424 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791.] qui existeront à (ladite époque et d’acquitter les droits dus sur les parties qui auront été consommées ou vendues ». (Ce projet de décret est adopté.) M. d’Estourmel. Le département du Pas-de-Calais est dans le même cas ; je demande que cet article lui soit commun et que ce département soit assimilé, quant aux droits sur les boissons, au département du Nord. (L’Assemblée renvoie cette proposition au comité des contributions publiques.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur la résidence des fonctionnaires publics (1). De la résidence des fonctionnaires publics. Art. 1er. « Les fonctionnaires publics sont tenus de résider pendant toute la durée de leurs fonctions, dans les lieux où ils les exercent, s’ils n’en sont dispensés pour causes approuvées. » M. Eoucault-Eardfmalie. Je commence par faire un amendement. De crainte qu’on ne donne trop de latitude à l’expression de fonctionnaire public, je demande qu’on mette dans l’article « les fonctionnaires publics ordinaires » ; et voici mon motif: au lieu d’appeler le roi tout simplement le roi, on l’appelle un fonctionnaire public ; or je prétends que ce n’est pas un fonctionnaire public ordinaire. (Murmures.) M. de Montlosîer. Je demande à faire un sous-amendement. M. Thouret, en vous proposant de déclarer que tous les fonctionnaires publics sont tenus de résider dans le lieu de leurs fonctions, veut induire l’Assemblée à cet autre principe, qui est que le roi, qu’il a pareillement déclaré premier fonctionnaire public, doit être également tenu de résider dans le lieu de ses fonctions. Je demande, par sous-amendement, que, pour ôter toute équivoque, le titre de loi soit ainsi conçu : De la résidence des fonctionnaires publics ordinaires. Plusieurs membres : La question préalable ! M. Duval d’Eprémesnil. Je demande la parole pour ma seconde motion d’ordre ; j’avais promis de la présenter dans la séance de samedi, et je ne l’ai pas fait. Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. de Montlosîer. Je change moD amendement, et je demande que le titre porte : « Des fonctionnaires publics responsables » ; alors plus d’équivoque. M. Thouret, rapporteur. Je conçois l’inquiétude des préopinants. J’ai déjà eu l’avantage de la calmer dans la séance de samedi; j’espère le faire encore. En déclarant que les fonctionnaires publics sont tenus à la résidence, ce n’est pas déclarer que la conséquence du principe est applicable au roi. Je demande donc qu’on décrète une chose qui ne souffre pas de difficultés et qui (1) Voyez ci-dessus, séance du 26 mars 1791, page 390, le commencement de cette discussion. ne préjuge en rien la disposition spéciale relative au roi. M. Duval d’Eprémesnil. Comme je suppose que l'explication donnée par M. le rapporteur est faite de bonne foi, je n’insiste pas, pour le moment, sur la seconde motion d’orare que j’avais à proposer avant-hier. M. de Montlosier. Je demande que l’explication deM. Thouret soit mise dans le procès-verbal. (Murmures prolongés.) (L’Assemblée déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les amendements et décrète l’article 1er.) M. Thouret, rapporteur , donne lecture de l’article 2, ainsi conçu : Art. 2. « Les causes ne pourront être approuvées, et les dispenses leur être accordées que par le corps dont ils sont membres, ou par leurs supérieurs, s’ils ne tiennent pas à un corps, ou par les directoires administratifs, dans les cas spécifiés par la loi. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur. Nous passons maintenant aux dispositions concernant le roi. L’ar-(icle 8 du projet ayant une connexité parfaite avec l’article 3, je vous demanderai de délibérer à la fois sur ces 2 articles qui sont ainsi conçus : « Art. 3. Le roi, premier fonctionnaire public, doit avoir sa résidence à portée de l’Assemblée nationale, lorsqu’elle est réunie; et, lorsqu’elle est séparée, le roi peut résider dans toute autre partie du royaume. « Art. 8. Si le roi sortait du royaume, et si, après avoir été invité par une proclamation du corps législatif, il ne rentrait pas en France, il serait censé avoir abdiqué la royauté. » M. Duval d’Eprcntesnil. Ma question d’ordre ! J’établis ma proposition : c’est que M. le rapporteur ne peut pas entamer un discours qui tendrait à justifier ces articles et que l’Assemblée ne doit pas l’entendre. M. Thouret, rapporteur. Au nom du comité, je demande la parole. M. Duval d Eprémesnil. Ma question d’ordre, monsieur le Président ! M. Thouret, rapporteur. Le comité a la parole de droit pour expliquer ce qu’il propose. M. de Cazalès. L’Assemblée ne peut pas s’occuper de cet objet. M. Thouret, rapporteur. 11 y a un décret qui l’ordonne. Un grand nombre de membres : Il y a un décret ! M. de Cazalès. Il s’agit de tâcher d’établir que l’Assemblée ne peut pas délibérer sur les 2 articles qui vous sont soumis; je demande donc la question préalable. Si elle est adoptée, on n’aura point ouvert la discussion ; si, au contraire, l’Assemblée décidait qu’il y a lieu à délibérer, je déclare que moi et beaucoup d’autres, pour ne pas être coupa- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» (28 mars 1791.] blés envers le roi et envers la nation, nous ne prendrons pas part à la délibération et nous nous retirerons. ( Applaudissements .) Plusieurs membres : Allez ! allez ! M. Thouret, rapporteur. La question préalable ne peut être mise aux voix sans que le comité soit entendu. M. le Président. La question d’ordre de M. d’Eprémesnil... Plusieurs membres : Il est en démence 1 M. Thouret, rapporteur . Je demande avant tout à motiver les deux articles. Un grand nombre de membres : Parlez ! parlez ! M-Thouret, rapporteur. La question que nous agitons ne doit pas être traitée avec cet enthousiasme de commande, qui met des élans étudiés à la place de la franche et simple raison. Que nos esprits soient calmes et notre méditation impartiale : nous reconnaîtrons bientôt que le problème dont on présente la solution comme si délicate et si épineuse n’offre pas une difficulté réelle. Loin de nous tout projet odieux d’avilir la majesté du trône et de dénaturer la royauté. (Murmures à droite.) Elle est une pierre angulaire de la Constitution et une des garanties de la liberté nationale. Qui de nous, indigne des fonctions qu’il remplit ici, pourrait n’être pas fidèle au roi? Cette fidélité, commandée par la Constitution, est un des articles du serment civique et de celui de tous les fonctionnaires publics, de tous les corps électoraux, des gardes nationales, et de l’armée. S’est-il présenté une seule occasion d’épancher au dehors ce sentiment dont nos cœurs sont remplis, sans que les voûtes de cette enceinte aient retenti de nos acclamations? (Vifs applaudissements à gauche.) Nous sommes encore ce que nous n’avons jamais cessé d’être; et le moment est venu qui peut découvrir enfin de quel côté sont les vrais amis du roi et les sincères défenseurs de la royauté. (Applaudissements répétés à gauche.) Un membre à droite : On va savoir cela dans une heure. M. Thouret, rapporteur. Ce n’est pas en ne délibérant point sur le projet de décret proposé que nous prouverions notre attachement à la royauté et au roi ; c’est au contraire en le discutant et en décrétant ce qu’en nos consciences nous aurons reconnu être la vérité. L’utilité publique avait paru à votre comité, dès son premier travail, exiger les dispositions que nous avons présentées. Elles étaient devenues d’un intérêt plus pressant après la première attaque qui leur avait été livrée. 