764 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] 2e ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 23 décembre 1789. Motion en faveur des juifs, précédée d'une no-� tice par HI. Grégoire, curéd'Emberménil, député de Nancy (1). Nota. La motion de M. Grégoire n’a pas été faite à la tribune, mais comme elle a été imprimée et distribuée, nous avons pensé qu’il y avait lieu de l’annexer à la séance du 23 décembre 1789. droits de citoyens , mais le ministre voulant ailéger leurs peines, léur a permis, en avril dernier de s'assembler dans chacune de ces provinces par devant leurs syndics, à peu près dans dans la forme réglée pour les élections des bailliages, de rédiger leurs cahier de doléances, et de nommer deux députés pour chaque province. Ont été choisis : MM. Gaudchaux , Mayer-Cahn , | députés de Metz et Louis Wolf, jdesTrois-Evêchés. D. Sintzheim, S. Selignan, Wittersheim , députés d’Alsace. Mayer-Marx, Beer-Isaac-1 députés de Lor-Beer, J raine. NOTICE HISTORIQUE. La dispersion des juifs, errants, malheureux, proscrits dans tout l’univers depuis dix-huit siècles, est un événement unique dans l’histoire. J’ai toujours cru qu’ils étaient hommes ; vérité triviale, mais qui n’est pas encore démontrée pour ceux qui les traitent en bêtes de somme , et qui n’en parlent que sur le ton de mépris ou de la haine. J’ai toujours pensé qu’on pourrait recréer ce peuple, l’amener à la vertu, et partant au bonheur. Un mémoire que j’avais fait sur ce sujet, circula parmi mes confrères de la société philantropique de Strasbourg, société actuellement dissoute, à mon grand regret. Ce fait a précédé d’environ deux ans l’impression de l’ouvrage de M. Dohm sur les juifs, et l’émission de la loi impériale. L’an dernier , j’ai donné un ouvrage assez étendu sur la régénération de ce peuple , le public n’a pas vu sans intérêt la meme cause défendue par un curé catholique, un avocat et le fils d’un rabbin ; car dans le même temps parurent deux écrits intéressants sur ce sujet, l’un de M. Thiery, avocat à Nancy ; l’autre de M.Zalkiod-Bourwitz, juif polonais, attaché à la bibliothèque du roi, qui voulant concourir à libérer la dette publique de la France , vient de faire la cession perpétuelle du quart de sa pension. Basnage, Holberg, Schudt, et quelques autres, ont travaillé sur l’histoire du peuple juif, depuis sa dispersion. Leurs ouvrages, quoique savants , en laissent désirer d’autres ; et le public perd à ce que M. de Boissy, qui a donné deux volumes de supplément, n’ait pas rempli cette tâche en entier. J’espère exécuter un jour cette entreprise, et je réclame la bienveillance de quiconque voudra bien me communiquer des observations et des mémoires , que je recevrai avec reconnaissance. Les Etats généraux ayant été convoqués , les J'uifs portugais, naturalisés en France depuis ïenri II, ont figuré dans les assemblées électives. A Bordeaux, qnatre d’entre eux ont été choisis pour concourir à la nomination des représentants à l’Assemblée nationale: MM. David Gradix, électeur , Furtado l’aîné, Avezedo et Lopès-Dubec; quelques voix seulement ont manqué au premier pour être députéàl’Assembléenationale.Le public a lu avec plaisir la lettre qu’ils m’ont adressée relativement à leurs frères malheureux : elle est très-intéressante, aux louanges près qui me concernent. Les juifs d’Alsace, de Lorraine et des Trois-Evê-chés , Allemands d’origine, ne jouissent pas des (I) La motion de M. Grégoire n’a pas été insérée au Moniteur. Leurs cahiers n’ayant pas été imprimés, le public verra peut-être avec plaisir un précis de leurs demandes, dont plusieurs doivent être refusées ou restreintes. Après un préambule sur leur existence malheureuse, que l’habitude seule leur rend supportable, ils implorent -l’humanité, et réclament un adoucissement à leurs peines. Demandes communes aux juifs des trois provinces. Que les juifs, exempts désormais des droits de protection, supportent toutes les charges, et soient imposés sur les mêmes rôles que les autres citoyens auxquels ils seront assimilés. Qu’ils aient la faculté d’exercer les arts et métiers, d’acquérir des immeubles, de cultiver les terres, et de s’établir dans toutes les provinces, sans être forcés de se réunir dans des quartiers séparés. Qu’ils puissent exercer leur culte, conserver leurs rabbins , leurs syndics et leurs communautés. Demandes particulières des juifs d’Alsace. Qu’au moins pendant 12 ans il leur soit permis d’avoir des domestiques chrétiens, pour aider et diriger les juifs dans les travaux de l’agriculture, qu’ils aient la liberté de se marier, liberté qu’on avait restreinte ; qu’il soit défendu à tout homme public d’user d’épithètes flétrissantes envers les juifs dans les plaidoyers, actes, significations, etc. Demandes parliculières des juifs de Metz. Exemption de la pension de 20,000 livres payées à la famille des Brancas, pour droit de protection . Droit de participer aux biens communaux des lieux où ils s’établiront. Demandes particulières des juifs de Lorraine. Qu’ils aient des synagogues, mais sans aucune marque ou décoration extérieure qui annonce un temple. En parlant de leurs rabbins, ils en détaillent les fonctions dont ils désirent la conservation. Le droit de juger les divorces , d’apposer les scellés, de dresser des inventaires, de nommer des tuteurs et des curateurs, de faire des actes relatifs à la juridiction tutélaire, de décider les [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.J 7g» contestations de juif à juif, sauf l’appel à nos tribunaux. Que la majorité, fixée chez eux à 14 ans, soit restreinte aux effets religieux, et réglée pour le civil à 25 ans comme chez nous. Qu’ils soient admis dans les collèges et universités. Que désormais, avant de s’établir à Nancy, un juif fasse preuve d’une propriété de 10,000 livres, de 3,000 livres pour s’établir dans les autres villes de la province, et de 1,200 livres pour les villages. — Les six députés arrivés à Paris, ont fait en commun une requête imprimée, dans laquelle ils suppriment plusieurs de ces demandes. Les juifs de Lunéville et Sarreguemines ont prétendu que mal à propos ceux de Nancy avaient énoncé des vœux qui ne sont pas ceux de tous leurs frères de la Lorraine. En conséquence iis ont publié un mémoire par lequel ils demandent d’avoir des rabbins et syndics autres que ceux de Nancy, et d’être déclarés admissibles à toutes les places de citoyens. Les juifs établis se sont plus rapprochés de nous dans leur requête imprimée; ils témoignent que voulant le disputer en patriotisme à tous les Français, ils renoncent au droit d’avoir des chefs tirés de leur sein, et demandent d’être au pair de tous les citoyens, soumis à un plan de juris-Ërudence uniforme et à la police des tribunaux. eux autres mémoires intéressants ont paru en faveur des juifs, l’un anonyme, l’autre par M. Bing, juif de Metz. Le lecteur aura sans doute observé que les juifs d’Alsace demandent la suppression des épithètes odieuses usitées à leur égard. Depuis longtemps une haine secrète couvait contre eux. Enfin elle a éclaté, non-seulement en cette province, mais encore à Lixheim en Lorraine; on les a chassés et cruellement maltraités. Cette persécution concourait avec les jours de deuil et de jeûne, observés chez eux en mémoire de la destruction de Jérusalem et du Temple, au mois d 'Ab, ce qui répond ordinairement aux premiers jours d’août; ils se sont réfugiés en foule dans les cantons suisses, où ils ont reçu l’accueil que tout homme doit aux malheureux, et que l’homme sensible leur accorde avec tant d’empressement. Les maux qu’ils éprouvaient étaient un motif de plus pour demander audience à l’Assemblée nationale en faveur de mes clients. Je la sollicitai ; j’aurais voulu que l’affaire fût discutée et décrétée le jour de la Saint-Barthélemy, pour qu’un acte de justice et de bienfaisance marquât l’anniversaire d’un crime à jamais exécrable. L’affaire des juifs fut ajournée plusieurs fois, et chaque fois différée par l’urgence et la multiplicité d’autres occupations. Dans l’intervalle, la commission intermédiaire d’Alsace réclame en faveur des juifs, ils retournent en tremblant dans leurs foyers; mais bientôt la fureur de leurs ennemis leur suscite une persécution nouvelle. On recommence à les maltraiter; on abat les combles de leurs maisons ; on tire même des coups de fusil dans leurs synagogues : nouvelle instance de ma part à l’Assemblée nationale. M. de Clermont-Tonnerre élève en leur faveur une voix éloquente; nous demandons que l’Assemblée autorise le président à invoquer pour eux la protection du Roi, et qu’il écrive à tous les officiers publics de l’Alsace une lettre, portant que l’Assemblée nationale, instruite des dangers qui menacent les juifs, met leurs personnes et leurs biens sous la sauvegarde de la loi ; qu’en conséquence tous les officiers publics doivent interposer leur autorité, et employer tous les moyens que leur suggéreront l’humanité et le patriotisme, pour assurer la tranquillité à cette nation persécutée. L’Assemblée décrète la demande, la lettre est envoyée par M. Mounier, alors président. Le Roi leur accorde sa protection, et, par son ordre , M. de La Tour-du-Pin-Paulin écrit en leur faveur à M. de Rochambeau, commandant en Alsace. Malgré ces précautions, qui sait, si, au moment où j’écris, les juifs ne sont pas dans les angoisses d’une vie plus orageuse encore, et victimes de cruautés nouvelles? voilà donc encore une persécution qui souillera les fastes de notre histoire ; elle prouve plus que jamais la nécessité d’une éducation nationale et d’une police sévère. La première préviendra les crimes, les usures des juifs, et l’inhumanité de leurs ennemis ; la seconde punira les délinquants. Si la haine est cruelle, elle est aussi bien lâche. Dans le moment où le malheur accable les juifs, paraît une brochure atroce, portant pour titre : Révolte des juifs d' Avignon. On y rapporte leur prétendu complot pour égorger le vice-légat, l’archevêque, les officiers, etc., etc. L’imposture est si grossière, qu’il semble que la fureur ait