703 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] tellement utile pour nous, qu’il ne le soit encore pour les provinces, et qu’il ne tienne essentiellement à l’heureuse destinée de toute la France. Le département alternera. Non, certainement. C’est absurde et impossible. La somme des intérêts peut-elle être balancée par aucune ville de l’arrondissement? Y en a-t-1 qui puisse rivaliser avec Paris? En est-il, même pour la localité, qui ne portât trop loin clu centre le chef-lieu de la province? Au lieu de neuf lieues, les citoyens de l’extrémité opposée voudront-ils en faire quinze ou dix-huit pour aller à Etampes ou à Senlis? Si je voulais suivre ces combinaisons je réunirais mille absurdités. L’Assemblée nationale a décrété que le chef-lieu de département pourrait alterner, mais elle n’a pas décrété qu’il alternerait. üe la possibilité générale au fait particulier, la conséquence n’est pas nécessaire, et ici elle est répugnante. C’est entre des villes à peu près égales en importance et en position, que l’Assemblée nationale a statué le pouvoir d’alterner, parce qu’il est certain qu’elle n’a voulu décréter et n’a décrété en effet que ce qui est raisonnable et utile. Les villes moyennes, telles que sont toutes celles qui se trouvent à neuf lieues à la ronde de Paris ne jalouseront point la capitale, qui sera particulièrement pour elles, l’aînée de la famille, leur utile et puissante amie Elles en tireront par l’union la plus intime, des ressources inestimables : Versailles, Saint-Germain, Pontoise, Senlis, Brie, Etampes, et deux autres encore, qui seront chef-lieu de district, qui fourniront de leurs citoyens pour les deux assemblées de département général et de municipalité, district à Paris, n’auront-elles pas un relief distingué, une toute autre puissance que si elles étaient simplement unies entre elles sans aucun lien avec cette grande cité? C’est une étrange idée encore de trouver extraordinaire que la capitale de la France réunisse dans son sein toutes les importantes institutions qui seront dispersées çà et là dans les villes de provinces. Comme si le chef-lieu de l’empire français pouvait être trop grand, trop majestueux, et dût n’avoir qu’un éclat terne et qu’une faible influence. Oui, il faut trouver tout à Paris; il faut que ce soit le fidèle miroir de la France entière, et la juste image de sa grandeur. On le trouve trop étendu et trop peuplé. C’est une erreur sensible. 11 est, j’ose le dire, étroit et désert pour une si vaste et si puissante monarchie. Voyez Londres, dont l’étendue et la population étant les mêmes, surpasse, par rapport à l’Angleterre, dix fois nos proportions par rapport à la France. Rappelez-vous Alexandrie peuplée de cent cinpuante mille habitants, et qui n’était pas la capitale de cette Egypte grande comme une de nos provinces, Antioche dans le petit Etat de Syrie, et renfermant dans ses murs douze cent mille âmes; a ce moment encore, considérez les villes du troisième ordre dans la Chine avec des millions de citoyens; et qu’on dise que les grandes cités appauvrissent et dépeuplent les campagnes ; elles les enrichissent et les fécondent. L’Espagne ne fera jamais rien de grand, et n’aura toujours qu’une population rare et indigente ; sa capitale est trop faible, le foyer de l’Etat n’a pas assez de chaleur, et tout languit, malgré l’or du Pérou, dans ses belles provinces que la nature a vainement favorisées de ses dons les plus chers. Je ne veux pas répéter des vérités senties de tout homme capable de réfléchir sur les avantages inestimables qui résultent de l'étendue et de la population d’une grande capitale, pour le commerce, l’agriculture, les consommations, le travail productif des denrées, les beaux-arts, les sciences, le progrès de l’esprit humain et tous les grands intérêts d’une grande nation. Je , me borne à un seul qui renferme tout, et je finis : c’est la liberté. Français de toutes les provinces, la liberté ! C’est en son nom que je vous conjure de ne pas jalouser la puissance et l’éclat, inais au contraire d’aimer et d’agrandir la force et l’énergie de votre capitale. Si elle eut été moins paissante et moins imposante, vous étiez esclaves à jamais. Vous êtes libres par elle, et si vous l’affaiblissez, comme vos adversaires incapables vous l’insinuent, vous ne resterez pas libres, vous retomberez dans les fers de l’aristocratie de toutes parts. Vous n’aurez plus de foyer de chaleur, vous n’aurez plus de centre de réunion; vous n’aurez plus ce qui donne l’âme et la