BAILLIAGE D’ÉVREUX. CAHIER ' Des instructions , doléances et pouvoirs du clergé des bailliages principal et secondaire d'Evreux , remis à M. DE Lalande, bachelier de Sorbonne, curé dlliers-P Evêque, et a M. LlNDET, docteur de Sorbonne, curé de Sainte-Croix de Bernay,élus députés pour les Etats généraux prochains (1). Religion. Le clergé des bailliages d’Evreux, persuadé que la religion est la base essentielle de la stabilité et du bonheur des empires, déclare 1° qu’il regarde comme une loi fondamentale du royaume que la religion catholique, apostolique et romaine, la seule véritable, est la seule reçue en France. Le flambeau delà foi avait éclairé les Gaules avant que les Français en lissent la conquête. Les vainqueurs embrassèrent la religion des peuples subjugués, et depuis Clovis cette religion sainte a toujours été la seule publiquement professée par la nation et par les princes qui Font gouvernée. Le clergé charge ses députés aux Etats généraux de solliciter le renouvellement des lois nécessaires pour réprimer cette licence effrénée avec laquelle on se déchaîne de nos jours contre un cuite si vénérable. Mœurs. L’oubli des principes religieux entraîne infailliblement l’oubli des principes de la morale ; aussi dans ce siècle, où l’incrédulité a fait de si rapides progrès, on peut dire que la dépravation des mœurs a surpassé les égarements de l’esprit ; les lois, les usages qui paraissent les plus inviolables à nos pères, sont foulés aux pieds. Chaque citoyen s'élève au-dessus des règles; les crimes et les scandales demeurent impunis et sont souvent récompensés ; des esprits inquiets et téméraires semblent avoir formé une conspiration pour briser tous les liens qui attachent les hommes à la société. L’insouciance et la cupidité ont occasionné ces déprédations qui ont presque renversé l’Etat. Mille plumes audacieuses réclament aujourd’hui la liberté de répandre plus universellement, par la presse les funestes conceptions d’une imagination déréglée. Le clergé recommande instamment à ses députés aux Etats généraux de solliciter les règlements et les établissements les plus efficaces pour réformer les mœurs dans toutes les conditions des citoyens; et si les Etats généraux jugeaient que la liberté de la presse dût être accordée, les députés du clergé demanderont qu’il soit ordonné que les imprimeurs auront un livre signé de l’auteur, et qu’ils seront, solidairement avec les auteurs, responsables pour les livres contraires à la religion, aux mœurs et aux lois. Monarchie. Le clergé des bailliages d’Evreux déclare que la France est une monarchie héréditaire, dans la-1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. quelle les Rois se succèdent de mâles en mâles, suivant l’ordre d’aînesse; que la suprême puissance réside dans la personneduRoi, qui ne peutdétruire ni changer les lois constitutives ; que cependant tous les sujets du Roi naissent francs et libres, et doivent être gouvernés par les lois ; que le consentement de la nation a toujours été nécessaire pour la levée des impôts ; que la toute-puissance du trône ne peut suppléer ce consentement. Voter par ordre. Le clergé regarde comme une des plus importantes lois fondamentales de la monarchie la distinction et l’indépendance respective des trois ordres, du clergé, de la noblesse et du tiers-état, dont aucun ne peut être lié par les délibérations des deux autres ordres, le consentement des trois ordres étant essentiellement requis pour donner à un acte le caractère de loi nationale. 11 défend expressément à ses députés de consentir qu’il soit porté aucune atteinte à l’antique constitution, qui est de délibérer par ordre ; il leur défend aussi de consentir à ce qu’on introduise le mode d’opiner par tête, qui insensiblement produirait la confusion des rangs et des conditions, et qui ferait dépendre la durée des lois les plus essentielles de la mobilité des opinions de la multitude. Le clergé et la noblesse faisant dans tout le royaume le sacrifice volontaire de leurs franchises et exemptions pécuniaires, aucun des ordres de l’Etat n’a d’intérêt au changement de la forme antique et constitutionnelle de voter par ordre ; ils doivent tous se réunir pour écarter l’exemple d’une innovation qui entraînerait des suites alarmantes. Soumission à P impôt. Réserves. Le clergé des bailliages d’Evreux, désirant prouver au Roi et à la nation son empressement à procurer la libération de l’Etat, déclare qu’il se soumet à payer tous les