SÉANCE DU 19 BRUMAIRE AN III (9 NOVEMBRE 1794) - N08 49-50 47 dance de la Convention nationale, Paris, le 1er brumaire an III\ (117) Citoyens Représentants, nous ne pouvons mieux faire que de vous transmettre les témoignages de satisfaction et de dévouement à la Convention de la Garde nationale de Villefort, département de la Lozère, à l’occasion de la mention honorable que son zèle pour déjouer les complots des malveillants lui a mérité d’elle. Le chargé provisoire, Dumont. 50 [Les administrateurs du directoire du district d’Orléans, au représentant du peuple Brival en mission dans le département du Loiret, le 7 brumaire an III\ (118) Citoyen Représentant, Connoissant ton humanité pour les malheureux, nous te faisons passer ci-joint copie du procès verbal que le citoyen Lambert, l’un de nos collègues que l’administration a nommé pour se transporter à Jargeau a dressé, dans lequel les circonstances du malheureux événement arrivé en cette commune le jour de la foire, par le submergement d’une des barques de son passage sur la Loire, y sont tracés dans tout leur jour, tu y remarqueras sûrement les traits d’intrépidité de plusieurs citoyens, le dévouement des officiers de santé et l’empressement généreux d’un certain nombre de particuliers qui n’ont rien négbgé pour secourir ceux des naufragés qui ont été sauvés des eaux; tu ne verras pas aussi sans douleur l’apperçu du nombre de ceux qui ont perdus la vie et sans interest leurs enfans restés sans appuis et pour lesquels l’administration a arrêtté dans sa débbération du 4 de ce mois, qui est jointe au procès verbal que nous t’envoyons, qu’elle solliciteroit de la commission des secours publics en faveur de ses infortunés les secours que lui dicteront leur humanité et leur sagesse. Nous te prions, citoyen représentant de vouloir bien t’interesser pour ces infortunés, tant auprès de la Convention nationale, que de cette commission. Salut et fraternité. Suivent 5 signatures dont celle du citoyen Lambert. [Extrait du registre des délibérations du conseil du district d’Orléans, en séance publique le 4 brumaire an III] (119) Le citoyen Lambert substitut de l’agent national a dit, citoyens, par votre délibération du 29 du mois dernier, vous m’avez chargé de me rendre en la commune de Jargeau à l’effet (117) C 323, pl. 1377, p. 6. (118) C 325, pl. 1413, p. 13. (119) C 325, pl. 1413, p. 14. d’y recueillir les faits et circonstances du nauf-frage qui a eu lieu en cette commune sur la Loire le jour de la foire dernière, je m’y suis rendu le 1er du courrant et je crois avoir rempli l’objet de ma mission et vôtre voeu; ce que vous allez entendre par la lecture du proces-verbal que j’en ai dressé sur les lieux. Suit la teneur du procès-verbal. Le premier brumaire l’an 3e de la République une et indivisible, en exécution de l’arreté du conseil du district d’Orléans du 29 vendémiaire dernier portant nomination du commissaire soussigné pour se transporter en la commune de Jargeau à l’effet d’y recueillir tous les renseignemens nécessaires sur les causes et les circonstances du naufrage arrivé en cette commune sur la Loire, le vingt huit dud. mois, prendre le nombre des victimes de ce fatal événement, leur domicilie, le nombre de leurs enfans ou des personnes à leurs charges, l’état de leur fortune, et dresser à cet effet procès verbal de ses opérations. L’administrateur du directoire du district d’Orléans, soussigné s’est transporté en la ditte commune de Jargeau, où étant arrivé, je me suis rendu en la chambre commune ou j’ai trouvé le conseil général assemblé conformément a la délibération cy dessus dattée en la lettre d’invitation qui leur a été, à l’avance, envoyés, auquel j’ai présenté les pouvoirs qui m’étoient délégués que j’ai déposé sur le bureau, et dont j’ai demandé l’enregistrement et l’execution ce qui a été fait sur le champ et après avoir été sur le lieu du nauffrage, accompagné des officiers municipaux et avoir appellé auprès de moy tous les citoyens qui en avoient connois-sance pour avoir été présent lorsqu’il est arrivé, ensembles