460 [Assemblée nationale.] charger de la perception des droits sur les eaux-de-vie, une régie intéressée, c’est-à-dire une compagnie qui s’engageait à payer une somme fixe, et qui donnait en outre une part de l’excédent en cas qu’il s’en produisit. La perception ayant éprouvé depuis un an une diminution sensible, par suite de causes qu’on ne saurait imputer à la régie, les régisseurs ont demandé une indemnité. Votre comité a pensé qu’il était juste de la leur accorder, mais comme le Trésor public ne doit pas souffrir du défaut de perception qui a eu lieu, nous vous proposons de faire contribuer à cette indemnité les peuples de l’ancienne province d’Artois. Cette proposition est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait par son comité des finances, de la pétition des régisseurs généraux de l’octroi sur l’eau-de-vie, dans la ci-devant province d’Artois, et des moyens opposés à ladite pétition, par les députés extraordinaires de l’Assemblée administrative du département du Pas-de-Calais, décrète : « 1° Qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur ladite pétition tendant à ne verser dans les caisses générales et particulières dudit département, les droits provenant des octrois sur l’eau-de-vie, que d’après le résultat d’un compte de clerc à maître ; « 2° Que l’assemblée administrative du département du Pas-de-Calais, et, à son défaut, le directoire, après avoir entendu les municipalités et pris l’avis des districts, réglera l’indemnité qui peut être due auxdits régisseurs; et ce, d’ici au Ier janvier 1791, pour tout délai, sur laquelle indemnité il sera statué définitivement par l’Assemblée nationale; et, dans le cas où l’indemnité sera jugée due, il sera pourvu par elle au mode de remplacement des revenus publics : déclare que, jusqu’à cette époque, les régisseurs des octrois étant autorisés à suspendre leurs payements à l’administration du département, les receveurs généraux et particuliers des finances demeurent provisoirement autorisés à suspendre, jusqu’à concurrence des sommes qui seraient dues par lesdits régisseurs, leurs poursuites vis-à-vis les receveurs dudit département; « 3° Quant aux sommes dues aux villes pour la part qu’elles ont dans lesdits octrois, elles leur seront payées au marc la livre par les régisseurs ; savoir : un quart avant le 1er décembre prochain, et les trois autres de dix en dix jours, en portions égales, jusqu’à l’extinction des sommes échues, de manière qu’elles soient entièrement acquittées au Ier janvier 1791 ; que dans le premier payement entreront les sommes saisies et arrêtées, dont sera fait état auxdits régisseurs, leur faisant mainlevée, au surplus, de toutes saisies-arrêts et exécutious et contraintes; « 4° Lesdits régisseurs continueront de payer de mois en mois aux villes les sommes courantes qui leur seront dues , conformément au traité auquel il ne sera rien innové. » M. Gossin, au nom du comité de judicature. Le conseil supérieur de Corse a été créé et installé en 1768; les membres qui le composent ont tous été nommés par le roi; ils avaient des appointements fixes, au moyen desquels tous émoluments ou épices leur ont été interdits. Le plus grand nombre d’entre eux a consumé, loin de ses foyers, celte portion active de la vie pendant laquelle les connaissances se perfectionnent et les facultés de l’esprit se concentrent dans le cercle d’un état qui les absorbe toutes. S’il est impos-J16 novembre 4790.1 sible à un certain âge d’entrer dans une nouvelle carrière, c’est surtout pour des magistrats que des devoirs habituels et multipliés de leur état éloignaient nécessairement de toute étude comme de toute autre habitude. Quelques-uns touchent au dernier période de la vieillesse, d’autres ont atteint celui des infirmités. Leur sort serait affreux si la patrie, qui doit à sa régénération, à sa nouvelle organisation, le sacrifiçe de leur existence civile, ne pourvoyait pas à leur existence civique. Ces motifs sont communs aux membres du conseil supérieur, originaires et non originaires; mais ces derniers représentent que, transplantés en Corse depuis plusieurs années, même depuis vingt-deux ans, ils sont presque tous devenus étrangers à leur première patrie; qu’ils ont sacrifié les intérêts qui les y attachaient encore pour rendre meilleur leur sort sur une terre étrangère qu’ils avaient adoptée comme ils en avaient été adoptés. Ils ne peuvent espérer d’être élus par un peuple auquel ils ne tiennent par aucun de ces liens qui forcent les suffrages. Etrangers dans leurs provinces, oubliés, méconnus, peut-être dans leur propre pays, ils seraient désormais isolés sur la terre, sans patrie, même sans droits, s’ils étaient abandonnés par le souverain ou par la nation qu’ils ont servis pendant tout le cours utile de leur vie. Votre comité de judicature, quoique touché de ces motifs, n’a pas pensé qu’il dût vous proposer aucune indemnité à décréter en faveur des anciens magistrats de la Corse. Il faut distinguer les originaires de Plie de ceux qui ne le sont pas. Quant aux originaires, ils sont dans la position des ci-devant magistrats des cours souveraines du royaume, pourvus sur de simples commissions du roi. Quant aux magistrats non originaires de Corse, votre comité croit qu’ils pourront avoir droit à une pension, et vous présente le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de judicature, décrète que la pétition des ci-devant magistrats de Corse, pour ce qui concerne ceux non originaires de cette île, est renvoyée au comité des pensions, qui en rendra compte incessamment. » (Ce projet est adopté.) M. Gossin. J’ai aussi à vous présenter, au nom du comité de Constitution, le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, confirme la délibération de l’assemblée électorale du département de Corse et décrète qu’en conformité du vœu qu'elle exprime, cette île forme un seul département, dont Bastia est chef-lieu. » (Ce projet est adopté.) M. Regnaud, député de Saint-Jean-d'Angély. Je demande que le comité de Constitution nous présente un mode de tribunal provisoire auquel on attribuera la commission de confirmer les jugements criminels du Châtelet. On ne peut plus contenir les prisonniers; quand on s’y présente, ils vous disent en vous découvrant leur poitrine : « Un jugement ou la mort. » M. Prieur. Il est impossible d’organiser un tribunal dont nous n’avons aucun élément. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'impôt du tabac. ABCHIYES PARLEMENTAIRES. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1790.) M. Rewbell (1). Messieurs, il n’est ni dans mon intention, ni dans celle d’aucun membre de cette Assemblée, de vouloir soustraire la consommation du tabac à l’impôt; mais je soutiens que le régime actuel de l’impôt du tabac ne peut plus subsister, et quoi qu’en ait dit le préopi-nanl, le régime actuel de cet impôt a été juné par le peuple. L’indignation s’est élevée de tous côtés contre ce régime, et heureusement pour la cause de la liberté, heureusement pour la cause du peuple, ce sont les apôtres de la gabelle qui prônent le plus le régime prohibitif du tabac, et qui annoncent ouvertement qu’il est essentiel, pour le maintien de ce régime, de conserver l’existence des anciennes sangsues du peuple, qui avaient créé et porté ce régime au dernier degré de cruauté. Je n’ai pas remarqué sans surprise qu’il pouvait rester des doutes sur la parité de l’impôt de la gabelle et du tabac ; cependant il était facile de se convaincre que l’impôt du tabac, par ses effets, était encore plus désastreux que la gabelle pour l’habitant de la France en particulier, et pour l’Etat en général; il donne une atteinte plus directe au droit sacré de la propriété que ne le donnait la gabelle. La gabelle pesait sur le riche plus que sur le pauvre, puisqu’elle suivait la proportion de la consommation. L’impôt sur le tabac pèse infiniment plus sur le pauvre que sur le riche, ce qui, par cela même, le rend d’une iniquité révoltante. La gabelle ne nous rendait pas tributaires de l’étranger; l’impôt du tabac tel qu’il existe, et tel qu’on veut l’étendre à des contrées qui n’en connaissent que le nom, en même temps qu’il nous constitue esclaves dans l’intérieur, il nous rend tributaires de l’étranger à un point qui doit finir par détruire pour toujours toute possibilité de faire revivre en notre faveur la balance du commerce. Je me suis rendu maître de mon émotion avec peine, lorsque j’ai entendu débiter avec emphase tous ces lieux communs de la ferme, pour vous insinuer la moralité de la conservation et de l’extension de l’impôt du tabac. Selon les fermiers généraux, qui, trop pressés par le sentiment intérieur de la cupidité, n’ont pas été assez prudents pour garder le silence, il est du bien public de créer un impôt sur un objet de fantaisie; il est du bien public d’empêcher la culture d’une plante qui finirait par nous affamer et nous priver des objets de première nécessité; enfin, il est du bien public d’empêcher la minorité de faire payer l’impôt à la majorité ; et toutes les contrées doivent céder sans murmure aux lois impérieuses de ce bien public dont ils ont été jusqu’à présent de si excellents juges . il faut convenir, Messieurs, que le peuple était bien à plaindre. Le sel était de première nécessité; on le lui vendait à un prix excessif. Le tabac est un objet de luxe; on fait le même raisonnement, et on vous dit froidement qu’on ne peut le lui faire payer assez cher ; et tout est arrangé ainsi par d’honnêtes gens, qui osent encore, dans de beaux préambules, dans de magnifiques écrits, balbutier les mots de bien public et a’amour du peuple. Si l’on vous avait dit, Messieurs : il nous faut un impôt et un impôt considérable, mettons-le (1) Le discours de M. Revrbell est très incomplet au Moniteur. •461 sur le vin ; le vin n'est pas un objet de première nécessité, mettons l’impôt sur son débit, parce que relativement au consommateur, le vin e-4 un objet de fantaisie ; mais l’impôt sur le débit ne produira pas assez, si le gouvernement n’en a pas le débit exclusif.... Eh bien ! il faut lui donner ce débit exclusif... Mais le débit exclusif deviendra même inutile, si l’on