§8 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] RAPPORT ET PROJET DE DECRET SUR LES CONGRÉGATIONS SÉCULIÈRES D’HOMMES, PRÉSENTÉS A L’ASSEMBLÉE NATIONALE, AU NOM DU COMITÉ ECCLÉSIASTIQUE, Par J. -il. MASSIEU, Evêque du département de l'Oise, Député de celui de Seine-et-Oise. (Imprimé par ordre de Je viens, Messieurs, au nom du comité ecclésiastique, vous proposer les mesures qu’il croit convenable de prendre relativement aux congrégations séculières. On désigne sous cette dénomination des associations de citoyens ecclésiatiques ou laïcs librement réunis sous un régime commun et une règle particulière. Ces citoyens, sans être astreints à des vœux solennels ou perpétuels, ont des supérieurs et des chefs auxquels ils sont soumis dans leur conduite personnelle et dans l’exercice des fonctions qui leur sont confiées : des conventions ou institutions, en partie civiles et en partie religieuses, lient les membres entre eux et avec le corps, soit par des motifs de conscience, soit par des considérations de justice, d’honneur et de confiance. Toutes ces associations, excepté peut-être celle des ermites qui vivent du travail de leurs mains dans la solitude, sont appelées par leurs statuts aux fonctions les plus intéressantes de la société, l’instruction de la jeunesse, l’enseignement de la religion, l’éducation des ministres, le soin des malades indigents. Mais, pour remplir des fonctions aussi touchantes et aussi essentielles au bien public, est-il nécessaire de tenir à une corporation quelconque? Ne voyons-nous pas ces fonctions également bien remplies dans les gouvernements qui ne connaissent point ces sortes d’établisse-sements? Quand on est assez modéré dans ses désirs pour se contenter de la nourriture et du vêtement, en se rendant utile aux autres, a-t-on besoin de tenir à une riche société dont les biens pe sont la propriété de personne, ou deviennent ,’ Assemblée nationale.) quelquefois le patrimoine de quelques chefs moins sages ou moins scrupuleux? Pour enseigner la jeunesse, a-t-on besoin d’autre chose que de mœurs et de talents ? Pour enseigner la religion et former ses ministres, faut-il un autre esprit que celui de l’Evangile? Pour se consacrer aux soins qui sont dus à l'humanité souffrante, faut-il d’autres motifs que ceux de la charité? Ce n’est pas qu’en beaucoup de circonstances, et à des époques dont le souvenir n’est pas encore effacé, plusieurs congrégations n’aient dû, à l’esprit de corps dont elles étaient animées, une juste célébrité que faisaient rejaillir sur elles quelques hommes supérieurs, et un assez grand nombre de gens à talents qu’elles renfermaient dans leur sein. Ce n’est pas que les mœurs, la religion, les sciences, les arts et les lettres n’aient les plus grandes obligations à la plupart de ces corps estimables en plus d’un sens; mais les grands hommes qui les ont honorés n’eussent été ni moins estimables eux-mêmes, ni moins utiles à la société dans les postes isolés de fonctionnaires publics. Perfectionnons, ou plutôt établissons l’éducation nationale, multiplions les occasions de se distinguer et les motifs d’émulation, et soyons sûrs que la France ne manquera jamais de talents et de vertus. Mais, si l’esprit de corps les a quelquefois fait naître parmi nous, on ne peut se dissimuler qu’il n’ait été trop souvent le germe des dissensions, des disputes, des querelles et des scandales dans l’Eglise et dans l’Etat. Il n’est plus permis de douter aujourd’hui que la paix et la religion n’aient beaucoup plus perdu que gagné à la diversité d’opinions, ou politiques ou religieuses, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 59 qu’a produites dans tous les temps la trop nombreuse multiplicité des corporations. L’expérience du présent se joint à celle du passé pour confirmer ce que nous avançons à cet égard. Des différentes congrégations séculières sur lesquelles vous avez à prendre un parti en ce moment, quelques-unes ont montré que l’esprit public déterminait leurs opinions plus que l’esprit de corps, et ce ne sont pas les moins méritantes aux yeux de la religion et aux yeux de la patrie; d’autres, dirigées par des suggestions et des vues particulières, se sont coalisées avec les ennemis du nouvel ordre de choses, et n’ont rien épargné pour opposer, s’il leur avait été possible, une grande résistance à rétablissement des lois. De simples femmes ont oublié qu’elles ne pouvaient obtenir l’hommage des bénédictions et des respects de la société, qu’en se renfermant dans les fonctions touchantes qu’elles devaient remplir auprès de la jeunesse et des malades. Hâtons-nous pourtant de rendre justice au plus grand nombre des individus, membres des sociétés séparées jusqu’ici de la grande société. Reconnaissons que ces coalitions coupables n’ont été que le fruit des menaces ou des conseils de quelques chefs malintentionnés, que la majorité de chaque congrégation est composée de citoyens patriotes, et vous les trouverez presque