ceux qui ont apportés des secours aux malheureux naufragés, j’ai recueilly les faits et les circonstances de cet accident ainsy qu’il suit. Sur ma demande la municipalité m’a exibé d’un arrêté qu’elle a pris le 23 vendémiaire dernier portant déffenses à qui que ce soit de ne point établir de passage au dessus du pont et de ne point surcharger les barques, elle m’a pareillement exibé un réquisitoire au commandant de la garde nationale en datte du 24 du mois dernier, pour tenir une garde suffisante les 27 et 28 à l’effet d’entretenir l’ordre dans la foire et surveiller l’exécution de l’arrêté cy dessus datté. Néanmoins malgré ces mesures sages, trois mariniers, sçavoir Antoine Fleury, et les deux enfans de Jean Fleury, âgés de 14 et 15 ans, ont pris une petite toüe qu’ils ont conduit au dessus du pont et au dessus du port a guichet, ils y ont établis un passage le jour de la foire et ont choisis pour l’abordage l’endroit le plus dangereux par la rapidité et la profondeur de l’eau, le passage a été assez heureux pendant une partie de la journée, mais non sans danger, puisque les citoyens Vincent Brinon et Joseph Bonsin, mariniers connoissant parfaitement l’endroit du passage et le malheur qui pouvoit en résulter, si on continuoit d’y passer en prévenant le dit Antoine Fleury, et qu’il 48 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE devoit passer ailleurs ou cesser de passer, puisqu’il n’étoit point le passeur ordinaire, lequel malgré ces représentations a continué. L’agent national de la commune auquel cette dénonciation a été faite, a été par moy requis de le faire passer sur le champ au juge de paix du canton de Jargeau, lequel ayant été invité de passer à la chambre commune, elle lui a été remise et dans le même moment il a été lancé un mandat d’arrêt contre le citoyen Antoine Fleury. Je l’ai engagé de faire toutes les poursuites nécés-saires contre ce citoyen qui d’un coté étoit en contravention à l’arrêté de la municipalité, et étoit l’autheur du naufrage par son opiniâtreté à voulloir passer dans un endroit qu’il connoissoit et lui avoit été annoncé être dangereux. Sur les deux heures et demie du soir, les citoyens éloignés désirant se retirer, arrivèrent en grand nombre à ce passage, la barque s’emplit, le grand nombre d’individus, joints avec un mat et une voile d’une force au delà de la grandeur de cette barque lui occasionne une surcharge, le danger croissoit, quelques personnes sortent de la barque, il en reste quarante à quarante cinq, nombre encore beaucoup au delà de ce qu’elle devoit supporter. Un chapeau tombe à l’eau, on se jette du côté de la barque où il couloit, la masse ou plutôt le poids ayant failly la faire tourner, aussitôt la terreur s’empare des esprits et croyant la rapeller à son équilibre, on se précipite du côté oposé, l’action et le poids tout ensemble font que la barque fait eau, tourne et ceux qui la chargeoient sont précipités dans les flots à plus de dix pieds de profondeur, J’observe que la barque n’étoit pas encore poussée hors, ce qui annonce la profondeur de l’eau et le danger du passage. Le citoyen Louis Pisseau, fils, tonnelier à Jargeau, spectateur de ce malheur, bravant le danger où il alloit s’exposer et ne connoissant que celui où se trouvoit ses frères, se rend avec rapidité vers sa toüe, se précipite au bas des remparts ayant douze pieds de hauteur, monte dans sa petite barque, la lance à l’eau, atteind une victime d’une main, de l’autre il en saisit une autre qui se présente dans cet instant, une femme lui tend les bras, il réunit les deux premiers submergés dans la même main, les retient par leurs habits suspendus sur l’eau, tandis que de son autre main libre, il arrache cette femme des flots, au même instant il apper-çoit un enfant attaché à ses jupes, mais ne perdant tête ny courage, avec ses dents, il la retient par ses habits, tandis que de sa main devenue libre une seconde fois, il tire l’enfant qu’il dépose dans sa barque et successivement les trois autres personnes qui par son activité, son courage et