chargé la bêtise de la rédiger, pour la présenter à la crédulité. Mais quelle qu’en soit l’absurdité, il fallait détromper le peuple. On doit savoir gré à M. Gorsas, auteur du Courrier de Versailles à Paris} etc., de son empressement à détruire la calomnie. La commune de Paris a fait ensuite publier une affiche dans laquelle elle expose que d’après les informations faites, et les attestations de M. Nardy, agent d’Avignon, le libelle est un tissu calomnieux; que la révolte des juifs est absolument chimérique, et qu’elle se croit obligée de rendre justice à une classe de citoyens qui se rend utile. Les juifs de Nancy n’ont pas été persécutés; mais on les a humiliés ; en les excluant de la milice bourgeoise, et vainement d’estimables citoyens ont condamné cette exclusion ; vainement MM. Ranxin, Valois et Moucherel ont parlé, écrit et imprimé en faveur des juifs: on n’a pas voulu pour soldats de la patrie des hommes que les Parisiens et les Bordelais, plus justes, élevaient au grade de capitaines. Revenons à nos députés juifs. Après avoir langui pendant deux mois dans l’attente d’une séance qu’on n’a pu leur accorder plus tôt ; enfin le 14 octobre à celle du soir, l’avant-dernière de celles que nous avons tenues à Versailles, les députés juifs des Evêchés, d’Alsace et de Lorraine, admis à la barre de l’Assemblée nationale, M. Berr-Isaac-Berr portant la parole, a dit : « Messeigneurs, « G’est au nom de l’Eternel, auteur de toute justice et de toute vérité; c’est au nom de ce Dieu, qui, en donnant à chacun les mêmes droits, a prescrit à tous les mêmes devoirs; c’est au nom de l’humanité outragée depuis tant de siècles, par les traitements ignominieux qu’ont subi, dans presque toutes les contrées de la terre, les malheureux descendants du plus ancien de tous les peuples, que nous venons aujourd’hui vous conjurer de vouloir bien prendre en considération leur destinée déplorable. « Partout persécutés, partout avilis, et cependant toujours soumis, jamais rebelles; objets 766 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] chez tous les peuples d’indignation et de mépris, quand ils n’auraient dû l’être que de tolérance et de pitié, les juifs que nous représentons à vos pieds, se sont permis d’espérer qu’au milieu des travaux importants auxquels vous vous livrez, vous ne rejetterez pas leurs vœux, vous ne dédaignerez pas leurs plaintes, vous écouterez, avec quelque intérêt, les timides réclamations qu’ils osent former au sein de l’humiliation profonde dans laquelle ils sont ensevelis. « Nous n’abuserons pas de vos moments, Mes-seigneurs, pour vous entretenir de la nature et de la justice de nos demandes; elles sont consignées dans les mémoires que nous avons eu l’honneur de mettre sous vos yeux. « Puissions-nous vous devoir une existence moins douloureuse que celle à laquelle nous sommes condamnés; puisse le voile d’opprobre qui nous couvre depuis si longtemps, se déchirer enfin sur nos têtes! Que les hommes nous regardent comme leurs frères, que cette charité divine, qui vous est si particulièrement recommandée, s’étende aussi sur nous, qu’une réforme absolue s’opère dans les institutions ignominieuses auxquelles nous sommes asservis, et que cette réforme, jusqu’ici trop inutilement souhaitée, que nous sollicitions les larmes aux yeux, soit votre bienfait et votre ouvrage. > M. Fréteau de Saint-Just, président , a répondu : « Les grands motifs que vous faites valoir à l’appui de vos demandes, ne permettent pas à l’Assemblée nationale de les entendre sans intérêt. Elle prendra votre requête en considération , et se trouvera heureuse de rappeler vos frères à la tranquillité et au bonheur. Provisoirement, vous pouvez en informer vos commettants. » Je me suis levé pour dire : « Attendu qu’on ne peut ajourner à terme fixe l’affaire des juifs, qu’on leur promette au moins de la traiter dans le cours de la session présente; et je demande que leurs députés, ici présents, aient permission d’assister à la séance. » La même faveur avait été accordée àplusieurs députations, sans excepter les comédiens , lorsqu’ils apportèrent un don patriotique; et malgré les réclamations de quelques personnes que je suis fort aise de ne pas connaître, les deux demandes ont été accordées par l’Assemblée nationale. Puisse ma motion, qui n’a pu être prononcée à l’Assemblée nationale, disposer le public en faveur des juifs. Quand leur affaire sera discutée, je redoublerai mes efforts. Ils auront d’illustres défenseurs dans MM. de Mirabeau , Bergasse , d’Antraigues, de Clermont-Tonnerre, Brevet de Beaujour, et d’autres honorables membres. L’éloquence, unie à la justice, vengera l’humanité. Les mêmes voix s’élèveront sans doute en faveur des gens de couleur, dont M. l’abbé de Cournand a plaidé la cause, et en faveur des nègres, dont le nom seul rappelle le sentiment des souffrances, et dont tant d’écrivains , et en dernier lieu MM. de Ladebat, Frossard et autres, se sont constitués les avocats. 11 est temps enfin que la raison surnage aux préjugés. Au moment où les Français renaissent à la liberté, oseraient-ils consacrer l’esclavage de leurs frères? Plaindre les errants, prier pour eux, les aimer, les secourir, tels sont les moyens efficaces que nous propose la sublime morale de l’Evangile pour les conquérir à la vérité et à la vertu. MOTION EN FAVEUR DES JUIFS. Messieurs, vous avez consacré les droits de l’homme et du citoyen, permettez qu’un curé catholique élève la voix en faveur de 50,000 juifs épars dans le royaume, qui, étant hommes, réclament les droits de citoyens. Depuis 15 ans j’étudie les fastes et les usages de ce peuple singulier, et j’ai quelque droit de dire qu’une foule de personnes prononcent contre lui avec une légèreté coupable. Des préventions défavorables infirmeraient d’avance tous mes raisonnements , si je ne parlais à des hommes qui, supérieurs aux préjugés, n’interrogeront que la justice. C’est avec confiance, Messieurs, que plaidant la cause des malheureux juifs devant cette auguste Assemblée, j’adresse à vos esprits le langage de la raison, à vos cœurs celui de l’humanité. Après un tableau rapide de l’établissement des juifs dans les provinces septentrionales de la France, et des malheurs du peuple hébreu depuis sa dispersion, j’exposerai les causes qui ont altéré L s traits natifs de son caractère ; ce développement sera suivi des moyens de le régénérer, de le réintégrer dans tous ses droits. La discussion de cette affaire assez neuve exige des détails auxquels je dois descendre; pour le surplus, je renvoie aux preuves consignées dans l’ouvrage que j’ai publié sur cet objet (1). Qu’après cela la calomnie m’outrage et mes motifs et ceux des honorables membres, qui appuyant ma motion, vengeront l’humanité; eux et moi ne daignerons pas seulement accorder un sourire de pitié à des inculpations, qui seraient ridicules si elles n’étaient point trop absurdes. Les âmes honnêtes s'honorent toujours des clameurs et des insultes des pervers. Les juifs, établis en Alsace de temps immémorial, s’y fixèrent plus particulièrement sous Albert d’Autriche en 1446; quand cette province passa sous la domination française, en vertu du traité de Westphalie, Louis XIV les prit sous sa protection; ils sont présentement au nombre de 20 ou 24,000 ; ils payent au Roi et aux seigneurs divers impôts exorbitants , droit de réception , d’habitation, de capitation, d’industrie, le vingtième des maisons, etc. La Lorraine a des juifs depuis environ 400 ans; leur nombre fut limité en 1733 à 180 familles, mais présentement ils sont près de 4,000 personnes. L’établissement des juifs à Metz remonte au moins à l’an 888; après diverses révolutions, quatre familles, tiges de toutes celles d’aujourd’hui, y obtinrent en 1567 le droit d’indigenat; leur nombre n’y peut excéder quatre cent dix-huit familles, il constate par un calcul de la police, qu’en février 1788 ils étaient 1,865 individus qui avec 1,500 autres, répandus dans la généralité des Trois-Evêchés, composent environ 2,400 personnes. Avant de passer outre, je dois, Messieurs, vous dire qu’en 1715, le duc de Brancas et la comtesse de Fontaine exposèrent au régent, que chai] ue famille de cette généralité devait au Roi 40 livres annuelles pour droit de protection, et demandèrent qu’on leur accordât la jouissance de ce droit; ils l’obtinrent pour trente ans. Trois ans après il fut converti en une somme annuelle de 20,000 livres; les trente ans révolus, les héri-(I) Essais sur la régénération physique, politique et morale des juifs, par M. Grégoire, 1788, vol. in-8®. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] tiers de cette famille ont obtenu successivement deux prorogations, dont la dernière doit expirer en 1805, et alors la pension de 20,000 francs sera, dit-on, substituée à un hôpital de Metz. Je ne sais quelle politique barbare a cru devoir doter un asile de misère en pressurant des malheureux. D’autres sont répandus dans diverses villes de la France, comme Paris, Lyon, Dieppe, Marseille, etc. La plupart sont juifs allemands, ainsi que ceux d’Alsace, Lorraine et Trois-Evêchés ; ils diffèrent à quelques égards des juifs portugais, établis surtout à Bordeaux et à Bayonne; ceux-ci sont naturalisés Français, et jouissent de tous les droits de citoyen depuis Henri II : et ce serait une idée très-fausse, de croire que les juifs des trois provinces leur sont assimilés. Les Etats généraux ayant été convoqués, la France a vu luire l’aurore du bonli ur, un rayon d’espérance est tombé sur les juifs. Au mois de mai dernier, des lettres du garde des sceaux, remises parles intendants, autorisaient les juifs à s’assembler par devant leurs syndics en la manière accoutumée, pour nommer chacun deux députés dans les provinces respectives, et apporter les cahiers de leurs doléances, qui devaient être fondus en un seul lors de leur réunion dans la capitale, remis ensuite au garde des sceaux pour en référer au Roi, ce qui s’est fait; et M. le garde des sceaux actuel m’a renvoyé les pièces pour en faire usage à l’Assemblée nationale. Bien des gens se persuadent faussement que les juifs ont la liberté civile en vertu de l’édit de 1787, concernant les non catholiques; il n’a été homologué au parlement de Metz qu’en exceptant les juifs : il l’a été sans clause restrictive à Colmar et à Nancy; mais ils ont toujours été exclus du bienfait de la loi. Actuellement, Messieurs, je vais tracer rapidement les révolutions du peuple hébreu, depuis sa dispersion. Cet exposé est nécessaire pour prouver que la dégradation actuelle des juifs est une suite inévitable de l’oppression qui a toujours frappé sur eux, et de la persécution qui les a suivis partout; en connaissant les sources du mal, nous trouverons plus facilement les remèdes. Depuis Vespasien, l’histoire des juifs n’offre que des scènes de douleurs, et des tragédies sanglantes. Ce peuple malheureux vit en même temps son temple brûlé, ses villes rasées, sa capitale en cendres, son corps politique dissous, et ses enfants devenus le jouet de la fortune et le rebut de la terre. Pour aggraver leur désastre, on les força de quitter à jamais une patrie que des motifs puissants rendaient si chère àleurscœurs. En s’arrachant des lieux qui les ont vus naître, vers lesquels sans cesse ils tournent les regards, mais qu’ils ne reverront plus, ils se traînent dans tous les coins du globe pour y mendier des asiles; ils vont en tremblant baiser les pieds des nations qui les lèvent pour les écraser, et chez lesquelles ils n’échappent au supplice qu’à la faveur du mépris; leurs soupirs mêmes sont traités comme cris de rébellion, et la fureur populaire qui s’allume comme un incendie parcourt les provinces en les massacrant. Les effets de la haine étaient ralentis, lorsque les nations éiaient occupées de leurs propres désastres. Le peuple hébreu n’avait alors que les malheurs communs à supporter, c’étaient ses moments de paix; mais la rage de ses ennemis se réveilla, lors des expéditions en Palestine. La population juive parut ne s’être accrue que pour fournir de nouvelles victimes. A Rouen, on les égorgea sans distinct tion d’âge ni de sexe. A Strasbourg, on en brûla 1,500; à Mayence, 1,300; à Trêves, à York, les juifs enfoncèrent eux-mêmes le couteau dans le sein de leurs femmes, de leurs enfants, disant : qu’ils aimaient mieux les envoyer dans le sein d’Abraham, que les livrer aux chrétiens; et saint Bernard après avoir prêché la croisade, s’empressa de prêcher la cruauté des croisés. Quand la féodalité naquit, les juifs commencèrent à porter dans toute l’Europe les chaînes de la servitude; on les soumit à d’énormes impôts, ils payaient même le droit de se convertir. Les croisés avaient tué les juifs au nom de la religion, pour s’arroger le droit de les piller; leurs usures servirent de prétexte aux princes, pour les piller à leur tour. Une politique barbare calculait ce qu’elle pouvait en extorquer de numéraire-, c’était leur accorder une grâce insigne, que de se borner à confisquer leurs immeubles; la mort était presque toujours le prix du sacri�- fice de leur fortune. Les règnes de trois de nos rois, Philippe-Auguste, Philippe le Bel, Philippe le Long, sont marqués en caractère de sang dans les fastes des juifs. Ceux de Bretagne, coupables d’exactions envers les cultivateurs du pays, furent chassés en 1239, par Jean le Roux, duc de cette province, il déchargea leurs débiteurs, permit à ceux qui en avaient des effets de les garder, et défendit d’iuformer contre quiconque aurait tué des juifs. Le mépris les destinait à la flétrissure, et la rage aux tourments. Les chassait-on? Avant leur sortie du pays ils étaient sûrs de recueillir des outrages, des tourments ou la mort? Les rappelait-on? C’était pour les abrem-ver d’humiliations, de douleurs, mille fois pires que la mort. A Toulouse, trois fois l’an, on les souffletait en cérémonie; à Béziers, on les chassait de la ville à coups de pierre le jour des Rameaux, ils n’y rentraient que le jour de Pâques. On enflerait des volumes, en racontant les cruautés de cette espèce, dont les Français, comme les autres peuples, ont souillé leur histoire. Depuis la prise de Jérusalem, il est peu de contrées en Europe où les Juifs n’aient été sans cesse entre les poignards et la mort, chassés, pillés, massacrés, brûlés. L’univers en fureur s’est acharné sur le cadavre de cette nation; presque toujours leur mieux fut de ne verser que des larmes, et leur sang a rougi l’univers. Nous ne parlons qu’avec horreur du massacre de la Saint-Barthélemy; mais les juifs ont été 200 fois victimes de scènes aussi tragiques, et quels étaient les meurtriers? Depuis 17 siècles les juifs se débattent, se soutiennent à travers les persécutions et le carnage. Toutes les nations se sont vainement réunies pour anéantir un peuple qui existe chez toutes les nations. Les Assyriens, les Perses, les Mèdes, les Grecs et les Romains ont disparu, et les juifs, dont ils ont brisé le sceptre, survivent avec leurs lois aux débris de leur royaume et à la destruction de leurs vainqueurs. Tel serait un arbre qui n’aurait plus de tige, et dont les rameaux épars continueraient de végéter avec force. La durée de leurs maux s’est prolongée jusqu’à nos jours. Pour eux la vie est encore un fardeau; pour eux le jour s’écoule sans autre consolation, a dit un d’entre eux, que d’avoir fait un pas de plus vers le tombeau. Que dira la postérité, quand, dans les archives d’un peuple doux et aimant, elle lira les horreurs que l’on vient d’exercer, que l’on exerce peut-être encore en ce moment contre les juifs de Lixheim sur les frontières de la Lorraine 768 [Assemblée nationale.] ARCHIYES PARLEMENTAIRES. allemande et contre ceux de l'Alsace? Grâce à d’estimables républicains ils pnt trouvé au moins un asile passager, et les habitants de Bâle et de Mulhausen qui ont accueilli les malheureux, feraient rougir leurs tyrans s’il en étaient capables. Dans les siècles ténébreux du moyen âge, on accusa les juifs de tous les fléaux dont le ciel affligeait la terre. On les chargea de crimes toujours présumés et jamais prouvés, comme d’immoler des enfants chrétiens, d’empoisonner des fontaines, les puits et même 'les rivières, de crimes dont ils n’auraient pu recueillir d’autres fruits que de nouveaux massacres si leur exécution eût été possible; mais la haine raisonne-t-elle? On commençait par égorger, sauf à examiner ensuite si les défunts étaient coupables ; et dans quel siècle grand Dieu 1 Précisément dans le même siècle où l’avarice et la calomnie traînaient au bûcher les chevaliers du Temple avec leur vénérable grand-maître, et ces faits sont consignés non dans l’histoire des tigres, mais dans celle des hommes. Que ne peut-on par des larmes en effacer bien des pages ! L’Europe a produit 400 règlements pour élever entre les chrétiens et les juifs un mur de séparation. Au lieu de combler l’intervalle qui les sépare, on s’est plu à l’agrandir, en fermant à ceux-ci toutes les avenues de l’honneur. Punis avec une partialité féroce pour des délits légers, en Allemagne, en Suisse, on les pendait par les pieds à côté d’un chien, qui est le symbole de la fidélité, car les hommes ont toujours été plus habiles à tourmenter les criminels qu’à prévenir les crimes. Avant les lettres patentes de 1784 les juifs d’Alsace étaient encore soumis aux mêmes péages que les animaux auxquels ils répugnent le plus par principes religieux, et comme si on voulait reprocher au Gréateur d’avoir formé les enfants d’Abraham à son image, aujourd’hui même on attache à leur figure un distinctif flétrissant, en singularisant leur costume. Hélas ! que gagne-t-on lorsqu'on avilit les hommes ? à coup sûr on les rend pires. Rien de plus propre à exciter la curiosité, l’indignation et la douleur que de voir en divers lieux les présents, qu’au nouvel an surtout, les juifs sont obligés de faire à des hommes en place ou à leurs subalternes, pour acheter une protection flétrissante ; ces tributs de la faiblesse à la force sont considérés comme des redevances annuelles. Où prendront pour y subvenir des malheureux déjà grevés d’impôts, dont les bras sont liés, et les moyens d’acquérir si bornés? Dans son triste galetas le pauvre Israélite étouffant les soupirs d’une âme consternée, et condamné à vivre, pourrait invoquer la mort avec plus de sincérité que le bûcheron harrassé. Communément sobre, il se retranche avec résignation; communément bon père, il retranche à ses enfants avec serrement de cœur quelques bouchées d’une chétive nourriture, recoud quelques lambeaux de plus à son vêtement délabré, économise quelques deniers de misère pour fournir à l’avidité des harpies qui mangeraient même sa table. Dans une de nos villes de France un juif est saisi exerçant un métier, on le traîne devant le juge. J’ai, dit-il, six enfants couchés dans l’ordure, mourant de faim et de froid; on va pendre mon frère pour crime commis dans le désespoir, je demande de partager son supplice avant que je devienne coupable. C’est la conduite des nations envers les juifs qui les force à devenir pervers. Si quelque chose j [23 décembre 1789.] a droit de nous surprendre, c’est qu’ils ne le soient pas davantage. Ce qui chez d’autres sera vertu, chez eux est souvent héroïsme. Nos ancêtres ont subordonné la justice à leur haine. Quand acquitterons-nous leur dette et la nôtre? Est-ce en éternisant les malheurs des juifs que nous acquerrons des droits sur les bénédictions de la postérité? Quand rendrons-nous à l’humanité ce peuple outragé par nos persécutions, considéré par l’animosité comme intermédiaire entre l’homme et la brute, sans rang dans la société, ne voyant autour de soi que l’opprobre, et traînant partout des fers baignés de ses larmes ? A la honte de notre siècle le nom juif est encore un opprobre, et très-souvent des disciples du maître le plus charitable, insultent à des malheureux, dont le crime est d’être juif, et qui rampent sur nos routes couverts des lambeaux de la pauvreté, Dans ce siècle qui se qualifie par excellence, le siècle des lumières, qui se vante de rendre à l’homme ses droits et sa dignité première, c’est toujours à