[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] 459 de conserver des connaissances acquises sur plusieurs affaires importantes, dont de nouveaux commissaires ne pourraient s’occuper qu’avec lenteur, suite nécessaire du changement. (On rit dans une partie de la salle .) Vous riez, Messieurs, a dit l’orateur, mais on répond difficilement quand on a peur : Qui male agit , odit lucem. M. le marquis de Foucauld-liardinaïie. Parlez français, cela vaudra mieux. Un membre a proposé de reprendre la motion faite dans une séance antérieure pour adjoindre quatre commissaires au comité des recherches et les charger de surveiller les poursuites qui doivent se faire au Châtelet. M. Dnfralsse-Bluchey. Je m’oppose à la continuation des pouvoirs du comité. On nous parle sans cesse de conspiration sans nous donner la moindre preuve. Ce mot vague semble n’être qu’un moyen pour maintenir en fonctions ceux qui veulent égarer le peuple. Le rapporteur nous a entretenus de bruits populaires qui ne méritent aucune créance, mais il n’a rien dit d’une descente qu’il a faite dans le couvent de l’Annonciade de Paris. M. Malouet. 11 est bien fâcheux d’être obligé d’emprunter les formes du despotisme pour en anéantir les ‘traces. -—Après cet exorde, M. Malouet parle de la descente nocturne faite dans le couvent de l’Ànnonciade par quelques membres du comité. Il ne croit pas que les membres du Corps législatif puissent descendre à ces fonctions su» baiternes sans compromettre leur caractère ; il ajoute qu’il aurait mieux valu s’occuper des moyens de porter remède aux émeutes populaires et il demande que le comité soit tenu de rendre compte à l’Assemblée des motifs de la descente dans le couvent, ainsi que des suites qu’elle a eues et des indices qu’elle a fournis. M. Goupil de Préfeln. Vous venez d’en tendre un ami généreux de la liberté faire des questions à votre comité. Je dois, comme en étant membre, satisfaire à sa sollicitude. Le comité de police de Paris a cru devoir ordonner des recherches dans ce couvent, parce qu’on disait qu’un personnage très-connu y était caché ; c’était sans doute une erreur, mais ce qu’il y a de certain c’est que cette descente s’est faite avec toutes les règles de la prudence et de la circonspection. Pour ce qui regarde les émeutes populaires, le comité remettra aux nouveaux commissaires les pièces qui pourront les instruire, et surtout celles de l’affaire du Cambrésis, dont le foyer n’est pas éloigné de la capitale. On voudrait nous forcer à faire connaître les canaux par lesquels certains faits nous sont parvenus, mais ce serait donner aux coupables les moyens d’arrêter le complément des preuves. M. Glezen, membre du comité. Vous connaissez les propos sinistres pour transférer le Roi à Metz. M. Augeard, à la confrontation d’un plan tracé de sa main, s’est justifié en disant que c’était le produit d’une imagination exaltée ; dans la correspondance d’un personnage important il existe une lettre écrite par un généreux ami de la liberté. Je ne veux inculper personne, mais l’esprit dans lequel cette lettre est écrite et la personne à qui elle est adressée semblent désigner quelque chose : il y est parlé des membres de l’Assemblée qui sont de mauvais citoyens et qu’on accuse d’être les auteurs des malheurs publics. (A ces mots, M. Malouet s’élance à la tribune. -Un grand tumulte se fait dans l’Assemblée. — Le désordre est indescriptible. — Pendant ce temps M. Malouet va se placer à la barre pour se justifier ; cette démarche est fort applaudie , mais M. le président lui dit de remonter à la tribune.) M. Malouet. J’offre de me constituer sur-le-champ prisonnier si je suis reconnu coupable; mais je croyais que 30 ans d’une vie sans reproche me mettaient à l’abri de toute espèce d’accusation -, si ce n’est pas par méchanceté, c’est au moins par erreur que M. Glezen a rapproché une de mes lettres de l’affaire de M. Augeard, qui lui est étrangère. On m’accusa de même, il y a vingt ans, sur une lettre interceptée. J’ai été pleinement justifié. J’attends pour la lettre actuelle le même jugement et je réclame votre