son intrépidité se trouvent arraché à une mort certaine. Déjà heureux d’avoir réussi au delà de son attente, il continüe et parvient encore à en sauver deux autres. Les autres citoyens qui se sont les plus distingués dans ce malheureux événement, sont les citoyens Joseph Desbois, Nicolas Bouard, Étienne François Chambole qui de leur côté ont sauvés neuf à dix personnes. Mais on ne doit point oublier les trois officiers de santé de la commune de Jargeau qui ont donné tous leurs soins pour secourir celles des malheureuses victimes tirées de l’eau, nottament le citoyen Pichet qui seul, par un zèle incalculable, et par les peines extraordinaires qu’il s’est donné, est parvenu à en rapeller trois à la vie qu’ils sembloient avoir perdus. On ne doit poin aussy oublier quelques citoyens de Jargeau dont l’humanité s’est montrée à l’envie qui indépendament des soins qu’ils ont procurés dans cette affaire, ont donné leurs habits, leurs linges et leurs lits pour soulager les malheureux submergés. D’après ce tableau qui m’a été fourni par la municipalité, il résulte que sur quarente à qua-rente cinq personnes, il s’en trouve vingt de morts dont quatorze tirés de l’eau et reconnus par leurs parents auxquels la municipalité a remis leurs effets et six qui sont encore engloutis, enfin d’après les informations que j’ai prises, s’il y eut eû plus d’ordre et plus d’ensembles il eut été facile d’en rappeller à la vie un plus grand nombre; les noms de ces vingt personnes, leur état, leur domicilie, leur fortune, le nombre de leur famille est consigné dans l’état qu’en a dressé la municipalité de Jargeau, par les renseignemens qu’elle en a pris lequel demeure annexé au présent pour y avoir recours, après avoir été certifié véritable par le maire, l’agent national et le secrétaire de cette municipalité ce jourd’hui. Dont et de tous ce que dessus, j’ai administrateur commissaire, fait et dressé le présent procès verbal, les jours et an cy dessus pour être remis à l’administration du district, signé Lambert. Vous voyez, en 1er lieu que ce nauffrage est arrivé par la surcharge de la barque par le lieu du passage choisy par les mariniers qui presen-toit à l’abordage, par la profondeur et la rapidité de l’eau, un danger imminent. 2. Que le princippal batellier prévenu, s’est moqué de cet avertissement et a continué d’embarquer en ce lieu et d’y passer jusqu’au moment ou l’accident est arrivé ce qui ne fut certainement point arrivé si le commandant de la garde national et la municipalité eussent fait leur devoir; vous y voyez que l’agent national de la commune auquel cette dénonciation avoit été faite n’avoit encore pris aucune mesure contre ce particulier autheur de ce délit, que c’est d’après mon engagement que cet agent a remis cette dénonciation en mains du juge de paix de Jargeau qui a sur le champ pris des mesures convenables pour le faire arrêter et poursuivre. Vous voyez le nombre des individus qui en ont été victimes qui s’élève à vingt. Vous y voyez enfin le trait de force, de courage et d’heroisme exemplaire du citoyen Louis Pisseau, domicillier de Jargeau qui mérite à tout égard vos éloges et celles de la france entière qui seul a sauvé dix personnes dont quatre en même temps. Les citoyens Joseph Desbois, Nicolas Bouard, Étienne François Chambolle qui de leur côté en ont sauvé neuf à dix et particulièrement le citoyen Pichet, officier de santé, qui en a arraché trois à la mort qui sembloit les avoir atteint, mérittent aussi d’être connus pour leur courage SÉANCE DU 19 BRUMAIRE AN III (9 NOVEMBRE 1794) - N°s 49-50 49 et leur humanité, mais si vous avez vû des traits d’humanité envers ceux qui ont été sauvés du nauffrage pas moins sensibles et moins humains. Vous devez, de votre côté, porter vos regards sur les malheureuses familles de ceux qui en ont été les victimes et solliciter les secours envers celles indigentes et qui vous sont désignés par la municipalité de Jargeau et comme le tableau qu’elle présente ne donne pas de ren-seignemens à suffire vous devés prendre des informations dans