conserve la culture de la vigne, parce qu’il y aurait trop de moyens de frauder: eh bien!... eh bien, Messieurs, il faut arracher les vignes. Vous jetteriez les hauts cris à cette dernière proposition ; c’est là cependant où vous a conduits l’impôt du tabac eu France, et où il vous conduirait dans les contrées qui en ont la culture; dans ces contrées où l’habitude du tabac est devenue plus forte, à raison de la libre culture qui s’y trouvait établie ; dans ces contrées où le tabac dont la consommation volontaire dans le principe pour chaque consommateur est devenu d’une nécessité plus absolue pour lui que le vin, dès que le premier pas est fait; dans ces contrées enfin où la perte de tous les établissements élevés à grands frais pour cette culture et ses accessoires, réduirait la classe la plus laborieuse, la plus honnête et peut-être la seule attachée à la Constitution au plus grand désespoir. Un fermier général n’a pas craint d’annoncer, à l’appui du système prohibitif, que si tout particulier était libre de fabriquer et de vendre du tabac, il n’existerait aucun moyen de le surveiller et de s’opposer au mélange coupable que l’amour du gain pourrait lui suggérer; que la marchandise se changerait bientôt en poison, et que la loi, qui établirait une liberté si dangereuse, serait, de la part de ceux qui n’en doivent porter que de salutaires, un véritable crime de lèse-humanité.... Il est facile, Messieurs, de dissiper les craintes de ce fermier général, des lumières duquel le comité de santé ne manquera pas sans doute de faire usage ; il est facile, dis-je, de dissiper ses craintes par deux faits.... Premier fait. En Alsace, dans les provinces belges, la culture, la fabrication et le débit du tabac sont libres ; et on n’a pas d’exemple que le tabac y ait altéré la santé d’aucun individu. Second fait. Il y a des échantillons de tabac empoisonné dans vos comités des rapports, d’agriculture et de commerce, et ce tabac vient de la ferme. Une autre objection du même fermier général, que j’ai entendu répéter avec complaisance dans cette tribune, consiste à dire qu’il suffit de connaître un peu les hommes, et surtout le Français (Messieurs, ce surtout le Français est dans le texte de l’écrit adressé à M. Blaucons, l’uri de nos collègues); il suffit, dit-il, de connaître les hommes, et surtout le Français, pour être sûr qu’au moment où la culture du tabac, si longtemps défendue, serait permise, on s’y livrerait avec fureur ; les productions les plus nécessaires seraient oubliées pour cette production de fantaisie, et une affreuse disette peut-être serait, dès la première année, le fruit de cette impolitique condescendance. Le fermier général ne prouve, par cette assertion, que son ignorance en fait de culture du tabac. Il n’y a pas de culture qui exige plus de connaissances, et surtout plus d accessoires, tels que des séchoirs et autres bâtiments de vaste étendue qu’on ne peut élever qu’à grands frais, et il est évident que cette culture ne pouvant s’établir que successivement, et à mesure qu’on se sera procuré les connaissances, les agrès et les bâtiments nécessaires pour l’entreprend� [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARSEME MT AIRES [16 novembre 1790.] m elle ne peut être subite, elle ne s’établira donc qu’au fur et à mesure que le cultivateur, qu’il ne faut jamais comparer à un joueur ou à un agioteur, ou à un spéculateur sur des droits odieux, se sera assuré d’un débouché avantageux. Or, dès que le débouché sera devenu avantageux pour le cultivateur, la balance de lacuJture sera certaine, et les craintes des disettes sont des chimères; car pour ne pas quitter l’Alsace et les provinces belges, quelles sont les contrées les mieux cultivées? Quelles sont les contrées où l’on fait les plus belles récoltes en blé? C’est en Alsace et dans les provinces belges; et quelles sont cependant les contrées où l’on cultive du tabac ? C’est en Alsace et dans les provinces belges ; y a-t-il des provinces en Francn qui puissent se vanter d’une plus belle culture ? Ces provinces françaises ne cultivaient cependant pas de tabac. Ce n’est donc pas la culture du tabac qui peut enfanter la disette du blé ; c’est bien le contraire. On ne peut planter tous les ans du tabac avec succès* tout comme on ne peut tous les ans semer du blé ; et en Alsace, ainsi qu’en Flandre, on ne plante du tabac que dans Jes années où les terres seraient en repos. Sa culture n’y nuit donc pas à la culture du blé. Il y a plus, il n’y a pas de plante, de graine, de légumes et de fourrages, tels que choux, colza, chanvre, lin, pommes de terre, blé de Turquie, trèfle, etc., qu’on y substituerait, qui n’exigent beaucoup plus d’engrais que le tabac; et cependant il est de fait que les récoltes du blé, après le tabac, excèdent au moins d’un tiers les récoltes de blé, après les autres plantes, graines, fourrages et légumes; et au seul coup d’oeil, le blé. qui provient d’un champ implanté l’année précédente de tabac, vaut vingt sous de plus que tout autre blé par rézal du poids de 180 livres. Le tabac qui produit une augmentation d’aisance, une augmentation dans la quantité du blé, et une bonification ddns sa qualité, donne donc évidemment la facilité d’augmenter le nombre du bétail, la quantité d’engrais, et par conséquent la quantité de blé, ainsi sa culture est loin d’entraîner la disette ; au contraire, elle vous en préserve. Il faut bien, Messieurs, que la ferme n’ait pas absolument compté sur votre docilité à vous faire avaler la pilule amère de l’impôt du tabac, puisqu’elle n’a cessé de vous répéter, dans tous les écrits qu’elle a enfantés, que le régime actuel du tabac ne saurait être conservé; mais vous verrez bientôt que, dans son esprit, c’est de quelques modifications légères de l’exercice odieux de ce régime dont elle veut parler, et non du régime en lui-même dont elle parle ; son régime actuel est la prohibition de la culture du tabac, sa vente et sa fabrication exclusives; et elle n’a pas dissimulé, dans un dernier écrit, qu’elle seule possédant toutes les connaissances de ce système fiscal dans un degré éminent, c’est dans son sein que vous devez choisir les directeurs d’une régie qu’on doit substituer à la ferme ; et la ferme raisonne au moins conséquemment, puisque l’effet de celte prétendue régie serait le même pour nous que celui de la ferme; aussi le préopinant n’a-t-il pas hésité de conseiller la conservation pure et simple de la ferme du tabac. Sou régime actuel est donc la prohibition de la culture du tabac, sa fabrication et sa vente exclusives. Voyons donc son régime nouveau; je vous préviens, Messieurs, que je ne fais que copier. « 1° La culture du tabac serait absolument « prohibée dans toute l’étendüe de (a France, et « les limites fixées pour cette prohibition, les « mêmes sans restriction, que celles détermi-« nées pour la perception des droits de traite. « 2° Le gouvernement seul serait chargé de « fournir, fabriquer et vendre les tabacs destinés « à la consommation du royaume, ou même à la « vente étrangère, sans qu’il fût permis à aucuns « particuliers, autres que ceux spécialement « autorisés par lui, d’en faire le commerce sous « quelque forme et prétexte que ce fût. « 3° Il serait défendu, dans les trois lieues « frontières de former aucun magasin ou appro-« visiunnement de tabac. » Et comme pour l’exécution de cette prohibition, il faut nécessairement des visites domiciliaires, le bénin fermier général nous dit ; « Je ne puis disconvenir ici « que les visites actuelles, quoique bien loin « d’êire aussi odieuses qu’on s’est plu quelque-« fois de les présenter à l’Assemblée nationale, « n’aient pu être regardées comme une sorte « d'attentat à la liberté du citoyen; mais ré-« duits, comme je le propose, aux seules fron-« tières, c’est-à-dire aux trois lieues de frontières, « elles ne seraient plus qu’un acte indispensable « et conservatoire des droits du citoyen lui— » même. » Emendez-vous, Messieurs, ce que cela veut dire ? Enteridt z-vous bien l’aveu du fermier? Sans visite domiciliaire, point d’impôt possible. Entendez-vous pour qui il réserve ces visites domiciliaires? Ceux qui étaient habitués au joug de la ferme, aux visites domiciliaires, il les en exempte; mais ceux qui n’y étaient pas habitués, ceux qui étaient habitués à la liberté* ceux qui n’entendaient parler de ferme et de visites domiciliaires qu’avec le frémissement de l’horreur; eh bien, c’est sur eux qu’il veut étendre ce joug! et c’est là la doctrine d 'équité et d’égalité que ces gens ne rougissent pas de prêcher à l’Assemblée nationale ; mais leur but r.’est pas équivoque; ceux qui n’ont pas lu leur ouvrage ne devineraient pas pourquoi ils veulent conserver le régime du tabac, et .l'étendre aux provinces auxquelles il était inconnu ; c’est pour enrichir la compagnie patriotique du Scioto; c’est pour enrichir les employés patriotes de la ferme générale, Le gouvernement, selon eux, doit acquérir des terrains de la compagnie du Scioto ; le gouvernement doit faire cultiver le tabac par quatre mille employés de la ferme qu’il enverrait sur les terres acquises de la compagnie du Scioto. Voilà le plan qu’on n’a pas rougi de nous distribuer ..... Gréer quarante mille mendiants en Alsace et dans les provinces belges, y réduire plus de dix mille pères de famille honnêh s à un état rapprochant de la mendicité, et pourquoi? Pour arranger les affaires d’une compagnie aussi intéressante que celle du Scioto , en enrichir des eues aussi dignes de préférence qu’une poignée d’employés de la ferme! Voilà ce qu’on vous propose effrontément : je le répète, le but n’est pas équivoque; c’est la contre-révolution qu’on espère d’un système aussi odieux qu’absurde. Avant de vous développer cette idée avec plus d’étendue, je veux m’attacher à réfuter l’objection qui consiste à dire que ceux qui refusent d’admettre le système prohibitif de la culture, de la fabrication et de la vente du tabac, veulent assujettir la minorité à payer l’impôt pour la majorité. Je ne répondrai pas que cette minorité, et dans le cas particulier, serait la partie riche, et .qu'il [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1790.) 