tous disposés à continuer comme particuliers, à remplir dans les maisons d’éducation, les services qu’ils y ont rendus jusqu’à ce jour, au nom de leurs corporations; beaucoup en effet n’attendent que le moment où vous les ferez jouir de tous les droits de citoyen, pour en afficher hautement les louables sentiments, et en remplir avec fidélité tous les devoirs. Vous allez trouver une foule d’hommes vertueux et savants, jaloux de se distinguer dans les nouveaux établissements d’éducation nationale. Mais tous avaient un sort assuré, et rien ne pouvait les en priver qu’une conduite notoirement coupable ou criminelle. Chacun d’eux, il est vrai, pouvait renoncer à cette existence, et occuper hors de sa congrégation un poste où il ne dépendît que de son travail et des devoirs de sa place ; et vos comités vous proposeront de compenser les justes prétentions qu’ils ont sur les biens qu’ils vous rendent, avec la primitive destination de la plupart de ces biens consacrés à l’utilité publique. Beaucoup de membres des congrégations sont encore dans la vigueur de l’âge et en état de remplir des fonctions publiques ; d’autres aussi ont vieilli en servant l’humanité, et ont mérité par de longs et pénibles travaux la retraite de vétérans. Il convient donc, en changeant le genre de vie des uns et des autres, de faire en sorte que le passage ne soit pénible pour aucun d’eux, en procurant aux vieillards et aux infirmes une existence au-dessus du besoin ; aux autres une récompense des services passés, qui ne soit toutefois qu’un encouragement pour l’avenir. Quant aux congrégations séculières de femmes, toutes destinées à l’instruction des enfants de leur sexe, ou aux soins plus touchants encore des malades indigents, vos comités ont pensé que ces hiles vertueuses, au milieu de la société, ces filles à qui la philosophie de l’Evangile impose les devoirs les plus pénibles et les plus utiles, en même temps que les privations les plus méritoires ; qui, contentes d’une nourriture frugale et d’un vêtement simple et modeste, ont le courage de renoncer, par les motifs respectables de la religion et de la charité, aux droits les plus sacrés de la nature, de surmonter avec joie les dégoûts que leur présente sans cesse l’humanité souffrante, méritaient bien, autant que celles qui se sont destinées au cloître, la liberté de vivre et de mourir dans l’état auquel elles se sont consacrées ; et ils vous proposent en conséquence d’ajourner ce qui concerne les congrégations séculières de femmes, jusqu’au temps ou cette législature, ou l’une des suivantes, aura organisé l’établissement général de secours publics pour le soulagement des pauvres infirmes et celui de l’éducation nationale; persuadés que ces femmes utiles et respectables trouveront dans le nouvel ordre de choses les mêmes moyens de faire leur bonheur personnel en contribuant à celui de la société. En conséquence, nous vous proposons le projet de décret suivant : Art. l9r. « Les corporations connues en France sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques , telles que celles des prêtres de l’Oratoire, de Jésus, de la Doctrine chrétienne, de la Mission de France ou de Saint-Lazare, des Missions étrangères, des Eudistes, de Saint-Joseph, de Saint-Sulpice, de Saint-Nicolas-du-Ghardonnet, du Saint-Sacrement, du Saint-Esprit, des prêtres dits Mu-lo tins ; « Les congrégations laïques des ermites du Mont-Valérien, de Senard, de Saint-Jean-Baptiste, et tous autres frères ermites; celle des frères des écoles chrétiennes, des frères tailleurs et des frères cordonniers; « Et généralement toutes les congrégations séculières d’hommes, ecclésiastiques ou laïques, sous quelque dénomination qu’elles existent en France, soit qu’elles ne comprennent qu’une seule maison, soit qu’elles en comprennent plusieurs, seront éteintes et supprimées à dater du jour de la publication du présent décret. Art. 2. « Les membres de ces diverses congrégations, actuellement employés dans les maisons d’éducation ou chargés de quelques fonctions publiques, seront tenus de continuer lesdites fonctions jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu. Art. 3. « Immédiatement après la publication du présent décret, les directoires des districts, sous l’inspection des départements, feront dresser, dans leurs ressorts respectifs, un état détaillé des maisons d’éducation, des séminaires, des hôpitaux et de toute autre maison et biens dépendant de chaque congrégation séculière. Cet état distinguera les biens appartenant à une congrégation de ceux appartenant aux villes et municipalités; il distinguera également la portion de biens et de revenus fondés pour l’éducation, pour les secours des malades ou autres objets d’utilité publique, pour le tout être envoyé au Corps législatif. Art. 4. « Néanmoins, l’administration temporelle desdites maisons d’éducation, hôpitaux et autres, continuera à être conduite de la même manière et par les mêmes personnes que par le passé,