le lieu du domicilie de quelques uns d’eux qui s’y trouvent indiqués seullement, en conséquence, je vous propose les dispositions suivantes. Oui le rapport et l’agent national, le conseil arrête ce qui suit : Art. 1er Les opérations du citoyen Lambert, son commissaire à Jargeau sont approuvés. Art. 2. Le procès verbal qu’il en a dressé le 1er de ce mois et le tableau y annexé contenant le nombre des individus noyés, leur état, leur domicilie, leurs fortunes et le nombre de leur famille, délivrés et certifiés véritable par la municipalité de Jargeau seront transcrites sur le registre des délibérations du conseil. Art. 3. L’extrait des traits de bravoure et de générosité des citoyens y dénommés leur sera envoyés individuellement avec copie du présent arrêté et ce président sera chargé de leur écrire une lettre de félicitation au nom de l’administration. Art. 4. Copie entière du procès verbal et du tableau de la municipalité de Jargeau, ensemble copie du présent seront envoyés à la commission des secours publics qui sera engagé de solliciter de la Convention nationale les secours qui sont dües aux malheureuses familles de ces victimes nauflfragés. Art. 5. Il sera écrit à la commune de Fay pour avoir des renseignemens sur la fortune de la famille des citoyens, Jean Boulmier, Florent Bouin, du nommé Marc et Sauves qui étoient domicilliés de cette commune, a celle d’Orléans pour connoitre l’état de la fortune de Pierre Lantier et celle de Jean de Braye, pour connoitre la fortune de Pierre Lalier qui y est domicillié de cette commune et à celle de Checy pour connoitre l’état de fortune et la famille d’Evrain Cordier qui y étoit domicillié, enfin à celle de Combleux pour connoitre la fortune de la famille de Marie Anne Sablon femme de Simon Battetoire. Art. 6. Le trait de courage du citoyen Pis-seau sera transcrit en son entier envoyé à l’impression pour être imprimé en gros caractère avec la mention honorable sur le registre des délibérations et envoyé à la commune de Jargeau, pour être affiché dans la salle de ses séances et dans celle de la société populaire, il en sera en outre envoyé un exemplaire à toutes les communes et les sociétés populaires de ce ressort pour être pareillement affiché dans le lieu de leurs séances, il en sera pareillement envoyé copie au comité d’instruction publique de la Convention nationale. Art. 7. Copie du dit procès verbal et du présent arreté seront envoyés à la municipalité de Jargeau qui seront chargés d’en faire lecture à la séance publique du conseil général décady prochain. Art. 8. Enfin il en sera pareillement envoyé copie au représentant du peuple Brival étant en mission dans le département du Loiret. Pour extrait. Désir, secrétaire du district d’Orléans. [Les citoyens de la commune de Jargeau à la Convention nationale, le 7 brumaire an IIT\ (120) Représentans du Peuple, Un événement affreux vient de jetter la consternation parmy nous. Le 28 vendémiaire etoit jour de foire à Jargeau, beaucoup de citoiens des divers districts d’Orléans y sont accourus, plusieurs y ont trouvé la mort. Il falloit passer la Loire par bat-teau. Elle étoit grosse, une barque qui conte-noit 50 personnes a été submergée, des secours en tout genre ont été donnés, ils ont rappellés à la vie, 30 citoiens, la pluspart cultivateurs et peres de famille mais 20 ont péry... Peignez vous la situation de 20 mille spectateurs, des peres, des meres, des enfans, des amis de ces victimes de la fureur des eaux et frémissez. Nous le répétons, 30 individus ont été sauvés par le zèle, l’intelligence et même l’intrépidité de tout le monde à faire son devoir mais nous ne pouvons passer sous silence un trait particullier. Louis Pisseau, tonnelier à Jargeau, âgé de 35 ans, pere de famille accourt au bruit de l’accident, il saute dans un batelet, suivy d’un marinier, s’abbandonne au gré des eaux, sans gouvernail, ny autre instrument qui puisse diriger sa marche. Il arrive aux submergés, l’effroy s’empare du marinier et annule ses facultés. Pisseau seul saisit 2 femmes, les réunit et les