justice à raison de la grave inculpation que l’on me fait aujourd’hui. M. Glezen explique cette inculpation en disant que son récit ne portait aucune accusation contre M. Malouet, mais que sa lettre parlait de scélérats qui veulent répandre le feu dans le royaume, et que son contexte annonçait clairement que l’auteur avait voulu désigner des membres de l’Assemblée nationale. M. Malouet demande acte d’enquis sur le fait articulé contre lui que sa lettre contenait des indices de conspiration. M. Glezen prétend alors n’avoir dit autre chose, si ce n’est que la lettre avait été remise au comité à la suite des faits de conspiration qu’on prétend découvrir dans l’affaire de M. Augeard. Plusieurs membres réclament avec instance l’apport de la lettre de M. Malouet. L’Assemblée décide que la lettre sera produite et lue. Pendant qu’un des membres du comité va chercher la lettre, on met aux voix la continuation des pouvoirs du comité des recherches. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette proposition attendu que, dans la séance du matin, l’Assemblée a ordonné le renouvellement du comité et que plusieurs bureaux ont même fait leur élection. On apporte enfin la lettre de M. Malouet. Elle est écrite de Versailles, le 26 septembre dernier, et adressée à M. le comte d’Estaing. M. Gouttes fait lecture de cette lettre, qui est ainsi conçue : « Monsieur le comte, j’ai l’honneur de vous prévenir que le sieur Mascelin, marchand parfumeur, a dit hier à mon domestique que le premier usage que les bourgeois de Versailles devaient faire des dix mille fusils qu’ils allaient recevoir était de s’en servir contre les mauvais citoyens qui se trouvaient dans l’Assemblée nationale. M. Maury doit être la première victime. Gomme je suis aussi une des victimes désignées, j’ai cru devoir, monsieur le comte, vous dénoncer ce particulier pour arrêter les suites de cette fermentation, si elle existe... Il n’est que trop vrai qu’il existe parmi nous de mauvais citoyens, et je crains bien qu’ils ne viennent à bout de tout perdre... Votre vigilance et votre patriotisme peuvent nous garantir des attentats d’un complot qui nous préservera de la 170 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] banqueroute, de la disette et de la famine. » (La lecture de cette lettre est suivie de vifs applaudissements.) M. Malouet a parlé encore pour sa justification en demandant que la lettre fût insérée dans le procès-verbal comme une réparation authentique. — Il n’y a, dit-il, qu’esclavage et tyrannie où l’honneur n’accompagne pas la liberté. M. Diicjnesnoy appuie la demande de M. Malouet et fait la motion de supprimer le comité des recherches aussitôt que les affaires actuellement subsistantes seront terminées. M. Glezen, qui avait parlé de la lettré, a répondu aux inculpations de M. Malouet. Il s’est défendu par la discrétion que le comité a mise dans son premier rapport, par les instances qui lui ont été faites de s’expliquer davantage, par l’opinion que le comité s’en était formée. L’ajournement a été demandé. M. Malouet s’y est opposé ; puis il a déclaré consentir que l’affaire finît là, pourvu que son innocence fût reconnue. Un membre de l'Assemblée a fait la motion de prononcer que, ouï la lecture de la lettre, M. Malouet est honorablement déchargé de toute accusation. Un autre membre a proposé, par amendement, que le décret portât qu’il n’y a lieu à inculpation. La motion, ainsi amendée, a été mise aux voix ; avant de les recueillir, la question préalable a été demandée. Un membre, qui l’avait d’abord appuyée, l’a abandonnée ensuite. Les voix ont été prises sur Itfond, et l’Assemblée a porté le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir ouï la lecture de la lettre de M. Malouet, en date du 26 septembre dernier, déclare qu’il n’y a lieu à aucune inculpation. » L’Assemblée a été levée à près de minuit. ANNEXES à la séance de l'Assemblée nationale du 21 novembre 1789. PREMIÈRE ANNEXE. Mémoire sur les finances et sur le crédit, par M. le baron de Cormeré (imprimé par ordre de l’Assemblée nationale) adresse à l’Assemblée nationale , ou