impôts que les Etats généraux trouveront à propos de conserver ou d’établir, dans la même proportion que les autres ordres de citoyens, sous la réserve expresse que les emprunts ‘faits pour le Roi par le clergé, et les secours extraordinaires accordés par le même clergé dans les temps où les autres citoyens n’étaient pas chargés d’impôts extraordinaires, seront confondus dans la dette nationale ; que le clergé jouira des mêmes avantages que les autres sujets du Roi, notamment de la liberté de passer ses baux sous signature privée, de l’affranchissement du droit d’amortissement pour les mutations de ses propriétés entre gens de mainmorte, et qu’il ne sera porté aucune atteinte à ses droits honorifiques et utiles, qui ne pourraient lui être enlevés sans blesser les droits sacrés de la propriété et les principes fondamentaux de la monarchie. Etats généraux. Le vœu le plus formel du clergé des bailliages d’Evreux est que ses députés ne délibèrent sur les nécessités de l’Etat, qu’après que les lois [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Évreux.] gQl constitutionnelles du royaume auront été solen-1 nellement déclarées de l’autorité du Roi et du ' ü consentement des Etats généraux, dont le retour ' périodique sera fixé à des époques peu éloignées \ dans le commencement, et qui se tiendront dans j la suite de cinq ans en cinq ans au plus tard. Pour assurer la perpétuité des Etats généraux, le I clergé estime qu’ils ne devront accorder aucuns impôts pour un terme plus long que l’intervalle d’une session à l’autre, et les impôts octroyés dans les Etats généraux cesseront de plein droit à l’époque fixée pour la tenue des Etats suivants. Commission des Etats généraux. Le clergé demande avec instance que, pour écarter tout ce qui pourrait empêcher le retour périodique des Etats généraux, les députés aux-dits Etats généraux s’abstiennent de former aucune commission intermédiaire, les Etats de chaque province pouvant remplir avec moins de péril les fonctions de cette commission. Impôt à terme. Comptabilité. Nous pensons que les prochains Etats généraux jugeront nécessaire de procurer une loi stable, qui défende à tous les tribunaux d’enregistrer et d’autoriser aucune levée d’impôt et aucun emprunt, avant qu’ils aient été consentis par lesdits Etats généraux ; il sera de leur sagesse de n’en consentir aucun avant d’avoir fait établir la comptabilité pour la perception et l’emploi des impôts, et faire régler la compétence des tribunaux qui connaîtront des délits en cette matière, et les peines à encourir. Impôts proportionnels et communs. Il sera de la justice des Etats généraux, en établissant de nouveaux impôts, ou en conservant les anciens, dont les noms sont odieux pour un peuple libre et sensible à l’honneur, de se charger d’ordonner qu’ils soient répartis proportionnellement sur toutes les classes des citoyens du royaume, sans privilège ni exemption. Etats provinciaux. Le clergé des bailliages d’Evreux charge ses députés de représenter humblement à Sa Majesté qœil eût été à désirer que les députés de la province de Normandie aux Etats généraux du royaume eussent pu être nommés par les Etats de" cette province dûment constitués, ce qui leur aurait donné le caractère de députés de la province ; que cette forme ancienne ayant été négligée par le règlement du 24 janvier dernier, il n’a pas cru devoir mettre aucun obstacle ni retardement à la convocation si désirée des Etats généraux, parce qu’il espère que la forme de la convocation sera désormais réglée d’une manière fixe et invariable, qui conservera à chaque province la représentation la plus équitable. Commission des Etats provinciaux. Le clergé des bailliages d’Evreux recommande et enjoint expressément à ses députés de solliciter le rétablissement et la convocation pério-î dique des Etats de la province de Normandie, dont l’organisation provisoire sera arrêtée entre les députés de tous les bailliages de ladite pro-ï vince aux prochains Etats généraux. La première i convocation desdits Etats provinciaux seradéter-* minée avant la dissolution des Etats généraux, et ils seront assemblés au plus tard six mois après la dissolution desdits Etats généraux; il devra être formé une commission intermédiaire qui sera divisée en trois chambres, dont l’une tiendra ses séances dans la haute, l’autre dans la basse, et la troisième dans la moyenne Normandie : les membres de la commission intermédiaire auront entrée et voix délibérative