vie à un puissant empire. Agrandissez, embellissez, encouragez Paris; c’est la patrie commune de tous les Français; qu’elle devienne enfin ce qu’elle doit être, la plus florissante comme la plus libre cité de l’univers ! Je conclus, Messieurs. Un département de même proportion que les autres, à Paris : ce département ayant toujours ici son assemblée entièrement distincte de la municipalité, qui sera surveillée par cette administration générale; un des neuf districts du département à Paris, le district formé sur le plan de M. de Vauvilliers. La municipalité unie à ce district, et ne formant avec lui qu’un seul corps indivis. Cependant la municipalité de Paris restreinte à ses murs, comme municipalité, mais ayant inspection sur les municipalités adjacentes, comme district, et admettant en conséquence dans son sein, le petit nombre de représentants que les autres communes auront le droit d’avoir, selon les proportions réglées pour toute la France; toutes les grandes institutions conservées ou établies sous une meilleure forme dans son enceinte, pour concourir plus efficacement à la conservation de la liberté, à la splendeur de l’Etat, à la prospérité de toutes les provinces du royaume, et à la gloire de tout l’empire français, Voilà ma motion, mes raisons et mes vœux. 4e ANNEXE. Opinion de M. Gossin, député de la province du Darrois (1), sur l'utilité des divisions proposées par le comité de constitution, et sur l'application de ce plan aux trois provinces de la Lorraine, des Evêchés et du Barrois. Messieurs, la France doit donc cesser d’être un assemblage de pièces posées les unes à côté des autres, sans adhérence mutuelle; nos Assemblées nationales ne seront plus vouées à l’impuissance et à l’inaction auxquelles les destinait un défaut de liaison des parties et le contraste de chaque administration particulière. L’esprit public triomphera de ce barbare monument, résultat informe du développement successif du système féodal, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. M. Gossin était du nombre des députés qui demandaient à parier sur la division du royaume, et qui n’a pu le faire, parce que l’Assemblée a jugé que la matière était suffisamment discutée. (Note de M. Gossin.) 704 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAR et nous jouirons de la constitution que Charlemagne avait donnée à la France. L’administration actuelle de ce beau royaume offre, dans sa forme quelque chose de républicain ; ses parties étant séparées et sans correspondance, les différents droits et usages des portions en varient le gouvernement et le laissent sans activité et sans concert. Les roues d’une machine aussi compliquée s’embarrassent nécessairement, et il est impossible de leur imprimer un mouvement uniforme et utile. L’administration nouvelle que créera l’Assemblée nationale aura dans son sein un centre de réunion qui doit bannir désormais l’intérêt, l’ignorance et l’intrigue qu’enfantèrent jusqu’à présent l’esprit de corps et les prétentions des intérêts particuliers : on ne sera plus patriote pour sa province, et mauvais citoyen pour l’Etat; chacune d’elle n’aura plus une espèce de gouvernement et de souveraineté dans son ressort; le conflit de ces petites passions n’aliumera plus ni le feu de la discorde, ni ces querelles intestines qui déconcertèren t les administrateurs les plus sages ; hâtons-nous, Messieurs, de nous reposer dans la seule constitution qui convienne à un grand Etat qui veut être libre, celle où un petit nombre, dépouillé d’affections ennemies et locales, délibère pour tous au nom de tous, et où un seul exécute pour un seul intérêt, celui de l’Etat. L’uniformité de ce nouveau régime n’est pas le seul avantage qui le caractérisera; une vigilance, une inspection directe et attentive assureront le bonheur et la confiance de toutes les parties qui lui seront soumises. Les anciennes administrations provinciales n’étaient véritablement utiles qu’aux grandes cités; leurs commissions intermédiaires étaient presque toujours composées des députés de la capitale. Le temps rapide de l’Assemblée, la séduction d’un travail préparé enlevaient aux représentants des parties éloignées de la province toute influence sur ses opérations. La ville dominante accaparait les richesses, les moyens d’émulation, les ressources d’encouragement, car tout se porte au foyer de l’intérêt ou au théâtre de l’honneur. Les trois provinces de Lorraine, du Barrois et des Trois-Evêchés, réuniront au précieux avantage d’être des parties