mes yeux un phénomène moral de voir quelquefois ceux qui parlent le plus de tolérance faire une exception éclatante contre les juifs, souvent sans avoir de notion précise sur la tolérance, sans savoir même discerner les diverses acceptions de ce terme. L’intolérance religieuse n’admet pour vraie que la religion qu’on professe, et à ce titre le catholicisme se glorifiera toujours d’être intolérant, parce que la vérité est une. Au lieu que la tolérance civile laisse chacun sans l’approuver, mais aussi sans le gêner, professer son culte : cette faculté est de droit naturel ; c’est un principe que Fénelon inculquait à son illustre élève; c’est un principe qui nous paraîtra d’une évidence irrésistible, si nous, catholiques, habitions une contrée non catholique, où l’on mettrait en question la tolérance. Ne confondez pas ce mot avec celui de culte public; c’est au tribunal de la politique qu’il faut juger si la tranquillité de l’Etat permet d’accorder à une secte la publicité du culte ou seulement la tolérance. Une décision sur cet objet doit toujours être le fruit des plus hautes considérations; il faut avoir pesé le passé et s’il est possible, l’avenir, dans la balance politique. G’est pour n’avoir pas discerné ces idées, que le mot tolérance et son composé affectent si diversement les esprits. Tour à tour, ils sont devenus les refrains de l’impiété, qui voulait accueillir jusqu’aux erreurs, et du zèle sanguinaire qui voulait proscrire même les personnes. La religion catholique montre ce juste milieu qui sauve les droits du Gréateur sans blesser ceux de la créature, et qui ouvre son sein à des frères errants, sans jamais l’ouvrir à l’erreur. Un des emblèmes touchants de son divin fondateur, est la figure d’un agneau; une de ses maximes admirables est celle-ci : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur; et ces mots de l’Evangile : contrains-les d'entrer , n’indiquent que les exhortations pressantes de la charité. Le Sauveur n’avait garde de donner à sa religion un caractère de violence qui l’eût rendue odieuse; il condamna des disciples, dont le zèle indiscret voulait attirer le feu du ciel sur une ville qui ne l’avait pas reçu, et sur la croix il pria pour ses bourreaux. On l’a dit avant moi, la soumission à la vérité est un acte de la volonté libre. Les forces humaines ne peuvent rien sur l’âme, et du corps elle ne peut tirer que de la douleur. Vous ne pouvez forcer à suivre un culte que le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] 7�9 cœur désavoue; et pour aimer sa religion, il n’est pas nécessaire de haïr ni de violenter ceux qui n’en sont pas. Celle que nous avons le bonheur de professer, embrasse par les liens de la charité tous les hommes de tous les pays et de tous les siècles; Charité est le cri de l’Evangile; et quand je vois des chrétiens persécuteurs, je suis tenté de croire qu’ils ne l’ont pas lu. Je place ici une observation dont j'offre la preuve, c’est que, généralement parlant, personne ne fut plus modéré envers les juifs que le clergé, car il ne faut pas juger de son esprit par celui de l’inquisition d’Espagne. Les Etats du pape furent toujours leur paradis terrestre. Leur ghetto à Rome est encore le même que du temps de Juvénal; et, comme l’observe M. de Buffon, leurs familles sont les plus anciennes familles romaines. Le zèle éclairé des successeurs de Pierre, protégea toujours les restes d’Israël. Il nous reste des épîtresde Grégoire IX, à saint Louis, pour censurer ceux qui du manteau de la religion couvraient leur avarice, afin de vexer les Juifs. Je vois Innocent IV écrire pour les justifier, et se plaindre qu’ils sont plus malheureux sous les princes chrétiens, que leurs pères sous les rois Egyptiens. Tandis que l’Europe les massacrait au xive siècle, Avignon devint leur asile, et Clément VI, leur consolateur et leur père n’oublia rien pour adoucir le sort des persécutés, et désarmer les persécuteurs. On lit encore avec transport une épitre d’Alexandre II, adressée aux évêques de France, qui avaient condamné les violences exercées contre les juifs. Ce monument honorera constamment la mémoire du pontife romain comme celle des prélats français, et certainement le clergé actuel rivalisera avec celui qui l’a devancé. Mon devoir me prescrit de lever tous les doutes qui pourraient ravir à mes clients quelques suffrages, et quoique je parle devant une société politique, permettez-moi, Messieurs, de discuter une objection religieuse que m’ont faite quelques honorables membres de celte Assemblées. Ils prétendent que les juifs, éternellement voués à l’opprobre, ne pourront jamais devenir citoyens. J’attendrai une réponse à celle que vous allez entendre. Les oracles qui annoncent la désolation d’Israël, montrent dans le lointain l’instant qui doit la terminer; et quand même avant cette époque nous allégerions les fers des juifs, ils seraient également sans autel, car nous ne prétendons pas leur rendre le temple de Jérusalem et sans sceptre, car en leur accordant une terre de Gessen, nous n’irons pas choisir nos Pharaons chez eux. N’essayons pas de rendre la religion complice d’une dureté qu’elle réprouve; en présidant aux malheurs d’une nation, l’Eternel n’a jamais prétendujustifier les barbaries des autres. Le souffle de la colère divine a dispersé les enfants de Jacob sur l’étendue du globe pour un temps limité, mais il dirige les événements d’une manière conforme à ses vues supérieures ; et sans doute il nous réserve la goire de préparer par nos bontés la révolution qui doit régénérer ce peuple. Il viendra, cet heureux jour, et sans doute nous touchons à son aurore. Mais, nous dit-on, comment admettre au rang de cité une horde abâtardie à tel point, qu’elle repousse toute espérance de la régénérer, une secte qui, par principes, est intolérante, dont les mœurs et le régime sont inaliahies avec J ire Série, T. X. celui de tous les peuples auxquels elle a voué une haine envenimée ? Moïse avait donné à son peuple une loi qui l’isolait, loi très-sage pour consolider l’union des Israélites avec leurs frères, et combatre le penchant qui les portoit à imiter les mœurs dépravées et le culte idolâtre des nations voisines de la Judée ; mais ces lois relatives aux dangers rompaient-elles le lien social? Défendaient-elles à Salomon de s’allier avec Hiram ? Condamnaient-elles l’Hébreu , lorsqu’il allait aiguiser son soc chez les Philistins, qu’il accueillait les officiers de la reine de Saba, et qu’il était ministre ou courtisan dans le palais de Babylone? J’ai ouï objecter (et je ne reviens pas de ma surprise) qu’il est impossible de mettre au pair des citoyens des gens qui jamais ne voudront s’unir par le mariage avec les autres peuples. Voici une rétorsion qui, pour être plaisante, n’en serait pas moins bonne : « Chrétiens ou juifs, l’éloignement est réciproque ; ainsi avec ce bel argument je vais vous prouver que jamais on ne voudra rendre les Français, citoyens, parce qu’ils n’épouseront par les filles juives ; la loi de Moïse réprouvait à la vérité des alliances qui pouvaient exposer les juifs à idolâtrer; mais cette loi qui souffrait des exceptions, empêcha-t-elle Esther d’épouser légitimement As-suérus? Et que diront les auteurs de cette objection, en apprenant qu’en Angleterre on voit des mariages entre juifs et chrétiens; que dans les premiers âges du christianisme, spécialement entre 440 et 450, ces unions étaient assez communes? » Nos théologiens avouent que l’empêchement fondé sur la disparité du culte, n’a pas été introduit par un décret général, car on n’en trouve pas de bien précis ; mais par une coutume qui, adoptée universellement, a obtenu force de loi, et qui étant purement objet de discipline, peut être abrogée sans ébranler le dogme. Quant à leurs mœurs prétendues inaliables, parce qu’ils refusent de partager la table des chrétiens, rien de plus faux, et j’en appelle à l’expérience journalière. Et qu’importe d’ailleurs à la tranquillité politique cette différence diététique? Quelques provinces de la Pologne et la Russie offrent un mélange bizarre : près d’un protestant, qui mange son poulet le vendredi, est un catholique qui se borne aux œufs ; l’un et l’autre boivent du vin et travaillent ce vendredi, à côté d’un Turc qui s’abstient de vin et chôme ce jour-là, et ces variétés n’altèrent point l’harmonie civile. Je termine cet article par un raisonnement simple et péremptoire. Au commencement de l’ère chrétienne, les juifs dispersés avaient la même loi qu’aujourd’hui, et à peu près les mêmes préjugés, car les Talmuds avaient déjà falsifié la loi de Moïse; iis exerçaient tous les métiers, ils remplissaient toutes les autres fonctions civiles; parsemés chez les nations, tous allaient -adorer diversement dans des temples divers, et au sortir de là montaient sur les mêmes vaisseaux pour sillonner les mers, marchaient aux combats sous les mêmes étendards, et arrosaient les mêmes campagnes de leurs sueurs. Voilà une donnée, un point de départ, pour savoir si l’on peut les incorporer à la société générale : toutes les objections tombent quand l’expérience parle. Mais, réplique-ton, le juif est ennemi né de tout ce qui n’est pas lui. Je réponds que cette haine est condamnée par la loi mosaïque, qui impose l’obligation d’une philanthropie univer-49 770 [Assemblée nationale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] selle, la trouverait-t-on, cette haine, dans ces livres sacrés qui ordonnent si formellement et si souvent d’accueillir l’étranger, assimilé au pupille et à la veuve; qui statuent, qu’en moissonnant, on laissera des épis, en vendangeant, des grappes en faveur du pauvre et de l’étranger? Presque tous les livres symboliques des juifs, imprimés depuis trois siècles, portent au frontispice un axiome qui ordonne expressément l’amour des autres nations. Si cependant le juif, honni, outragé et proscrit partout, a quelquefois détesté ses tyrans; si le juif, harcelé par des hostilités continuelles, par les attentats les plus criants, a quelquefois repoussé la force par la force, ou opposé