dans chacune de ces chambres. Fixation de la maison du Roi et des départements . Le clergé des bailliages d’Evreux pense que les Etats généraux devront déclarer qu’ils attendent de la générosité de Sa Majesté qu’elle daignera fixer, de concert avec les Etats généraux, la somme nécessaire pour entretenir sa maison, avec l’éclat qu’exige indispensablement la dignité du trône et l’économie que prescrit la situation des finances du royaume. Les fils de France seront suppliés de se contenter des apanages qui leur ont été assignés par édits dûment enregistrés. Les Etats généraux s’occuperont de l’examen des différents départements, fixeront les sommes qu’il conviendra d’employer, et exigeront ques les comptes en soient rendus aux Etats généraux. Recherche des abus. Le clergé des bailliages d’Evreux charge l’honneur et la conscience de ses députés de se faire rendre compte de la situation des finances du royaume, de vérifier les dettes de l’Etat, et d’en rechercher les causes ; de consolider celles qu’ils croiront devoir être acquittées pour l’honneur de la nation ; de demander la suppression ou la diminution des dépenses, l’examen des pensions et des causes pour lesquelles elles ont été accordées, la réforme de tous les abus qu’ils pourront découvrir dans l’administration; une perception d’impôt moins onéreuse, moins arbitraire et moins vexatoire. Réforme des intendants et compagnie de finance. Les Etats généraux jugeront sans doute que leur retour périodique, celui des Etats de chaque province rétablis dans celles où la convocation était négligée, et créés dans celles qui n’en avaieut jamais eu, et la permanence des commissions intermédiaires desdits Etats provinciaux, assureront à la nation une administration économique, qui rendra inutile le service des intendants et de toutes les compagnies de finance, dont la suppression sera accélérée autant que la justice le permettra. Impôts arbitraires . Il est à désirer que les Etats généraux ne consentent jamais d’impôts qui n’aient pas de bases fixes, indépendantes de la volonté des percepteurs ou des assesseurs. Abonnement, aides et gabelles. Le vœu de la nation s’est depuis longtemps assez manifesté pour la suppression des aides et gabelles, qui peuvent être remplacées, ainsi que les autres impôts, par un abonnement pour chaque province. Emprunts viagers , loteries . Il semble que les Etats généraux ne devront jamais autoriser d’emprunts viagers, ni de loteries : l’impôt, qui tend à détruire les mœurs et les liens de famille, et à concentrer les hommes dans un fatal égoïsme, doit être proscrit par de sages administrateurs. 292 fÊlats gén. 1789. Cahiers�] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Êvreux.j Charges et tribunaux. Nous désirons que les Etats généraux procurent une loi nouvelle, qui défende la création de nouvelles charges et de nouveaux tribunaux, pour subvenir aux besoins du fisc par la vénalité de ces offices. Contrôle. Le contrôle et l’insinuation peuvent être convertis en un enregistrement littéral et collationné des actes, fait au greffe des justices royales, pour servir de seconde minute. Les Etats généraux feront rédiger un tarif des droits de ce nouveau droit d’enregistrement, clair, invariable et moins onéreux. L’économie exige que le payement des créanciers de l’Etat se fasse dans les recettes les {dus voisines de leur demeure, ou du lieu de eurs travaux et de leurs fournitures. Domaines. Les domaines de la couronne ont été, pour la plupart, aliénés ou engagés à vil prix ; l’instabilité des engagements fait qu’ils sont mal cultivés et qu’ils produisent peu; leur aliénation paraît désirable, et il est nécessaire d’établir une meilleure administration pour faire valoir ceux qui ne seront pas aliénés. Colombiers, chasses. L’agriculture mérite l’attention et l’encouragement des Etats : elle sollicite le renouvellement des règlements sur les colombiers et les chasses, pour empêcher la multiplication du gibier qui dévaste les campagnes. Traites , poids et mesures. Le clergé des bailliages d’Evreux croit qu’il est de l’intérêt du commerce de demander l’abolition des droits de traite, le dépôt des matrices des poids et mesures dans les municipalités. Municipalité'. Il croit que les communes doivent solliciter la suppression de la vénalité des offices municipaux, leur réintégration dans le droit naturel d’élire leurs représentants et l’assignation des fonds nécessaires pour les dépenses des villes. Les officiers