11 est aujourd’hui d’une nécessité impérieuse de les faire triompher de la contradiction réitérée qu’elles éprouvent; autrement nous laisserions en suspens, c’est-à-dire livrés à l’incertitude des systèmes, des préjugés et des querelles de parti, la nature de la royauté et l’état relatif du roi à l’égard de la nation; ou, ce qui serait pire, nous paraîtrions renier et trahir les vérités fondamentales qui font les bases du décret proposé. Eotrons donc, en bons citoyens (Rires à droite ), 425 dans l’examen de la question et apportons-y sincèrement le désir du plus grand bien public, dont le respect du trône et de sa prérogative légitime est inséparable. Le comité a deux choses à justifier : 1° les expressions du décret, c’est-à-dire les qualifications de premier fonctionnaire public à l’égard du roi, et de premier suppléant du roi à l’égard de l’héritier présomptif; 2° le fond du décret même, c’est-à-dire l’obligation du roi à la résidence dans le royaume ; de manière que, s’il en était sorti et que, invité, il refusât d’y rentrer, il serait censé avoir abdiqué la royauté. I. Pour juger si les qualifications de premier fonctionnaire public et de premier suppléant du roi doivent subsister ou être retranchées, il y a trois choses à examiner. Sont-elles vraies? Sont-elles utiles? N’ont-elles aucun inconvénient? Si la royauté, quelque éminente et relevée qu’elle soit au-dessus des autres magistratures, est indubitablement une fonction publique, il est vrai de dire que le roi est le premier fonctionnaire public. En vrais amis du roi, voilà ce que nous devons défendre et consacrer; car enfin si la royauté mérite tous nos respects, ce n’est essentiellement que parce qu’elle est la plus haute fonction publique dont un homme puisse être revêtu. Nous indiquerait-on bien à quel autre titre elle pourrait obtenir notre vénération? (Applaudissements à gauche.) De ce que la royauté est une fonction publique, il suit que la qualité de premier suppléant est la seule qui convienne proprement à l’expectant qui est appelé à la remplir immédiatement après le roi. Prenons bien garde à la qualité d 'héritier présomptif qu’on lui donne vulgairement ; car l’hérédité suppose et appelle l’idée de la patri-monialité. La royauté n’est pas transférée héréditairement dans'le même sens que l’est un patrimoine ; elle se transmet, comme fonction publique, par continuation de la délégation primitive qui suit l’ordre héréditaire. Ainsi expliquer, en parlant de l’héritier présomptif, qu’i� est le premier suppléant du roi , c.’est énoncer une seconde vérité indiscutable. L’utilité de déclarer nettement ces deux vérités se démontre par cette seule considération, que l’idée de propriété, lorsqu’elle vient se joindre à celle de royauté , introduit le paradoxe et prépare l’établissement du pouvoir absolu. Dès que les rois et les peuples croient que l’autorité royale n’est pas une émanation de la souveraineté nationale, mais un bien de famille qu’on tient de Dieu et de l'épée , et qu’on se transmet patrimonialement, le fondement du despotisme est établi. (Applaudissements répétés à gauche.) Il faut donc déraciner cette erreur, aussi dangereuse pour les rois que pour les nations. C’est ici que les mots qui assainissent les idées et qui préviennent toute méprise sur la chose, sont infiniment précieux au bonheur de l’humanité et au repos de l’univers. Est-ce de bon ne foi qu’on peut craindre que, en définissant la royauté telle qu’elle est réellement, on risque de lu! faire perdre le respect qui lui est dû? « Un roi fonctionnaire public comme un municipal ! Un héritier présomptif de la Couronne devenir comme un député suppléant à l’Assemblée ! Quel avilissement! » — Eh! Messieurs, laissons-là les caricatures, les faux rapprochements, et les saillies de l’ancienne morgue déprisante. Cherchons la vérité sincèrement. C’est ainsi que je vais vous faire ma profession de foi. (Applaudis semen ts.) 426 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791.] La royauté n'est pas un mystère sans doute ; on peut y croire, l’aimer et la respecter, même en la concevant bien et en sachant comment elle s’est faite, et peut encore se faire. ( Applaudissements à gauche.) Il n’y a point là de tromperie politique ou religieuse exposée à perdre son crédit, lorsqu’on parvient à n’y voir que ce qui y est réellement. Si la vénération qu’elle mérite pouvait être compromise, ce ne serait que par ses faux amis, zélateurs imprudents, qui, cherchant à l’avilir dans ce qu’elle est réellement, ne veulent la faire valoir et respecter que dans ce qu’elle n’est pa5. ( Vifs applaudissements à gauche.) Combien ils se trompent ! Ignorent-ils encore qu’il n’y a plus rien de respectable pour nous et qu’il n’y aura plus rien de stable, que ce qui est juste et vrai ? Quels yeux ont donc ceux qui ne voient pas que le règne de l’empirisme en tout sens est passé? Fausses grandeurs, fausses propriétés, fausses doctrines, fausses autorités, faux talents, tout ce qui n’était pas à l’épreuve de l’opinion et de la raison publique a péri. ( Vifs applaudissements ) Est-ce par un véritable amour de la royauté qu’on voudrait lui conserver ces mêmes fondements ruineux qui n’ont pu soutenir rien de ce qu’ils portaient? N’en doutons pas, le dogme politique de la royauté pourrait périr lui-même, s’il n’était pas purgé de toutes les interpolations injurieuses à l’humanité, par lesquelles l’ignorance, l’adulation et la force ont altéré sa pureté originelle. Voulez-vous assurer la stabilité des rois à la tête des nations éclairées? Il n’y a qu’un seul moyen : Faites que la prérogative royale ne répugne pas aux principes imprescriptibles rie la justice éternelle et que rien n’éloigne des hommes libres et raisonnables de s’y soumettre. (Applaudissements.) ■ J’ai pensé, Messieurs, à l’effet que pourrait produire cette discussion si le roi en était témoin. Juge dans sa propre cause, intéressé à rie pas se tromper lui-même, l’opinion qu’il prendrait ne m’a pas paru douteuse. Après avoir souri au zèle, à l’enthousiasme et aux grandes protestations de fidélité de son sujet soumis , champion si ardent de sa prérogative, il écouterait peut-être avec moins d’hilarité d’abord, mais toujours avec plus d’attention, les représentations du second interlocuteur, moins adulatrices, moins rampantes par le style, mais beaucoup plus sensées, plus profitables, et dictées par un attachement plus vrai et plus éclairé pour sa personne. À l’aide de quelques réllexions bien simples, il aurait bientôt résolu le problème que j’ai posé d’abord : De quel côté sont ses francs et sincères amisl (Applaudissements à gauche.) Le roi a déjà eu tant d’occasions d’éprouver que ceux qui s’échauffent si fort pour son autorité s’échauffent beaucoup plus pour leur profit que pour le sien! (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes, et dans une partie de La droite.) II. Le fond du décret proposé par le comité n’est pas plus difficile à défendre que les qualifications que je viens de justifier. Distinguons ses différentes parties. Par la première, le roi doit résider dans le royaume et cette résidence doit être à portée du Corps législatif, lorsqu’il sera rassemblé. Le comité a entendu par là que le roi séjournera à une journée de distance au plus du lieu où le Corps législatif tiendra sa session. Je ne m’étendrai pas pour prouver que le roi, comme premier fonctionnaire public, est obligé à la résidence, sans laquelle il ne pourrait pas remplir les fonctions attribuées à la royauté par la Constitution. Il a déjà suffisamment reconnu et contracté cette obligation, puisque le gouvernement, établi par cette Constitution qu’il a acceptée, rend sa résidence plus que jamais nécessaire. L’obligation existant indubitablement, la contradiction ne peut pas être portée jusqu’à prétendre que la Constitution ne peut pas établir ou déclarer ce devoir du roi. Si ce devoir n’était pas réduit en loi, il ne serait pas une obligation politique et légale, et les rois pourraient constitutionnellement transporter leur résidence hors du royaume ; car, suivant l’article 5 de la déclaration des droits, tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché. (Applaudissements.) On a fait une première objection, en disant que l’obligation de résider dans le royaume mettrait le roi dans l’impossibilité d’en sortir jamais, soit pour des voyages, soit pour le commandement de l’armée. Je réponds que le projet de décret ne préjuge rien sur celte question; mais nous proposons une chose qui nous paraît indubitable dans tous les cas : c’est que si le roi était sorti du royaume, soit que les motifs de sa sortie eussent été communiqués au Corps législatif et approuvés par lui, soit qu’ils ne l’eussent pas été, et si le Corps législatif jugeait que le retour du roi et sa présence dans le royaume importassent au salut public, il aurait le droit de l’inviter, par une proclamation, à rentrer en France. On a prétendu que l’Assemblée nationale n’a pas le droit d’imposer au roi la charge de la résidence, parce qu’il ne tient pas d’elle sa Couronne dont l’hérédité était