463 n’y aurait par conséquent point d’inconvénient qu’elle payât l’impôt pour la partie pauvre, qui serait la majorité; car je veux attaquer le calcul de M. Dupont dans sa base. Pour faire passer le projet, clairement annoncé, de conserver la ferme et les fermiers du tabac, on a cherché à inspirer au peuple des craintes sur sa subsistance, si la culture du tabac devenait libre en France. Pour assurer du pain au peuple, on a enseigné la doctrine que toutes les terres ne devaient plus porter que du blé, et toujours par amour pour ce pauvre peuple que l’orateur chérissait hier si tendrement, on a fini par regretter qu’il ne fût pas possible de doubler, de tripler même le prix du tabac, pour l’éloigner et le dégoûter d’une jouissance pestiférée, qui ne devrait être que l’apanage exclusif des riches...! Mais on n’a pas tout dit au peuple : ou ne lui a pas dit que les contrées où la culture n’est pas variée, que les contrées où l’on ne cultive que du grain, sont les contrées les plus mal peu plées et les plus malheureuses. On ne lui a pas dit qu’il ne surfit pas de cultiver du blé pour le peuple, mais qu’il faut encore le mettre à portée de gagner du blé, qu’il faut lui procurer du travail. On ne lui a pas dit queles contrées de pure culture de grains sont celles qui emploient le moins de bras; on ne lui a pas dit que la culture du tabac est, après celle de la vigne, de toutes les cultures celle qui emploie le plus de monde. Femmes, vieillards et enfants, jusqu’aux infirmes, peuvent être employés avec fruit à la culture du tabac et aux travaux qui en sont l’accessoire; aussi est-ce dans les contrées où l’on cultive celte plante, qu'il y a le moins de mendiants, ou plutôt qu’il n’y a pas de mendiants, parce que c’est dans ces contrées qu’il y a toujours le plus de blé et le plus beau blé; car il est de fait que, depuis que la culture du tabac y est établie, les récoltes de blé y ont augmenté d’un sixième au moins. Il est de fait encore que le pauvre y trouve plus aisément du travail, et par conséquent plus de ressources pour se procurer du blé. C’est cependant le patriutisme des Alsaciens et des Belges qu’on a voulu rendre suspect, qu'on a supposé contraire à l’intérêt général. Si nous vous proposions, Messieurs, de conserver exclusivement la culture du tabac, on pourrait nous taxer d’intésêt personnel; mais lorsque nous appelons toute la France à la libre culture du tabac; lorsque nous désirons que tout le peuple de la France trouve aussi aisément du travail que le peuple d’Alsace etdes provinces belges ; lorsque nous désirons que tout le peuple deFrance se tire des griffes de la ferme comme le peuple d’Alsace et des provinces beiges ; lorsque nous désirons que le peuple de la France soit aussi libre, et par conséquent aussi heureux que nous ; c’est nous qui somm< s les mauvais patriotes ! Et l’orateur qui a osé dire que, si on cultivait le tabac dans toute la France, on mettrait la cinquième partie des terres en tabac, tandis que toute la consommation de la France n’emporterait pas 500 arpents par département I... (1). Et l’orateur qui a regretté que l’impôt sur le tabac ne pût être triplé, a été approuvé ! (1) Un département peut, l’un dans l’autre, contenir environ trois cent mille arpents, ou environ quatre fois 800 fermes; et sur ces 3,200 fermes, 5 à 6 fermes suffiraient pour la consommation en tabac de tout le département; resteraient par département 3194 fermes, ou à peu près deux cent quatre-vingt-dix-neuf mille oi&q «eut» axpeutâ pour le blé et autres cultures» etc» Savez-vous, Messieurs, ce que disait cet orateur en désirant que l’impôt fût triplé? Il disait, en d’autres termes, qu’il désirait d’augmenter la passion du peuple, pour une jouissance que la cherté même lui ferait envisager comme un fruit défendu ; qu’il désirait augmenter l’envie et la haine du peuple contre les riches, pour qui cette jouissance aurait l’air d’être réservée exclusivement; qu’il désirait exciter une classe du peuple à employer tous les moyens que pouvait inspirer la cunidité pour bénéficier sur cette denrée : il souhaitait par conséquent, dans le peu pie, l’accroissement du désir de la contrebande; il faut rendre justice à l’orateur, il ne lui a pas dissimulé à ce peuple, que ce désir violent de la contrebande, exalté par un grand intérêt, devait conduire le contrebandier aux galères. Au moyen de quoi, désirer que le prix du tabac fût triplé, c’était, en dernière analyse, désirer la satisfaction d’envoyer une nuée de contrebandiers ou gens du peuple aux galères. Et voilà quelle a été hier la divinité tutélaire du peuple; et l’apôtre de la ferme est devenu jusqu’à l’idole d’une grande partie de cette Assemblée. Mais puisqu’il faut enfin parler au peuple et déchirer le voile pour lui, il faut lui apprendre que c’est l’intérêt des possesseurs des terres qui a parlé si haut contre l’intérêt du peuple qui n’a pas de terres; il faut lui dire que c’est l’intérêt aveugle et mal entendu des possesseurs des terres, qui craiguent l’accroissement de l’impôt foncier, qui leur a arraché des applaudissements pour un discours prononcé dans des vues profondes , et pour un système le plus oppressif pour le peuple. Les possesseurs des terres en France auraient dû réfléchir cependant que, par la culture du tabac, et la création du commerce de cette denrée, leurs terres augmenteraient sensiblement de valeur, et en supporteraient plus aisément l’impôt. Ils auraient dû réfléchir que nous avons aussi des terres, et que notre intérêt ne peut être que commun avec le leur. Ils auraient dû songer que, manquant d’expérience en ce genre, ils auraient pu avoir quelque contiance eu la nôtre, et eu noire patriotisme qui n’a jamais varié; aussi j’espère qu’ils voudront bien aujourd’hui m’écouter avec quelqu’indulgence; et qu’oubliant de vaines déclamations, ils ne se laisseront plus conduire que par la simple raison : je vais en conséquence reprendre mon discours. Après vous avoir prévenus, Messieurs, que loin de vouloir soustraire le tabac à l’impôt, nous n’entendons que le combiner avec la libre culture; après vous avoir dévoilé que l’un des buts des fermiers généraux qui s’y opposent, est d’enrichir une compagnie très extraordinaire et une poignée de leurs suppôts au détriment de tout le reste de la France ; après vous avoir instruits, que c’est précisément dans les contrées exe mptes j .squ’à présent du joug de la ferme qu’on voudrait introduire les visites domiciliaires pour y porter le peuple aux derniers excès; j’en étais venu aux calculs de M. Dupont, et je disais ; M. Dupont prétend qu’il n’y a qu’un homme sur neuf qui prenne du tabac, parce que, selon lui, la consommation générale n’excède pas seize millions de livres pesant, pour vingt-quatre millions d’individus, qui forment la population des départements où l’impôt du tabac est établi, ce qui, à raison de six livres pesant par individu, formerait à peu près un sur neuf, d’où ii conclut que c’est le petit nombre qui voudrait faire payer l’impôt au plus grand nombre. 464 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» ]16 novembre 1790»] Quand il serait vrai que la ferme ne débite que seize millions pesant de tabac dans les départements où l’impôt du tabac est établi, cela ne prouverait rien moins que seize millions pesant fussent le montant de Ja consommation réelle; car il est notoire que sur dix citoyens actifs (et ce sont les citoyens actifs qui payent l’impôt), il y en a au moins sepi qui prennent du tabac. Mais n’en supposons que six sur dix qui n’en prennent pas, et jetons les yeux autour de nous sur les individus qui sont actuellement dans notre salle, nous nous convaincrons que ma supposition n’est pas trop forte. Quand on ne compterait que quatre millions de citoyens actifs sur les vingt-quatre millions d’habitants vivant sous l’empire oppressif de la ferme du tabac, les six dixièmes de ces quatre millions de citoyens actifs, payant 1 impôt, monteraient à deux millions quatre cent mille citoyens actifs. Mais les citoyens actifs ne prennent pas seuls du tabac; leurs femmes, leurs enfants pubères, leurs compagnons de travaux, ieurs domestiques des deux sexes, enfin des citoyens non actifs en prennent tout autant. Quand sur les vingt millions d’âmes qui restent, on ne porterait celles qui sont au-dessus de la puberté qu’à douze millions, mettons même à dix; quand sur ces dix millions on supposerait qu’il n’y a que les quatre dixièmes qui prennent du tabac, cela ferait au plus bas un total de quatre millions de consommateurs, sur vingt millions d’âmes; ce qui, joint au nombre précédent, fait un total de six millions quatre cent mille consommateurs sur vingt-quatre millions d’âmes, qui, à raison de six livres par individu, suivant le calcul même de M. Dupont, donnerait une consommation de trente-nuit millions quatre cent mille livres pesant de tabac. D’où il résulte que la ferme eu impose, quand elle n’accuse que seize millions de débit, que la contrebande était énorme, ce qui prouve plu� que tous les raisonnements possibles, l’atrocité de l’impôt. Si l’on compte la population des provinces, qui n’étaient pas soumises au régime destructeur de la ferme du tabac, à trois millions d’habitants (il y en a passé trois millions cinq cent mille), et les consommateurs du tabac au tiers (on pourrait les mettre aux deux tiers, parce que l’usage du tabac y est plus étendu, à raison même de son bon marché), cela ferait encore, à raison de six livres par individu, six millions, lesquels, joints aux trente-huit millions quatre cent mille livres pesant, formeront un toial de quarante-quatre millions quatre cent mille livres pesant de consommation ; et pour mettre mon caicul à l’abri de la ceusure de l’économiste le plus exercé à calculer zéro par zéro, je retranche encore quatre millions quatre cent mille livres, il resterait toujours une consommation réelle de quarante millions. Il est donc évident que la ferme, en n’accusant que seize millions de débit sous l’ancien régime, et n’en annonçant qu’une vingtaine pour le nouveau, avait la double lin, et de cacher l’immensité du profit et l’enormité de l’impôt, et de