municipaux ne devront rien statuer, délibérer ou exécuter, sans l’avis des députés des ordres et corporations qui formeront la municipalité, et qui seront nommés par leurs corps respectifs. Justice. Le clergé des bailliages d’Evreux pense que l’administration de la justice doit être regardée comme un des objets qui intéressent le plus la félicité et la sûreté publiques. Il charge ses députés de solliciter la suppression du grand conseil et de tous les tribunaux d’exception, et leur réunion aux tribunaux ordinaires; le renvoi aux tribunaux ordinaires des procès en matière d’impôts; l’abolition des commissions et évocations ; un nouvel arrondissement des juridictions ; la fixation du nombre des juges nécessaire pour rendre un jugement; la simplification et l’abréviation de la procédure ; un double dépôt de tous les actes des greffes; la modération de tous les frais judiciaires ; l’obligation de recourir à des juges de conciliation, qui jugeront, sans frais, dans un bref délai qui sera fixé, avant qu’on puisse s’adresser aux tribunaux de justice réglée: » liberté civile des citoyens; la responsabilité devant les tribunaux ordinaires de ceux qui, par des ordres surpris ou autrement, auraient fait ou procuré l’enlèvement d’aucun citoyen, et l'auraient soustrait à ses juges naturels ; l’amélioration de l’état des prisons ; la faculté pour les accusés d’interpeller les témoins avant que ces derniers soient mis en péril, s’ils varient dans leurs dispositions * un conseil pour les accusés après le premier interrogatoire; la suppression du serment des prévenus en crime avant l'interrogatoire; l’instruction à charge et à décharge; l’admission en tout état de cause à la preuve des faits justificatifs; l’accélération des procédures criminelles ; les dommages et intérêts de l’accusé innocent contre le fisc, comme contre les accusateurs; l’appel de tous les jugements criminels aux cours souveraines; un intervalle entre les arrêts qui condamnent à des peines afflctives et infamantes et l’exécution ; le pourvoi contre les arrêts en matière civile et criminelle permis et restreint à une seule fois ; la détermination des tribunaux auxquels seront adressées les révisions des procès ; la modération des peines afflictives; l’abolition des supplices qui révoltent l’humanité; la suppression de la confiscation des biens des condamnés; la suppression de la peine du bannissement ; l’établissement des maisons de correction où seraient renfermés à temps où à perpétuité ceux qui auraient été condamnés à cette peine par les tribunaux, pour y être employés aux travaux dont ils seraient susceptibles ; on y renfermerait également, mais sans communication avec les condamnés, les enfants de famille dont le libertinage et l’inconduite donneraient lieu à de justes appréhensions, les ivrognes incorrigibles, les vagabonds, les mendiants, les gens de mauvaise vie qui troublent l’ordre public, et ce, d’après la délibération de la municipalité, sur les plaintes qu’elle aurait reçues et les informations qu’elle aurait prises ; cette dernière détention ne serait point infamante, et les renfermés seraient relâches après qu’ils auraient repris des mœurs plus honnêtes par l’amour et l’habitude du travail, et gagné un pécule pour fournir à leurs premiers besoins. Mendicité'. L’établissement et la dotation de ces maisons de correction paraissent le moyen le plus certain de purger la France de la mendicité ; on assurera la tranquillité publique contre le retour de ce fléau désastreux, en demandant le renouvellement des ordonnances de police contre les maisons de jeu, les cabarets, les loteries, les jeux de hasard, etc. ; en faisant ordonner que nulle personne ne puisse s’établir dans une paroisse de ville ou de campagne, dans laquelle elle n’est pas née, sans avoir déclaré à la municipalité les moyens qu’elle a de subsister ; en procurant l’éta-blisssement de bureaux de charité dans les grandes paroisses et dans les arrondissements des paroisses peu considérables, et en multipliant lés ateliers de charité dont on a déjà éprouvé de si heureux effets, soit pour le soulagement des pauvres, soit pour la réforme de leurs mœurs. Discipline eccle'siasique. Le clergé, après avoir proposé la réforme des abus introduits dans l’ordre civil, ne doit pas se dissimuler le relâchement de la discipline ecclésiastique : comme citoyens, nous devons gémir sur les malheurs de la patrie ; comme ministres de la religion, nous devons déplorer amèrement les maux dont l’Eglise est affligée. L’influence [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Evreux. 