la haine à la fureur, cette conduite ne sort pas de la nature, quoiqu’elle s’écarte de la raison. Mais prendrez-vous les paroxismes instantanés de la vengeance, pour l’état habituel et nécessaire de son âme? Est-ce raisonner que de dire : le juif a haï lorsque nous l’avons accablé de maux; donc il nous haïra lorsque nous le comblerons de bontés? Si l’on en croit Michaëlis, les juifs sont incapables d’être régénérés, parce que, radicalement, ils sont pervers. Je réponds que cette perversité prétendue ne dérive pas de leurs lois, c’est chose évidente. Direz-vous qu’elle est innée? Quelques philosophes chagrins ont soutenu que l’homme naissait méchant; mais pour l’honneur et la consolation de l’humanité, on a relégué ce système dans la classe des hypothèses absurdes et désolantes. Tant de lois portées contre les juifs leur supposent toujours une méchanceté native et indélébile ; mais ces lois, filles de la prévention et de la haine, n’ont d’autres fondements que le motif qui les inspire. Je croirai ce peuple susceptible de moralité, tant qu’on ne nous montrera pas des obstacles invincibles dans son organisation physique, dans sa constitution religieuse et morale; je l’en crois capable, surtout lorsqu’appelant l’expérience à l’appui du raisonnement, je vois des juifs vertueux dans les lieux où, comptés parmi les citoyens, ils vivent paisiblement à l’ombre des lois protectrices. Ne soyons pas assez inconséquents pour leur demander des mœurs lorsque nous les avons forcés à devenir vicieux; rectifions leur éducation pour rectifier leurs cœurs; depuis longtemps on répète qu’ils sont hommes comme nous, ils le sont avant d’être juifs. On leur reproche de n’être point patriotes; non, lorsqu’ils ne sont pas traités comme fils de la patrie. Dans les monarchies et même dans certains Etats libres, où le peuple actif dans la législation n’obéit qu’à soi-même, le juif est toujours passif, toujours compté pour rien', toujours vexé; et l’on ose ensuite lui reprocher de n’aimer point une législation qui le repousse de son sein, de ne pas chérir des peuples acharnés contre lui ! Vous exigez qu’il aime une patrie; donnez-lui-en une à cet homme sur qui le malheur pèse depuis sa naissance, et qui mange en tremblant un pain de douleur. Une fois au niveau des autres membres de la nation, attaché à l’Etat par le plaisir, la sécurité, la liberté et l’aisance, il ne sera pas tenté de porter ailleurs ses richesses. Ses terres le fixeront dans le pays où il les aura acquises, et alors il chérira sa mère, c’est-à-dire sa patrie, dont l’intérêt sera confondu avec le sien. Mais si les juifs sont flétris par nos accusations et par leurs vices, ils présentent aussi des titres de nos éloges. On voit éclore en eux des vertus et des talents, partout où l’on commence à les traiter en hommes. Depuis deux siècles, en Hollande, nul n’a été condamné à mort. A Londres, les juifs portugais sont des citoyens utiles attachés à l’Etat par leurs capitaux, qui font partie de la richesse nationale. Dans les colonies, ils ont su captiver l’estime publique, et si l’on se rappelle la prévention générale contre eux, on conviendra qu’un juif estimé est incontestablement estimable. Je pourrais alléguer une foule de traits empruntés de contrées étrangères; mais pour me renfermer dans la nôtre, je vous rappellerai les juifs de Bordeaux se cotisant pour subvenir aux frais de la guerre, et surtout un Gradix soutenant les colonies affligées par la famine. En parlant de ceux de l’Alsace, j’ignore s’il faut plutôt rappeler leurs torts que ceux des chrétiens ; mais Boulain-villiers observe que les juifs de cette province furent d’un grand secours aux Alsaciens pendant les guerres du siècle dernier. La fidélité de ceux de Metz est mentionnée dans divers arrêts, et plusieurs fois ils ont rendu des services importants. Dans la guerre qui finit par le traité de Riswick, ils firent venir d’Allemagne beaucoup de chevaux pour la cavalerie, malgré les défenses sous peine de la vie d’en faire passer en France. La modicité des récoltes de 1698 faisait appréhender une disette, ils tirèrent des grains de Francfort, et pour ramener l’abondance dans la province, ils firent le sacrifice de 30,000 livres sur le prix de l’achat. Parmi les bonnes qualités des juifs, on doit compter la décence, elle est en eux une vertu presque innée. Gardoso les loue à juste titre de n’avoir aucun de ces livres détestables, dont le but est d’attiser la luxure. En Alsace, ainsi qu’en divers lieux d’Allemagne, on a mis des obstacles à leurs mariages, en leur défendant d’épouser sans permission. Ces défenses sont des attentats contre la nature, qui les désavouerait même dans le silence des passions. Ce qui pourrait en résulter serait de conduire les juifs au libertinage, et cependant on ne peut pas leur reprocher le dérèglement qui flétrit et dépeuple nos villes. Bien de plus rare chez eux que l’adultère, l’union conjugale y est vraiment édifiante. Ils sont bons époux et bons pères. Leurs femmes après l’enfantement daignent encore se souvenir qu’elles sont mères. Jamais on n’en voit négliger leur ménage ou le dilapider. Elles ne connaissent pas la passion du jeu; les révolutions des modes ne les atteignent guère. On remarque chez les juifs une tendresse effective pour les auteurs de leurs jours; il leur est enjoint de respecter leur instituteur à l’égal de leur père; et même plus, car celui-ci, disent-ils, ne donne que l’être et l’autre le bien-être; ils s’honorent d’une tendre vénération pour les vieillards, vertu touchante, presque inconnue dans nos mœurs, mais si célèbre dans la haute antiquité, et qui rappelle le gouvernement patriarcal. Tout prouve qu’il est aussi injuste qu’impolitique de laisser les juifs végéter dans leur dégradation actuelle ; tandis que nous accusons le luxe d’enlever des bras aux campagnes, nous conservons chez nous une nation à qui nous interdisons l’agriculture, qui n’ayant pas la permission de nourrir la patrie ni de la défendre, consomme sans reproduire, et consomme d’autant plus, qu’elle n’a guère d’autre principe de dépopulation que la mort naturelle, attendu que les individus livrés à un genre de vie assez uniforme, éprouvent rarement les crises violentes, qui, chez les autres nations ruinent souvent les santés les plus robustes. 771 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] Pour obvier à leur excessive multiplication, les chasserez-vous? Cet expédient fut jadis usité très-souvent; mais si la France les rejette de son sein, et que l’Allemagne ne veuille pas les recevoir, ils seront donc forcés de se précipiter dans le Rhin, parce qu’ils n’auront pas seulement la liberté de gémir sur les rives de ce fleuve ? Je ne connais pas d’homme pour qui la terre n’ait été créée, et si après avoir vécu sous la protection des lois sur le sol qui me vit naître, je n’y ai pas acquis le droit de patrie, qu’on me dise ce qu’il faut pour l’obtenir. Français, qui que vous soyez, pourriez-vous produire des titres? Les juifs sont-ils coupables? punissez-les. Sont-ils vicieux? corrigez-les; sont-ils innocents? protégez-les, mais vous n’avez pas le droit imprescriptible qu’ils tiennent de la nature, celui d’exister sur la terre hospitalière qui les reçut à leur naissance. La peine du ban est encore un des usages également anciens et barbares, ainsi que le droit d’aubaine; mais en sera-t-il de celui-là comme de la torture; nous autres Français serons-nous les premiers à dévoiler l’abus, les derniers à le réformer ? Si l’Espagne appauvrie au milieu de ses richesses eût connu ses vrais intérêts, ses campagnes s’embelliraient présentement sous les mains de 400,000 juifs qu’elle en expulsa il y a trois siècles (1), et dont quelques-uns, réfugiés en France, firent fleurir le commerce de Bayonne et de Bordeaux, où ils établirent les premières banques. Depuis on a vu les juifs chassés d’Anvers et du Brabant par le duc d’Albe, porter leur numéraire dans un pays voisin, où la liberté avait établi son empire et accroître les richesses d’Amsterdam et des autres villes de la Hollande. Quelques députés des trois provinces mentionnées m’objecteront peut-être, que la plupart de leurs cahiers forment contre les juifs des demandes restrictives, et s’opposent à ma motion ; j’espère que ma réponse paraîtra péremptoire. Je demande si jamais aucune loi civile pourrait sanctionner des principes contraires à cette loi éternelle, qui place sur le globe tous les enfants du père commun, avec l’inviolable faculté d’y vivre, en se conformant aux lois des Etats politiques qui les englobent. Vous me parlez de vos cahiers; on sait depuis longtemps que la lettre tue, et si aux moyens proposés par nos commettants, pour réprimer les usures des juifs, nous pouvons en substituer de plus efficaces, nous inculperont-ils d’avoir fait le mieux, lorsqu’ils exigeaient seulement le bien ? Mais, nous dit-on, si vous donnez aux juifs le droit de citoyens, les étrangers afflueront de toutes parts et inonderont le pays. La réplique est simple : vous ne les recevrez pas, il vous suffira de travailler à rendre les régnicoles meilleurs et plus heureux. Mais, ajoute-t-on, la bienveillance que vous réclamez envers les juifs leur sera funeste; une haine invétérée va faire ruisseler le sang hébreu; vous risquez de les faire égorger tous. J’avoue qu’ici mon cœur se déchire. Et quels sont donc ces animaux féroces que vous dites altérés du sang de leurs frères ? Faut-il l’avouer en frémissant ou en rougissant? Ce sont des hommes qui osent se dire Français, qui osent surtout se dire chrétiens. Qu’alors" le glaive des (1) Une foule d’écrivains qui se répètent, disent 800,000 ; j’espère prouver un jour, dans une histoire des juifs modernes, l’exagération de ce calcul. lois étincelle sur la tête des coupables, pour réprimer des attentats également lâches et cruels ; qu’alors le glaive de la justice soit dirigé contre les monstres dévorés du besoin de nuire. Ceci amène la réflexion suivante. C’est qu’il est intéressant de préparer les chrétiens à la réforme du peuple juif; un