soutient, avec une main, il en peche une 3e qui lui tendoit les bras et s’en assure en la retenant avec ses dents par son corset, pour tirer de l’eau une 4e qui est proche, mais ses forces ne repondent pas à son courage. A peine peut-il déposer dans le batteau les 3 premières, il fait cependant et ces malheureuses échapent à la mort ainsy que l’enfant de l’une d’elles, trouvé attaché aux habits de sa mere. Pisseau continue et sauve encore plusieurs victimes. La municipalité se fait rendre compte de la conduite de Pisseau, ce citoyen le fait avec modestie et tellement qu’on doute qu’il croye avoir fait une belle action. Citoyens representans, ce malheur est une suite de la chute du pont de Jargeau, dont nous vous demandons le rétablissement. Le triste récit que vous venez d’entendre suffiroit pour vous déterminer, mais qu’il nous soit permis de vous exposer tous les maux (120) C 325, pl. 1413, p. 15. Mention marginale de la main de Brival, demandant le renvoi de l’adresse aux administrations de district et de département pour avis. 50 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’ont souffert depuis cinq ans, les habitans de ces contrées. La débâcle de la Loire du 22 janvier 1789 emporte une arcade du pont. Les habitans ne veulent pas pour le moment en demander la réparation, pressés du besoin de communiquer de l’autre coté de la Loire. Ils placent des echelles de 60 pieds aux deux parties opposées de la breche et avec ce moyen dangereux rétablissent la communiquation. L’elevation des eaux survient et leur enleve au bout des 6 mois, cette ressource. Ils font jetter sur la breche à leurs frais un pont de bois provisoire. Le débordement du 14 novembre 1790 vient détruire ce pont de bois et quatre autres arcades du pont; ce n’est pas tout. Il inonde dans l’étendue de 2 lieues, 10 lieues d’un pays vignoble et bien cultivé, renverse les habitations et entraine avec luy bestiaux et effets et ensable les terres qu’il rend stériles. A peine les eaux sont retirées qu’une crue prodigieuse survenue un mois renouvelle les mêmes dévastations. Tous ces malheurs ruinèrent le pays, peuplé de vignerons et d’artisans. Ceux la ne trouvent plus dans le produit de leurs vignes, déjà détériorées par deux gelées d’hivers, le dedo-magement de leurs pénibles travaux et de leurs avances. Ceux-cy ont les bras paralisés par la misere des premiers et la cessation du commerce. Si le pont de Jargeau n’étoit necessaire qu’aux communes riveraines de la Loire, peut-être, citoyens representans, hésiteriez vous à en ordonner les réparations. Mais si nous vous démontrons que son existence est d’une nécessité générale, qu’elle s’étend à plusieurs departemens et même a Paris. Vous ne balancerez pas et vous nous accorderez notre juste demande. Oui, Citoyens Représentans, ce pont est d’une nécessité générale. Il étoit le passage presque unique des bestiaux de toutes especes dont alloient s’approvisionner dans les ci-devant provinces du Berry, de la Marche, du Limousin et du Bourbonnais, les marchands du Gatinois et de la Beauce, et plus particulièrement ceux qui fréquentent les marchés de Sceaux et de Poissy. Et cela parce que ce passage etoit le plus direct, que les routes sont plus belles que par Beaugency et Gien, par ou, ils passent aujourd’hui, et la nourriture des animaux moins chere et plus abondante. Ils preferoient ce passage même a celui d’Orléans qui a l’inconvénient de leur faire parcourir 40 lieux de chaussée pavée qui agrave les bestiaux, les fatiguant et en fait rester en route et de plus par la fréquence des charrois de la poste, expose sans cesse les hommes et les bestiaux a être écrasés sans pouvoir avoir les ressources des accotements du pavé, qui sont impraticables par les tems humides. Et qu’on ne vienne pas crier à la fausseté, à l’exa-geration ! Consultés, citoiens représentans, consultés les administrateurs des districts d’Orléans, Neuville, Pithiviers, Boiscommun, et celles du département de Seine-et-Mame, elles vous attesteront nos sentimens, que tous ces faits sont frappés au coin