293 graduelle de la discipline ecclésiastique sur la religion, de la religion sur les mœurs, des mœurs sur la constitution de l’Etat, démontre que le rétablissement de la discipline ecclésiastique n’est pas un objet indifférent ni étranger à l’assemblée générale de la nation. Pluralité des bénéfices. Le clergé des bailliages d’Evreux recommande à ses députés de solliciter aux Etats généraux l’exécution des saints canons sur la pluralité des bénéfices. Résidence , incompatibilité des bénéfices. La résidence effective des ecclésiastiques dans les bénéfices à charge d’âmes, ou qui exigent résidence par leur titre, a toujours paru à l’Eglise l’objet le plus digne de son attention. Les Etats généraux devront assurer, par les moyens les plus efficaces, l’exécution des lois qui la prescrivent ; et pour ôter aux bénéficiers un des prétextes Je plus ordinaire d’abandonner les églises auxquelles ils sont attachés, les Etats généraux feront établir, par une loi formelle, l’incompatibilité des places de la cour avec les bénéfices qui exigent résidence. Economats. La longue vacance des bénéfices paraît également contraire à l’esprit de l’Eglise et à l’intérêt des peuples, qui se voient, avec douleur, privés des secours spirituels et temporels que leur procurerait la présence du titulaire. Le clergé des bailliages d’Evreux charge ses députés de demander !a suppression des économats, dont l’administration obscure intervertit la destination des biens des églises; une loi qui ordonne qu’il soit pourvu à tous les. bénéfices dans le même délai qu’aux cures, et aux réparations des bénéfices consistoriaux, de la même manière qu’il est pourvu aux réparations des bénéfices cures. Le clergé a toujours regretté la Pragmatique Sanction ; cette loi solennellement adoptée par la nation, cette loi dont le rétablissement a toujours fait l’objet des justes réclamations des cours et des différents ordres du royaume, et même des Etats généraux précédents ; cette loi, si sagement combinée, paraîtra sans doute aux prochains Etats généraux digne d’être remise en vigueur. Conciles , synodes. La cassation des conciles est une des causes qui ont le plus influé sur la décadence des mœurs et de la discipline de l’Eglise. Les députés du clergé des bailliages d'Evreux demanderont le rétablissement de ces assemblées, solliciteront un concile national qui devra se tenir un an après la clôtures des prochains Etats généraux, une loi qui ordonne que les conciles nationaux se tiennent tous les vingt ans, les conciles provinciaux tous les cinq ans, et les synodes diocésains chaque année. Le libre exercice de la juridiction ecclésiastique paraît encore un moyen nécessaire pour donner du nerf à la discipline de l'Eglise ; les Etats généraux devront s’occuper de l’affranchir des entraves qu’elle a reçues, assigner les limites des deux juridictions, et assurer en particulier l’exécution de la déclaration de 1736. Monitoires. L’abus des monitoires est une des servitudes les plus affligeantes de l’Eglise ; le premier juge a droit de les décrouer ; la légèreté et l’indiscrétion avec lesquelles on les ordonne, pour des causes même ridicules, exposent au mépris et à la dérision des censures qui doivent être réservées pour les causes les plus importantes. Les députés solliciteront aux Etats généraux une loi formelle, qui déclare que les monitoires ne pourront être accordés que sur l’arrêt des cours souveraines, pour des crimes capitaux. Oppositions aux mariages. Les députés solliciteront une loi qui interdise les oppositions frivoles aux mariages. Protestants. Le retour des protestants en France, et les effets civils accordés à leurs mariages, sont des objets trop graves pour qu’ils ne soient pas soumis à l’examen de la nation assemblée. Comme on peut se flatter qu’une abondance de lumières a heureusement disposé l’esprit à l’union et à la concorde, nous ne pensons pas qu’on doive refuser à nos frères errants le rang qu’ils réclament dans la société au nom de la nature -, beaucoup d’entre eux le méritent par leurs vertus morales et civiles, et cet acte d’humanité et de justice ne peut servir qu’à les ramener avec le temps dans le sein de l’Eglise ; néanmoins nous adhérons aux dernières remontrances du clergé, pour solliciter une déclaration interprétative de l’édit concernant les non catholiques. Patronages