préexistante.. Si ce raisonnement était vrai, jamais une nation ne pourrait rien rectifier, ni modifier dans son gouvernement; car toute convention nationale trouverait toujours des droits et des usages établis avant elle. Le roi ne tient pas sans cloute sa Couronne de l’Assemblée nationale, mais il la tient de la nation que l’Assemblée actuelle représente éminemment. Le roi n’a jamais fait difficulté de reconnaître cette Assemblée comme constituante et il a reconnu de même qu’il tient sa Couronne du peuple français, en acceptant le décret qui porte que tous les pouvoirs émanent de la nation et ne peuvent émaner que d'elle. Les choses sont donc dans les mêmes termes qu’au moment de la délégation primitive faite par nos pères au premier roi qu’ils élevèrent sur leurs boucliers. Si les conditions en avaient été écrites, la charge de la résidence nécessaire pour l’exercice des fonctions s’y trouverait stipulée. Elle est tellement de droit nécessaire et de raison éternelle, qu’elle ne pourrait être omise sans être sous-entendue et suppléable dans tous les temps; parce que le droit du peuple au perfectionnement de l’organisation sociale dont dépend son bonheur fait partie de sa souveraineté imprescriptible. Or, revoir et refaire la Constitution, c’est renouveler et confirmer ce qui est bon, expliquer et éclaircir ce qui était resté douteux, suppléer à ce qui avait été omis et modifier les anciennes bases pour les accommoder à tous les changements par lesquels le gouvernement est amélioré. Il est donc démontré jusqu’ici que l’Assemblée nationale peut et doit déclarer deux choses : la première, que le roi, comme premier fonctionnaire public, est obligé à résider dans le royaume; la seconde, que, s’il sortait du royaume, le Corps législatif pourra, lorsqu’il le jugera nécessaire, l’inviter, par une proclamation, à rentrer en France. S’il n’y avait que ces deux dispositions dans le décret, il est assez évident qu’il serait 427 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791,] déjà passé à l’assentiment unanime; car il n’aurait pas laissé un seul prétexte plausible à l’opposition. La troisième disposition du décret est celle qui excite principalement cette résistance plus bruyante que raisonnée, qui, fidèle au système entretenu depuis le commencement de nos travaux, s’attache toujours maladroitement au nom du roi, comme à une occasion naturelle de discorde ; cherche à échauffer les esprits toutes les fois que la Constitution règle la prérogative royale, comme si la Constitution était ennemie de la royauté; et, rattachant, dans ses spéculations secrètes, la résurrection de toutes les aristocraties foudroyées, à celle des anciens abus politiques qu’on décorait du nom de V honneur du trône, prêche la contre-révolution sous le drapeau d’un faux royalisme. (. Applaudissements à gauche.) M. Duval d’Eprémesnil. Mais nous ne disons pas... M. Thouret, rapporteur. Voyons donc, Messieurs, cette troisième disposition n’est pas juste en elle-même, si elle n’est pas rigoureusement nécessaire au maintien de la Constitution et de la liberté, et si elle a ces inconvénients atroces , sur lesquels l’exaltation et le délire provoquent si ridiculement l’horreur de tous les bons citoyens. Elle porte que, si le roi, invité par la proclamation du Corps législatif, refusait de revenir en France, il serait censé avoir abdiqué la royauté. Cette disposition n’a rien qui blesse l’équité; car si la résidence est un devoir, une obligation qui sera contractée et jurée en recevant la Couronne, une condition constitutionnelle enfin sans laquelle la royauté n’aurait pas été déléguée, ni à la famille, ni à l’individu; il est dans les principes immuables de la plus rigoureuse justice, que l’intention de se refuser à l’accomplissement de la condition, et le fait du refus obstiné, soient pris et traités comme l’intention de remettre la fonction même. Cela est parfaitement équitable à l’égard de l’individu roi, qui a été averti par la loi, qui s’y était soumis, et qui prononce ensuite sur lui-même par un acte libre de sa volonté. Cette disposition est encore juste dans les principes législatifs, comme moyen de donner un effet à la loi, et d’empêcher qu’elle ne reste illusoire. La loi ne peut être portée qu’afin que le roi soit tenu de l’exécuter; mais s’il n’y avait aucune sanction ou disposition coercitive au décret de la résidence, il resterait imparfait; il ne serait pas décret ; il se réduirait aux termes d’un simple vœu, ou d’un conseil impuissant. Ainsi, le retranchement des derniers termes du décret vaudrait autant que la radiation du décret entier, ou que la question préalable admise sur sa proposition. Ici se découvrent les motifs secrets de cette opposition qui s’occupe beaucoup plus de ce qu’elle ne nous dit pas, que de ce qu’elle paraît défendre dans celte question avec tant de chaleur. Vous ne doutez pas que sa grande affaire est le renversement de la Constitution. (. Applaudissements à gauche.) M. de Casealès. Je prie monsieur Thouret de ne point juger l’intention. M. Thouret, rapporteur. Ceux qui sont assez malheureux pour trouver dans l’absurdité même, et dans toutes les illusions delà déraison la plus incurable, des moyens de revenir un jour aux ordres, aux fiefs, aux parlements, et à toutes les tyrannies qui s’exercent au nom d’un roi, quand il entend assez peu sa gloire et ses vrais intérêts, pour sacrifier sa nation aux jouissances personnelles d’un petit nombre d’ambitieux.;. M. de Cazalès. C’est pitoyable ! M. Thouret, rapporteur... ceux-là spéculent sans cesse sur tous les événements : et comme ils trouvent possible ce qui est impraticable, il ne faut pas s’étonner qu’ils espèrent aussi que telles circonstances qu’un long avenir rendrait seul conjecturales, pourront se réaliser prochainement. Ils veulent donc que la loi de la résidence, ou n’étant pas portée, ou les rois n’y trouvant aucun lien, pas même un intérêt qui les prémunisse contre leur tentation propre ou inspirée de s’y soustraire, aillent, s’ils le veulent, résider hors du royaume. Ils veulent que, déserteur de son poste, un roi sacrifie le soin du gouvernement à des fantaisies, ou que, s’il est ennemi de la nation, il aille négocier auprès des despotes les moyens de l’asservir. Ils veulent aussi, sans doute, que l’héritier présomptif puisse aller, à cet âge où le caractère et l’esprit se forment pour toule la vie, puiser dans les cours étrangères des principes et des mœurs contraires à notre gouvernement, et nous rapporter avec son inaptitude, ou son indifférence ou sa haine. Ils veulent que le parent appelé à la régence, aille faire de même son cours d’incivisme. (Applaudissements. foules les spéculations qu’onpeut arranger sur de telles bases méritent peut-être peu d’attention en ce moment; mais la vivacité qu’on met à empêcher le décret qui les ruinera pour le présent et pour l’avenir, nous annonce assez, si nous ne l’avions pas déjà senti, de quelle importance est ce décret. L’Assemblée nationale ne peut plus douter qu’il est rigoureusement nécessaire au maintien de la Constitution et de la liberté. ( Applaudissements .) Il ne reste qu’à examiner si la disposition proposée renferme un tel excès de félonie, que ce soit déjà un crime de haute trahison de la soumettre à la délibération. On a dit, d’abord, qu’elle viole l’hérédité du trône; et c’est un pur sophisme. Qu’y a-t-il dans le principe de l’hérédité du trône? Une seule chose, savoir que la royauté n’est pas élective, mais déléguée héréditairement dans la famille du roi, suivant l’ordre constitutionnellement établi. Ainsi pourvu qu’à la vacance du trône, on n’élise pas un roi tant qu’il reste des parents appelés, et pourvu que le parent qui vient au trône soit le parent premier appelé, la loi de l’hérédité est remplie. Elle n’a, ni par son objet, ni par sa lettre, aucune autre application. Gomment le trône, devenu vacant, est-il rempli? Voilà ce que détermine exclusivement le statut de l’hérédité. Comment le trôné peut-il vaquer? C’est ce qu’évidemment le statut de l’hérédité ne détermine pas? On a dit ensuite que « décréter que le roi qui « ne rentrera pas en France, sur i’io viiatiou du « Corps législatif, sera censé avoir abdiqué la « royauté, c’est déclarer le roi punissable, jus-« ticiable, et parconséquent non inviolable.» Il y a ici un abus de mots