persuader, au contraire de ce que tout le monde voit, que c’est la très grande minorité qui veut faire payer l’impôi à ia majorité, et que c’est la minorité des citoyens actifs, c’est-à-dire de la classe payant l’impôt, qui prend du tabac ; mais comme toutes ces premières bases, qui l'ont tout le fondement du système de la ferme et de ceux qui ont puisé des lumières à cette source mortelle ; comme toutes ces bases, dis-je, sont d’une fausseté révoltante, elles ne peuvent servir à aucun décret, et vous vous trouvez, Messieurs, dans la nécessité absolue d’examiner l’impôt alarmant du tabac sous sou véritable point de vue. Je ne voua répéterai pas ce que le comité d’imposition, si muet dans la présente discussion, si indifférent sur le succès de son projet de decret, a fait imprimer, pour vous prouver à quel point cet impôt donne atteinte à ce qu’il y a de plus sacré chez les hommes : ia propriété et la liberté. Mais que diriez-vous, Messieurs, d’un prince qui, pour exprimer trente millions de ses sujets, tes grèverait de passé soixante millions d’impôts, stériliserait leurs champs, enchaînerait leur industrie, et se rendrait tributaire de huit, de dix, de vingt millions peut être annuellement, envers une puissance étrangère? Pourriez-vous ne point le traiter d’administrateur insensé, qui, dans peu d’années, ferait disparaître tout le numéraire de ses Etats, et réduirait ses sujets à la plus triste situation? Messieurs, cet administrateur serait l’Assemblée nationale, si elle adoptait l’impôt du tabac, tels que les partisans du régime prohibitif universel le lui présentent. La ferme même, qui prétend n’avoir importé que seize millions de livres pesant de tabac étranger, convient, qu’elle se rend tributaire en temps de paix, et dans des années favorables, de sept à huit millions envers l’Amérique. Mais si la con-sommaiion du tabac, au moyen de l’extension du régime prohibitif aux provinces belges, à l’Alsace et à ia Franche-Comté, s’élèverait au moins à quarante millions de livres pesant de tabac, le tribut augmenterait à proportion eu argent, et s'élèverait en temps de paix, dans les années les plus favorables, jusqu’à vingt millions de livres tournois, et si les Américains diminuaient la culture de cette plante, comme ils en annoncent le dessein, peut-être la nécessité, le tribut en argent s’élèverait bientôt à trente millions annuellement: ce qui doublerait en temps de guerre; au moyen de quoi, au bout de dix ans de paix et de peu d’années de guerre, la balance du commerce serait devenue si défavorable, que notre numéraire aurait entièrement disparu, et que nous nous trouverions dans un état de détresse pire que celui dont nous ne sommes pas encore sortis, puisque nous ne irouverions plus les mêmes ressources pour nous en tirer. M. Dupont convient de cette défaveur de la balance; il convient que nos moyens d’échange vis-à-vis des Américains sont, quant à présent, nuis ; que nous sommes obligés de les payer avec des traites sur Londres : mais il espère que nous fournirons, dans la suite, des moyens d’échange, quand nous aurons perfectionné nos manufactures. Eh 1 quel espoir pouvons-nous avoir de cette perfection, quand journellement noire balance de commerce baissera ; et en attendant cette perfection en perspective et dans ie futur contingent, nous serons ruinés en réalité et in prœsenti. Je ne sais sous quel point de .vue le comité diplomatique entend envisager notre question; mais si le système prohibitif pouvait prévaloir, qu’il soit entre les mains de fermiers, ou d’une régie que des fermiers et l’esprit de ferme dirigeront, il n’y aura jamais de commerce reel avec l’Amérique. La régie n’enverra jamais aucun objet d’échange ; elle ne pourra faire d’autre commerce que celui du monopole du tabac. Il est par conséquent de l’intérêt de l’Amérique même, que le commerce devienne libre. Quelle que puisse être [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1790.] la quantité de tabac qui sera cultivée en France, les fabricants qui voudront vendre des tabacs à l’étranger feront toujours venir des feuilles de l’Amérique, parce qu’il est de l’essence du tabac d’être mélangé pour être bon, parce que les consommateurs étrangers sont accoutumés à ce mélange. Aussitôt que ce commerce sera libre avec l’Amérique, nos négociants trouveront déjà des moyens d’échange avec les Américains ; et c’est ainsi que non seulement nous cesserons d’être tributaires, mais que nous parviendrons même encore, après avoir nivelé la balance avec les Américains, à nous la rendre favorable, en vendant à nos voisins les tabacs d’Amérique mélangés avec les nôtres. Je prie tous les fermiers généraux de la terre de répondre quelque chose de plausible à toutes ces considérations, qui seront de la plus haute importance chez tout peuple que l’esclavage n’aura pas abruti, et que le système fiscal n’aura pas entièrement enchaîné et aveuglé. A ces considérations générales, qui méritent d’être méditées par tous les habitants de ce vaste Empire, permettez-moi, Messieurs, d’enjoindre d’une nature particulière, qui n’influeront peut-être que trop sur le sort de notre Constitution. Quoi qu’en dise M. Dupont, il existe encore physiquement une province d’Alsace, et malheureusement les ennemis de la Révolution française y abondent. Il n’y a pas de jour où ils ne distribuent dans cette contrée des libelles les plus odieux; ils sont, pour ainsi dire, innombrables. Jusqu’ici, leur effet n’a été que de tenir les esprits en suspens, et dans l’anxiété de l’avenir; mais si une fois les habitants de cette province ne pouvaient plus se dissimuler que les prophéties sinistres, répandues dans les libelles, se réalisent pour eux, l’effet des libelles deviendrait incalculable. « Alsaciens (s'écrie-t-on à chaque page), jetez « un coup d’œil sur ce que vous étiez, sur ce « que vous devriez être, sur ce que vous avez « droit d’être; et voyez ce que les Français vous « préparent. « Les Français n’avaient pour véritable souve-« rain que la ferme générale : leur roi lui-même « n’était que son premier soutien; et toute la « nation était divisée en deux classes, en suppôts « et en esclaves de la ferme. « Le despotisme fiscal le plus absolu, le plus « cupide, n’a cependant jamais osé, du temps de « l’ancien régime, porter sur vous les mains ra-« paces de la ferme. Craignez, craignez que l’As-« semblée nationale le tente, sous un autre nom. « On parle de reculer les barrières; redoutez ces « barrières ; c’est le premier chaînon de votre « esclavage. A peine seront-elles établies, cpi’on « cherchera à entraver votre industrie et à sté-« riliser vos champs. Faites un retour sur ce que « vous étiez avant la conquête de Louis XIV : une « partie d’entre vous était des villes libres; tout « ce qui appartenait à l’Autriche avait des Etats « bien ordonnés, sans lesquels on ne pouvait « établir un sou d’impôt, et ce qui vivait sous « des princes d’Empire ne payait que des droits « fixes, certains, et rien au delà. La France a « conservé ces droits à ses anciens souverains, « et au lieu de cent mille écus de don gratuit et « de subvention qu’elle a d’abord demandés, par « grâce, contre les termes des traités, elle a poussé « les choses jusqu’à exprimer de vous passer huit « millions d'impôts par an; au moyen de quoi, « vous avez payé, pendant de longues années, 1- S&ub. T. XX. 465 « huit millions d’impôts de plus, annuellement, « que vous ne deviez payer suivant les traités. « Le moment était venu où vous auriez pu faire « valoir vos privilèges, où, en vous unissant à vos « véritables soutiens, vous auriez pu exiger im-« périeusement l’exécution des anciens traités; « mais vos députés vous ont trahis; ils ont re-« noncé à ce qu’ils appelaient des privilèges, et « qui n’étaient que les plus sacrés de vos droits. » {V Assemblée nationale s'aperçoit sans doute , que je ne fais qu'extraire.) « Voilà quel sera le résultat « de la renonciation de ces traîtres qui vous ont « vendus. « Les Français se sont débarrassés de la ga-« belle; mais ‘c’est pour vous la faire payer au « moyen de l’impôt territorial ; ils se sont fait « décharger delà marque des fers, qui vous était « inconnue; mais vous n’en prendrez pas moins « votre part de remplacement, au moyen de « l’impôt foncier qui doit faire face à ces impôts « éteints. Votre part du remplacement des droits « sur les huiles, savons et amidons, excédera « de beaucoup votre abonnement. « Vous n’avez presque pas d’offices royaux en « Alsace; vous vous étiez toujours rachetés de « leur création; vous aviez vous-mêmes liquidé « ceux de votre tribunal supérieur : vous n’en « supporterez pas moins un contingent énorme « de la liquidation, de la multitude des offices de « France. a On vous a exemptés de dîmes : le pouvait-« on? » (Je supplie l'Assemblée nationale de ne pas oublier que ce n'est pas moi qui parle , que jene fais qu' extraire ; je croirais prévariquer, si je négligeais de l'avertir de toute V étendue des efforts des ennemis de la Révolution.) « Mais les Français ne « se sont-ils pas aussi exemptés de la dîme?... « Mais ils s’emparent en revanche de vos biens « d’église; vous serez obligés de les acquérir, « d’en verser le prix dans les gouffres de Paris, « pour payer des dettes plus que suspectes que « vous n'avez pas faites, et qui n’ont tourné qu’au « profit de ces Français, de ce� Parisiens, qui « veulent engloutir tout votre or et tout votre « argent ; et vous supporterez, au par-dessus, le£ « frais du culte et l’entretien des ministres de « l’Eglise. « Ils se vantent de vous avoir délivrés du joug « de la féodalité, mais ne s’en sont-ils pas dé-« livrés eux-mêmes? Lisez les différents décrets « sur les droits féodaux. Habitués à la liberté, « vous étiez dans la persuasion que vous étiez « accablés de ces droits; eh bien! comparez-les « à ceux que supportaient les Français, et vous « reconnaîtrez qu’ils se sont libérés au double de « de vous, et que ceux dont on vous a affranchis « sans indemnité, ne sont rien en comparaison « de ceux qui subsistent et surtout de ceux dont « les Français ont acquis la franchise. « Ce n’est pas tout; tandis que, de tous côtés, « ils