protestants. Nous pensons aussi qu’il ne convient point à la sainteté de l’Eglise d’être forcée de recevoir ses ministres de la main des patrons qui ne croient pas à ses mystères ; en conséquence, les députés des bailli âges d’E vreux de mandero n t que l’ex er cice du patronage soit suspendu et dorme, lorsqu’il sera possédé par des non catholiques ; qu’il soit dévolu aux ordinaires, sans que, par les nominations ainsi faites, les ordinaires puissent jamais acquérir la prescription. Les commissaires ecclésiastiques aux Etats généraux examineront, dans leur sagesse, si lYon devra recommander aux prières nominales les patrons non catholiques. Les mêmes commissaires solliciteront une ordonnance qui règle, d’une manière uniforme, les droits honorifiques des seigneurs et patrons dans les églises. Rang des curés. r L’importance et l’utilité des fonctions du saint ministère exercé par les pasteurs du second ordre doiventfairedésirerqu’ilsjouissentdela considération qui leur est due ; en conséquence, le clergé désire que les Etats généraux déterminent le rang que les curés tiendront dans les assemblées politiques et ecclésiastiques. Portion congrue. L’indigence de la plupart des curés et de leurs coopérateurs contribue souvent à leur avilissement. Le remède à cet abus serait de fixer en essence la portion congrue des curés, des vicaires et même des confesseurs nécessaires dans les paroisses des villes, bourgs et campagnes ; d’augmenter la portion congrue, fixée par les derniers règlements à un taux nullement proportionné aux besoins des ministres et au prix des denrées. Les besoins n’étant pas les mêmes dans toutes les paroisses, il conviendrait de laisser la faculté et de recommander aux évêques de fixer la portion congrue, dans les circonstances qui l’exigeront, 294 [États gén . 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Évreux.] > à un taux plus considérable que celui qui serait généralement ordonné. Unions. Il n’est pas moins indispensable de procurer la dotation des cures, dont les portions congrues ne peuvent être assignées sur les grosses dîmes de la paroisse, par l’union des bénéfices aux cures, ou par la réunion des portions des cures en une. Ce moyen, indiqué depuis longtemps, n’a produit aucun effet, à cause des frais qu’entraînent lesdites unions ou réunions. Les Etats généraux jugeront combien il est indispensable de simplifier les formalités des réunions et des unions faites aux cures, et même aux églises cathédrales, aux séminaires, collèges, pensions de retraite pour les vieux prêtres. Il semble aussi que les Etats généraux doivent procurer une loi qui autorise à couvrir, par la prescription quadragénaire, le défaut dés formalités exigées pour ces sortes d’unions et réunions. Vicaires à la charge des gros décimateurs. Le clergé des bailliages d’Evreux croit que la jurisprudence qui affranchit les gros décimateurs de la portion congrue des vicaires, dans les paroisses dont les curés jouissent d’une partie de la dîme, doit être changée, et que les gros décimateurs doivent être assujettis au payement de la portion congrue des vicaires nécessaires, eu égard à la population et l’étendue des paroisses, concuremment avec les curés, et à proportion des dîmes qu’ils possèdent. Fabrique. Il parait juste que les gros décimateurs suppléent à l’indigence des fabriques, pour l’entretien desdites fabriques. Aumônes. L’aumône étant une des obligations les plus indispensables des bénéficiers, les Etats généraux feront ordonner que, sur les dîmes que les gros décimateurs possèdent dans les diverses paroisses, il soit taxé une aumône proportionnelle au nombre des pauvres et au revenu des bénéfices, laquelle aumône sera distribuée par le curé et la municipalité. Malte. Les mêmes Inotifs qui ont déterminé l’Eglise à consacrer l’inamovibilité des curés, et qui engagent aujourd’hui à réclamer en leur faveur et en celle de leurs vicaires une augmentation, de portion congrue, doivent procurer les mêmes avantages aux églises de l’ordre de Malte. Scellés. Souvent les successions des curés suffisent à peine pour les frais qu’entraîne l’apposition des scellés après leur mort. Le clergé demande que les municipalités soient chargées d’apposer, sans frais, les scellés sur les successions des curés ; ue les chapitres soient maintenus dans le droit 'apposer les scellés sur les successions de tous les membres de leurs églises et des personnes qui y sont attachées ; que les chapitres des églises