devoir spécial de nous, ministres des autels, lévites du Dieu de paix, c’est de parler en leur faveur à nos ouailles dans les écoles publiques, et sur les degrés du sanctuaire. En parlant des juifs, nécessairement il faut parler de l’usure, car ces idées fraternisent depuis longtemps : leur génie calculateur, invente dans le moyen âge les lettres de change, utiles pour protéger le commerce, et le faire fleurir dans tous les coins du globe; mais ce bienfait fut contrebalancé par les maux que causa leur rapacité, car il faut l’avouer, ce vice a depuis longtemps gangrené le peuple hébreu. Cependant si les juifs devenus courtiers de toutes les nations, ont si souvent sacrifié la probité à l’avarice, les gouvernements doivent s’accuser de les avoir conduits à ces excès. En leur ravissant tous autres moyens de subsister, ils ont courbé ce peuple sous le joug de l’oppression la plus dure ; en l’accablant d’impôts, en lui interdisant l’exercice des arts, ils ont limité sou travail, lié ses bras, et l’ont forcé à devenir commerçant, car il ne l’est que depuis la dispersion. On parle des flottes marchandes de Salomon, mais on ne peut en citer d’autres; le génie d’un grand prince les avait créées, et l’on ne voit aucun de ses successeurs continuer son ouvrage. Il y eut toujours chez les Hébreux peu de circulation, peu d’échanges. Leur loi paraît presque opposée à l’esprit du commerce, et tant qu’ils eurent une forme de gouvernement, bornés à la culture d’un territoire fertile, ils négligèrent le commerce, quoiqu’ils habitassent un pays maritime et pourvu d’excellents ports. Les juifs actuels étant bornés à un trafic de détail, la nécessité les force presque à suppléer par la fourberie au gain modique d’un commerce subalterne ou de l’agiotage, car quand on a faim et soif, qu’on est destitué de tout secours, qu’on entend les cris touchants d’une famille nombreuse qui implore des secours, il faut voler ou périr. Amenez sur la scène vos brames tant vantés, et ces paisibles Otahitiens, interdisez-leur tout moyen ae subsister que par un commerce dont les gains sont modiques, quelquefois nuis ; lorsque la souplesse et l’activité ne pourront subvenir à des besoins impérieux et toujours renaissants, bientôt ils appelleront à leur secours l’astuce et la friponnerie. Le comble de l’injustice est donc de reprocher aux juifs des crimes que nous les forçons à commettre. J’ai développé dans mon ouvrage l’insuffisance des moyens employés jusqu’ici pour enchaîner l’usure, j’en ai proposé de nouveaux, qui m’ont paru plus efficaces, et que j’aurai l’honneur de présenter, si on l’exige; mais le plus puissant c’esi de diriger le caractère de ce peuple vers un autre objet que le commerce, de lui donner une tendance contraire, et de lui montrer la fortune dans le chemin de l’honneur. Cette réforme à la vérité n’est pas l’ouvrage du moment, car on ne change pas le ( aractère d’un peuple comme l’uniforme d’un corps militaire. La marche de la raison n’est sensible qu’après un laps de temps considérable ; mais le juif ayant devant les yeux notre éducation, notre législation, nos découvertes qu’il va partager, l’assemblage de tous ces moyens imprimera un mouve- 772 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [â3 décembre 1789.] ment universel, ébranlera tous les individus, entraînera même les rénitents ; bientôt chez ce peuple à mœurs hétérogènes, la raison recouvrera ses droits, le caractère recevra uue nouvelle empreinte, et les mœurs une réforme salutaire. J’ai ouï demander quelquefois s’il ne fallait pas leur interdire tout commerce ; ce serait l’équivalent d’assassiner des malheureux privés tout à coup du seul moyen qui leur reste pour avoir du pain. Faudra-t-il les agréger au corps des marchands? Cette question, qui, dans plusieurs tribunaux, a causé des débats fort aigres, eût été facilement décidée si on n’avait consulté que la raison et l’humanité; celle-ci aurait invoqué la commisération en leur faveur, et l’autre aurait fait leur apologie; elle aurait allégué leur soumission aux puissances, leur résignation dans l’infortune, leur activité dans tout ce qui s’appelle commerce de détail; avec autant de patience, de sobriété et d’économie que les marchands arméniens, ils ont lus de sagacité pour épier et saisir l’occasion. ans notre pays il y a des branches de commerce, des manufactures abandonnées ou languissantes, et l’on supplée à l’impéritie ou à la paresse nationale, en important de chez l’étranger. Voilà de vraies mines d’or, que les juifs industrieux pour tout ce qui est lucratif sauraient exploiter. Outre l’avantage de leur fournir des occupations et des moyens d’exister, pour peu qu’ils fussent encouragés par le ministère, bientôt ils feraient baisser le prix des marchandises importées et empêcheraient le numéraire de passer chez l’étranger. On ne trouve chez nous que peu de juifs artisans ou artistes. Dira-t-on que c’est faute d’aptitude? On en voit souvent signaler leur adresse dans la gravure en creux, et la Prusse s’honore actuellement de posséder le célèbre médailleur Àbrahamson. En Orient, ils sont teinturiers, ouvriers en soie; à Maroc, et sur les côtes de l’Afrique, où le commerce a peu d’activité, ils exercent tous les métiers; lorsque dégagés d’entraves les juifs seront au pair avec les chrétiens, et que l’autorité les protégera dans leurs ateliers, il en résultera une rivalité qui éclairera les arts, perfectionnera l’industrie, et maintiendra le bas prix pour s’assurer la concurrence dans le débit. Presque partout on assigne aux juifs des quartiers où ils n’ont la liberté de s’étendre qu’en hauteur. Cet usage admet peu d’exceptions, surtout en Italie, où plusieurs villes les enferment tous les soirs dans le ghetto. Isoler ainsi les juifs, c’est alimenter la haine des chrétiens, en lui montrant son objet d’une manière plus précise. D’ailleurs, c’est dans ces tristes réduits que fermente sans cesse un air pestilentiel, et très-propre à répandre, ou même à causer des épidémies ; c’est là que les juifs sont toujours un peuple à part, un Etat dans l’Etat ; c’est là qu’ils concentrent leurs préjugés; ces préjugés s’enracinent d’autant plus qu’ils sont soutenus par l’exemple et l’enthousiasme, car l’enthousiasme et l’exemple agissent par le rapprochement des individus. Lorsqu’ensuite on veut détromper un peuple égaré par ces deux voies, on en a meilleur compte à le prendre en détail qu’à travailler sur une quantité réunie. La conséquence à inférer de cet article est d’accorder aux juifs la liberté de s’établir indistinctement dans tout le royaume. Donnons-leur des relations permanentes avec tous les citoyens, et bientôt une douce sensibilité les attachera à tout ce qui les entoure. Mais il est une observation qui se place naturellement ici. Les juifs de Metz ont beaucoup de dettes. La liberté indéfinie de s’établir ailleurs diminuera infailliblement cette communauté. Serait-il juste que la masse des dettes tombât sur ceux qui resteraient ? Non, tous sont solidaires, et sans doute votre sagesse soumettra au payement de leur quote-part les émigrants du quartier. Qu’on ne soit pas surpris si d’un juif je veux faire un soldat. Ceux de Paris et de Bordeaux sont entrés avec empressement dans la milice bourgeoise, plusieurs même ont été élevés au grade de capitaine. Ne croyons pas qu’ils dussent se refuser longtemps à manœuvrer le jour du sabbat. Déjà dans le Talmud et dans Maimonide , l’aigle de leurs docteurs, on a trouvé deux passages qui le permettent formellement (1), et les journalistes juifs de Berlin se sont empressés de tranquilliser sur cet article la conscience de leurs frères enrôlés par l’Empereur au nombre d’environ 3,000. Les gens à préjugés ne leur supposent pas même le germe de la valeur, et les regardent comme de vils esclaves, parmi lesquels on trouverait à peine un Spartacus. Mais cette nation si belliqueuse, sous les princes Asmonéens; cette nation qui, vaincue par Pompée, conquit l’estime de son vainqueur ; qui dans la guerre contre Mithridate, força la victoire à se déclarer en faveur des légions romaines; qui au vie siècle soutint Naples contre Bélisaire ; qui au x® aida les chrétiens à chasser les brigands, dévastateurs de la Bohême; qui en 1346 se fortifia dans Burgos, et résista à Henri de Transtamare, assassin de son souverain légitime; cette nation qui a fourni un habile général au Portugal, un commodore à l’Angleterre, qui dans le siècle dernier s’est distinguée à la défense de Bude et de Prague assiégés, qui brilla à l’attaque du Port-Mahon, serait-elle indigne de marcher sous les drapeaux français? On demandera sans doute s’il faut aussi les rendre cultivateurs ; je voulais arriver là. Jamais peuple ne fut plus occupé d’agronomie que les Israélites en Palestine; c’est la remarque du judicieux Fleury. Ainsi la possibilité de les ramener à leur goût primitif est prouvée par le fait. Sans sortir de l’Europe, nous trouvons en Lithuanie des juifs livrés au labourage. Que les travaux rustiques appellentdoncl’liébreudansnos champs, jadis arrosés du sang de ses pères, et qui désormais le seront de ses sueurs. Des domestiques chrétiens pourront seconder son travail et rectifier sa maladresse : bientôt stimulée par l’intérêt, ses bras qui ont déjà la souplesse, se fortifieront par l'exercice, et cet avantage physique en amènera pour les mœurs un plus précieux, puisque le premier des arts est encore le premier en vertu. Une conséquence de ce système est la permission d’acquérir, car jamais la terre n’est si bien cultivée que par les mains du propriétaire. La liberté qui féconde les rochers de l’Helvétie, fertilisera des champs cultivés par des mains libres. (1) Ceux de Lunéville ont offert de contribuer pour la souscription militaire. Ailleurs iis font faire leur service le jour du Sabbat. Les lois de la Virginie dispensent de porter les armes toute personne à qui sa religion le défend, en payant ce qu’il faut pour mettre un autre à sa place. Serons-nous moins indulgents envers les juifs que les Yirginiens envers les quakers ? Un peu de