s’affranchissent à vos dépens; ils vous me-« nacent de contrôle, timbre, centième denier, « enfin, d’aides, tous impôts inconnus chez vous; « de sorte qu’ils ont secoué une partie de leurs « chaînes pour vous forcer à porter celles qu’ils « jugent à propos de conserver : au moins de-« vraient-ils vous laisser la seule ressource qui « vous reste pour faire face à toutes ces charges, « et vous indemniser, en quelque sorte, des en-« traves qu’ils vous mettent. Us devraient vous con-« server votre culture libre, votre fabrication libre, « votre débit de tabac libre. Ne vous y trompez pas: « cela n’est pas leur intention; cela ne s’arrange « pas avec le reculement des barrières; cela ne 30 466 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1790.] « s’accorde pas avec leurs besoins : lisez leurs « écrits. Ils vous dévorent d’avance; vos ateliers « sont déjà détruits dans leur idée, vos semences « sont déjà enlevées, vos plantes arrachées; leurs « satellites violent déjà vos asiles! Un de leurs « orateurs vous dit froidement qu’il en doit être « de la culture du tabac comme de la régie des • poudres et salpêtres, et de celle des postes; ce-« pendant, un citoyen n’a pas plus de droit qu’un « autre à une fabrication de poudres et salpêtres, « ou à une régie des postes. Mais y a-t-il un ci-« toyen, y a-t-il une puissance sur la terre qui « puisse avoir autant de droit à votre champ que « vous-mêmes? « Un autre orateur vous dit que la volonté « générale fait la loi, qu’il faut s’y soumettre ; « mais que vous importe que cette loi soit le « fruit d’une prétendue volonté générale, ou « plutôt de la majorité de vos adversaires, quand « elle a pour vous le même effet que la volonté « la plus arbitraire, la plus despotique? Mais les « Français ont-ils donc oublié leurs propres prin-« cipes*? Vos députés ne peuvent-ils leur rappe-« 1er qu’jls se disent eux-mêmes en contravention « nationale, et qu’en supposant que vos députés « aient pu renoncer à vos privilèges, il n’a jamais « pu entrer dans leur inteniion, et surtout dans « la vôtre, de trafiquer de votre liberté. « Après vous avoir attirés ainsi dans le piège » (ce sont toujours les libellistes qui parlent, Messieurs, on vend leurs ouvrages à votre porte), « pour « vous y étrangler, ils vous offrent des consola-« tions : cultivez, vous disent-ils, d’autres plan-« tes, par exemple, du chan vre, du lin, du colza, « du trèfle : mais vous cultivez déjà de tout v cela ; mais toutes ces cultures ne peuvent pas « s’étendre audelà de vos débouchés ; et quand « une fois elles ont atteU t le niveau des débou-« chés, on n’augmenterait ces cultures qu’apure « peüte. « Enfin, insistent-ils, que gagnez-vous à con-« server votre culture de tabac? Si l’on étend « cette liberté à toute la France, votre culture «. s’évanouira à l’instant, parce qu’il y a beaucoup « de terres en France, infiniment plus propres à « cette culture que les vôtres; mais qui leur a « dit que vous perdriez votre culture ? la per-« driez-vous subitement? Il est évident que non ; « il est évident que votre culture ne pourrait « diminuer que successivement et dans la pro-« portion qu’elle accroîtrait plus avantageuse-« ment ailleurs ; mais en attendant, vous auriez « le temps de vous retourner, et de tenter d’au-« très genres de culture et d’industrie. Si l’on « disait à un homme ; vaut autant vous assom-« mer aujourd’hui, parce que vous allez cepen-« dant mourir dans quelques années d’ici, n’au-S « rait-il pas droit de répondre : laissez-moi tou-« jours vivre en attendant que je meure de ma « mort naturelle ..... Mais vous êtes bien loin de « redouter la concurrence de la culture dans « l’intérieur de la France ; vos principales affaires « se font avec l’étranger ; tout tabac doit être « mélangé ; si le tabac de France devient bon, « vous l’achèterez de préférence à celui de la « Virginie ; vous le mêlerez avec le vôtre, et c’est « ainsi qu’en faisant votre profit particulier, vous « contribuerez au profit général de l’Etat. » Je commence, Messieurs, à parler de mon chef; on m’a fait l’objection, et ce sont les fermiers généraux qui me l'ont laite au comité de commerce et d’agriculture ; ces ferniiers généraux ont trouvé mauvais que l'Alsace eût voulu lutter contre le sacrifice de sa culture. Lorsque le bien public, disaient-ils, exige qu'on prenne votre champ, votre maison, on vous les prend : pourquoi ce même bien public ne vous priverait-il point de votre culture? J’avoue que le mot de bien public, prononcé par ces Messieurs, m’a paru grimacer sur leurs figures. Je n’ai pu m’empêcher de le leur faire sentir et de leur dire que, quand on prenait mon champ ou ma maison pour le bien public, c’était pour s’en servir pour un ouvrage public ou pour un usage public, mais non pas pour les frapper de stérilité et d’inutilité, ou, ce qui pire est, pour me servir de cachot privé, pour y ensevelir ma liberté et pour enrichir les maltôtiers ; que quand on me prenait mon champ pour le bien public, on commençait, avant tout et préalablement, par m’indemniser. Eli bien ! on vous indemnisera, s’écrièrent-ils. Savez-vous si cette indemnité est dans l’ordre des possibles? Gomment indemniserez-vous? qui indemniserez-vous? leur répondis-je. Nous ne consommons en Alsace que quafre mille quintaux de tabac pour notre usage, nops en vendons, année commune, pour près de trois millions de livres tournois, qui se partagent entre le cultivateur et le manouvrier. Gomme il n’y a pas de culture, après celle de la vigne, qui occupe plus de bras que celle du tabac, le manouvrier emporte au delà d’un million de ces trois. Le jour du décret qui prohiberait cette culture, vous feriez au moins vingt mille mendian ts en Alsace de plus qu’il n'y en a. Gomment pourvoiriez-vous à leur indemnité et à leur subsistance? Gomment indemniseriez-vous ensuite le cultivateur de la perte de son industrie, de ses agrès, de ses bâtiments et de la diminution de la valeur de ses terres qui ont doublé de prix précisément depuis et à cause de la culture du tabac. Et Strasbourg, à qui rien n’a coûté pour donner des preuves de son patriotisme, Strasbourg dont la tranquillité est si importante pour l’achèvement de la Constitution, comment l’in-demniseriez-vous ? Comment indemniseriez-vous la multitude de ses fabricants et de ses débitants? et comment indemniseriez-vous tout Je peuple d’Alsace, du surcroît énorme d’impôt dont vous le grèveriez ? Il a du bon tabac à 15 sols la livre; et vos tarifs les plus modérés en portent la livre à 3 livres, et à 2 livres le plus mauvais. C’est donc, outre la perte de trois millions de numéraire, outre la diminution sensible de ses fonds qu’il éprouverait, un surcroît d’impôt de passé 120,000 livres qu’il supporterait, et au par-dessus la perte de sa liberté. Ne vous y fiez pas, Messieurs; on n’indemnise pas de la perte de la liberté; on n’en trafiqué pas : toute offre d’indemnité pour la liberté est improposable. Je suis obligé de vous ajouter, Messieurs, que le reculement des barrières a déjà jeté les esprits dans le plus graüd abattement; les corps administratifs m’en ont officiellement prévenu; le décret qui donnerait à ce reculement l’effet terrible de prohiber la culture du tabac, ne pourrait avoir que les suites les plus funestes. Vous êtes persuadés, Messieurs, que l’achèvement de votre Constitution dépend de la vente des biens nationaux : eh bien ! Messieurs, s’il y avait un décret qui défendît la culture libre du tabac dans mon pays, je ne dis pas seulement que les fonds diminueraient, à l’instant, de la moitié de leur prix; mais j’ose assureF qu’on n’en vendrait plus pour une obole ni en Alsace, ni dans les provinces belges, qui (sont précisé- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre 1790.J 467 ment les provinces qui en renferment une très grande quantité. Calculez, Messieurs, si vous devez vous exposer à des pertes aussi funestes. Pour moi, Messieurs, après avoir rempli ce dernier de mes pénibles devoirs, je serai réduit à retourner dans mes foyers, le cœur navré de douleur; et je doute fort que les autres députés des provinces que je viens de nommer ne fussent réduits à la même douloureuse démarche. Rentré c|ifZ moi, je ferai tous mes efforts pour inspirer à mes concitoyens le courage de fous les sacrifices; mais sûr de devenir la yictime de mon zèle, je m’estimerai heureux de périr avant le jour affreux où les Français, transformés en satellites de la ferme ou d’une régie oppressive et atroce, au raient fait succomber la liberté de mes compatriotes , ou auraient eux-mêmes éprouvé les plus grands malheurs par une résistance à l’oppression, soutenue de tout ce que l’amour de la liberté et la coalition de tous les mécontentements peut donner de force et d’énergie. Ce n’est pas cependant, Messieurs, que je croie qu’il faille renoncer à toute espérance de tirer un impôt de la consommation du tabac. Si vous ne voulez rester, relativement au tabac, tels que vous êtes, et nous laisser tels que nous sommes; si vous ne voulez pas des offres d’une compagnie qui, en nous laissant tels que nous sommes, vous offre trente millions; si vous refusez de vérifier si ces offres peuvent se combiner ayec le décret du reculernent des barrières; si vous vous déterminez enfin à rejeter nettement ces offres, et je ne puis vous le méconseiiler, permettez-moi, Messieurs , de vous proposer un terme moyen, de vous présenter un mode qui, en conservant la culture libre, peut vous procurer, principalement sur la consommation du tabac, un impôt au moins égal à son produit, possible avec la Constitution actuelle, et de vous lire en conséquence le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. C/introduction du tabac fabriqué, venant de l’étranger, est prohibée ; 2° Le tabac en feuilles, venant de l’étranger, ne pourra être introduit quu par les ports qui seront désignés par l’Assemblée nationale, et payera vingt-cinq livres par quintal de droits d’entrée (1); 3° Pour faciliter le payement de ces droits d’entrée, les tabacs en feuilles seront mis dans des entrepôts, d’où les acquéreurs pourront les retirer au fur et à mesure de leurs besoins, en payant les droits