cathédrales soient autorisés à apposer les scellés sur les successions des évêques. Quote-morte. Les réguliers qui nomment aux cures régulières prendront, dans tous les cas, la quote-morte des curés réguliers, et seront chargés des réparations desdits bénéfices. Déport et année des héritiers. Lors du décès des curés, les héritiers jouissent quelquefois du revenu de l’année commencée, et les évêques de Normandie jouissent du revenu de l’année suivante, à charge de payer le desservice; l’année des héritiers peut, à la vérité, servir de gage pour les réparations du presbytère ; mais do cet usage reçu dans la province, il résulte que le titulaire ou le desservant, pendant l’année des héritiers, et pendant l’année du déport, sont privés des ressources nécessaires pour leur subsistance et pour le soulagement des pauvres des paroisses. Le clergé charge ses députés de solliciter aux Etats généraux une loi qui abolisse les déports, en indemnisant les intéressés, et qui ordonne ue les héritiers ne participeront aux revenus es cures que jusqu’à la prise de possession du successeur. Dépôt des titres des cures. Les titres des cures se trouvent souvent égarés au décès des titulaires ; il paraît à désirer que les Etats généraux fassent ordonner que les titres soient mis dans un dépôt qui sera indiqué par les Etats généraux ; qu’il en soit fait inventaire, et qu’ils ne puissent être déplacés que sous récépissé. Deniers des fabriques. Les deniers des fabriques étant destinés à l’entretien des églises, le clergé demande que ces deniers ne puissent être employés à d’autres usages, tels que réparations de presbytère; chemins vicinaux, etc. Reconstitutions. Les fabriques se trouvent exposées à la diminution graduelle et à l’anéantissement de leurs revenus, par la loi qui leur interdit la faculté de reconstituer les capitaux provenant du remboursement des rentes anciennement constituées à leur profit ; de là résulte nécessairement l’impuissance de faire acquitter les fondations et d’entretenir les établissements des maîtres et maîtresses d’écoles, et même les aumônes fondées pour les pauvres des paroisses. Le clergé demande qu’on laisse aux fabriques la faculté de reconstituer lesdits capitaux. Aliénation. Les derniers temps offrent une si grande multitude d’exemples d’aliénation des biens ecclésiastiques, et surtout des biens réguliers, qu’il paraît nécessaire de prévenir la dissipation entière du patrimoine de l’Eglise, en faisant ordonner que les biens d’église, même appartenant aux réguliers, ne pourront être aliénés sans le consentement des évêques, et sans lettres patentes dûment enregistrées. Dîmes. L’incertitude de la jurisprudence sur les dîmes étant devenue un sujet de contestations innombrables, le clergé désire que, pour assurer aux pasteurs le repos et la tranquillité dont ils ont besoin pour vaquer à l’exercice de leurs fonctions, les Etats généraux veuillent bien assurer l’enre-§istrement et l’exécution de la déclaration du oi, du 29 mai 1786, pour les dîmes, et lever les difficultés auxquelles il n’aurait pas été suffisam ment pourvu par ladite déclaration. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage d’Évreux.J 295 Novales. Les nouvelles lois relatives aux novales se trouvant contraires aux droits des curés qui ne sont pas à portion congrue, les députés demanderont que lesdites novales soient réglées comme elles l’étaient avant 1768. Sanctification des fêtes et dimanches. La sanctification des fêtes et dimanches doit être regardée comme une partie essentielle du culte qui est dû à la Divinité ; le clergé renouvelle les instances qu’il a faites dans tous les temps, pour faire interdire les foires et marchés dans ces saints jours et les assemblées aux jours de fêtes de paroisses. Hôpitaux et retraite des prêtres. Le clergé sollicite la faculté d’assigner sur les biens de FEglisedes pensions aux anciens prêtres, à qui leur âge et leurs infirmités ne permettent pas de continuer l’exercice de leurs fonctions, et aux ecclésiastiques dans les ordres sacrés, infirmes ou indigents. Sages-femmes, charlatans. Les mêmes motifs de charité engagent le clergé à solliciter les Etats généraux de s’occuper des moyens de former des cours d’accouchement pour l’instruction des sages-femmes, et de procurer rétablissements desdites sages-femmes dans les campagnes, où une multitude de femmes en couches périssent, victimes de l’ignorance des personnes qui leur donnent leurs soins ; l’intérêt