[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] 373 que j’ai voulu éviter par mon projet de décret ; car vous voyez que la lettre du roi, remise à M. le garde des sceaux de l’Etat par M. de Laporte, annonce d’avance qu’il ne doit rien sceller du sceau de l’Etat, et qu’il doit se tenir prêt à le remettre à celui qu’elle désignera comme gardien. La nécessité de la mesure que je propose doit donc être prouvée pour tous les bons esprits. M. Charles de Lameth. Je pense que la proposition de M. de Gustine est extrêmement utile et qu’elle doit être ordonnée, mais je la trouve mal rédigée. Je crois d’ailleurs qu’elle ne doit être adoptée par l’Assemblée que lorsque nous saurons à quoi nous en tenir sur la fuite du roi ; car, Messieurs, ce serait peut-être une mesure imprudente, quels que puissent être nos sentiments particuliers et quelque peu innocentes que paraissent les intentions de ceux qui entourent le roi. Il faut savoir d’abord si le roi est dans le royaume ou s’il a des dispositions hostiles contre la Constitution qui l’a fait roi. Nous saurons probablement ce qu’il est devenu, ou dans la journée d’aujourd’hui ou dans la journée de demain. Je demande donc que la motion prématurée de M. de Gustine soit renvoyée, pour le moment, au comité de Constitution. M. de Custine. J’adopte la réflexion faite par M. de Lameth, qui est très sage. (L’Assemblée décrète le renvoi de la proposition deM. de Gustine au comité de Constitution). M. Fréteau-Saint-Just. Il paraît indispensable de pourvoir à la conservation des papiers du département des affaires étrangères pour la propre sûreté du ministre. Je demande donc, au nom du comité diplomatique, que la municipalité de Paris soit autorisée à apposer les scellés sur les archives des affaires étrangères et sur tout ce qu’elles renferment. M. du Châtelet. Il est important que l’on puisse continuer de prendre communication des chiffres pour la connaissance des dépêches qui arrivent journellement des cours étrangères. Il ne faut pas que le service soit interrompu. M. Fréteau -Saint-Just. On peut excepter les chiffres dont le ministre croira avoir besoin. M. Duport. La motion est prématurée : le ministre des affaires étrangères va venir ici prochainement; on l’entendra sur cette mesure et il vous dira, à cet égard, ce qu’il croit nécessaire. (. Marques d’ assentiment.) M. Fréteau-Saint-Just. Cette réflexion est juste; mais je représente à l’Assemblée que les dépôts infmiments précieux des affaires étrangères sont dans un local différent de celui du ministre. Il est très possible, Messieurs, qu’avant que M. de Montmorin ait recouvré la liberté, il se commette des divertissements et des dilapidation funestes aux différents dépôts des affaires étrangères, soit à Versailles, soit à Paris. Je crois donc que le décret ne peut avoir aucune espèce ifinconvénient, en autorisant la municipalité de Versailles à apposer les scellés de son côté dans cette ville. M. de Fa Galissonnièrc. J’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée d’ajouter aux mesures de sagesse que propose M. Fréteau, celles nécessaires pour assurer le Trésor public; car il faut garantir les deniers publics comme les papiers. Un membre: Il y a une garde suffisante. M. Fréteau-Saint-Just. On m’observe que, M. de Montmorin n’étant pas encore ici, le décret que je propose pourrait nous mener à un but tout différent de celui que nous voulons atteindre. L’apposition des scellés au premier coup d’œil est rigoureuse; mais, bien que notre décret porte que cette mesure est prise en vue de la sûreté même du ministre, il est possible que la sûreté de l’opération, loin de permettre à M. de Montmorin d’arriver plus facilement jusqu'à nous, ne contribue qu’à augmenter les obstacles au lieu de les supprimer. On pourrait toujours, pour le moment, décréter que M. Je président signera un ordre au commandant de la garde de Paris, pour que la garde soit doublée autour de tous les dépôts des affaires étrangères, et qu’il ne puisse être distrait aucun papier que sur les ordres écrits du ministre, et sous sa responsabilité. (L’Assemblée ajourne la proposition jusqu’à ce que M. le ministre des affaires étrangères ait été entendu.) M. le Président. Dans le nombre des propositions qui ont été faites à l’Assemblée nationale, il en est une sur laquelle elle n’a pas encore statué; c’est celle qui a pour objet d’augmenter le nombre des membres du comité des recherches de l’Assemblée nationale. Gette proposition a été faite par M. de Lameth. M. Bontteville-Dnmetz. Il n’y a qu’à autoriser le comité des rapports à se joindre à lui. (L’Assemblée autorise la comité des rapports à se joindre au comité des recherches pour s’occuper des circonstances présentes.) M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, est introduit dans l’Assemblée. M. Rœderer. Monsieur le Président, il serait nécessaire de renvoyer au département la lettre trouvée dans l’appartement de la reine. G’est le département qui vous a annoncé qu’il allait s’occuper des recherches à faire pour découvrir les auteurs de l’évasion de la famille royale; c’est lui qui doit faire de cette lettre ce qu’il jugera à propos. A gauche : Non ! non ! M. le Président. Je vais mettre aux voix la proposition de renvoyer la lettre au département. A gauche: Non! non! Au comité des recherches. M. Treilhard. Je demande qu’elle soit renvoyée aux comités des rapports et des recherches réunis. Un membre : Il n’y a qu’une seule lettre? M. le Président. Il m’en a été remis trois , trouvées dans les appartements des Tuileries, une seule à l’adresse de la reine est cachetée. M. Rewbell. Le département a arrêté que la 374 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] municipalité apposerait les scellés sur les portes des appartements du château; comme ces lettres ont été trouvées dans les appartements, elles doivent être comprises sous les scellés et dès lors elles appartiennent au département. M. Treilhard. Je demande qu’on mette aux voix mon amendement. L’observation de M. Rew-bell ne peut faire impression sur personne : le département a ordonné l’apposition des scellés sur ce quiexiste dans les appartements, mais non sur ce qui n’existe pas. (L’Assemblée, consultée, décrète le renvoi des trois lettres aux comités réunis des rapports et des recherches.) M. le Président. M. le ministre des affaires étrangères et M. d’Affry, commandant général des gardes suisses, qui ont été appelés par l'Assemblée sont ici. Je donne la parole à M. le ministre. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. Je me suis rendu aux ordres de l’Assemblée : je m’y serais rendu plus tôt si la garde nationale, par une précaution très juste et très sage dans les circonstances où nous nous trouvons, ne s’était occupée à la garde de ma maison. J’ai cru ne devoir pas en sortir. Je n’ai autre chose à dire à l’Assemblée que de lui faire part de ma profonde affliction. M. Président. Monsieur de Montmorin, l’Assemblée nationale, après avoir appelé dans son sein tous les ministres qui composent le conseil, les a engagés à se réunir pour donner tous les soins possibles à l’exécution des décrets que l’Assemblée a rendus ce matin pour la tranquillité du royaume. Vous êtes invité à vous réunir à eux. M. Ee Chapelier. Il faut cependant que, devant M. de Montmorin, soit discutée la difficulté qui s’est élevée à l’occasion du décret proposé, au nom du comité diplomatique, par M. Fré-teau. D’après l’absence du ministre, on a converti le décret proposé d’abord, en un ordre dont voici la teneur : « Il est ordonné au commandant de la garde nationale de faire apposer à l’instant même de foi tes gardes aux dépôts des affaires étrangères, tant à Paris qu’à Versailles. » M. le Président. M. le ministre des affaires étrangères n’ayant, à ce qu’il paraît, aucune objection à faire à cette mesure, je vais la mettre aux voix. M. Fréteau-Saint-Just. Voici ma motion : « 11 est ordonné au commandant de la garde nationale ..... » Un membre : L’ordre doit être donné à la municipalité qui le remettra au commandant de la garde nationale. M. d’Estourmel. L’ordre doit aller directement de M. le président au ministre de l’intérieur. M. Fréteau-Saint-Just. Soit; alors voici mon projet de décret : « L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « 11 est ordonné au ministre de l’intérieur de faire établir à l’instant même une forte garde aux dépôts des affaires étrangères, à Paris, et aux dépôts des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et autres qui sont à Versailles, avec défenses de laisser sortir aucun papier, chiffres, ou paquets, des lieux où ils se trouvent, autrement que sur l’ordre du ministre, et sous sa responsabilité. Pareils ordres seront exécutés à l’égard du logement qu’habite, àParis,le ministre des affaires étrangères. » (Ce décret est adopté.) M. le Président. J’invite M. le ministre des affaires étrangères à se joindre aux autres ministres, pour se concerter avec eux sur les mesures à prendre dans les circonstances actuelles. M. Charles de Lameth. Cette réunion est indispensable si l’on veut connaître parfaitement la situation de la France vis-à-vis des puissances étrangères ; et, dans le cas où il arriverait que les ennemis du bien public, qui ont enlevé le roi, l’emmèneraient chez une natiou étrangère, pour que nous fussions disposés pendant notre travail à prendre les grandes mesures de force publique, afin d’opposer à nos ennemis une force imposante. Je pense que ce travail préliminaire est de la plus haute importance, qu’il serait même à propos de pourvoir aux ordres que pourrait donner le ministre de la guerre, pour faire marcher, soit des troupes de ligne, soit des corps de garde nationale; et que l’Assemblée en soit informée dans la journée. L’Assemblée nationale doit ordonner, au ministre des affaires étrangères, de se concerter avec le comité diplomatique, pour rendre compte à l’Assemblée de la situation politique de l’Etat, de ses rapports avec les puissances étrangères. (L’Assemblée, consultée, décrète la motion de M. de Lameth). M. le Président. M. d’Affry, officier général, commandant des gardes suisses, s’est rendu à vos ordres ; le voici. M. d’Affry, paraît à la barre , avec plusieurs officiers de l’état-major des gardes suisses, et dit : Monsieur le Président, je suis autant honoré que flatté de la confiance de l’Assemblée nationale. Je viens lui faire l’offre de tous les services qu’il est encore en mon pouvoir de lui rendre : ellepeutdisposerdemoi... Je ne me regarde point comme un officier auxiliaire. Si la patrie est en danger, je suis Français, Messieurs, et je suis prêt à verser pour elle jusqu’à la dernière goutte ce sang que l’âge n’a point encore glacé. (Vifs applaudissements.) Messieurs, j’ai une faveur à vous demander c’est celle de faire suppléer à ce qu’il me sera impossible de faire... non que je refuse de commander... Je commanderai jusqu’au dernier moment; je donnerai l’exemple du dévouement; mais, quand j’aurai succombé, quand mes forces m’auront tout à fait abandonne, je vous prie de me permettre que je charge un des braves officiers qui m’entourent de me remplacer. Je réponds de leur patriotisme comme de leurs talents. (Applaudissements.) M. le Président. M. d’Affry, que son grand âge et ses longs services ont mis dans le cas de ne pas pouvoir se faire entendre aisément de toutes les