patience d’ailleurs, je prédis que les juifs nous dispenseront de porter un pareil bill. 773 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [23 décembre 1789.] Le droit d’acheter des possessions terriennes ; attachera le juif au local, à la patrie, et le prix des immeubles croîtra par la multiplication des acheteurs. Les juifs de Nancy demandent le droit de fréquenter nos collèges, nos universités, d’aspirer aux grades ; et pourquoi, Messieurs, leur fermerions-nous la porte de nos lycées, de nos sociétés littéraires ? L’Académie des sciences ne s’est-elle pas honorée, en inscrivant un nègre sur la liste de ses correspondants? Espérons peu toutefois de l’homme adulte, son pli est formé, ou il va nous échapper. Emparons-nous de la génération qui yient de naître, et de celle qui court à la puberté. Que cette jeunesse, ait part à l’éducation des diverses classes sociales, que de sages instituteurs aimant sans partialité leurs élèves chrétiens ou juifs, établissent entre eux cette cordialité qui préviendra les explosions de la haine, et que le foyer de l’émulation développe des talents auxquels la voix publique doit ensuite décerner des couronnes. La nation juive apte à tout, compte des écrivains célèbres; elles vient de perdre un homme de génie, dont la place n’est pas vacante. Bloch, Hertz, Bing, et d’autres écrivains juifs sont sur les rangs pour remplacer Mendel sohn. Cent fois on m’a demandé si je réclamerais pour les juifs l’admission aux emplois publics, voici ma réponse : dans les quatre premiers siècles ils n’étaient point exclus des charges civiles et militaires ; chez les princes musulmans ils atteignent quelquefois aux postes les plus éminents du ministère et de la finance. A Maroc surtout on en voit se pousser à la cour et remplir les ambassades. Nous ne citerons que le fameux Pache-comort à la Haye en 1604. Dans le même siècle deux juifs furent en Hollande, résidants des cours de Portugal et d’Espagne, quelques-uns ont été même en faveur à la cour de Rome. Le xne siècle nous montre un rabbin Jehiel, surintendant de la maison et des finances du pape Alexandre III. Voila ce qui s’est fait ; voyons ce qu’il faut faire. Des lois précises doivent régler l’exercice du pouvoir exécutif confié au chef de la nation. Serait-il prudent de lui laisser la faculté indéfinie de nommer arbitrairement à toutes les places, de conférer tous les grades, de distribuer toutes les grâces? L’exemple de l’Angleterre a depuis longtemps marqué Pécueil. Sous un prince ambitieux ou faible, la cour serait bientôt un antre de corruption, où des courtisans, des maîtresses, des êtres vils dans tous les genres, se disputeraient les dépouilles de l’Etat ; il faut donc par des règlements sages désespérer la rapacité et l’intrigue. Le prince le plus éclairé, comme le plus vertueux, est susceptible des erreurs qui sont l’apanage de l’humanité; il peut s’égarer dans ses choix, il faut donc éclairer sa vertu, et vainement, Messieurs, aurez-vous déclaré que tous les citoyens sont admissibles à toutes les places les plus éminentes, vainement le pouvoir exécutif aura-t-il publié vos arrêtés; si vous ne prenez des moyens pour assurer l’exécution de vos décrets, sans cesse on verra la bassesse envahir la place du mérite. Mais lorsqu’enfin elle ne sera occupée que par les talents et les vertus, que risquerez-vous d’ouvrir aux juifs toutes les voies qui font éclore les vertus et les talents, et de les admettre aux offices qui ne pourront influer sur l’exercice de la religion catholique (1)? (1) Tel serait le droit abusif de conférer des bénéfices dévolu au juif Calmer, par l’acquisition de la baronie Peut-être serait-il prudent de modifier et de restreindre cette faculté pendant quelques années; l’éducation et la législation n’atteignent jamais leur but, qu’en adoptant une marche graduelle, réglée sur les circonstances. Ce but est souvent manqué, parce que les méthodes et les lois ne sont pas adaptées au génie national, ou parce qu’on n’a pas préparé le génie national à les recevoir, et l’édit de Joseph II a le défaut de franchir les intermédiaires. Il faut disposer les esprits, pour diriger les cœurs, répandre des livres et des idées préparatoires, faire concourir les rabbins à cet ouvrage, électriser le juif par des grâces et des récompenses qui en feront espérer et mériter d’autres, jusqu’à ce qu’on parvienne à les fondre dans la masse nationale, au point d’en faire des citoyens dans toute l’étendue du terme. Ici se présente la question, s’il faut laisser aux juifs le droit d’autonomie, comme ils l’avaient dans les quatre premiers siècles à la faveur de la politique romaine, qui s’attachait les peuples vaincus, les municipes, en leur laissant leurs lois et leurs usages. La difficulté pour les juifs, provient de ce que chez eux la religion englobe toutes les branches de la législation j usqu’aux moindres détails de police : leur sanhédrin jugeait les causes ecclésiastiques et civiles. Pour résoudre la question, distinguons dans leur loi ce qui tient essentiellement au culte de ce qui n’est qu’objet de jurisprudence civile et criminelle ; ce sont des choses très-séparables. Accordons aux juifs entière liberté sur le premier article, et dans tout ce qui n’intéresse pas les biens et l’honneur des citoyens; mais qu’en tout le reste ils soient soumis aux lois nationales. S’ils croient nécessaire d’avoir des rabbins (à Metz ils s’en passent depuis plusieurs années), que ces docteurs et tous autres préposés, nés ou naturalisés Français, aient pris des grades dans nos écoles publiques; laissons-leur le régime intérieur des synagogues, avec droit de sentence dans ce qui concerne seulement le culte religieux ; mais sans aucune relation à l’état civil; c’est abusivement qu’en Alsace, comme dans quelques Etats d’Allemagne, on permet au rabbins d’exercer les fonctions de notaire, de juger les causes pécuniaires et testamentaires. Qu’ils soient donc régis par la jurisprudence nationale, l’on se dispensera de rédiger pour eux des coutumes particulières comme on l’a fait à Metz. Leurs femmes qui n’héritent qu’a défaut des mâles, seront appelées aux successions d’une manière plus favorable; la majorité sera fixée aux mêmes époques que chez nous. Soumis à la même répartition d’impôts et de charges publiques, les juifs participeront aux avantages de citoyen; ainsi point de syndic pour la gestion des affaires civiles des communautés juives; point de communautés juives, ils seront membres des nôtres, ils seront astreints à l’idiome national pour tous leurs actes, et même pour l’exercice de leur culte, ou du moins leurs livres lithurgiques seront traduits. Un grand avantage, c’est de pouvoir appliquer de Péquigny. Un collateur qui ne croit point à la simonie, penserait faire faire, dit M. Linguet, un marché légitime en vendant un bénéfice ; peut-être même croirait-il servir sa religion par l’introduction d’un mauvais sujet dans le ministère de la nôtre. Au reste la collation des bénéfices appartient împrescrip-tiblement à l’Eglise et au peuple ; il est temps qu’ils rentrent dans leurs droits. 774 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 décembre 1789.] les mêmes principes de réforme à toute la nation; car son caractère est identique. Traçons un plan, nui embrassant tous les détails, emploie tous les moyens. Si l’on se borne à quelques règlements vagues, l’ouvrage de leur régénération sera manqué, on verra bientôt échouer des efforts mai combinés, et l’amour-propre intéressé à justifier la fausseté de ses moyens, rejettera le défaut de succès sur la prétendue impossibilité de régénérer ce peuple. La loi qui doit prononcer partout avec empire et précision ne doit rien laisser à une interprétation arbitraire, que la prévention et la haine rendraient toujours formidables au juif ; l’oeil du ministère public doit y veiller; et fasse le ciel que les exécuteurs de ses ordres soient des hommes et non des sangsues qui suceraient la substance de nos pauvres Israélites, et leur feraient acheter les faveurs du gouvernement. Je n’ai pu présenter qu’en raccourci le plan et les moyens nécessaires pour rectifier ce peuple; mais les ai-je développés avec assez d’énergie pour émouvoir les cœurs en portant la conviction dans les esprits? Je crois avoir prouvé que la religion se concilie avec une sage politique qui, admettant les juifs aux avantages de citoyen procurerait à l’Etat un surcroît de richesses et d’industrie. Puissé-je alléger les peines d’une nation infortunée, et lui procurer un défenseur plus éloquent, elle n’en trouvera pas un plus zélé. Gens ennemis de toute innovation, ne niez pas le succès avant les tentatives. Exigeriez-vous que, dès le début, la révolution fût consommée? et que le coup d’essai fût le point de perfection ? N’épiloguez pas sur de petits inconvénients; car si l’homme était réduit à n’adopter que des protêts qui n’en offrissent aucun, il ne se déciderait jamais. En peu de mots, on peut résumer les objections formées contre les juifs. Ils sont, nous dit-on, corrompus et dégradés; et de là on conclut, à la honte de la raison, qu’il ne faut pas chercher à les régénérer; on objecte que la chose est impossible. Et quand on répond victorieusement que la possibilité est établie par le fait des juifs d’Hambourg, Amsterdam, La Haye, Berlin, Bordeaux, etc., et qu’une expérience infaillible anéantit toute réclamation et lève tous les doutes, la haine et la prévention sont telles, qu’on répond en répétant des objections anéanties. Il semble que sur cet article la pauvre raison soit en possession de délirer. On voit trop souvent des hommes de fer, qui profanent le terme de bonté; ils ont la générosité de chérir les humains à 2, 000 ans ou 2,000 lieues de distance; leurs cœurs s’épanouissent en faveur des Botes et des nègres, tandis que le malheureux qu’ils rencontrent obtient à peine d’eux un regard de compassion; et voilà à notre porte les rejetons de ce peuple antique, des frères désolés, à la vue desquels on ne peut se défendre d'un déchirement de cœur; sur qui, depuis la