et d’idées qu’il faut faire cesser. L’idée du despect pour la personne du roi, et de l’avilissement du trône, idée qui fait toute l’enluminure de l’objection, tient à cette peinture d’un roi puni et jusiicié , comme s’il s’agissait de m [28 mars 1791.J [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’accuser, de le poursuivre dans les tribunaux, de lui infliger un châtiment écrit d’avance dans le Code pénal. ( Bruit à droite.) Remarquons d’abord que le décret est conçu d’une manière qui ne provoque aucune de ces idées, et en termes qui n’offrent rien d’irrespectueux. « Si le roi, invité par une proclamation du « Corps législatif, nerentrait pasenFrance,il serait « réputé avoir abdiqué la royauté. » Ainsi la loi n’exprime que l’effet légal qu’elle attache à la volonté du roi, qui, placé dans l’alternative de revenir en France, ou d’y être regardé comme renonçant à la royauté, aurait opté la renonciation pour continuer de résider en pays étranger. Cette fiction de la volonté du roi absent, que la Constitution a le droit de réaliser par une présomption légale expressément établie, fait disparaître ici toute application des termes de justicie-ment , de punition et de. châtiment. Le roi s’était engagé, lors de son avènement au trône, à gouverner la nation française suivaut sa Constitution : depuis il préfère à l’exécution de son engagement la faculté de séjourner hors du royaume; la loi lui en laisse le droit : mais comme la nation ne peut pas rester engagée au roi qui rompt l’engagement qu’il avait pris avec elle, la Constitution déclare que la preuve légale de l’intention du roi sera son refus de rentrer en France, après l’invitation du Corps législatif. Le principe de ce décret n’est pas tiré du système des lois pénales en matière de délits et de crimes, mais de cvlui des lois civiles, c’est-à-dire de la raison écrite sur la résiliation des engagements. (Applaudissements.) Nous montrerait-on bien ce qu’il y a de des-pectueux pour les rois à professer qu’ils doivent, comme les autres hommes, tenir à leurs engagements et à leurs serments? Esf-ce encore pour les faire aimer et respecter qu’on veut grossir leur prérogative du privilège immoral de fausser leurs promesses avec la plus scandaleuse impunité? Est-ce toujours pour l’honneur et l’intérêt du roi, que les bons amis du roi veulent souiller, par cette doctrine impolitique, la doctrine saine et pure de la royauté? Je l’ai dit, le torrent des lumières ira toujours en grossissant : il est grand temps d’épurer tout ce qu’on veut conserver; et pour conserveries rois, faisons qu’ils ne puissent pas être infidèles à leurs peuples. Si quelqu’un blâmait la hardiesse de ma proposition, je lui dirais : cette liardiesse-ià n’est pas l’audace de l’esprit de faction qui renverse ; c’est le courage du zèle qui rectifie pour sauver et maintenir, {Applaudissements répétés à gauche.) On a dit encore que «la contravention des rois, au plus solennel de leurs engagements, ne doit pas être prévue, et que le silence de la loi à cet égard n’est pas un danger, parce que dans le cas d’une nécessité impérieuse, l’insurrection n’a pas besoin d’être autorisée. » Voilà une excellente raison de ne pas faire une loi sage, qui préviendrait les Insurrections, lu plus grand des malheurs politiques! Ainsi, de votre propre aveu, si un roi, s’obstinant à rester étranger, paralysait par son absence le Corps législatif, et laissait le gouvernement sans activité, et si Je peuple soupçonnait dans cette absence des desseins perfides contre sa liberté, vous convenez qu’il faudrait un remède; ce remède, vous le placez dans l’insurrection, dans un détrônement à main armée; vous ne le trouvez pas plus doux, plus convenable au bon ordre, et plus révérencieux pour la majesté royale, dans l’autorité de la loi, établissant la présomption légitime de l’abdication volontaire. Je crois qu’entre ces deux partis, le choix de l’Assemblée ne restera pas longtemps douteux. {Applaudissements.) N ms voyons maintenant combien l’argument tiré de V inviolabilité est futile et sophistique en cette matière. On veut que l’inviolabilité enchaîne la loi; en accordant que la violabilité devenue nécessaire s’exécutera par la force. Dans tous les cas, très rares sans doute, où le détrônement est reconnu légitime par l’insurrection, il faut reconnaître aussi que l’inviolabilité ne subsiste plus; ce cas existe, n’en doutons pas, lorsqu’un roi parjure au serment sur la foi duquel il règne, désertant son poste, et préférant le séjour d’une terre étrangère, plonge le royaume dans l’anarchie, ou prépare son asservissement. G’est que l’io violabité, établie par la Constitution, n’est accordée qu’au roi qui règne et qui gouverne constitutionnellement; il serait trop mepte de soutenir que la Constitution eût fait cette prérogative pour être tournée contre elle-même. Je sais combien c dte vérité torture ceux qui la traitaient l’autre jour de blasphème-, elle leur ravit leurs plus chères espérances; le messie qu’ils attendent est un roi qui veuille et qui puisse désavouer la Constitution : pour leur tranquil! ité, désabusons-les encore de cette chimère. {Applaudissements répétés.) On a dit que le décret proposé « aurait l’inconvénient de provoquer etd’encourager les factieux, puisqu’il ne s’agirait que d’effrayer un roi, et de l’obliger à chercher son salut dans la fuite, pour légitimer son détrônement. » — Cette hypothèse se résout par la distinction que voici : ou le factieux qui emploierait ce moyen pour détrôner le roi, serait appuyé par le vœu de la nation et par la force publique, ou il serait désavoué par le vœu national : au premier cas, le roi serait détrôné par la nation dont il aurait provoqué l’insurrection ; au second cas, le roi expliquant par une proclamation le motif de sa fuite, dévoilant l’attentat aux yeux de la nation, et l’appelant à son secours pour rétablir l’ordre public, ne serait pas dans le cas de l’abdication présumée. III. Permettez-moi, Messieurs, avant de finir, quelques réflexions que je crois utiles pour achever de venger les principes qui font la base du décret, de l’attaque calomnieuse qu’ils éprouvent, pour justifier pleinement le comité qu’on a si inconsidérément interpellé, et pour fixer enfin l’opinion de la France entière sur la confiance due à tout le parti qui ne feint de s’alarmer sur la royauté, que pour en tirer occasion d’invectiver contre la Constitution. On a dit à cette tribune, et j’ai lu depuis imprimée, cette phrase : « De quel droit le comité se permet-il un langage aussi contraire aux usages , aux idées, aux principes , qui ont depuis tant de siècles gouverné la France? » Je réponds que c’est du droit qui appartient à des hommes libres, et par le devoir qui est imposé à des représentants de la nation française, commissaires de cette Assemblée pour préparer ses décrets constitutionnels, de proclamer courageusement la vérité et de propager la raison, les deux seules puissances qui gouverneront désormais l’opinion publique et, par elle le monde entier. J’ajoute que c’est par un zèle pour l’honneur et la stabilité du trône, plus sûr, mieux entendu et plus utile à ses intérêts, que tout l’enthousiasme des royalistes déclamateurs. {Applaudissements.) J’avoue bien que les usages, les idées et les prétendus principes qui ont trop longtemps gou- 429 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791.] verné, c’est-à-dire désolé et tyrannisé la France, ne ressemblaient pas aux vérités éternelles que les lumières et le patriotisme de cette Assemblée réhabilitent aujourd’hui ; mais en quel sens, et au jugement de qui, cette heureuse disparité qui nous donne une patrie, a-t-elle pu fournir un sujet d’objurgation? De quels auteurs si surs en doctrine et si purs en intentions procédaient donc ces usages , ces idées et ces principes auxquels on voudrait nous ramener comme au symbole de notre foi politique? Ne serait-ce pas de ceux-là mêmes, qui n’ont jamais connu ou du moins professé et revendiqué, pour le roi ni pour le peuple, les maximes vraies qui fondent le bonheur réciproque des peuples et des rois? Pendant le long sommeil de la nation française, insouciante sur ses droits, qui donc avait dans l’Etat cette influence qui crée les usages , modilie les idées et introduit les principes? C’étaient les nobles, intéressés à dénaturer l’autorité légitime du trône, et à la porter au despotisme qu’ils exerçaient ensuite à leur profit par les commandements et par les emplois, et qu’ils transportaient, dans leurs domaines par la domination féodale. C’était le clergé, qui, après s’être fait confirmer dans ses privilèges au commencement de la cérémonie de chaque sacre, et avoir prononcé que le roi acquérait le trône par la déliviance qu’il lui en faisait, per hanc traditionem nostram , termes de la liturgie, favorisait volontiers le système du pouvoir absolu sur le peuple et en usait lui-même par les lettres de cachet qu’il avait facilement à sa disposition. (Vifs applaudissements à gauche.) M. Eoncault-Eardimalie. J’ai lu ce passage ce matin dans Marat. M. Thouret, rapporteur. C’étaient enfin les parlements. ( Murmures à droite.)