir qu’aucun homme ne peut s’obliger par serment à manquer à son devoir, aux lois de la conscience et de la raison : une partie du serment qu’on exige des prêtres consiste à jurer de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et sanctionnée [14 février 1791.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 177 [Assemblée nationale.] per le roi et tous les décrets qui seront rendus à l’avenir. Il est du devoir d’un prêtre de maintenir la doctrine de J.-C., d’employer tous ses soins pour que les fidèles de l’Eglise ne s’écartent jamais des principes catholiques dans leur croyance, et des leçons évangéliques dans leur conduite. Or, il est de foi que le pape étant successeur de saint Pierre, vicaire de J.-C., il a une véritable juridiction sur chaque évêque, chaque prêtre, chaque personne et chaque fidèle; qu’à lui seul convient le droit de paître les brebis et les agneaux du troupeau. (Rires.) « Il est de foi que l’absolution d’un prêtre est nulle, comme sa mission, s’il n’est envoyé par l’Eglise. Il est de foi que l’évêque est supérieur au prêtre. Il est de foi que la profession religieuse est une profession de sainteté et de perfection ; cependant les décrets de l’Assemblée nationale contiennent des principes contraires à ces lois, évidemment contraires à ces vérités. Les décrets sont donc contraires à la foi dans la religion ; c’est donc détruire la foi, que de vouloir les soutenir. « Prêter le serment, c’est jurer de maintenir, de tout son pouvoir, ce qui sera décrété et sanctionné par la suite ; de sorte que si l’Assemblée décrète le mariage des prêtres, le divorce, le mariage devant le maire; si elle décrète des articles contraires au bien public, à la foi catholique; si une assemblée d’hommes sans principes défend de reconnaître la divinité de Jésus-Christ, ou de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, on s’obligerait par serment à maintenir de tout son pouvoir ce qui serait injuste et impie! on prendrait Dieu à témoin 1 Un pareil serment ne serait-il pas un blasphème ? Quel est le prêtre, le laïque même qui prêterait un serment qui, non seulement renverse les principes de la religion, mais encore qui révolte la conscience, qui révolte même la droiture, la raison et le bon sens ? « Non, Messieurs, quand toutes les puissances de l’enfer se réuniraient contre nous, nous ne prêterions jamais la main aux décrets qui l’exigent. Si les places du sanctuaire et de la législation civile ne peuvent être occupées que par des hommes obligés de faire ce serment, la France est le plus malheureux de tous les Etats. Nulle puissance ne peut bannir de ce royaume une religion que l’on y professe depuis 1,400 ans, et qui jouit du culte public, et à laquelle sont attachés, de corps et d’esprit, tous les bons Français qui sont encore la majorité des habitants, malgré les efforts redoublés de l’irréligion et des passions. « Nous sommes Français, Messieurs; nous ne savons pas gémir sous la tyrannie d’un despotisme irréligieux. Nous sommes libres; une Constitution qui contrarierait ces grandes vérités anéantirait notre liberté et notre bonheur, serait enfin un abus terrible. » Cette lettre est signée des officiers municipaux de Sarzeau. Voilà la seule pièce authentique; elle paraît être d’un style bien relevé pour avoir été composée par des paysans de la basse Bretagne, qui n’entendent pas le français. Nous avons plusieurs autres adresses du même genre, mais comme il n’était question que de l’intérêt du clergé et de quelques seigneurs, on a pris le parti très politique de demander la suppression des domaines congéables. Voici quel est le langage des pétitionnaires : Ils disent qu’indépendamment des décrets de l’Assemblée nationale, ils jurent de maintenir la 1” Série. T. XXIII. religion, que le serment exigé de leur vénérable prélat porte atteinte à la foi et à la puissance spirituelle; qu’ils ne savent pas si la puissance temporelle est bien ou mal constituée, que les biens donnés au clergé par le peuple lui ont été enlevés sans que le peuple y consentît, que l’Assemblée nationale doit se rétracter, que les députés de Bretagne n’y sont pas libres, que l’expulsion des chanoines, la suppression de certains évêchés ne peut avoir lieu, qu’il faudrait un bref du pape ou un concile général de l’Eglise de France. Les termes des pétitionnaires sont toujours ceux-ci : nous voulons et exigeons. Nous voulons et exigeons, disent-ils, qu’on ne demande à nos prêtres et à nos prélats aucun serment; nous voulons et exigeons qu’on n’en déplace aucun, nous aimons notre évêque et nos recteurs, nous voulons qu’ils soient entretenus décemment, et en conséquence nous donnons à nos recteurs la dîme à la trente-troisième gerbe. Nous voulons qu’ils soient en nombre suffisant, qu’on ne fasse aucun changement à la circonscription des paroisses, aux dispositions des collèges, que notre bon pasteur reste dans son palais et nos recteurs dans leurs maisons; nous déclarons que ceux qu’on voudrait mettre à leurs places seront regardés par nous comme intrus et illégitimes; nous voulons la paix, nous désirons qu’on ne la trouble pas et qu’on ne nous force pas à la résistance. Nous voyons avec peine la suppression des vœux monastiques; nous voyons avec indignation et horreur la vente des biens du clergé et leurs acquéreurs. (Rires.) M. de Cazalès. J’observe à l’Assemblée qu’elle doit plutôt prendre les mesures nécessaires pour faire cesser des troubles, que de rire, parce qu’il n’y a rien de moins plaisant que la résistance, même aveugle. Plusieurs membres : A l’ordre ! M. de Cazalès. Les rires sont fort indécenls. M. Vieillard, rapporteur. Les pétitionnaires s’occupent ensuite de leurs intérêts, ils demandent la liberté du domaine congéable, le payement des frais des municipalités par le Trésor public, etc., etc. Ces pétitions sont annoncées comme formées par vingt paroisses; elles portent également que le collège et séminaire de Vannes y adhèrent. Dans une de ces pétitions, on donne au directoire deux jours pour répondre, et l’on dit que, si dans ce délai il ne fait pas connaître sa réponse, on ira la chercher. Voici une lettre du procureur général syndic du département, adressée à un député du pays ; elle est datée du 10, et contient ce qui s’est passé depuis le procès-verbal du département ..... « Nos administrateurs, voyant les attroupements s’accroître, envoyèrent à Lorient chercher quatre pièces d’artillerie. Le bruit y courait que nous étions tous égorgés ; en conséquence, au lieu de 50 hommes, nous vîmes arriver hier 1,300 à 1,400 hommes, tant à pied qu’à cheval, et en belle ordonnance. L’habitant murmurait d’un logement aussi grévant, il venait d’avoir pendant dix jours deux bataillons de troupes de ligne. Enfin les officiers municipaux parvinrent à les placer. « On me rapporta peu après que quelques étourdis étaient allés chez l’évêque pour lui faire prêter son serment. Au lieu de se montrer, l’é-12