d’entrée et d’entrepôt, ou en donnant caution pour Je payement île ces droits; 4° La culture du tabac sera libre dans toute la France; 5° L’Assemblée nationale décrète que l’impôt de la consommation du tabac sera fixé à douze ou à vingt-quatre millions, si les besoins de l’Etat l’exigent, indépendamment -des droits d’entrée sur les feuilles étrangères déjà décrétés; 6» Que cette imposition diminuera tous les ans d’un trentième; 7° Que ces 12 ou 24 millions seront répartis sur les quatre-vingt-trois départements, à raison de la population de chaque département; 8° Que chaque département sera autorisé à prendre les mesures nécessaires, pour que la (4) Ces droits pourront produire 5 à 6 millions. quote-part de cet impôt soit principiilepieQt supportée par les consommateurs; 9° En conséquence , que chaque département sera autorisé de vendre les licences dans chaque canton, à raison d’une licence par deu� cents citoyens actifs (1); 10° De défendre à tout autre qu’à un acquéreur de licence, la vente ou le débit du tabac f i - briqué, tant dans l’intérieur qu’à l’étranger; 11° De défendre à chacun la fabrication dû tabac, sans en avoir obtenu la licence ou permission expresse; 12° De taxer cette licence a raison de la quotité de la fabrication, qui ne pourra excéder quinze ou vingt sous par livre, lesquels seront cependant rendus au fabricant pour tous les tabacs de sa fabrique, qui seront exportés à l’étranger (2) ; 13° Et enfin, en cas d’insuffisance du produit des licences, du débit et des droits sur la fabrication, de répartir le déficit, seulement par addition, sur l’impôt direct (3) ; 14° Et comme, pour la première année, les départements ne pourront connaître d’avance quel sera le produit du droit sur la fabrication, chaque département répartira en la preqaière aunée, par addition, sur l’impôt direct, ce qui restera à répartir pour sa quote-part, après fe prélèvement du prix des ventes de la licence dp débit; mais pour la seconde année, R mettra en première ligne le produit des droits de la fabrication de l’année précédente; ep seconde ligne, le produit de la vente de la licence du débit de l’année épurante. Et quant au déficit , s’il Y en a, pour atteindre sa quote-part, il le répartira sur l’impôt direct. Il en sera usé de même pour chaque année subséquente; 15° L’Assemblée nationale charge son comité d’imposition de lui présenter un règlement pou'r assurer aux acquéreurs de licence, le débit et la fabrication exclusive du tàbac, et constater ' les fraudes, en excluant cependant les visites domiciliaires; ' ” ' u: 16° Elle le charge pareillement de rédiger des lois pénales contre les contrevenants, parmi lesquelles il mettra celle de privation dès droits de citoyens actifs à temps ou à perpétuité, et l’exclusion de toutes fonctions publiques quelconque�, tant contre ceux qui débiteraient et fabriqueraient sans licence, 'que contre ceux qui achèteraient du tabac fabriqué chez lès fraudeurs. n J’observe que le déficit sur l’impôt du tabac devant, dans le système proposé, être reversé sur les impôts directs, chacun serait intéressé à surveiller les fraudeurs. ! N.-B. — Gomme on n’a proposé la répartition d’une somme fixe sur chaque département, que pour donner une assurance positive de perception d’irnpôt, il n’y a rien de plus facile que de ne pas adopter cette répartition par 'département ; on ne serait pas moins assuré de l’impôt, eu conservant les articles 1, 2, 3, 4, 15 et 16 du prq-(1) La vente des licences de débit pourrait produire 4 à 5 millions. ' (2) Ces droits sur la fabrication pourraient seuls produire 30 à 40 millions, et seraient d’une perception peu coûteuse et aussi sûre que facile. (3) Il y a des départements qui, au ljeu de déficit auraient de V excédent, et il est évident, que si au lieu de repartir par département, oii faisait la perception en général sur les droits de fabrication et’ du débit, où aurait à coup sûr plus de 40 millions d’impôts, en y joignant les droits d entrée sur les feuilles étrangères. jAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 novembre 1790.] 468 jet de décret, et en substituant aux autres articles les articles suivants : Art. 5. il sera perçu un impôt sur la consommation du tabac, de la manière suivante : Art. 6. Il sera vendu, dans chaque canton, des licences de débit de tabac, à raison d'une licence par deux cents citoyens actifs. Art. 7. Il sera défendu, à tout autre qu’à un acquéreur de licence, de vendre ou débiter du tabac fabriqué, tant dans l’intérieur qu’à l’étranger. Art. 8. Il sera défendu à chacun de fabriquer le tabac, sans en avoir obtenu la licence ou permission expresse. Art. 9. Le droit sur la fabrication des tabacs sera de quinze à vingt sous par livre, payables suivant le mode qui sera prescrit, et lesquels seront cependant rendus au fabricant pour les tabacs de sa fabrique, qui seront exportés à l’étranger. Les articles 15 et 16 peuvent devenir ici les articles 10 et 11. Plusieurs membres demandent l'impression du discours de M. Rewbell. D’autres membres réclament seulement l’impression du projet de décret. Cette dernière proposition est adoptée. M. Pierre Delley. M. Rewbell vous a dit qu’il était nécessaire de bien éclairer la question qui vous est soumise, parce qu’il paraissait que les fermiers généraux avaient un grand parti dans la salle. La phrase n’était pas gauche : M. le député d’Alsace savait bien ce qu’il disait. Eclairons la question; je le désire comme lui; mais convenons avant tout : 1° qu’il n’y a plus et qu’il n’y aura plus, je l’espère, de fermiers généraux ; la nation aura seulement des préposés Îiour la perception des impôts; 2° que si, dans 'ancien régime, le gouvernement et les Français faisaient quelquefois deux, dans le nouveau, le gouvernement et les Français ne font qu’un : c’est la nation. Donc, à cetté lutte, presque toujours nécessaire autrefois entre les Français qui payaient et soupçonnaient et le gouvernement qui arrachait et dilapidait, substituons le sentiment de confiance qui nous convient. Ne retrouvons plus dans nos opinions ces expressions que la Constitution a bannies de notre idiome : génie fiscal, armée fiscale, etc., n’ont plus d’application; ils sont devenus vides de sens î c’est prélérer le sarcasme aux raisons ; c’est montrer de petites passions dans la discussion des plus grands intérêts. L’Assemblée nationale ne peut être mue par de semblables moyens. Nous éviterons donc les exagérations auxquelles se sont livrés les divers opinants qui nous ont précédé dans cette tribune, et ramenant la question au grand et véritable point de vue sous lequel nous devons la considérer, nous nous demanderons : 1° Si la vente exclusive du tabac en faveur de la nation et la prohibition de sa culture, modifiées par un nouveau régime, sont inconstitutionnelles et plus contraires à la vraie liberté que ne le serait un autre impôt. Aucun impôt ne peut exister sans des gênes et des contraintes pour forcer au payement; le tabac serait seul un tribut volontaire légalement consenti. L’anéantissement du revenu sur le tabac rendrait plus difficile, en augmentant leur poids, la perception des autres impôts. 2° Si cette vente exclusive et cette prohibition ne sont pas dans leurs résultats le simple sacrifice d’une portion de la propriété à l’intérêt général. Elles sont comme l’impôt sur les actes, les mutations, les ports de lettres, les aides, les tailles, les loteries, et généralement tous les impôts. 3° Si cette même vente et cette prohibition, sagement combinées, ne peuvent pas présenter la manière d’imposer la moins arbitraire, la moins gênante, la moins coûteuse, et peut-être un jour la plus productive. Manière d’imposer qui n’oblige personne au delà de sa volonté, dont les frais de régie sont, pour ainsi dire nuis, d’après la nécessité de maintenir des barrières pour les traites ; qui produira au moins 40 millions lorsqu’elle sera étendue à tout le royaume, même en en abaissant le prix d’un tiers et en en réformant tous les gardes de l’intérieur, à l’exception d’un ou de deux par district pour em pêcher les plantations ; qui fournira , par la perfection des tabacs fabriqués dans les manufactures nationales, un grand objet d’exportation, puisqu’elles pourront le fournir à l’étranger à un prix très inférieur à celui où elles le lui vendent aujourd’hui. Considérant ensuite cette vente exclusive et cette prohibition de culture relativement à son influence avec nos richesses commerciales et celles de nos alliés, demandons-nous : l°Si la liberté de la vente et de la culture du tabac en France augmenterait la masse de nos productions? Ce serait seulement une récolte substituée à d’autres récoltes bien plus précieuses pour notre industrie et plus nécessaires à nos subsistances. Le tabac serait substitué aux prairies artificielles, dont la rareté diminu-eraitles engrais, les bestiaux et l’immensité d’objets de commerce qu’ils fournissent; aux chanvres , dont la pénurie nous oblige de payer à l’étranger un immense tribut; à toutes les graines oléagineuses, qui nous fournissent de si grands objets d’exportation. 2° Si elles favoriseraient le commerce d’échange qu’il nous serait si intéressant d’établir avec les Américains? Le véritable obstacle au commerce d’échange n’a pas été la vente exclusive et la prohibition de la culture ; d’autres causes y ont concouru. Les Américains ne peuvent nous apporter leur tabac, parce que ce chargement, qui tient beaucoup de place, ne leur fournirait pas, après la vente, le quart de ce qui leur serait nécessaire pour charger en retour des marchandises de France ; il faudrait ou qu’ils apportassent avec eux du numéraire, ou que nos négociants consentissent à leur faire d’immenses avances ; or, la nation seule peut établir ce commerce d’échange par l’organe de ses préposés, en les obligeant à aller chercher le tabac en Amérique sur des vaisseaux chargés de nos productions. Le port de Glasgow n’avait réussi à concentrer dans son sein le commerce du tabac qu’en faisant près de 22 millions d’avances à la Virginie et au Maryland. Un autre obstacle à ce commerce d’échange a été jusqu’ici le bas prix de la main-d’œuvre en Angleterre; ses objets manufacturés étaut même préférés par les Français (au grand détriment de nos propres manufactures), est-il étonnant que les Américains aient continué de se pourvoir en Angleterre ? 