... M. Dnval d’Eprémesnil. Paix ! ceci me regarde. M. Thouret, rapporteur. C’étaient enfin les parlements qui ne contestaient pas que le seigneur-roi ne tenait son autorité que de Dieu et de son épée, lorsqu’il en usait à leur satisfaction; qui admettaient le brocard, si veut le roi , si veut la loi, pourvu toutefois que la loi fût à leur gré;... M. Duval d’Eprémesnil. Vous l’avez dit! M. Thouret, rapporteur... et qui ne se fâchaient pas toujours de voir le gouvernement tendre au pouvoir absolu, surtout lorsqu’on leur en faisait leur part pour maîtriser le peuple. Certes, ce n’est pas de ces sources qu’il pouvait sortir des usages, des idées et des principes bien purs sur les droits des nations, sur la nature de la royauté et sur les obligations politiques des rois. Eh bienl il est aisé de voir, et ce qui s’est passé dans cette discussion même l’a clairement prouvé, que toutes les erreurs inconstitutionnelles et anticiviques sur cette matière vivent encore. Elles sont les semences du despotisme, qui n’attendent que la saison favorable à leur développement. Il faut étouffer ces germes funestes, non seulement pour l’intérêt de la liberté nationale, mais encore pour l’intérêt du trône et du roi, de la Constitution. Le roi d’une grande nation n’a besoin d’être que ce qu’il est pour mériter un grand respect et pour l’obtenir; mais il ne faut plus que le peuple soit (rompé sur les vrais motifs de la vénération due au trône. Le peuple sentira bien les raisons d’aimer et de respecter un roi qui est son délégué, son représentant héréditaire, le dépositaire de sa confiance et de ses droits pour veiller à ses intérêts dans la confection des lois, pour lui assurer la paix intérieure par leur exécution et pour le garantir par sa vigilance et par l’emploi de la force publique contre les attaques du dehors. Observons bien que la réalité de ces motifs d’amour et de respect est attachée à l’importance des fonctions dont le roi est chargé et à l’utilité ressentie de leur bon exercice. L’intérêt du trône n’est plus de dissimuler que la royauté n’est pas une propriété du roi et de sa famille, et qu’elle ne lui confère pas le droit de commandement au même titre qu’un maître l’a sur ses esclaves. Le peuple doit savoir que c’est de lui-même qu’émane l’autorité déléguée au roi; que chaque acte d’exercice de cette autorité est un devoir de la royauté envers la nation; et que par ces actes le roi remplit la haute mission dont la confiance nationale l’a chargé. C’est par là que ne séparant plus l’intérêt du trône de celui de la nation et se rendant compte du besoin qu’un grand peuple a de la royauté, chaque citoyen se portera, par sentiment et par conviction, à l’obéissance dont sa propre raison aura reconnu la nécessité. Plus le roi se trouvera identifié de cette manière avec la nation même, plus la royauté gagnera dans la confiance et dans la vénération publique. Il faut donc consacrer expressément le grand acte national qui lie réciproquement le peuple au roi et le roi au peuple. Disons que le roi est inséparable de la nation et que cette union est tellement essentielle à la royauté, que celle-ci cesse de reposer sur la tête du roi qui refuse de résider au milieu de la nation. Je répète que la royauté gagnera quand, purgée ainsi de toute apparence d’usurpation et de tyrannie et rendue à la pureté de ses éléments, le peuple y verra une institution faite pour son bonheur et l’obligation qu’elle impose au roi de rester attaché à la France pour remplir sa mission en la rendant heureuse. Le comité persiste à vous demander ce décret pour l’honneur des principes, pour le perfectionnement de la Constitution et pour l’intérêt du trône. (Applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes.) (L’Assemblée décrète l’impression du discours de M. Thouret.) M. de Cazalès. Messieurs, encore plus ennemi des déclamations que le préopinant, moins jaloux que lui des applaudissements qu’elles obtiennent, j’éviterai avec attention toute personnalité dans une matière aussi essentielle. Je lâcherai de ne pas déparer mon opinion par cet esprit de parti qui atténue les raisons les meilleures ; je lâcherai de ne juger l’intention de personne. Je croirai pures celles de tous les membres de cette Assemblée ; je discuterai tranquillement et à froid i’importante question qui vous est soumise. Je vais vous montrer d’abord l’inconvénient des dispositions qu’on vous propose. J’entre en matière : votre comité réunit 3 articles de son décret. Celui qui, dans le classement qu’il avait fait, tenait le troisième rang, et qui ordonne que le roi sera obligé de résider 430 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791.] dans le même lieu où l’Assemblée nationale tiendrait sa séance. Un membre à gauche : A une journée de l’endroit. M. de Cazalès. Cet article me paraît inutile dans les temps ordinaires. 11 me paraît destructif de la loi par laquelle vous av< z donné au roi le droit de suspendre l’execution des lois qu’il croirait ne pas être bonnes à la prospérité de l’Empire. Il est inutile dans les temps ordinaires ; car il n’y a aucun de vous qui doute que dans ces temps le désir et l’intérêt que le roi aura d’influer sur la législature et d’agir de concert avec elle, que toutes les convenances, soit d’administration, soit delégislation, De le déterminent à se rapprocher du lieu où la législature tiendra ses séances. 11 est dangereux dans les temps d’orages ; car il est démontré que s’il arrivait qu’une faction dominât ou égarât l’Assemblée nationale, qu’elle fît partager son opération à la ville où elle tiendrait ses séances, comme c’est extrêmement vraisemblable, le roi se trouverait prisonnier en cette ville, sa volonté serait asservie, sa sanction serait dérisoire, et il ne pourrait exercer, par le fait, le droit très légitime, le droit très sage que vous lui avez confié, le droit de suspendre les lois qu’il trouierait funestes à la prospérité de l’Empire. Lorsque vous avez donné au roi le droit de susp* ndre pendant deux législatures de suite les lois qui seraient portées à sa sanction, l’esprit de ce décret et son intention ne me paraissent pas équivoques. Vous avez dit, s’il s’élève un dissentiment entre le roi et l’Assemblée nationale, entre les représentants électifs et le représentant héréditaire delà nation sur l’utilité d’une loi proposée, ce dissentiment doit être porté au jugement de Ja nation elle-même. On ne peut décider cette grande querelle. Elle seule peut déclarer si les représentants ne se sont pas trompés ou n’ont pas trompé le roi sur le véritable vœu du peuple. G’est pour obtenir ce résultat que vous avez donné au roi le droit de suspendre pendant deux législatures, la loi qui lui serait proposée. Car il est évident que si après une réflexion de 4 années, la nation française, instruite de la cause du dissentiment qui s’est élevé entre ses représentants et son roi, persiste par l’organe de ceux-ci, arrivés de toutes les provinces du royaume, à demander Ja loi proposée, il faut que le roi cède à ce vœu; car l’opinion publique n’est pas alors celle du peuple qui entoure l’Assemblée nationale, mais bien l’opinion de la nation entière. Si, au contraire, vous ordonnez que le roi restera constamment et ne pourra s’éloigner du lieu de la résidence de l’Assemblée nationale, il est évident qu’il sera dominé, et par l’influence du Corps législatif et par l’influence du peuple qui habite la ville où le Corps législatif tient ses séances. D’où il suit que ce ne sera pas la nation française qui videra