de la vérité, mais encore que malgré l’incommodité et les dangers du passage par batteau, beaucoup d’approvi-sionnens pour Paris fréquentent encore ce passage. Sous un autre rapport la nécessité du pont de Jargeau regarde encore Paris. Tous le monde scait que le marché de Jargeau etoit le plus considérable de la ci devant province d’Orlean-nois, qu’il y arrivoit une quantité presque incroyable de bestiaux, de gibier, volaille, de beurre et oeufs, que des gens de la partie du nord de la Loire, venoient acheter et alloient revendre dans les marchés de Paris. Cette ressource est enlevé à Paris depuis la chute du pont qui a entraîné celle du marché de Jargeau. L’existence du pont de Jargeau est economique pour l’entretien des grandes chaussées que le passage fréquent des bestiaux endomage considérablement. Son existence est necessaire a la conservation du beau pont d’Orléans qui sans celui de Jargeau, construit en avant de 6 lieues sur un terrein solide, auroit à recevoir le choc de 20 lieues de glace depuis Gien, tandis qu’elles viennent se briser contre le pont de Jargeau et ne présentent plus à celui d’Orléans qu’une secousse presque nulle. Enfin son existence est si necessaire que l’ancien gouvernement en a toujours ainsy jugé. Ce pont fut rompu lors des guerres civiles en 1652 par les ordres de Turenne, qui empêcha, par ce moyen le passage du parti de Condé et sauva l’armée royaliste qui étoit dans la Sologne, il fut rétabli à la paix. Il fut rompu en 1699, les trésors du tyran Louis XIV etoient épuisés par la coalition de l’Europe contre son extreme ambition et cependant 3 grandes arcades furent construites en 1702. En 1733 une crue enleva 2 arcades. Les plaies de l’État etoient encore augmentées et cependant le gouvernement fit jetter un pont de bois sur la brèche. En 1740, 1755 et 1767 il arriva de nouvelles chutes et encore des reconstructions furent ordonnées et promptement exécutées. Qu’elles preuves plus convainquantes pouvons nous vous offrir, citoiens representans de la nécessité du pont de Jargeau, que les soins qu’a pris dans tous les tems le gouvernement de nos tyrans de le faire rétablir! Ce qu’on obtenoit facilement d’un gouvernement despotique de cet odieux gouvernement qui avoit toujours soif de l’or du peuple, nous ne l’obtiendrons pas d’un gouvernement sage et populaire! Cette idée ne peut entrer dans nos coeurs, nous craindrions de vous faire injure. Cependant nous devons vous l’avouer, Citoyens representans, la commune de Jargeau vous a présenté une semblable pétition il y a 6 mois. Votre commission des travaux publics l’avoit accueillie, mais les ingénieurs du département ont donné un avis défavorable, fondé sur ce que l’execution presentoit une dépense de 7 à 800 000, nous ne pouvons croire que cette dépense s’élevât si haut, lorsque nous considérons qu’il existe sur place la pierre SÉANCE DU 19 BRUMAIRE AN III (9 NOVEMBRE 1794) - Nos 49-50 51 necessaire et nous ne demandons qu’un reconstruction en bois. Mais cela fut-il vrai, mettrez vous dans la balance, citoiens representans, quelques centaines de mille francs, avec la vie des hommes sans cesse en danger avec la nécessité de raviver les moyens d’approvisionnens de Paris et de plusieurs departemens et de rendre au commerce et à l’agriculture, que vous protégez, tous ce qu’ils ont perdu par nos malheurs. C’est ce que nous ne pouvons imaginer. Vous vous empresserez donc, citoyens representans de venir a notre secours, et si par impossibilité il en etoit autrement, nous dirions dans nos plaintes et nos gémissements, la Convention nationale a encore été une fois trompée... mais nous n’en resterions pas moins unis à elle, à elle seule ; et nous répéterions et d’esprit et de coeur nos serments d’etre invio-lablement attachés à la vie et à la mort a la République, une et indivisible. Suivent les [140] noms de ceux qui ne sça-vent signer. Galland, maire et 83 autres signatures. Les habitans de la commune de Denis-sur-Loire [Saint-Denis-de-l’Hôtel], ci après nommés et soussignés qui ont pris communication