destruction de leur métropole, le bonheur n’a pas lui; . ils n’ont trouvé autour d’eux que des outrages et des tourments, dans leurs âmes que des douleurs, dans leurs yeux que des larmes ; s’ils ne sont point assez vertueux pour mériter des bienfaits, ils sont assez malheureux pour en recevoir : tant qu’ils seront esclaves de nos préjugés et victimes de notre haine, ne vantons pas notre sensibilité. Dans leur avilissement actuel, ils sont plus à plaindre que coupables ; et telle est leur déplorable situation, que pour n’en être pas profondément affecté, il faut avoir oublié qu’ils sont hommes, ou avoir soi-même cessé de l’être. Depuis dix-huit siècles, les nations foulent aux pieds les débris d’Israël; la vengeance divine déploie sur eux ses rigueurs; mais nous a-t-elle chargés d’être ses ministres? La fureur de nos pères a choisi ses victimes dans ce troupeau désolé ; quel traitement réservez-vous aux agneaux timides échappés du carnage et réfugiés dans vos bras? Est-ce assez de leur laisser la vie en les privant de ce qui peut la rendre supportable? Votre haine fera-t-elle partie de l’héritage de vos enfants? Ne jugez plus cette nation que sur l’avenir; mais si vous envisagez de nouveau les crimes passés des juifs, que ce soit pour déplorer l’ouvrage de nos aïeux. Acquittons leurs dettes et la nôtre, en rendant à la société un peuple malheureux et nuisible, que d’un seul mot vous pouvez rendre plus heureux et utile. Arbitres de leur sort, vous bornerez-vous, Messieurs, à une stérile compassion? n’auront-ils conçu des espérances que pour voir doubler leurs chaînes et river leurs fers, et par qui?.... par les représentants généreux d’un peuple dont ils ont cimenté la liberté, en abolissant l’esclavage féodal. Certes, Messieurs, le titre de citoyen français est trop précieux, pour ne pas le désirer ardemment; des nations voisines ont recueilli avec bonté les débris de ce peuple; nous avons reçu d’elles l’exemple; il est digne de nous de le donner au reste des nations. Vous avez proclamé le Roi restaurateur de la liberté; il serait humilié de régner sur des hommes qui n’en jouiraient pas : 50,000 Français se sont levés esclaves, il dépend de vous qu’ils se couchent libres. Un siècle nouveau va s’ouvrir, que les palmes de l’humanité en ornent le frontispice, et que la postérité, bénissant vos travaux, applaudisse d’avance à la réunion de tous les cœurs. Les juifs sont membres de cette famille universelle qui doit établir la fraternité entre les peuples ; et sur eux comme sur vous la révolution étend son vuile majestueux. Enfants du même père, dérobez tout prétexte à la haine de vos frères, qui seront un jour réunis dans le même bercail; ouvrez-leur des asiles où ils puissent tranquillement reposer leur têtes et sécher leurs larmes ; et qu’en fin le juif, accordant au chrétien un retour de tendresse, embrasse en moi son concitoyen et son ami. J’ai l’honneur, Messieurs, de vous proposer un projet de décret, dont voici la teneur : « L’Assemblée nationale décrète, que désormais les juifs régnicoles sont déchargés de payer le droit de protection aux villes, bourgs, communautés et seigneurs; ils ont la faculté de s’établir dans tous les lieux du royaume, d’exercer tous les arts et métiers, d’acquérir des immeubles, de cultiver des terres. « Ils ne seront point troublés dans l’exercice de leur culte; assimilés aux citoyens, ils en partageront les avantages, attendu qu’ils en supporteront les charges. « L’Assemblée décrète en particulier, pour ceux de la généralité de Metz, qu’ils sont exempts de payer à la maison de Brancas la somme annuelle de 20,000 francs pour droit de protection. Et comme la communauté de Metz est grevée de dettes considérables, ceux qui la quitteront pour s’établir ailleurs, payeront préalablement leur quote-part de la totalité de cette dette, dont ils sont solidaires. [24 décembre 1789.] 775 [Assemblée national*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, « L’Assemblée révoque et abroge tous édits, lettres-patentes, arrêts et déclarations contraires au présent décret. «Elle défend sévèrement d’insulter les membres de la nation juive, qui, tous, désirent de trouver dans les Français des concitoyens, dont ils tâcheront de mériter l’attachement et l’estime.» ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER. Séance du jeudi 24 décembre 1789, au maim (1). Le séance est ouverte par la lecture du procès-verbal du mardi précédent, qui avait été remise à aujourd’hui. Gette lecture est suivie de celle du procès-ver * bal d’hier, et des adresses de différentes villes, ainsi qu’il suit : Procès-verbal de la proclamation des officiers et de la prestation de serment du corps des gardes nationales de la ville de Paimpol en Bretagne. Délibération de la compagnie des chevaliers de l’arquebuse de Saumur, contenant l’expression d’un dévouement sans bornes pour le soutien du Trône et l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale. Délibération du même genre des officiers de la sénéchaussée de Saumur; ils demandent que cette ville soit le chef-lieu d’un département. Adresse de la communauté des notaires de la ville de Grenoble , qui , quoique épuisée par ses propres dettes, accrues par les malheurs de l’année dernière, et par la stagnation de toutes les affaires pendant le cours de cette année, a délibéré de payer sans délai la somme de 700 livres, pour le centième denier de ses offices, de faire un don patriotique de celle de 500 livres, sans qu’elle puisse être imputée à aucun des membres sur l’impôt du quart de leurs revenus, et de faire une aumône de 1,000 livres, aux malheureux ouvriers de cette ville, qui, depuis long-temps, manquent de travail, par l’émigration des personnes riches; elle supplie l’Assemblée nationale d’agréer cette délibération, comme une preuve de son dévouement et de sa soumission à tous ses décrets. Adresse de renouvellement d’adhésion de la ville de Cordes en Albigeois ; elle exprime les vœux les plus ardents pour voir terminer bientôt le grand œuvre de la constitution : elle demande d’être le chef-lieu d’un district, et que la ville d’Albi soit le chef-lieu d’un département. Adresse du même genre de la ville de Barbe-zieux ; elle demande une justice royale. Adresse du même genre des officiers municipaux et habitants du banc de Ramonchamp en Lorraine; ils font les réclamations les plus fortes contre la délibération de la commune de Itemire-mont, par laquelle elle demande la conservation du chapitre noble de cette ville. Adresse du même genre de la ville de la Grasse en Languedoc; elle fait le don patriotique de deux bâtons de chantre, deux chandeliers, deux burettes avec leur plat, le tout d’argent; elle forme des vœux pour la conservation de l’abbaye établie dans son sein. Adresse du même genre des habitants de la commune de Fontaine en Brie; ils font le serment de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour le soutien des décrets de l’Assemblée Natio-nationrle. Adresse du même genre de la communauté de de Roque-Pertuis, près de Bagnols en Languedoc; elle demande rétablissement d’une assemblée de district, et d’une justice royale dans cette ville. Adresse du même genre de la ville de Becherel en Bretagne; elle demande d’être le chef-lieu d’un district et le sidge d’une justice royale. Adresse du même genre de la ville de Treguier; elle fait plusieurs observations sur les décrets relatifs à la libre circulation des grains, et sur celui qui exclut de la municipalité les officiers de judicature et les percepteurs des impôts indirects. Adresse du même genre de la ville de Lamballe en Bretagne; elle proteste contre le refus de la chambre des vacations du parlement de Rennes, d’enregistrer le décret du 3 novembre; elle supplie le Roi et l’Assemblée nationale de remplacer cette chambre par d’autres juges qui ne soient pas pris dans le parlement. Adresse du même genre de la ville de Valla-brègues, et du lieu de Gomps; elle fait le don patriotique du produit du rôle de supplément des impositions sur les biens des ci-devant privilégiés Adresse du même genre de la ville d’Aurillac, capitale de la Haute-Auvergne , et de celle de Cosne en Bourbonnais. Adresses du même genre de la ville de Saint-Céré en Quercy , et de celle de la Ferté-sous-Jouarre; elles demandent d’être le chef-lieu d’un district, et le siège d’une justice royale. Adresse du même genre des principaux citoyens de la ville de Montesquieu-Volvestre ; ils demandent le siège d’une assemblée de district. Adresse du même genre de la milice nationale de Nevers; elle jure une fidélité inviolable et une soumission sans bornes à l’Assemblée nationale. Adresse du même genre des officiers municipaux et habitants de la ville de Vichy-les-Bains en Bourbonnais; ils sollicitent l’exécution d’un décret de l’évêque diocésain, et d’un arrêt du parlement, qui, en réunissant les biens des religieux Céfeslins, situés dans cette ville, lui avaient accordé l’établissement d’un collège , une distribution déterminée d’aumônes en faveur des pauvres, et l’attribution à la fabrique de la paroisse, du trésor de la sacristie des religieux; ils font le don patriotique de ce trésor, qui renferme plusieurs effets précieux. Adresse du mémo genre des villes de la Roche-Ghalais et de Saint-Jean-d’Espalion; cette dernière adhère notamment au décret concernant la contribution patriotique ; elle supplie de nouveau l’Assemblée d’ordonner que les comptables des communautés ne pourront être regardés comme citoyens actifs, qu’ils n’aient rendu leur compte et payé le reliquat. Adresse du même genre de la ville de Gerbe-roy, diocèse de Beauvais; elle demande une justice royale. Adresse du même genre de l’universalité des habitants de la ville de Castel nau-de-Montratier en Languedoc ; ils confirment l’élection qu’ils ont faite de leurs officiers municipaux, pour remplacer les anciens qui n’étaient que les agents du despotisme féodal. Adresse du même genre de la communauté de Goos en Gascogne; elle fait le don patriotique du (1) Cette séance est incomplète au -Moniteur.