3° Si elles diminueraient le tribut que nous payons en Amérique dans l’achat de ces tabacs? La liberté de la culture décuplerait la consom- 469 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 novembre l790.| mation du tabac en France; leluxe etla fantaisie exigeraient bientôt du tabac de la meilleure qualité, même dans la classe la moins riche ; or, le tabac des provinces belges n’a poiut de montant, celui des provinces du midi en a trop. Mais leur mélange ne suffit pas pour compenser ces défauts, parce que tous les deux manquent de ce qu’on appelle la sève, qualité particulière aux tabacs d’Amérique, provenant d’une terre neuve, féconde en sucs de toute espèce. Si les habitants de quelques points de la Hollande ont réussi à se procurer un tabac égal et même supérieur à celui de l’Amérique, mais extrêmement coûteux, c’est par des procédés extraordinaires, c’est en ne les cultivant que sur des terreaux préparés plusieurs années en avance. Ces procédés deviennent impossibles dans une culture en grand. Nous serons donc toujours forcés de recourir aux Américains pour bonifier nos tabacs indigènes ; et en décupler la consommation en France, c’est décupler le besoin que nous avons des Américains pour un objet de consommation aussi funeste au physique qu’au moral, et même en supposant que cet objet de consommation ne nous coûtât que des objets échangés, ce serait toujours réellement perdre une masse annuelle de richesses, puisque le tabac reçu en retour, loin de devenir pour nous un objet utile, ne servirait qu’à alimenter une passion destructive. 4° Si elles augmenteraient nos exportations à l’étranger de tabacs fabriqués chez nous? Les manufactures nationales out une perfection qui assure une augmentation dans les exportations, lorsqu’elles seront seules à fabriquer et qu’elles n’emploieront que des tabacs américains, puisque, même à présent, elles sont souvent préférées, quoiqu’elles vendent cinq fois plus cher. Ces questions générales et préliminaires résolues, demandons-nous : 1° si les réclamations de quelques départements, qu’il est dans l’intention de l’Assemblée de complètement indemniser, doivent, peuvent vous engager à rejeter un mode d’impôt qui n’aurait contre lui que ces réclamations ; 2° si l’exemple dangereux de cette funeste Condescendance de la part de l’Assemblée ne jetterait pas tout l’Empire dans un imminent péril, en appelant aux mêmes réclamations les départements sur lesquels les besoins de l’Etat vont forcer d’établir ou d’étendre les aides, les droits sur les actes, le timbre, etc., et surtout les départements que l’anéantissement de leur cadastre accable, les départements chez qui la suppression et le remplacement de la dîme va doubler l’impôt en le portant sur des objets de l’industrie agricole qui en était exempte, tandis que les départements belges, dont toutes les productions y étaient soumises, y trouveront une source de richesses? Demandons-nous encore: 1° si la crainte d’éprouver des déficits pendant la première année dans le produit exclusif du tabac suffit pour éloigner de nous cette importante ressource pour les années suivantes? L’on exagère extrêmement les versements de tabacs actuellement faits dans le royaume. Aucune compagnie ne s’est réunie pour ces versements ; ce sont des spéculations isolées : 25 millions n’ont pu être employés par des particuliers à ce trafic frauduleux ; 25 millions de livres tournois n’ont pu fournir qu’en-viron trente-cinq millions de livres pesant de tabac. C’est porter infiniment trop haut la quotité du versement; mais, même en la supposant, la plus grande partie de ces tabacs est avariée, et si mauvaise que l’indigent lui-même refuse d’en user; et ce qui le prouve, c’est que la vente exclusive se soutient encore, au milieu de cette contrebande publique, à des produits de 12 à 1,400,000 francs par mois. Donc les versements dont on veut nous effrayer ne sauraient être une raison à opposer au maintien de la vente exclusive. 2° Demandons nous enfin si, lorsque plus de 300 millions de revenus anéantis ou de dépenses créées nous forcent à des remplacements, l’on doit hasarder de tenter des épreuves incertaines? Les pertes sur la gabelle sont de 60 millions; sur les domaines et droits, sur les actes, 15 millions ; sur la régie générale, 25 millions; sur l’augmentation dans les frais du culte, 100 millions ; par la suppression de la dîme, 100 millions. Total, 300 millions. Et nous n’avons en impôts directs, si l’on en distrait le tabac, que les droits sur les actes, 28 millions ; les droits sur les aides, 22 millions, les entrées de Paris, 20 millions; le timbre, en le portant au plus haut, 30 millions ; postes aux lettres, 12 millions ; loteries, 12 millions ; les traites, 18 millions ; bois, forêts et autres revenus peu importants, 16 millions. Total 158 millions. La totalité de nos dépenses pour l’année 1791, monte à 480 millions qui doivent être versés dans le Trésor public ; plus, 40 millions de frais de justice, frais d’administration, dépenses locales, frais de collecteurs, receveurs. Total, 520 millions. Si l’on défalque de cette dépense (même nécessaire en temps de paix) les 158 millions d’impôts indirects que nous venons d’énoncer, et qui sont les seuls possibles d’après les plans du comité, il nous restera pour les impôts directs une masse effrayante de 362 millions. Si toutes ces questions que je viens de me faire peuvent se résoudre en faveur de la vente exclusive et de la prohibition de culture, nous n’aurons plus qu’à examiner les moyens de concilier cette vente exclusive et cette prohibition, en changeant le régime et le code pénal de l’ancienne administration. Nous changerons le régime en ce que : 1° le râpage des tabacs sera rendu aux débitants ; 2° il sera fabriqué des tabacs à des différents prix ; 3° le nombre des employés, dans l’intérieur, sera borné à un ou deux par district, pour empêcher les plantations. Nous changerons le code pénal en ce que : 1° les visites domiciliaires seront abolies ; 2° la mutation des amendes en peines afflictives n’aura plus lieu ; 3° la peine de mort sera abolie. Vous penserez, sans doute, qu’aucun des plans mitigés qui vous ont été proposés n’est admissible ; tous conservent les vices de l’impôt et anéantissent ses produits : c’est vouloir allier l’esclavage et la liberté. La Prusse elle-même, sous un sceptre de fer, s’est vue forcée d’abandonner son régime défectueux, dont cependant ici on vous a fait l’éloge. On a fait reparaître aussi des objections déjà résolues dans mon opinion sur l’impôt en général ; je vais encore m’y arrêter un instant. 1° La Picardie, pays aussi froid que la Flandre, trouve moyen de remplacer ses récoltes détruites par l’intempérie des saisons, et la culture du ta-nac y est prohibée. La Flandre et les autres provinces exemptes étaient dans des positions semblables avant que la culture du tabac y fût [Assemblée nationale.] connue ; donc les réclamations de ces provinces à cet égard deviennent sans force, quelque importance qu’elles y attachent. 2° L’on a prétendu qüë quarante mille arpents cultivés en tabac suffiraient à la consommation de la France ; il serait aisé de prouver les erreurs de cette assertion, qui ne calcule que d’après la consommatiôn actuelle, bientôt décuplée par la liberté de culture; mais, en l’admettant, il s’ensuivrait que cent quarante-six millions d’arpents de terre, cultivés ou imposés en France, payeraient un impôt dont quarante mille arpents seulement profiteraient. 3° L’on a dit que l’usage du tabac à fumer était un remède souvent nécessaire dans les départements ci-devants exempts ; considéré comme remède, il en a tous les dangers : son usage exagéré affaiblit tous ceux qui s’y livrent. Une observation qui n’a pas été faite dans l’Assemblée, c’est que le travail de la bêche, si précieux et si productif, mais qui exige tant de force et de persévérance dans Fuuvrier, n’est presque point en usage dans les pays où le cultivateur s’abandonne à la passion de fumer. Gomment, en effet, le fumeur, faisant une continuelle déperdition de la liqueur la plus nécessaire à la perfection de la digestion, première base de la santé, conserverait-il l’énergie, le courage qui caractérisent nos cultivateurs méridionaux? Le projet de décret que je vais vous présenter est conforme à ces principes; Art. 1er. La vente exclusive du tabac continuera au profit de la nation pendant six ans, à compter du 1er janvier prochain. Art. 2. La vente exclusive sera étendue dans tous les départements compris dans les ci-devant provinces de Flandre, Cambrésis* Alsace, Franche-Comté, à Bayonne et au pays de Labour; Eu conséquence, l’entrée du tabac étranger sera défendue dans lesdites ci-devant provinces et pays, comme dans tout le royaume, à compter de la promulgation du présent démet, l’Assemblée nationale se réservant de statuer sur les tabacs qui y existent actuellement, et sur les moyens de prévenir les inconvénients d’une prohibition à la culture. Art. 3. A compter de la même époque, la culture sera graduellement restreinte dans les pays ci-devant exempts, et la fabrication et le débit du tabac cesseront d’être libres comme dans tout lë royaume. Les corps administratifs et les municipalités seront tenus, de concert avec les préposés de la nation, de veiller dans leur territoire respectif à l’exécution de cette loi. Art. 4. Il sera accordé aux habitants desdits pays ci-devant exempts de la vente exclusive, non à titre de privilège, mais comme indemnité momentanée à raison de leür consommation, une diminution sur leurs impositions personnelles, dont la durée ne pourra excéder quarante années et dont la proportion, toujours décroissante d’année en année* sera incessamment fixée. Art. b. Il pourra être importé dans tous les ports du royaume du tabac en feuilles, à la charge d’en faire déclaration dans les vingt-quatre heures dé l’arrivée, et si l’importation ne suffisait pas pour alimenter les manulactures nationales» il