[2 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 236 Art. 19. L’Assemblée nationale s’en remet au Roi du soin de prendre avec la caisse d’escompte, ou avec des compagnies de finance, tels arrangements qui lui paraîtront convenables, afin de recevoir d’elles des avances sur le produit de la contribution patriotique, ou sur telles autres valeurs exigibles qui pourront leur être délivrées. Art. 20. L’Assemblée nationale approuve que le premier ministre et le comité des finances examinent de concert les projets qui seront présentés pour la conversion de la caisse d’escompte en une banque nationale, et que le résultat de cet examen soit mis sous les yeux de l’Assemblée. Art. 21. L’Assemblée nationale invite les particuliers, les fabriques et les communautés à porter leur argenterie aux hôtels des monnaies, et elle autorise les directeurs de ces monnaies à payer le titre de Paris 55 livres le marc en récépissés à six mois de date sans intérêt, lesquels récépissés seront reçus comme argent comptant dans la contribution patriotique. Art. 22. L’Assemblée nationale autorise le Trésor public à recevoir dans l’emprunt national l’argenterie au titre de Paris à 58 livres le marc, à condition que moyennant cette faveur particulière on ne jouira pas de la faculté de fournir la moitié de la mise en effets portant 5 0/0 d’intérêt. La discussion s’ouvre sur le projet de décret présenté par le comité des iinances. M. de Lachèze rappelle l’observation du comte de Mirabeau, sur la formule de déclaration que devront faire les contribuables au nouveau subside. Il demande que la perception de cette contribution soit faite sans frais, par les receveurs particuliers et généraux, et pense qu’on doit supprimer du décret l’article qui a rapport à la vaisselle, aux bijoux et à l’argent comptant. M, Target. Il est évident que si le Roi est autorisé à traiter avec la caisse d’escompte ou avec d’autres compagnies de finance, la surveillance des commissaires de l’Assemblée nationale se trouvera réduite à la perception; et je demande que cette surveillance s’étende sur l’em ploi des sommes qui proviendront du nouveau subside, ce qui est dans l’esprit du ministre, et qu’alors le comité surveille les traités qui seront faits par le Roi avec les compagnies de finance. M. Camus. Je demande si le président s’est conformé aux ordres qu’il a reçus hier de l’Assemblée; s’il a enfin porté à l’acceptation du Roi la déclaration des droits et les articles de la Constitution déjà arrêtés. M. Target pense qu’il doit être sursis à l’examen de la rédaction du décret qui vient d’être présenté par le comité des finances, jusqu’après la démarche du président. M. Fréteau. Je demande l’impression du projet de décret, pour qu’il soit distribué et examiné ce soir dans les bureaux. M. Ce Chapelier regarde cette impression comme dangereuse, en ce qu’elle pourrait propager une erreur dans le public, qui prendrait peut-être pour un décret ce qui ne sera cependant qu’un projet. M. de Custine. Ii est nécessaire d’indiquer dans le préambule du décret les motifs qui ont déterminé l’Assemblée à le prononcer, et l’emploi qui sera fait des sommes qui en proviendront. M. le Président annonce que le comité de Constitution, qui avait été chargé de classer les divers articles de la déclaration des droits de l’homme et de la Constitution, décrétés par l’As-I semblée, pour que ces articles soient présentés ià l’acceptation du Roi, est prêt à soumettre cette ; classification à l’Assemblée. L’Assemblée interrompt son ordre du jour. M. Démeunier, membre du comité, fait lecture des articles. Il indique deux corrections grammaticales que le comité juge nécessaires. L’article 4 de la déclaration des droits, décrété dans la séance du 21 août, était conçu en ces termes : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; le comité propose de dire : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Un article de Constitution, décrété dans la séance du 22 septembre, était rédigé de cette manière : « Le refus suspensif du Roi cessera à la seconde législature qui suivra celle qui a proposé la loi. » Le comité est d’avis d’exprimer ainsi cet article : « Le refus suspensif du Roi cessera à la seconde des législatures qui suivront celle qui aura pro-prosé la loi. » Ces deux corrections sont admises et les décrets sont adoptés dans les termes suivants : DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME EN SOCIÉTÉ.* Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rap-, pelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, ea présence et sous les auspices de l’Etre su-' prême, les droits suivants de l’homme et du citoyen : Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres'" et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Art. 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.* Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout C3 qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. Art. 5. La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Art. 6. La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, â sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 237 yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans au ire distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen, appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. Art. 8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur, qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi. Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi. Art. 12. La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. Art. 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. Art. 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. Art. 16. Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. ARTICLES DE CONSTITUTION. Art. 1er. Tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation, et ne peuvent émaner que d’elle. Art. 2. Le gouvernement français est monarchique : il n’y a point en France d’autorité supérieure à la loi ; le Roi ne règne que par elle ; et ce n’est qu’en vertu des lois qu’il peut exiger l’obéissance. Art. 3. L’Assemblée nationale a reconnu et déclaré, comme points fondamentaux de la monarchie française, que la personne du Roi est inviolable et sacrée; que le Trône est indivisible; que la couronne est héréditaire dans la race régnante, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l’exclusion perpétuelle et absolue des femmes et de leurs descendances, sans entendre rien préjuger sur l’effet des renonciations. Art. 4. L’Assemblée nationale sera permanente. Art. 5. L’Assemblée nationale ne sera composée que d’une Chambre. Art. 6. Chaque législature sera de deux ans. Art. 7. Le renouvellement des membres de chaque législature sera fait en totalité. Art. 8. Le pouvoir législatif réside dans l’Assemblée nationale, qui l’exercera ainsi qu’il suit : Art. 9. Aucun acte du Corps législatif ne pourra être considéré comme loi, s’il n’est fait par les représentants de la nation librement et légalement élus, et s’il n’est sanctionné par le monarque. Art. 10. Le Roi peut refuser son consentement aux actes du Corps législatif. Art. 11. Dans le cas où le Roi refusera son consentement, ce refus ne sera que suspensif. Art. 12. Le refus suspensif du Roi cessera à la seconde des législatures qui suivront celle qui aura proposé la loi. Art. 13. Le Roi peut inviter l’Assemblée nationale à prendre un objet en considération, mais la proposition des lois appartient exclusivement aux représentants de la nation. Art. 14. La création et suppression des offices ne pourront avoir lieu qu’en exécution d’un acte du Corps législatif, sanctionné par le Roi. Art. 15. Aucun impôt ou contribution, en nature ou en argent, ne peut être levé; aucun emprunt, direct et indirect, ne peut être fait autrement que par un décret exprès de l’Assemblée des représentants de la nation. Art. 16. Le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du Roi. Art. 17. Le pouvoir exécutif ne peut faire aucune loi, même provisoire, mais seulement des proclamations conformes aux lois pour en ordonner ou en rappeler l’observation. Art. 18. Les ministres et les autres agents du pouvoir exécutif sont responsables de l’emploi des fonds de leur département, ainsi que de toutes les infractions qu’ils pourront commettre envers les lois, quels que soient les ordres qu’ils aient reçus : mais aucun ordre du Roi ne pourra être exécuté s’il n’a pas été signé par Sa Majesté, et contresigné par un secrétaire d’État, ou par l’ordonnateur du département. Art. 19. Le pouvoir judiciaire ne pourra, en aucun cas, être exercé par le Roi, ni par le Corps législatif, mais la justice sera administrée au nom du Roi par les seuls tribunaux établis par la loi, suivant les principes de la Constitution, et selon les formes déterminées par la loi. M. le Président se retire par devers le Roi pour présenter la totalité des articles à l’acceptation de Sa Majesté. Aux ternies du règlement, il est remplacé par M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre, dernier président. L’Assemblée reprend la suite de son ordre du jour concernant le projet de décret du comité des finances. M. Pétion de Villeneuve. Il est important de discuter la rédaction qui vient de vous être présentée, et qui est absolument conforme à celle qui vous a été lue par le ministre ; votre comité n’y a fait d’autre changement que de transformer en articles ce qui en formait le préambule. J’observe qu’il est impossible que la mémoire des membres de cette Assemblée les serve assez bien, pour qu’ils fassent les observations que leur sagesse pourrait leur inspirer après un examen réfléchi : je demande donc l’impression de cette rédaction, sous le titre de projet ; par ce moyen, le peuple ne pourra pas tomber dans les erreurs qu’un des préopinants a paru redouter. M. Robespierre. J’appuie la dernière observation de M. Pétion de Villeneuve, et je pense que l’Assemblée, d’après le décret qu’elle a prononcé hier, ne peut délibérer sur la rédaction qui vient de lui être soumise qu’après que le Roi aura accepté la déclaration des droits, et les ar-