liées à un grand tout, celui de remédier aux inconvénients majeurs que produit la bizarre circonscription de chacune d’elles. Aucune de ces trois provinces n’a des parties contiguës les unes aux autres, et cette inégalité choquante est la plus incommode pour les gouverner, de toutes celles qui existent en France. Quoi de plus préjudiciable aux habitants de ces cantons, que d’être obligés de s’adresser à des points très-éloignés de leur demeure, et tous différemment situés, de parcourir de très-grandes distances pour trouver, dans un point, l’administration ; dans un autre, la cour de justice; dans celui-ci, la cour d’attribution ; dans celui-là, la recette des impositions; dans un autre enfin, le diocèse; et quoi de plus juste et de plus naturel qu’une division qui fera disparaître ces servitudes onéreuses que le préjugé même des cantons rougirait de défendre, puisquelles consument le temps et les facultés des habitants des campagnes. Mais, en adoptant ce plan d’uniformisation qui unira les peuples de ces trois provinces, il faut aussi concilier leurs droits et leurs intérêts respectifs. Député du Barrois, je dois mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale les titres sacrés EMENTAIRES. [21 décembre 1789.] qui maintiendront cette province dans l’une des divisions qui doivent lui être accordées. Le duché de Bar a cinquante lieues de longueur, sur douze de largeur : il contient une population de plus de trois cent mille âmes, renfermée dans sept cents villes, bourgs ou villages, non compris le Glermontois, démembré en 1641. Le Barrois est représenté à l’Assemblée nationale par trois députations formées dans les assemblées de onze bailliages secondaires, dont les électeurs ont été convoqués à Bar-le-Duc, pour leur réduction. Quoique uni à la généralité de Lorraine, le Barrois a toujours formé une province à part, ayant constamment, ou ses Etats provinciaux, ou ses administrateurs particuliers jusqu’à ce jour. Le duché de Bar, disait en 1749, M. l’avocat général le Bret, est une province française régie par le concordat, qui, avant et depuis son union au gouvernement de la Lorraine, n’a jamais perdu sa primitive constitution. Il n’y a rien en cela qui doive étonner, puisqu’il existe dans le royaume plusieurs généralités d’une moindre étendue, d’une importance moindre que n’est le duché de Bar, telles que celles de Valenciennes et de Perpignan. Bar-le-Duc est la capitale de cette province : c’est dans cette ville, peuplée de douze mille âmes, siège de plusieurs tribunaux, que se sont tenus les derniers Etats généraux de ce duché, jusqu’en 1664; c’est dans son sein que reposent de tout temps les archives de ses Etats, qui se sont aussi tenus à Saint-Mihel et à Pont-à-iVlousson; c’est à Bar que se sont toujours faits, que se font encore le régalement, le régime des subsides imposés sur le duché, la vérification de la comptabilité des villes, et la réception des foi et hommage des vassaux du Roi. Cette province a aussi joui d’une cour suprême de justice ordinaire, qui a siégé à Saint-Michel, et Bar possède une chambre des comptes que Chopin a distinguée comme la plus ancienne du royaume. L’exécution du plan du comité de constitution doit laisser au Barrois l’avantage dont cette province jouit depuis neuf siècles de s’administrer elle-même ; alors elle concertera, avec les autres départements des provinces de Lorraine et des Évêchés] une répartition de territoire qui sera pour toutes une première base de félicité publique. La ville de Bar-le-Duc énonce, Messieurs, avec d’autant plus de sécurité et de raison le vœu et les droits d’un pays dont elle est la capitale, que pressentant le patriotisme qu’ont dédéployé les représentants de la nation, elle a fait par ses cahiers, le sacrifice du privilège d’exemption de toute imposition dont elle jouit depuis neuf siècles ; privilège nécessaire au maintien de sa population, dont l’anéantissement aurait sur elle une très-fâcheuse influence. Quand ce duché ne jouirait pas d’un régime particulier et local, aussi ancien que son existence, le commerce si important de ses vins, qui fournissent seuls aux moyens de subsistance de ses habitants et à l’acquit des impôts, exigerait la création d’une administration patriotique et locale ; mais ils la possèdent, ils ne peuvent la perdre; c’est d’elle que dépendra principalement la régénération et le bonheur de leur patrie; entièrement dévouée aux décrets de l’Assemblée nationale, elle a aussi une confiance sans réserve en sa justice.