de l’adresse des autres parts, se joignent à ceux de la commune de Jargeau et comme eux demandent le rétablissement du pont pour les raisons cy devant dites. Suivent les [58] noms de ceux qui ne sça-vent signer. Suivent 35 signatures. Vû la présente pétition, le renvoi du représentant du peuple Brival, le rapport fait à l’administration par de ses membres sur les événemens affreux qui ont eu lieu dans la commune de Jargeau et l’arrêté qu’elle a prise à cet égard dans sa séance du 4 présent mois. Le conseil du district, ouï l’agent national, certifie tous les faits consignés dans cette pétition, recommande à la bienfaisance de la Convention nationale les parens des malheureuses victimes qui ont péri dans cette circonstance, ainsi que les braves républicains qui ont donné les preuves les plus éclatantes de courage et d’humanité, et joint ses instances à celles des habitans de Jargeau relativement à la réedification indispensable et urgente pour le bien général. Par les administrateurs du district d’Orléans, le 7 brumaire de l’an 3e de l’ère républicaine. Désir, Lambert, et 5 autres signatures. Vû la présente pétition, le renvoi du représentant du peuple Brival, l’avis du directoire du district d’Orléans. Ouï le rapport, L’administration du département du Loiret, considérant que les motifs d’utilité générale sur lesquels les pétitionnaires, fondent leur demande, sont vrais. Que dans l’état où se trouvent les choses il est possible de donner aux arches à construire, assez d’ouverture, pour ne pas craindre le refoulement des eaux dans les crues de la Loire, l’inconvénient qui parent avoir fait écarter les précédentes réclamations relatives à cette réparation, estime que l’objet de la pétition est suceptible d’être favorablement accueillie. Fait à Orléans, en séance publique, le 7 brumaire 3e année républicaine. Tabonneau, Chamouillet, Bernard, Labbé, Bignon, secrétaire. [Extrait du procès-verbal du 1er brumaire de Van 3e et de la délibération du district d’Orléans, du 4 brumaire .) (121) Le citoyen Lambert a dit : Citoyens, par votre délibération du 29 du mois dernier, vous m’avez chargé de me rendre en la commune de Jargeau, à l’effet d’y recueillir les faits et circonstances du naufrage qui a eu lieu en cette commune sur la Loire le jour de la foire dernière ; je m’y suis rendu, le 1er du courant et je crois avoir rempli l’objet de ma mission et votre voeu. C’est ce que vous allez entendre par la lecture du procès-verbal que j’ai dressé sur les lieux. Faits qui concernent le citoyen Pisseau fils, tonnelier à Jargeau. Le citoyen Louis Pisseau, fils, tonnelier à Jargeau, spectateur du malheur arrivé à la foire de Jargeau, par le naufrage d’une des barques de son passage, dans laquelle il s’est trouvé environ quarante personnes de submergées, bravant le danger où se trouvoient ses frères, se rend avec intrépidité vers sa toue, se précipite au bas du rempart ayant douze pieds de hauteur, monte dans sa petite barque, la lance à l’eau, atteint une victime d’une main, de l’autre en saisit une autre qui se présente en cet instant; une femme lui tend les bras, il réunit les deux premiers submergés dans la même main, les retient par leurs habits suspendus sur l’eau, tandis que de son autre main libre il arrache cette femme des flots, au même instant il apperçoit un enfant attaché à ses jupes, mais ne perdant tête ni courage, avec ses dents il la retient pas ses habits, tandis que de sa main devenue une seconde fois libre, il tire l’enfant qu’il déposé dans la barque, et successivement les trois autres personnes qui par son activité, son courage et son intrépidité se trouvent arrachées à une mort certaine : déjà heureux d’avoir réussi au-delà de son attente, il continue et parvient encore à en sauver deux autres. Faits qui concernent les citoyens Joseph Desbois, Nicolas Bouard et Étienne François Cham-bolle, domiciliés à Jargeau. Dans ce malheureux événement, les citoyens qui se sont distingués le plus sont les citoyens (121) C 325, pl. 1413, p. 16. Pièce imprimée. 