le dissentiment, qui videra la querelle qui se sera élevée entre son roi et ses représentants, mais que ce sera le peuple de cette ville où l’Assemblée nationale sera séante qui la décidera et qui la décidera avec irréflexion et avec le peu de temps qui caractérise presque toujours les opinions publiques ainsi précipitées. Je crois donc que la disposition qu’on vous présente en ce moment est évidemment destructive du droit que vous avez donné au roi de suspendre les lois pendant deux législatures, évidemment destructive de voire intention, quia été que ce fut la nation entière qui décidât toute espèce de querelle à cet égard entre le roi et les représentants, et non pas le peuple de telle ou telle ville; car on sent que l’influence d’une telle espèce serait par trop dangereuse, et le reste du royaume serait extrêmement mécontent que vous la donnassiez à quelque ville que ce fût. Je crois donc que la disposition proposée étant inutile dans les temps ordinaires, dangereuse dans les temps de faction, doit être supprimée, et j’invoque contre elle la question préalable. Je passe maintenant à des dispositions beaucoup plus essentielles, à celles qui, dans le cas où le roi désobéirait à ce que vous lui avez prescrit, dans le cas où il quitterait le royaume, et où, sur Ja proclamation de l’Assemblée nationale, il ne serait pas rentré dans le royaume, il serait déclaré déchu du trône. Je nYxaminerai pas d'abord si, en recherchant avec une coupable industrie toutes les hypothèses qui peuvent se présenter, il serait possible de trouver un cas où un peuple pût, par un acte légitime, détrôner son véritable souverain. Ceci n’est pas ce dont il s’agit ici. Cette question était enveloppée d’un voile religieux ; et ceux-là sont coupables qui l’ont déchiré; ceux-là sont coupables qui nous forcent à nous occuper d’une discussion aussi inutile et aussi dangereuse, d'une discussion qui n’est d’aucune espèce d’utilité, et qui est sujette aux plus grands inconvénients; car il est démontré que lorsqu’un roi est jugé coupable de crime qui nécessite un remède extrême, il est inutile que la loi ait prononcé sa punition. La nation elle-même la prévoit ; mais la prévoir, mais la juger, je le répète, est une espèce de délire. ( Murmures à gauche.) Eh ! comment se pourrait-il que, si le but de tout gouvernement est de restreindre et de contenir la première injustice du peuple, ce ne fût pas être coupable, ce ne fût pas marcher contre le but du gouvernement que d’agiter de ces questions dangereuses, que de faire des spéculations téméraires, qui apprennent au peuple à mépriser le pouvoir auquel il devrait obéir ( Murmures .), qui apprennent au peuple quel est le cas précis où il doit désobéir à son souverain. Un membre à gauche : Le peuple n’a pas de souverain. M. Pétion de Villeneuve. Mais, Messieurs, qu’est-ce que vous entendez par le peuple? M. Dnval d’Eprémesnil. Le bon peuple. M. de Cazalès. Je n’entends jamais par le peuple que toute la nation. Je dis qu’il est coupable d’apprendre au peuple quel est le cas précis où il doit désobéir au souverain. M. La Réveliière-Liépeaux. Qu’appelez-vous le souverain ? M. de Cazalès. C’est à ces maximes difficiles, c’est à ces spéculations téméraires, qui ont été trop fréquemment tenues dans cette Assemblée, que vous devez la tendance que la nation française a dans ce moment-ci à l’insur- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mars 1791.] rection, que vous devez l’anarchie à laquelle la nation est livrée. {Murmures.) M. Gombert. Nous sommes tranquilles. Si vous n’y étiez pas, nous le serions encore davantage. M. de Cazalès. Oui, c’est à cela que vous devez tes attentats qui ont souillé la Révolution ; vous recueillez les fruits très amers de cette impolitique et indiscrète conduite. 11 me suffira dans ce moment-ci de prouver que l’Assemblée nationale n’a pas le droit de déclarer le cas où le roi doit être déchu du trône. Un membre à gauche : Nous avons déjà entendu cela. M. de Cazalès. Il faut bien le répéter puisqu’on ne l’écoute pas. L’hérédité du trône, je répète ce raisonnement puisque personne n’y répond, a été fondée par le vœu du peuple français et non pas comme on a affecté de le dire dans cette tribune, pour tâcher de jeter du ridicule sur l’opinion de ceux qui combattent l’opinion contraire, sur le faux principe que les rois ne tiennent leurs Couronnes que de Dieu et de leur épée ; et moi aussi, je n’admets point ces conles ridicules. Il m’est démontré que les rois tiennent leur Couronne du vœu de leur peuple ; mais il y a huit cents ans... Plusieurs membres à gauche : Ah ! ah ! ah ! M. de Cazalès... que le peuple français {Rires à gauche.) a délégué au roi ...{Murmures à gauche.) mais il y a 800 ans que le peuple français a délégué à la famille royale son droit au trône. Son ordre formel, son ordre exprès vous a été donné de le reconnaître. Vous l’avez reconnu et vous n’avez pu le refuser ; et vous n’avez fait en le reconnaissant, qu’obéir à une autorité supérieure à la vôtre. Plusieurs membres à droite : C’est vrail c’est vrai 1 M. de Cazalès. Vous auriez été traîtres à la nation si vous aviez méconnu ce droit et si vous aviez hésité à lui obéir. Il suit de là, sans que rien puisse le contester, que vous n’avez pas le droit d’imposer une condition quelconque à un acte qui n’a pas été fait par votre puissance, à un bienfait qui n’a pas été fait par vous... M. Gombert. Mais par nos pères donc? M. de Cazalès... et qui n’est que l’exécution d’un ordre qui vous a été donné par une autorité à laquelle vous ne pouviez ni ne deviez résister. L’hérédité au trône n’ayant pas dépendu de vous, je répète que vous n’avez pas pu lui imposer de conditions, et je ne pense pas que personne puisse soutenir le contraire. M. Gombert. Tout le monde. M. de Cazalès. Pour établir d’une manière conséquente les principes que vous a proposés votre comité de Constitution, il faudrait suivre une fois la marche incertaine ae l’Assemblée, qui a souvent établi par le fait des conséquences dont 431 elle n’osait pas déclarer le principe : Osez déclarer que vous aviez le droit de changer... Plusieurs membres à gauche : Oui, nous avons ce droit. M. de Cazalès... Et alors vous serez conséquent à vos principes. 11 ne faut pas, pour me répondre, éternellement confondre, comme on le fait dans cette Assemblée, la nation et les représentants. ) Il n’y a rien au monde de si distinct, et cela l’est tellement, que si un de ces cas métaphysiques, que je trouve indigne de tout bon Français de prévoir, que si ce cas métaphysique où le peuple voulût que la succession au trône fût changée, où le peuple voulût que le gouvernement fût interverti, que le roi fût détrôné, il faudrait que ce vœu fût exprimé de la manière la plus expresse, de la manière la plus unanime par le peuple français, et ses représentants n’auraient jamais le droit d’exercer une pareille autorité qu’ils n’en eussent reçu la mission expresse, la mission ad hoc. { Murmures à gauche.) J’admets aujourd’hui ce cas, qu’on ne peut pas prévoir, mais dont il faut bien parler, puisque déjà des gens moins scrupuleux que moi l’ont prévu. Eh bien! quand le roi entrerait en France à la tête d’une armée, qu’il attaquerait l’Assemblée nationale, je soutiens que vous n’auriez pas le droit de le déclarer déchu du trône. {Rires et murmures à gauche.) M. Charles de Lameth. Je demande que la question soit jugée sans désemparer. On cherche à nous faire perdre notre temps. Un membre à gauche : C’est vrai, on le fait exprès. Plusieurs membres à gauche : Aux voix! aux voix! M. de Cazalès. Je dis que vous n’auriez pas le droit de le déclarer déchu du trône. Plusieurs membres à gauche : Aux voix ! aux voixl M. de Cazalès. Je dois continuer mon opinion. M. Prieur. La motion qui est faite est de juger la question sans désemparer, attendu que nous perdons notre temps. Il est important de déjouer le projet formé de retarder nos travaux. Monsieur le Président, la motion de M. de Lameth est appuyée, on vous prie de la mettre aux voix. M. Regnaud {de Saint-Jean-d’Angély) . A l’ordre du jour sur cette proposition. M. de Cazalès. Je ne crois pas que la haute faveur de MM. Prieur et de Lameth puisse les autoriser à interrompre un opinant. Je dis que vous n’auriez pas le droit de déclarer le roi déchu du trône, que vous seriez obligés de revenir à vos commettants, de prendre expressément l’ordre de la nation à cet égard ; les maximes qui soutiendraient l’opinion contraire, sont les mêmes par lesquelles vous auriez mis en justice Henri IV, le plus grand, car il fut le meilleur de nos rois. Ces maximes sont les mêmes par lesquelles Cromwell justifiait l’atteu- 432 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tat commis sur Charles Ier. C’est par ces maximes que l’infortuné Charles fut condamné à perdre la tête pour avoir porté les armes contre le Long Parlement : c’est là le motif de sa sentence. Ces maximes sont donc les mêmes par lesquelles on soutiendrait cet exécrable attentat, et ceux qui les professent dans cette tribune ne savent pas qu’ils sont parricides et coupables du plus grand crime qui ait été commis. ( Interruptions répétées. Tumulte prolongé.) Je déclare que 25 aboyeurs qui m’interrompent sans cesse ne m’empêcheront pas de continuer. Il est donc démontré que dans aucun cas (je délie personne de dire le contraire), que dans aucun cas les représentants de la nation française ne peuvent par leur propre autorité, ne peuvent de leur propre pouvoir, sans un ordre exprès et formel du peuple, commettre une peine, changer la ligne du trône, intervertir le gouvernement. Maintenant je vais passer aux diverses objections que vous a faites M. Thouret. Il a prétendu que l’inviolabilité du roi n’étaitpas attaquée par cette disposition. Il vous a dit : l’Assemblée nationale, en déclarant que si le roi ne rentre pas sur sa proclamation, est censé avoir abdiqué le trône, le laisse lui-même juge de sa conduite : c’est lui qui prononce sur sa propre personne. Il n’est par là soumis à aucune espèce de justice. Le sophisme de ce raisonnement est infiniment facile à résoudre. Si le roi sortait du royaume, si l’Assemblée le sommait de rentrer, sans doute il ferait une réponse quelconque, il expliquerait les motifs qui l’ont déterminé à sortir du royaume; si ce sont les factions, les orages qui l’ont déterminé à prendre ce parti. Qui serait le juge de ces motifs si ce n’est l'Assemblée nationale? Le roi ne serait-il pas justiciable, et l’Assemblée nationale ne prononcerait-elle pas un jugement? Le pouvoir exécutif ne serait-il donc pas jugé par le pouvoir législatif? Ce qui certainement est la chose la plus odieuse et la plus inconstitutionnelle. Dès lors le pouvoir exécutif n’est-il pas dépendant? Dès lors toute liberté publique n’est-elle pas perdue? Car vous le savez, Messieurs, c’est sur l’indépendance du pouvoir politique que repose la liberté. Les plus grands inconvénients des nombreuses agrégations du peuple, c’est de ne pouvoir pas exercer par lui-même l’autorité souveraine qui lui appartient. Obligé de la confier à ses délégués, il est toujours en garde contre eux. Il a toujours peur, avec raison, de finir par obéir à l’autorité de ceux qu’il a choisis, d’être subjugué par eeux-mêmes à qui il a donné sa confiance. C’est pour éviter ce malheur qu’il a voulu avoir des représentants héréditaires et des représentants électifs; qu’il a voulu que les uns aient le pouvoir législatif, que les autres eussent le pouvoir exécutif. Il a voulu établir entre eux cette surveillance utile, au milieu de laquelle le peuple respire, au milieu de laquelle il est libre, au milieu de laquelle il reste leur juge et leur souverain. (Applaudissements.) Mais si jamais il arrivait que l’un de ces pouvoirs fût assujetti à* l’autre ; que l’un des deux pouvoirs usurpât sur l’autre, alors le peuple serait esclave, alors il ne serait plus consulté, alors son existence serait nulle, alors il ne serait rien. C’est donc sur cette indépendance mutuelle que reposent et sa liberté et sa puissance : toutes les fois que vous tenterez de l’affaiblir, toutes les fois que vous tendrez à donner un ascendant à [28 mars 1791.] l’un des pouvoirs politiques sur l’autre, vous serez traîtres à la nation, vous méconnaîtrez l’autorité de ce peuple dont on nous parle sans cesse. vous la lui ôterez, vous l’asservirez, vous le ferez gémir sous le plus dur des esclavages. (Applaudissements à droite.) M. Thouret vous a dit que, sans une peine quelconque, les dispositions de notre loi seraient nulles. Voici certainement un des plus mauvais raisonnements que j’aie entendu faire dans cette tribune. Les dispositions de notre loi seront-elles nulles, quand vous décréterez des lois quelconques sur l’administration? Quoique votre roi ne soit pas responsable, vos dispositions n’en seront pas moins exécutées, car les agents en répondent. Lh bien ! si vous décrétez que le roi ne pourra pas s’absenter hors de la résidence du Corps législatif, si vous décrétez qu’il ne pourra pas sortir du royaume, et que les ministres en répondront (Murmures.), ce sont eux qui en répondront sur leur tête. (Murmures à gauche.) Je sais très bien que ce moyen est bien moins coercitif que celui de s’attaquer directement à la personne du roi; mais aussi je déclare que c’est le seul que vous puissiez décréter avec l’inviolabilité de la personne du roi, avec cette indépendance du pouvoir exécutif, maximes éternelles sur lesquelles reposent la Constitution française et la constitution de tout peuple bien organisé. M. Thouret vous a dit encore que si par la puissance des factieux le roi était contraint de s’éloigner du royaume, alors il arriverait ou que les factieux seraient soutenus par la puissance de la nation, ou qu’ils ne le seraient pas. Que s’ils l’étaient, le roi serait détrôné (il le serait bien la même chose sans la loi); que s’ils ne l’étaient pas, le roi ne serait pas détrôné. Que signifie tout ce raisonnement, sinon une vérité démontrée? C’est que dans une occasion comme celle-ci, c’est la force qui déciderait. Eh bien I puisque la force doit décider, ne portez pas une loi vengeresse, ne portez pas une loi qui réveille des idées qu’il faut éteindre, qui présente des présages qu’il faut repousser; ne portez pas une loi qui prévoit des crimes qu’il ne faut pas même envisager, supprimez-la donc cette loi dangereuse, puisque ses plus zélés partisans sont obligés de convenir qu’en dernière analyse, la force seule déciderait celte grande question. Je conclus donc à ce que les trois articles qui vous ont été présentés étant inconvenables dans le rapport, où ils fixent la résidence du roi dans le sein de la résidence de l’Assemblée nationale... Un membre à gauche : Dites : ou à une journée du lieu . M. de Cazalès... étant destructifs de l’héri-dité du trône, à laquelle vous n’avez pas le droit de toucher que par un mandat exprès et formel de la nation française; étant destructifs de l’inviolabilité du roi; que vous ne pouvez jamais enfreindre sans vous rendre coupables et envers la nation, et envers le roi, et envers la raison, et envers la justice éternelle; je conclus, dis-je, à ce que les trois articles soient rejetés par la question préalable. (Murmures à gauche.) Plusieurs membres à gauche : Aux voix ! Aux voix! M. de Jessé monte à la tribune. [28 mars 1791.J 433 [Assemblée aalionale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Plusieurs membres demandent que la discussion soit renvoyée à demain. M. le Président. Vous avez une élection à faire d’un Président et l’on demande que la discussion soit renvoyée à demain. Plusieurs membres à gauche ; Non! non! M. le Président. La motion est faite; je dois la mettre aux voix. (Après une épreuve douteuse, l’Assemblée décrète que la discussion n’est pas renvoyée à demain.) M. Couppé. Il n’y a plus qu’une demande indispensable à faire, c’est que la discussion soit fermée. M. Charles de Cameth. La motion qui tend à fermer la discussion est bien différente de ce! le de décréter sans désemparer; mais j’observe à l’Assemblée que dans une question aussi importante et aussi simple, qui est décidée dans l’esprit de tous les vrais amis de la Constitution (Applaudissements à gauche ), il serait extrêmement impolitique et déraisonnable de renvoyer à une autre séance. Ce renvoi pourrait faire croire à la nation que l’Assemblée nationale a tellement oublié ses principes qu’elle a hésité un moment à en consacrer une conséquence. (Applaudissements à gauche.) Je rappellerai que dans les questions sur lesquelles l’opinion publique n’est pas formée, on nous presse, on nous dit qu’il faut finir; et quand l’opinion est faite... M. l’abbé Maury. Il faut éclairer l’opinion publique et non l’égarer. M. Charles de Lameth... quand l’opinion est faite, nous ne devons pas perdre un seul de nos moments ; nous eu sommes comptables à la chose publique. M. de Cazalcs. Je demande que M. de Lameth nous rende le service d’éclairer la question avec sa sagacité ordinaire. M. d’Estourmel. Suivant votre règlement, une question constitutionnelle doit être discutée pendant trois jours. Je demande que la discussion soit continuée. M. ISoutteville-Dumetz. Nous sommes au troisième jour de discussion. Commencée la première fois que le comité a présenté son projet, elle a été continuée avant-hier, elle l’est aujourd’hui. M. de Jessé. Je demande si l’Assemblée vent m’accorder mon rang pour la parole ou fermer la discussion. M. le Président. Je vais consulter l’Assemblée pour savoir si la question sera décidée sans désemparer. M. Hadïcr de Montjau . Les motions incidentes sont subordonnées à celle-ci : L’Assemblée a-t-elle le droit de traiter cette question ? Je soutiens que vous ne l’avez pas. (Murmures) M. de Ifeocliebruue. Avaut de mettre aux lrü Simm. T. XXIV. voix si on délibérera sans désemparer, je demande la parole. J’ai l’honneur d’observer que c’est une manière très sûre de juger très précipitamment une grande question. Il est 3 heures; s’il fallait, pour l’examiner avec la maturité dont elle a besoin, encore 5 ou 6 heures, l’Assemblée ne serait pas très en état de juger. (L’Assemblée, consultée, décrète que la question sera décidée sans désemparer.) M. de Jessé. On a avancé, dans cette séance et dans la précédente, que la désignation du roi comme fonctionnaire public était irrespectueuse pour le chef d’une grande nation pour un chef que tous conviennent qu’elle ne peut trop honorer pour s’honorer elle-même. Je demanderais si le titre de premier fonctionnaire public n’était pas placé dans l’article, qu’il y fût inséré aujourd’hui. C’est ce mauvais emploi des mots, ou la suppression des mots nécessaires; ce sont les équivoques fatales, qui ont si longtemps causé le malheur et l’avilissement des hommes; ce sont les termes précis, surtout dans la rédaction des lois, qui, fixant les idées, nous éclairent souvent sur les devoirs. Si les rois n’étaient pas les premiers fonctionnaires publics, ils ne seraient rien et on ne peut rien édifier sur le néant. Plusieurs membres à droite : Aux voix ! aux voix ! M. de Jessé. H me paraît que ceux qui réclament pour les rois sont les ennemis déclarés des rois et de la royauté, puisque pouvant faire porter le haut respect qui leur est dû sur de grands services rendus à l’humanité, sur les droits les plus sacrés à la reconnaissance publique, il le placent, ils se plaisent à le fonder sur d’absurdes préjugés, à l'appuyer par des maximes surannées et proscrites. Ils énonceraient purement s’ils l’osaient que les rois tiennent leur couronne de Dieu et de leur épée; car ou leurs opinions sur ce sujet n’ont aucun sens ( Murmures à droite. ), ou elles ne sont que de prolixes conséquences, de futiles principes. Ils semblent, dans leur délire, demander non des rois, mais des idoles, sans réfléchir que, si leurs stupides adorateurs les suivent aveuglément, souvent aussi ils les outragent avec fureur et que le règne de l’erreur n’est pas de longue durée. (Murmures à droite.) Monsieur le Président, je vous prie de faire cesser les ingénieuses interruptions que j’entends-là. Nous, Messieurs, qui aimons la liberté... M. l’abbé Maury. Vous devez, Monsieur le Président, donner la parole à ceux qui combattent le comité et non pas à ceux qui ne font que répéter ce que M. Thouret nous a dit. Donnez-nous la parole ou nous allons nous retirer. M. ttuval fonctionnaires publics et sur les cas de déchéance du trône soient décrétés dès aujourd’hui; et quant au mode et aux convenances, je demande Je renvoi au comité, pour nous soumettre ses observations. M. Thouret, rapporteur. Je suis très fâché de l’embarras momentané que cause la deuxième réduction que je viens de proposer; quelque s bons esprits à qui je l’avais communiquée, pensaient qu’eiie 11 ’é tait p s contraire au principe. En distinguant, dans cette discussion ie principe qui doit faire décréter l'obligation de résider et la déchéance du trône, quand elle est enfreinte, je n’ai perlé mon attention, bus de cette rédaction, que sur un mode quelconque, par conséquent indépendant du principe qui doit servir de base au décret. Comme, par la discussion qui vient d’avoir lieu, il est évident que ce second mode h aussi des inconvénients particuliers très graves, je n’insiste pas, à beaucoup près, sur cette rédaction et je demande que l’Assemblée nationale reprenne le cours de sa délibération sur le projet primiiif du comité. ( Applaudissements .) 11 me semble donc que la délibération doit évidemment se fixer sur le principe qui fait le fondement du décret; or ce principe est tout entier dans l’article 3 de notre premier projet; c’est celui que j’ai établi dans ie discours que l’Assemblée a bien voulu entendre. Un très grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix ! (L’Assemblée ferme Sa discussion). M. de Cazalès*. J’ai demandé la question préalable sur cet article. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il y a lieu à délibérer). M. d’JEsioîsmiei. Messieurs, je demande qu'on retranche ce l’article ces mots : « premier fonctionnaire public ». Un grand nombre de membres : La question préa-lable ! b. d’Ëslourauel. Vous avez décrété que ie pouvoir exécutif réside exclusivement dans la main do roi; v»ms avez qualifié ie roi par d’awtnm décrets : chef suprême de la nation... Plusieurs membres : Non 1 non ! M.d’Estourmel. Je demande donc que, au lieu d’uno expression qui semble établir une parité, puisque le mot de promu r fonctionnaire public admet oéces-airemenl comme conséquence un second, un troisième, un quatrième fonctionnaire public... Plusieurs membres à gauche : üüi I oui ! M. d’EstniirmcI... > t que certainement ii n’y a aucune parité entre les fonctions déléguées ;m roi et ce lies déléguées aux autres fonctionnaires, je. demande, dis-je, up’oo substitue à ces mot : premier fonctionnaire public, ceux-ci: chef suprême de la nation et du pouvoir exécutif. ( Murmures. .) Un grand nombre de membres : La question préalable! M. ISémeunier. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour; celte forme sera pies respectueuse pour le principe. M. te Président. L’amendement n’est plus appuyé? Je vais mettre aux voix l’article du comité ; en voici les termes : Art. 3. « Le roi, premier fonctionnaire public, doit avoir sa résidence à 20 lieues au plus de l’Assemblée, lorsqu’elle est réunie; et lorsqu’elle est séparée, le roi peut résider dans toute autre partie du royaume ». (Adopté.) M. Thonrct, rapporteur. Nous passons maintenant à l’article 8 du projet de décret. 11 est ainsi conçu : Art. 8. « Si le roi sortait du royaume 'et si, après avoir-été invité par u se proclamation du Corps législatif, il ne rentrait pas en France, i! serait censé avoir abdique la royauté. » Un ires grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix ! M. Finu'auU-Lardiaialic. Nous déclarons ne pas vouloir délibérer là-dessus. M. Un val d’Ep renies nil. Je propose un décret. Un grand nombre de membres à gauche : Aux voix! aux voix! (La majorité du côté droit quitte les bancs, se répand dans le milieu de la salle, s’avance lentement vers la porte; quelques-uns sortent; la plupart restent debout et en groupes.) if]. lihivaS d’fiSprésnesnlI. Je demande la parole. Monsieur le Président, pour proposer un projet ne décret à l’Assemblée nationale et 011 ne. peut me la refuser. Un grand, nombre de membres : Aux voix ! aux voix ! M. 5c Président. Messieurs, avant d’aller aux voix sur l'article, M. d’Fprémesnil demande à vous lire un projet de décret. Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix, l’article! M. Sïnval d’EpréincsnlI. L’Assemblée n’a pas le droit d’empêcher un de ses membres ... ( Murmures prolongés.) C'est un projet contre le rapport du comité (Interruptions) -t..\ ÿà\ droit d’avoir mon avis comme le comité. Un membre: Monsieur le Président, faites mettre cm Messieurs à l’ordre! (tl désigne le côté droit.) (Les groupes se dispersent et la majorité de la droite reprend ses places.) M. huval d’Ëpréniesnil. Je vais proposer