sera proposé des moyens par les comités d’agriculture, de commerce*, etc., pour que les tabacs nécessaires soient tirés, par les préposés, directement de l’Amérique, par un commercé d’échange-. Art. 6; Si les taMcS en feuilles, délit l’inipor-[18 novembre 1790.] tation est permise par l’article 5, ne peuvent être vendus au préposé de la natibn dans les huit jours qui suivront la déclaration exigée* lesditê tabacs seront (au choix du propriétaire) bu reta-voyés à l’étranger ou mis en entrepôt sous la garde du préposé, d’après lés règles qui seront établies dans l’instruction qui suivra le présent décret. Art. 7. Les tabacs en carottes et râpéé taalnle-nant en magasin, provenant des manufactures] nationales, continueront d’être vendus jusqu’à leur entière consommation aux prix actuellement établis -, mais, à compter de la promulgation üü présent décret : 1° il ne sera plus râpé de tabac à fumer ; 2° il y aura deux espèces de tabacs en carottes ; la première, supérieure en qualité, sera fikelée en carottes du poids de deux livres environ, avec une vignette particulière ; la secondé sera ficelée avec une vignette différente, en carottes du poids de quatre livres environ ; 3° il sera également fabriqué deux espèces de tabacs en France. Art. 8. Les tabacs en carottes et à fumer, dé là première espèce, seront seulement vendus dans les entrepôts; ils ne seront point détaillés eil fractions au-dessous de deux livres; Le prix dd la livre de tabac en carottes de cette première espèce sera de 4 livres ; le prix du tabac à fümef sera de 3 liv. 10 s. Art. 9. Les tabacs en carottes et à fumer de la seconde espèce seront fournis dans les entrepôts aux débitants préposés pont les détailler* savoir ; le tabac en carottes, à 40 sois la livre; le tabac à fumer, à 28 sols. Les débitants seront chargés du râpage du tabac en carottes, et dé la vente par once* demi-once et quart d’once* aü prix de 3 sols l’once, 1 sol 8 deniers la demi-once, et 9 deniers le quart d’once; ils vendront aussi en détail, et dans les mêmes fractions* le tabac à fumer, à raison de 2 sols l’once* 1 sdl là demi-once, et 6 deniers le quart d’once; Art. 10. Les visites domiciliaires serobt aboliëS; de même que les lois qui convertissaient les condamnations pécuniaires eti peirieS afflictives* faute de satisfaire au payement. Art. 11. L’Assemblée nationale se réserve dé statuer incessamment sur lés moyens dé CdnCi-lier avec la liberté civile de tous les citoyens l’exercice Utile de la vente exclusive du tabac en faveur de la nation. Art. 12. Le présent décret sera porte dàtiS le jour à la sanction royale. M. Brlois-Keminiet*. Je cümhiencêfài pût' détruire une erreur qui a pu s’accréditer. Gti â dit qüe le revenu de la ferme du tabac s’élevait à 39 millions. En 1726, elle ne rapportait qüe 1 million ; elle s’est élevée par la sévérité deS lüis prohibitives; et, à mesure que la ferme parvenait à obtenir des peines plus Sévères» élle passait des baux plus avantageux. Si son inhu*- manité avait pu imaginer de plus grands supplices que celui de la mort, elle aurait encore augmenté ses produits. Si donc vods cônsidéfëfc la diminution qui surviendra d’un régime üécés*- sairement plus doux, Vous verrez bientôt que sôli produit n’est pas si considérable. L’habitüde fest la vraie nature de l’homme; c’est dans cette hypothèse, qüi certes ne sera point contredite pat des philosophes, que le tabac est uüé dés denrées de première nécessité. Cültivous tout ce que nous pouvons cüiüvèr, fabriquons tout ce que UOus pouvons fabriquer* vendons aux étrangers tout ee que noué pouvons ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Àssembtétf aationalaq ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 novembre 1790.1 leur Vendre, voici quels sont les principes invariables de la liberté ; il n’est pas de violation plus manifeste du droit des gens que celle qui consisterait à dire aux cultivateurs : Vous avez une manière de fertiliser votre champ, je vous l’interdis, je le stérilise. Vous êtes des législateurs, vous n’avez pas pour cela le droit d’être injustes et oppresseurs. Rappelez-vous la situation géographique de la France, de ces départements qui ne sont séparés que par des rivières des royaumes étrangers. Le cultivateur flamand verra sa propriété doublée par une culture industrielle, et le cultivateur français Vérra le suppôt dü fisc stériliser sa terre. Je ne vous dis rien là qui ne soit vrai, rien qui ne soit fondé sur les principes sacrés de la liberté. On a dit dans cette tribune : Ce que vous cultiverez en tabae, vous le cultiverez de moins en blé, Ce raisonnement est bon pour ceux qui n’ont jamais cultivé la terre que dans l’enceinte de leurs jardins ; mais ceux qui ont toujours regardé l’agriculture comme le plus honorable et le plus beau de tous les arts savent bien qu’il u’y à pas de meilleurs moyens pour fertiliser un champ que de varier et multiplier sa culture : plus on demande, plus on obtient de la terre. Voilà cependant' comment ils ont voulu stéré-liser ces pays fertiles, ces hommes qui ne savent pas comment on fertilise les pays stériles. On a dit aussi que ce serait imposer à la majorité, tandis que la consommation ne serait faite que par la minorité. N’est-ce donc pas la majorité qui recueille les fruits de l’industrie? D’ailleurs ce raisonnement est vague ; car, comme la nature a condamné les hommes à l’inégalité* et que le nombre des pauvres est plus grand que celui des riches, il s’ensuit aussi que le plus petit nombre paye. Si l’Amérique nous fermait ses ports* la nécessité du tabac deviendrait, dit-on, une calamité pour la France. N’avons-nous pas du tabac national, qui n’est pas aussi délicat, mais qui remédierait à la disette ? Si j’ai défendu une cause à laquelle quelques provinces ont plus d’intérêt que d’autres, je n’ai pas pour cela défendu les privilèges : je n’ai pas demandé une culture exclusive i j’ai réclamé la propriété et la liberté* que. nous avons mieux aimées que nos privilèges, [/Assemblée nationale n’effacera pas la Déclaration des Droits pour gagner deux millions ; je demande donc qüe l’on aille aux voix, et que l’on pose ainsi la question : La culture du tabac sera-t-elle libre ou non? M. Drevoh, député de Ldrigrês. Je demande qu’auparavant on mette eu délibération le mode du remplacement de cet impôt, (Ou demande la question préalable, quant à présent* sût cette dernière proposition.) M. Barnave. je ne conçois pas comment On peut s’opposer à ün amendement qui tend à noué procurer les moyens de savoir si, ou non, nous pouvons pourvoir à l’administration de l’Empire. On nous parle de la résistance des provinces, on nous parle de contre-révolution ; la véritable contre-1- révolution serait lé thalheur où nous Conduirait llndülgettce qui ferait négliger les moyens de donner à l’administration son mouvement; ces suppressions partielles nous conduiraient à la destruction totale des finances si nous ne pourvoyions à leur remplacement. Je connais tous les inconvénients du régime prohibitif, et malgré cela, je pense que la généralisation de la culture du tabac fera tout le mai qu’on craint de la pro-471 hibition. Je ne présenterai pas les inconvénients de la mesure qui pourrait mettre, pendant quel* ques années, la subsistance du royaume en danger : ces motifs doivent céder à ia force du principe, si rigoureusement on peut se passer du régime exclusif, et le remplacement présente un équivalent qui nou9 rassure. Je demande que l’Assemblée nationale ajourne la délibération sur la prohibition de Ja culture du tabac jusqu’à ce que son comité d’impositions lui ait présenté ses vues sur le remplacement de l’impôt établi sur cette prohibition* et sur les moyens de porter le produit général des impositions au niveau des dépenses nécessaires de l’Etat. Il est absurde de dire ; Nous allons supprimer l’impôt quant à présent, et nous pourvoirons dans la suite à son remplacement. M. Merlin. La question est de savoir si vous laisserez au cultivateur ia faculté d’user de son champ comme bon lui semblera. M. l’abbé Maury. On s’environne d’intérêts particuliers, qui doivent inspirer une méfiance patriotique. Les habitants des provinces belges ne seront donc pas surpris si nous les regardons comme suspects dans cette délibération. Si vous supprimez un impôt, le remplacement ne doit pas être différé. C’est donc un problème à résoudre. Noüs disons au comité des impositions : Vous ne voulez plus de l’impôt du tabac; nous consentons volontiers à l’abolir; présentez-nous un mode de remplacement. Ne nous abusez pas par des promesses : voici le déli ; Présentez-nous un impôt dont le produit soit équivalent à celui que la ferme percevait sur le tabac ; présentez-nous un impôt qui soit préféré par le peuple, et nous sommes prêts à l’adopter. L’Assemblée adopte la proposition de M. Dré-von, rédigée ainsi qu’il suit par M. Barnave : « L’Assemblée nationale ajourne la délibération sur la prohibition de ia culture du tabac, jusqu’à ce que son comité d’impositions lui ait présenté ses vues sur le remplacement dé l’impôt établi sur cette prohibition, et sur le moyen de porter le produit général des impositions au niveau des dépenses nécessaires de l’Etat. Elle chârge eu outre son comité d’impositions de se concerter avec ses comités diplomatique, d’agriculture et de commerce, sur le parti qu’il croira devoir proposer à l’Assemblée au sujet du tabac. » M. le Président, après avoir annoncé l'ordre du jour pour la séance de demain, fait part à l’Assemblée d’une lettre que le roi vient de iui écrire. Elle est ainsi conçue : « Je vous prie, Monsieur le Président, de faire « part à l’Assemblée nationale du choix que j’ai « fait de M. du Portail pour remplacer, au dé-« partecüent de la guerre, M. de Là Tour-du-« Pin, qui m’a donné sa démission. « Signé : Louis . » M. lé Président. J’ai à vous donner lédture d’une lettre qui nous apporte de3 nouvelles très affligeantes sur les désastres causés paf une crue de la rivière de Loire. « Monsieur le Président, ‘i G’est aveé bien de la douleur que la Session générale du département de la Nièvre vous fait part des malheurs arrivés hier Shüs Ses yeux et