52 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Joseph Desbois, Nicolas Bouard, et Étienne François Chambolle qui de leur côté ont sauvé neuf à dix personnes du naufrage. Faits qui concernent les trois officiers de santé de Jargeau. Dans ce funeste accident on ne doit point aussi publier les trois officiers de santé de la commune de Jargeau, qui ont donné tous leurs soins pour secourir les malheureuses victimes tirées de l’eau, notemment le citoyen Pichet qui seul par un zèle incalculable et la peine extraordinaire qu’il s’est donné est parvenu à en rappeler trois à la vie qu’ils sembloient avoir perdu. Extrait de la délibération ci-dessus datée. Art. VI. Le trait de courage du citoyen Pis-seau sera transcrit en son entier, envoyé à l’impression pour être imprimé en gros caractères, avec la mention honorable sur le registre des délibérations et envoyé à la commune de Jargeau pour être affiché dans la salle de ses séances et dans celle de la société populaire, il en sera en outre envoyé un exemplaire à toutes les communes et sociétés populaires de ce ressort, pour être pareillement affiché dans le lieu de leurs séances, il en sera pareillement envoyé copie au comité d’instruction publique de la Convention nationale. Art. VII. Copie dudit procès-verbal et du présent arrêté seront envoyés à la municipalité de Jargeau qui sera chargé d’en faire lecture à la séance publique de son conseil général décadi prochain. Art. VIII. Enfin il en sera pareillement envoyé copie au représentant du peuple Brival étant en mission dans le département du Loiret. Pour extrait Désir, secrétaire du district d’Orléans. [Extrait du procès-verbal de la séance de la société populaire et révolutionnaire d’Orléans, le 14 brumaire an III\ (122) Présidence du citoyen Chamouillet. Le secrétaire du comité de correspondance donne lecture d’une lettre des administrateurs du district d’Orléans, en datte du 7 de ce mois et de l’extrait du procès-verbal du 1er de ce mois et de la délibération des dits administrateurs, le tout relatif au submergement d’une des barques du passage sur la Loire, arrivé à Jargeau le 28 vendémiaire, jour de la foire; par lesquels extraits, il parroit que les citoyens Joseph Desbois, Nicolas Bouard et Étienne-François Chambolle, se sont distingués en sauvant du naufrage neuf à dix personnes, que les trois officiers de santé de Jargeau et particulièrement le citoyen Pichet qui lui seul est parvenu à en rappeler trois à la vie, ont montré un zèle incalculable et prodigué leurs peines pour le soulagement des victimes malheureuses de ce triste événement ; et que surtout le citoyen Pisseau, fils, tonnelier a Jargeau, méprisant en républicain les dangers et la mort, a sauvé deux femmes, un enfant et deux autres personnes. Le récit de ces actions héroiques, bienfaisantes, a vivement pénétré la société qui en gémissant sur ce fatal accident, a trouvé une douce satisfaction, en entendant le récit de tant de traits qui honnorent l’humanité et la patrie. Sur la motion d’un membre, d’un mouvement spontané, la société a arrêté qu’il seroit écrit au citoyen Pisseau que copie du procès-verbal lui seroit envoyée et qu’il y seroit joint une branche de chêne, comme ayant bien mérité de ses concitoyens, dans la journée du 28 vendémiaire en sauvant cinq citoyens. Le citoyen Brival, réprésentant du peuple dans ce département a dit : les actions vertueuses et républicaines ne doivent pas rester sans récompenses; en conséquent demain je ferai passer la lettre et l’extrait du procès-verbal de la. société populaire d’Orléans au dit citoyen Pisseau ; j’y joindrai une somme de six cents livres ; et enfin pour que ce fait honorable ne tombe pas dans l’oubli, je le ferai passer au comité d’instruction publique de la Convention nationale pour être inséré dans le Bulletin. Les transports, les applaudissements de l’assemblée, ont souvent interrompu cette discu-tion interressante ; et la société a surtout applaudi à la sensibilité et à la justice du citoyen représentant. Pour copie conforme. Bartré. (122) C 325, pl. 1413, p. 12.