précis des éléments du plan général. Messeigneurs, livré depuis plus de vingt ans à l’étude de l’impôt, j’ai obtenu, par un travail pénible et suivi, quelques connaissances sur cette partie essentiellement liée à la prospérité de l’Etat. J’ai reconnu tous les vices du système de la fiscalité. ; j’ai senti combien il était incompatible avec l’ordre social, avec la prospérité de l’agriculture, du commerce, de l’industrie ; je me suis persuadé qu’un mode plus simple d’impositions présenterait des ressources beaucoup plus étendues, et procurant un soulagement sur la masse énorme des contributions, ferait cesser les vexations inhérentes à la perception. Dès lors, je me suis imposé l’obligation de travaillera la réforme de ces impôts ; j’ai pensé que c’était le plus sûr moyen d’acquitter la dette d’un vrai citoyen. Je ne me suis point dissimulé, Messeigneurs, les longueurs, les difficultés de cette entreprise : son succès était incertain; je ne me suis point découragé : j’ai toujours espéré qu’il viendrait un temps où le bonheur public fixerait l’attention du ministère; je n’osais alors me flatter de la convocation d’une Assemblée nationale, je ne pouvais avoir l’idée des nobles entreprises qu’elle formerait pour la prospérité de ses commettants ; que ces entreprises seraient encouragées par la bonté d’un souverain chéri, empressé de sanctionner les décrets des représentants de la nation. Il fallait, Messeigneurs, la réunion successive de ces circonstances, pour donner à la France cette nouvelle constitution qui rendra chère à la postérité la plus reculée, la mémoire de l’Assemblée nationale de 1789. 11 est bien digne des représentants de la nation de couronner cet ouvrage immortel par la destruction absolue du régime de la fiscalité. J’avais présenté mes idées à M. Necker dès 1778 : ce ministre gémissait sur le mode de l’impôt'; mais il n’était point investi de l’autorité des représentants de la nation ; il avait à craindre les préventions, les contrariétés des privilèges existants : les maux de la gabelle l’avaient particulièrement frappé ; il conçut l’idée de simplifier cet impôt, de le modérer, en respectant les franchises qui n’y étaient point assujetties ; ces vues étaient celles* d’un administrateur, ami du peuple et de l’humanité. Honoré de sa confiance pour la rédaction de ce plan de bienfaisance, je ne négligeai rien pour y répondre : mais quelque juste, quelque simple que fût ce projet, je ne fus point surpris de son irréussite; je connaissais par l’expérience l’invincible horreur de plusieurs provinces, de la Bretagne surtout, pour tout ce qui pourrait avoir quelque similitude avec l’impôt de la gabelle. Ce fut après la confection du travail sur l’impôt du sel que M. Necker voulut bien me confier celui qui concernait le plan de réforme des traités : ce ministre savait combien cette partie était essentielle sous tous les rapports. Inutilement, depuis près de deux siècles, le commerce et l’industrie sollicitaient l’abolition des droits intérieurs, l’uniformité des perceptions sur les relations de la France avec l’étranger, la facilité des exportations : inutilement cette entreprise avait été tentée; M. Trudaine avait échoué; la ferme générale avait perpétué cette foule de perceptions immorales, bizarres, et preuves vivantes du danger qu’il y a de consulter , en fait d’impôt, le génie de la fiscalité. Ces difficultés ne m’ont point rebuté : soutenu par M. Necker, encouragé par ses successeurs, je m’étais ilatté que cette opération importante serait consommée par l’Assemblée des notables de 1787 : les objections étaient résolues; le travail était achevé : s’il n’était point parfait, si le tarif était rédigé dans la vue de ne point compromettre trop essentiellement les produits, j’avais au moins cherché tous les moyens praticables de venir au secours du commerce intérieur : il eût été facile de perfectionner l’opération. Le traité de commerce avec l’Angleterre la rendait indispensable ; la ferme a trouvé le secret de la différer, et ce retard, l’inexécution des conditions sous la loi desquelles le traité de corn-