que toute âme sensible prend à l’humanité souffrante inspire au clergé le désir de faire dénoncer, par ses députés aux Etats généraux, Tairas effrayant qui résulte de la tolérance accordée aux empiriques. Collèges. On se plaint du peu de succès de l’instruction dans nos collèges ; les députés du clergé représenteront aux Etats généraux que le moyen de remédier aux abus de l’instruction de la jeunesse serait d’employer quelques corps réguliers ou congrégations séculières dans les colleges, ou de les inviter d’établir des collèges dans leurs maisons, en rappelant les religieux à la sévérité des anciennes maximes des cloîtres ; ils seraient plus à portée de perfectionner le plan d’enseignement, qui deviendrait uniforme et perpétuel entre leurs mains. Les réguliers et les congrégations seraient soumis à l’inspection des évêques dans ce qui concerne renseignement et le temporel des collèges qui y auraient été réunis. Agents du clergé. Il est important que les agents du clergé soient membres des Etats généraux ; ils furent admis en cette qualité à ceux de 1614. Le clergé ne peut traiter aucune affaire sans agents ; leur procuration les charge de toutes les affaires du clergé ; ils sont donc les députés du clergé dans toutes les assemblées où l’on convoque cet ordre et où l’on peut traiter de ses intérêts. Le présent cahier, arrêté et rédigé par MM. les commissaires, approuvé par rassemblée du clergé, a été transcrit sur le brouillon qui avait été signé et paraphé par Mgr l’évêque d’Evreux, et la collation faite par MM. les commissaires soussignés, et ceux de MM. les curés désignés pour suppléer à ceux de MM. les commissaires aui n’ont pu attendre la transcription : et la présente copie servira de minute ainsi qu’il a été arrêté. Noms de MM. les députés de l'ordre du clergé des bailliages principal et secondaire d*Evreuxt pour les Etats généraux. DIOCÈSE D’ÉVREUX. M. de Lalande , docteur de Sorbonne, curé d’11- liers-l’Evêque. DIOCÈSE DE LISIEUX. M. Lindet, docteur de Sorbonne, curé de Sainte-Croix de Bernay. CAHIER DE L’ORDRE DE LA NOBLESSE DU BAILLIAGE D’ÉVREUX, Rédigé par MM. les commissaires nommés en l’assemblée de tout l'ordre, tenue le 18 mars 1789, devant M. le grand bailli , contenant les demandes et réclamations dudit ordre, remis à M. le comte de Bonneville et à M. le marquis de Chambrai/, députés aux Etats généraux en 1789(1). L’assemblée de l’ordre de la noblesse du bailliage d’Evreux, Considérant que les malheurs qui affligent la France prennent leur source dans les violations répétées qui ont été faites aux lois constitutives du royaume et aux droits imprescriptibles de la nation, qui en sont une partie intégrante et es sentielle ; Que ces lois ne sont tombées en désuétude que parce que, n’étant pas rassemblées en un seul corps, elles ont donné plus de facilité aux ministres de tromper la religion de plusieurs de nos souverains, et de leur présenter les secours volontaires que leur offrait une nation libre et généreuse, comme le tribut d’un peuple asservi ; Considérant enfin que le temps, les abus, des actes multipliés et illégaux de l’autorité souveraine ont fait perdre de vue les vrais principes de la monarchie, pour y substituer l’usage du pouvoir arbitraire dont nous éprouvons actuellement les funestes effets*, L’assemblée pense que le premier, l’unique moyen qu’on puisse et qu’on doive employer pour remédier efficacement aux majjp. actuels de l’Etat et prévenir ceux dont il est menacé, est de rappeler la constitution française h ses vrais principes ; Que tous les moyens qu’on pourrait employer, si on négligeait celui-là, ne seraient que des palliatifs dont l’effet serait encore plus funeste que les maux actuels ; et en conséquence, les sentiments profonds d’attachement et de fidélité que l’ordre de la noblesse du bailliage d’Evreux a pour le Roi, et ceux qu’il doit à la patrie, fui font un devoir de charger très-expressément les députés ui seront élus par voie du scrutin, de solliciter e la justice du Roi une charte qui, en constatant et déterminant d’une manière précise les droits respectifs du souverain et de la nation, les assurent à jamais, et dans laquelle il soit expliqué : Que la nation déclare qu’elle regarde comme un des principes delà constitution française l’ordre de succession au trône, tel qu’il a été consacré par l’usage depuis tant de siècles. Que dans les cas d’extinction totale de toutes (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat.