668 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il avril 1790.1 t° De lettres-patentes sur le décret du 16 du mois dernier, concernant les personnes détenues en vertu d’ordres particuliers ; 2° De lettres-patentes sur le décret du 18, interprétatives de celles concernant les jugements définitifs émanés des juridictions prévôtales; 3° Des lettres-patentes sur les décrets des 20 février, 19 et 20 mars, concernant les religieux; 4° De lettres-patentes sur le décret du 12, qui annule les procès commencés à raison de la perception de différents droits; 5° De lettres-patentes sur le décret du 27, portant établissement d’une commission provisoire pour l’assiette dans le Béarn, en 1790, des mêmes impositions qui ont été levées en 1789; 6° De lettres-patentes sur le décret du même jour, portant établissement d’une semblable commission pour le pays de Soûle; 7° De lettres-patentes sur le décret relatif au paiement de la contribution patriotique; 8° De lettres-paten tes sur le décret qui déclare que la connaissance du délit dont est prévenu le sieur d’Ambert.appartientàlasénéchaussée de Marseille; 9° D’une proclamation sur le décret du 28 mars, relatif aux difficultés survenues lors de la formation de la municipalité de Vercel en Franche-Comté; 10° D’une proclamation sur le décret du 29, concernant les pouvoirs des commissaires nommés par le roi pour la formation des assemblées primaires et administratives. M. le Président annonce que le scrutin pour l'élection du président n’a pas donné de résultat et qu’il y aura lieu de le renouveler aujourd’hui. Les nouveaux secrétaires élus sont MM. Le Goazre de Kervélégan, Muguet de Nanthou et Rœderer, qui remplacent MM. le marquis de Bonnay, Gossin et Mougins de Roquefort, arrivés au terme de leurs fonctions. L'ordre du jour est la discussion du projet de décret sur le remplacement des dîmes. La discussion porte sur les quatre premiers articles du décret présenté par M. Chasset et qui sont ainsi conçus ; Art. l,r. A compter du jour delà publication du présent décret, l’administration des biens déclarés par le décret du 2 novembre dernier, être à la disposition de la nation, sera et demeurera confiée aux assemblées de département et de district, ou à leurs directoires, sous les règles et les modifications qui seront expliquées. Art. 2. Dorénavant, et à partir du premier janvier de la présente année, le traitement de tous les ecclésiastiques sera payé en argent, aux termes et sur le pied qui seront fixés. Art. 3. Les dîmes de toutes espèces, abolies par l’article V du décret du 4 août dernier et jours suivants, ensemble les droits et redevances qui en tiennent lieu, mentionnés audit décret, comme aussi les dîmes inféodées appartenant aux laïcs, déclarées rachetables par le même décret, cesseront toutes d’être perçues à jamais, à compter du 1er janvier 1791 ; et cependant les redevables seront tenus de les payer à qui de droit, exactement, durant la présente année, comme par le passé; à défaut de quoi ils y seront contraints en la manière accoutumée. Art 4. Dans l’état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, et aux pensionsdes ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, de l’un et de l’autre sexe; de manière que les biens qui sont à la disposition de la nation puissent être dégagés de toutes charges, et employés par ses représentants, ou par le Corps législatif, aux plus grands et aux plus pressants besoins de l’Etat. M. Delley d’Agier. Le projet de décret soumis à votre discussion me paraît la base angulaire de la Constitution. Il présente le double avantage de supprimer des abus et de consacrer un principe constitutionnel. Vous assurerez aux ecclésiastiques une existence honnête; vous rendrez tout entier à ses fonctions le ministre que l’embarras d'une récolte, ou tous autres travaux rustiques, mettent si souvent dans le cas d’opter entre l’intérêt de sa subsistance et le malade qui réclame ses consolantes assiduités... (Il s'élève un grand murmure à la droite du président. Plusieurs voix disent: Cela n’est jamais arrivé. — Le murmure redouble.) M. l’abbé Colaud de La Saleette. 11 faut aller aux voix sur-le-champ, puisque ces messieurs ne veulent pas laisser discuter. M. Delley d’Agier répète la phrase dans l’intention de l’expliquer. (Le tumulte de la droite recommence.) M. l’abbé Poupart. Je supplie les ecclésiastiques de nepasrépondrèunmotàtoutce qui va être dit. Mettons-nous entre les mains de Dieu, puisque nous sommes ses ministres, et abandonnons-nous à la divine Providence. M. Delley d’Agier. J’ajoute aux avantages que j’ai déjà présentés celui de ne plus exposer les ministres du culte à l’incertitude d’une récolte. L’objection la plus forte qu’on puisse faire, c’est la crainte que, payés en argent, ils ne deviennent thésauriseurs et moins charitables. La classe véritablement admirable des curés des campagnes nous offre continuellement des vertus peu connues, trop peu célébrées. C’est surtout en faveur de cette classe que j’ai posé les propositions qui ont excité des murmures. Je crois qu’il peut être utile de laisser au curé une partie de son traitement en nature; je pense qu’on pourrait ordonner à ceux qui seront chargés des paiements de leur donner le tiers des pensions en blé. Sur l’article relatif à l’administration, j’observe qu’il ne faut pas confier l’administration des biens ecclésiastiques aux municipalités, qui seraient juges et parties, qui pourraient être exposées à des accusations de corruption et au soupçon de différer les ventes pour conserver plus longtemps l’administration. Cette attribution serait d’ailleurs contraire à nos principes, puisque nous ne pouvons jamais confier une propriété commune de la nation aux administrateurs d’une propriété particulière, dont les intérêts pourraient quelquefois se trouver en contradiction avec les intérêts nationaux. Je demande qu’on supprime de l’article 1er ces mots : « ainsi qu’aux municipalités, sous les règles et modifications qui seront expliquées ». M. l’abbé Grégoire, curé d'Emberménil (1). Messieurs, j’ai défendu constamment les malheureux et la liberté; j’élève aujourd’hui la voix en (lj Le Moniteur ne donne qn’une analyse du dis' cours de M. Grégoire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.) 669 faveur d’une classe d’hommes toujours laborieux, utiles et respectables, longtemps et plus que jamais malheureux. C’est au nom des curés sié-eant dans cette Assemblée que je vous parlerai u sort de nos confrères épars dans le royaume. Quelques jours après les célèbres décrets du 4 août, je proposai à l’Assemblée nationale de doter les curés en fonds territoriaux: cette idée fut accueillie ; mais on ne décréta pas, ni à cette séance, ni lorsque M. Gouttes, quelques mois après, rappela mon projet. Le moment opportun pour prononcer est arrivé et il est même très urgent de le faire, car une foule de lettres m’annoncent que, dans tout le royaume, les curés sont dans les angoisses. Les terres dépendant de leurs bénéfices prospéraient par les soins d’une culture raisonnée; elles risquent au grand délriment de l’Etat, de rester en friche ou d’être mal soignées, parce que les titulaires n’osent ni affermer, ni cultiver, dans l’incertitude si on leur en continuera la jouissance, et les fermiers, craignant la résiliation forcée de leurs baux, effritent les terres et dévastent les héritages. La justice et la sagesse de l’Assemblée ne permettent pas que les curés languissent plus longtemps dans celte cruelle anxiété. J’ai examiné la question dont il s’agit et je vais prouver que l’intérêt des pauvres des paroisses, des mœurs et de l’agriculture sollicite pour les pasteurs (1) une dotation territoriale. Le vœu mauifesté des paroisses dans tout le royaume s’oppose à l’aliénation des biens affectés à la subsistance des curés. Ce sont des propriétés locales qu’elles regardent comme étant les leurs. Beaucoup de familles se rappellent avec satisfaction et même avec amour-propre que leurs aïeux ont été les bienfaiteurs des églises, qu’ils ont voulu assurer aux pasteurs une fortune indépendante du caprice, et au culte une pompe qui retraçât la majesté de la religion. Des fonds territoriaux leur ont paru seuls une garantie solide. Si vous vendez ces biens, les familles indignées croiront que I on trompe l’intention des fondateurs, que l’existence du culte va devenir précaire, et surtout elles ne se dépouilleront qu’avec peine de cette jouissance d’opinion par laquelle l’homme s’attache aux objets qui lui rappellent ses bienfaits ou ceux de ses pères. Plusieurs cahiers de bailliages et postérieurement une foule de requêtes et de lettres demandent la conservation de ces biens. Vous ne pouvez émettre que le vœu de vos commettants, et si la loi est, comme elle doit être, l’expression de la volonté générale, ici vous ne pouvez la méconnaître, mais des considérations d’un genre supérieur militent en faveur de mou opinion. Donnerez-vous aux curés des denrées levées sur le peuple? alors ce serait rétablir sous une autre forme la dîme que vous avez cru si désastreuse, et comme le bien-être gît pour beaucoup dans l’opinion, le cultivateur se détachera plus difficilement de ce grain, qui, pour avoir été dans sou aire, est devenu sa propriété, qu’il a eu la peine (1) Ce que je dirai des curés s’applique également aux vicaires. Le bien public demande qu’on érige beaucoup de curés loin d’en diminuer le nombre, ou qu’au moins nos digues coopérateurs ne soient plus les jouets de l’autorité arbitraire, et les victimes du besoin. Rien n’est encore statué sur le sort des résidants ni des commensaux ; mais leurs intérêts nous sont chers et quand on agitera cette question, ils trouveront de zélés défenseurs dans les curés députés, leurs mandataires, leurs confrères et leurs amis. de monder, dont il calculera douloureusement le sacrifice dans des temps de cherté, que de cette gerbe enlevée dans son champ, qu’il regardait comme n’étant pas sienne et qu’il était sûr de retrouver dans le besoin, avec usure, chez son curé. Alors vous remettrez aux prises le droit de celui-ci, qui n’osera exiger, avec la cupidité du débiteur qui voudra refuser. Si vous pensionnez tous les curés du royaume, où prendrez-vous annuellement la somme exorbitante nécessaire à leur entretien ? Sera-ce sur les revenus des biens affermés ? le bon sens dit qu’en assurant aux pasteurs l’administration immédiate, vous simplifiez la régie et vous gagnez les profits du fermage; d’ailleurs, il est bien à craindre que ces propriétés ne soient bientôt gaspillées dans les mains des municipalités. Pour subvenir à cette dépense, chargerez-vous d’une nouvelle taille Je peuple, qui déjà sera ou se croira si grevé par tant d’impôts directs pour remplacer les indirects? joignez-y les embarras, les frais inévitables du régalemeut et de la perception, alors la réclamation sera universelle. Le peuple, au lieu d’être affranchi des dépenses du culte, en portera le fardeau, et, confondant les notions, il imputera à la religion d’être trop onéreuse, de manière à affaiblir l’ascendant qu’elle doit avoir sur son espritet sur son cœur. C’est là, saus doute, le projet de certaines gens acharnées contre une religion dont les principes peuvent leur déplaire, mais ne déplairont jamais à l’homme vertueux, parce que son cœur ne lui présente aucun motif pour la haïr. Dans la primitive Eglise, les pasteurs vivaient des oblations volontaires et même du travail des mains. L'organisation de nos sociétés politiques ne compose plus cette manière de subsister, et tant de petits raisonneurs, qui voudraient assimiler le clergé actuel à ce qu’il était au temps des apôtres, ne voient pas qu'ils s’imposent l’obligation de retracer la vie des fidèles à cette brillante époque. Il faut aux pasteurs un sort qui écarte les besoins du jour et les craintes du lendemain : mais si vous le pensionnez, la rareté du numéraire, le vide vrai ou prétexté des caisses, les dépenses d’une guerre désastreuse pourront frapper inopinément le pasteur d’un brevet de retenue. Appelons le passé au conseil de l’avenir. Que de fois n’a-t-on pas vu des paiements suspendus, des réductions sur les pensions modiques d’ancieus militaires, criblés de blessures et crucifiés par la misère ? Le congruiste avait du moins une hypothèque privilégiée sur la dîme qui cautionnait sa pension; mais dans le cas proposé à qui recourir? Votre intention n’est pas que le curé mène une vie malheureuse; et toutefois, ce sera la suite inévitable d’une diminution ou d’un délai réel ou redouté dans les paiements : le curé toujours inquiet sur le haussement éventuel du prix des denrées, sur la ponctualité du Trésor national, resserrera le cercle de ses aumônes et s’imposera des privations forcées. L’instabilité de son sort, l’obligation de lutter sans cesse contre Ja crainte ou ta misère, éloigneront les talents et les vertus d’un Etat ou la sage politique doit les appeler comme le plus important dans l’ordre social, dont la religion est la pierre angulaire. Alors les fonctions religieuses seront avilies par l’ineptie ou l’immoralité de ministres qui n’auront embrassé leur état que comme un pis-aller, et c’est ainsi que l’appréhension d’un mal peut-être fantastique sera un mal présent et réel. La pension alimentaire doit égaler les besoins, mais cette égalité ne peut se Soutenir que par le G70 [Asiembifa nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il avril 1780.] rapport constamment uniforme de la valeur du numéraire avec le prix des choses consommables, proportion qu’il n’est pas au pouvoir des hommes de rendre invariable, et qui change suivant les localités et les temps. On a donc raison de dire que jamais l’argent ne représente tidèlement la denrée. La valeur de l’argent diminue à mesure que le numéraire abonde, et lu prix des comestibles s’accroît en sens contraire. Telles sont les causes qui, à diverses reprises, ont nécessité l’augmentation des congrues ; mais observez qu’avant d’arriver là, l’individu a souffert longtemps, puisque c’est sa pénurie bien connue et longtemps contestée qui a décidé cette augmentation. Pour* combattre mou système, quelqu’un nous dit que la valeur des fonds territoriaux est variable et que celle de l’argent ne l’est pas. Cette assertion renferme une fausseté évidente dans sa seconde partie, et la première prouve évidemment pour moi. En effet, pourquoi le prix d’un champ est-il variable ? parce que celui des denrées l’est suivant leur rareté et leur abondance. Le blé et le vin sont le thermomètre du prix de la plupart des choses consommables, et par ce moyen, le curé tient en main une mesure constante pour en atteindre l’accroissement Une foule d’observations vient à l’appui des précédentes. Dans les villes sont des marchés où l’on s’approvisionne, mais les villages n’en ayant pas, faudra-t-il qu’un curé de campagne soit contraint d’accroître notablement sa dépense pour payer les voyages multipliés d’un commissionnaire qui souvent lui rapportera des comestibles altérés et des mémoires empoulés? car peut-être n’est-il pas Inutile d’observer que la friponnerie semble avoir prescrit le droit de surfaire envers les prêtres et communément ils peuvent compter sur l'accusation d’avarice s’ils refusent d’accepter, au prix fraudulement arbitré par les vendeurs. D’ailleurs, Il est des temps où la communication des villages aux villes est physiquement impossible, à cause des distances, des débordements, des neiges, des chemins impraticables, etc. Ajoutons qu’un prêtre, livré à cette incurie, à cette impéritie du ménage, si commune chez les gens de lettres, aura bien plutôt absorbé une somme d’argent que des denrées. Enfin s’il est pensionné, il touchera son argent à défi termes connus... connus des escrocs, qui d'ailleurs lui supposeront toujours quelque argent en réserve ; et dans son presbytère souvent isolé, le curé sera plus exposé aux avanies des voleurs qui hasarderont des tentatives. Ces inconvénients disparaissent en donnant au curé un fonds de terre : vous lui procurez la facilité de nourrir un cheval, pour courir à ses malades dans des hameaux écartés et d’élever toute espèce d’animaux domestiques indispensables à son ménage : sans en sortir, il trouve ce qui est nécessaire pour subvenir à ses besoins personnels, pour recevoir décemment le voyageur égaré et l’honnête étranger auquel il accorde avec empressemeat l’hospitalité. Car personne n’ignore que le pasteur a, plus que personne, conservé cette vertu patriarchale. Seul il fait les honneurs de son village et surtout alors il a de ?[uci subvenir aux besoins du pauvre, dont il ait gloire d’être le père. Soulager les malheureux est un de ses devoirs comme un de ses plaisirs : en aidant l’individu, il assure le succès d’un ministère sans lequel les lois seraient souvent impuissantes et la société se détraquerait. Voudrait-on que, borné à l’étroit nécessaire, le curé fût réduit à gémir sur des maux qu’il ne pourrait alléger, à prêcher l’aumône sans pouvoir la faire? Ce serait effacer, dit M. i’abbé d’Héral, les relations touchantes qui subsistent entre un pasteur et son troupeau. Quand le pauvre souffre, sa première idée se porte vers sou curé chez lequel il ne demande guère en vain : ses premiers pas se dirigent vers le presbytère : le pasteur toujours sensible au malbeur dont il a perpétuellement le tableau sous les yeux, est toujours accessible aux malheureux qu’il ne voit pas d’un œil sec et à l’existence desquels il a lié la sienne. Son grenier est celui de l’indigent : le pasteur lui cède à meilleur compte, ou lui prêle dans un temps de cherté pour recevoir sans indemnité dans un moment d’abondance, ou enfin lui donne du grain que ce pauvre ne trouverait ailleurs peut-être qu’en engageant ses haillons, quelquefois son lit à des accapareurs, à des vautours qui se multiplieront dans les villages, à mesure que la maison curiale offrira moins de ressources, surtout dans les années de disette, parce que le curé aurait conservé pour, dans des moments de détresse, alimenter la misère et fournir de la semaille à ce manouvrier qui n’a rien recueilli dans ce champ, sur lequel il fondait ses espérances, mais que la grêle a dévasté, il semble qu’il en coûte moins au curé de donner deux boisseaux de froment tirés de son grenier, que s’il sortait de sa bourse l’écu représentatif de ces deux boisseaux, surtout si ce blé provient de son fermage, ou qu’il l’ait recueilli dans son domaine; car il est de fait qu’en général on donne avec plus de parcimonie ce qu’on achète, et d’ailleurs, on n’achète guère que suivant l’étendue du besoin. Mais, a-t-on dit, secourir les pauvres est une dette de la société, et, si elle fait son devoir, le particulier est dispensé de tout. A merveille; mais appliquons cette maxime aux campagnes. Y distribuerez-vous de l’argent aux nécessiteux? Je doute qu’en général, il puisse passer par des mains plus pures que celles du pasteur; mais observez que dans un village sans marché, sans boulanger, les distributions pécuniaires ont cet inconvénient, qu’il faut perdre quelquefois la moitié d’une journée pour aller acheter à la ville. Etablirez-vous dans chaque village des hôpitaux, des bouillons de charité? La proposition n’est pas soutenable; ce serait vous condamner à des frais de bâtisse et d’administration. Un moyen simple peut obviera ces inconvénients : donnez quelque latitude au revenu d’un curé ; que ce revenu soit, au moins partiellement, en fruits : avec une valeur de 1,500 livres en denrées, il fera plus d’aumônes qu’avec 2,000 en argent. Le père de famille entouré d’enfants que la faim dévore, a besoin, non d’argent, mais de pain; le convalescent a besoin de vin, de bouillon ; le paroissien qui, d'un hameau éloigné, arrive harassé chez son curé, a besoin de nourriture. Avec des secours en nature, le curé soulage plus immédiatement ces besoins : d’ailleurs, il est plus assuré de l’emploi, car si son aumôae était en monnaie, U aurait quelquefois la douleur d’apprendre qu’elle est allée se fondre dans le cloaque des tavernes. On ne peut pas se dissimuler qu’en beaucoup de provinces, les pauvres voient avec peine le décret qui abolit la dîme, parce qu’ils trouvaient chez les curés le grain, et dans la grange dîme-resse, les gerbées nécessaires pour leurs tristes grabats, pour couvrir leurs chaumières, pour nourrir etlitiérer leurs animaux domestiques.Per-mettez-moi, Messieurs, des détails triviaux en apparence, mais grands par leur objet; car la cha- JÀMGmblée A&tiûfi&h.] ARCHIVES P ÀRLEME NT AIRE S • [Il Avril 1ÏS0.J Çfi rité ennoblit tout, et d’ailleurs il s’agit peut-être de quatre à cinq millions de Français. La moitié des villageois vivent, à peu de chose près, voici comment : chacun, sous son humble toit, possède, ou plus communément tient à cheptel, une ou plusieurs vaches. Elles fournissent du lait pour l’enfant qu’on vient de sevrer, du beurre pour préparer un mauvais potage, le pauvre s’estime heureux d’en avoir; quelques brebis peut-être ajoutent à sa richesse; la prudente ménagère voit avec joie èes animaux prospérer sous ses yeux ; cette joie s’accroît lorsqu’au déclin du jour, elle en fait le récit à son mari revenu des travaux champêtres ; ce bétail lui procure de l’engrais pour le champacquis par son travail, ou hérité de ses pères, ou tenu en fermage, dans lequel on recueille de la filasse, qui habillera ses enfants, et des patates qui les nourriront. A ce ménage, il faut de la paille et du grain qu’on lui vend, on lui prête, on lui donne, nonchez ces hommes avides qui jalousent la vigne de Naboth et la brebis du pauvre, mais chez le curé, ou chez son fermier auquel il a loué pour être payé en nature; si une partie du fermage est en argent, il y a ces réserves auxquelles le pauvre trouvera sa part, il y compte et sa confiance est rarement déçue. Ces vérités de fait seront senties par quiconque connaît le régime économique des campagnes. Si vous pensionnez le curé, cette ressource tombe, et, fût-il payé en grain, vous ne lui donnez ni cette diversité de choses consommables qu’il se procurait par la culture, ni cet excédent de denrées qui s’écoulerait dans le sein de l’indigent? Et que dira celui-ci, que deviendra-t-il, si vous tarissez la source dans laquelle il puisait le remède à sa misère ? Je vais parcourir et détruire les objections formées contre le système que j’établis. Les propriétés ecclésiastiques, a-t-on dit, n’entrent pas dans le commerce, et par là elles obstruent les canaux de la circulation. Je réponds d’abord que la vente pour 400 millions de biens du domaine et de l’Eglise, remédie puissamment à cet inconvénient; mais cet inconvénient même est-il vrai ou prétendu? L’immobilité des biens ecclésiastiques les soustrait à la cupidité des notaires et des traitants ; ils échappent au contrôle que les ventes laïques payent, même lorsqu’il y a nullité dans les actes; les griffes de la ferme ne s’y cramponnent qu’en cas d’échange, alors elle exige ledroit de nouvel acquêt, quoi qu’on n’acquête pas; mais le mouvement que n’ont pas les biens ecclésiastiques est suppléé par celui dont ils sont l’objet. Perpétuellement substitué à toutes les famil les de la société, puisque toutes peuvent y atteindre, ils changent sans cesse de possesseurs (l), et leur usufruit, réparti sur un grand nombre d’individus, fait plus d’heureux. La mobilité des propriétés laïques n’est souvent qu’illusoire, le droit d’hérédité les concentre quelquefois pendant des siècles dans les mêmes familles, où les mutations qu’ils subissent les ramènent souvent par une pente naturelle dans les mains des grands propriétaires, qui envahissent facilement par la faculté illimitée ü’acquérir ; au lieu que les ecclésiastiques ne le pouvant depuis l’édit de 1749, mettent souvent à l’abri de l'invasion des riches, les petites propriétés qu’ils avoisinent, et rapprochent de cette égalité dont les (1) Cette vérité a déjà été présentée dans la Lettre à M. le comte de ****, page 23, et par l’auteur de l’ouvrage intitulé Vues d’un solitaire patriote, chap. 6. institutions sociales nous éloignent si souvent. Observez en outre que la fréquence des ventes est souvent nuisible par l’abus du droit de retrait, que vous restreindrez sans doute. La crainte d’être évincé d’une possession empêche d’améliorer et fait souvent languir la culture. Les biens laïcs sont en mauvais état pendant la durée des saisies réelles, des directions, des minorités, au lieu que les biens ecclésiastiques ne sont jamais frappés de ces fléaux; communément bien entretenus, ils sont toujours en valeur, toujours productifs; j’ajoute enfin que désormais soustraits aux manœuvres ténébreuses des chambres décimales, ces biens supporteront l’impôt à l’égal de tous les autres. Mais, a-t-on dit, si vous dotez le curé en fonds territoriaux, vous lui préparez des contestations fréquentes. L’objection est étrange ; qu’il lui survienne quelque difficulté ; la défense légitime ne répugne point à son caractère de paix : désormais la justice dégagée d’entraves, aura une marche plus sûre, plus expéditive, et la réforme du Gode civil le dégagera de tant d’ambages doat le produit nourrissait les haines et les procureurs. Mais je demande si les limites du champ d’un curé seront moins déterminées que celles du voisin, et si, par craiDte des procès, vous arguez d’un inconvénient applicable à toutes les propriétés, il faut vite déposséder tous les citoyens. Mais, le curé affermant sou domaine et anticipant sur son revenu par des pots-de-vin considérables non mentionnés dont le bail, frustrera sou successeur. Get argument a le double mérite d’èire frivole et malhonnête : malhonnête, par l’improbité qu il suppose aux pasteurs, quifureQt toujours les modèles des mœurs, comme l’organe des vérités; frivole, par l’impossibilité dereteuir des pets-de-vin considérables sur des biens qui ne le seront pas. Ecartez ces terreurs saines : presque toujours, le curé payant les frais de culture, récoltera, pour les besoins indispensables de son ménage, des denrées qu’il serait obligé d’acheter ailleurs. Mais, si vous dotez le curé en fonds territoriaux, vous l’exposez à devenir avare. C’est précisément te contraire; il est d’observation que les propriétés foncières divisent l’affection en la portant sur une foule d’objets, et par là même elles en atténuent l’énergie, ou bien qu’une fortune en numéraire ou en papier, concentre la cupidité, la détermine sur un objet unique. Et n’est-il pas connu que les gens à coffre-fort, à portefeuille, à rente viagère, sont communément les égoïstes les plus insensibles aux malheurs de l’humanité ? Les capitalistes, les financiers, les reptiles de l’agiotage enrichis du jeu des emprunts, des loteries, des déprédations ministérielles, sout-ils les plus empressés à voler au secours de la patrie? L’homme, eu général, tient plus à son champ qu’à sa famille, puisque souvent il quitte l’une pour eultiver l’autre: en donnant des terres aux curés, qui rarement eu out dans leurs paroisses, étant presque toujours originaires d’ailleurs, vous avivez leur patriotisme et vous formez le lien qui attache l’homme au sol qu’il fertilise. Mal à propos voudrait-on assimiler le curé au magistrat, dont les honoraires sont eu argent : leur position respective exclut la parité. Le magistrat est urbicole ; or, il s’agit ici du curé de campagne qui a des relations habituelles et permanentes de charité et de conscience avec les villageois : car nulles fonctions n’établissent et ne doivent établir une correspondance si intime, 672 [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] qui subsiste entre un curé et ses ouailles : conséquemment il serait impolitique d’isoler le prêtre en le détachant de l’intérêt commun, en le pensionnant. La pratique des vertus religieuses les rapprochera sans cesse de son troupeau; mais pourquoi lui fournir la tentation d’être indifférent sur les revers qui ravagent leur campagne, sans pouvoir diminuer son revenu? Pourquoi fournir aux paroissiens un prétexte de jalouser la prétendue félicité du pasteur, ou de l’accuser d’insensibilité aux fléaux dont il plaît au ciel d’affliger la terre ? Rien n’alimente l’union respective comme d’avoir des intérêts communs et de courir les mêmes dangers. Quelqu’un objectait que le sacerdoce, ayant un ascendant marqué sur les esprits, il faut craindre de l’accroître par une dotation foncière ; qu’au contraire, on doit salarier pécuniairement l’ofti-cier public pour lui rappeler sans cesse sa dépendance delà société. Autant vaudrait dire : le ministère religieux est indispensable pour maintenir l’harmonie politique, épurer et conserver les mœurs, consoler l’humanité souffrante, en-tr’ouvrir l’éternité et montrer au crime son châtiment, à la vertu sa récompense par delà les bornes de la vie ; ce ministère est souvent avili par les railleries de l’impiété et le cynisme des mœurs. N’importe : gardons-nous de multiplier dans les mains des pasteurs les moyens d’assurer, par leurs aumônes, le succès de leurs travaux apostoliques : un champ donne bien plus de crédit et d’empire dans le monde qu’une somme d’argent ; qu’ils soient donc payés en argent, car s’ils récoltaient du blé, il faudrait une trop grande provision de génie pour savoir, un trop grand effort de mémoire pour le rappeler, que c’est la société qui les dote. Voilà l’argument en d’autres termes : on peut l’apprécier. J’entends dire que tant que le clergé possédera des fonds, il aura un esprit de corps qui croisera la chose publique. L’objection est grave, voyons si elle est fondée. La Révolution amène graduellement d’heureuses réformes. La cupidité des grands leur tenait souvent lieu de vocation à l’état sacerdotal, et des parchemins antiques les dispensait du mérite pour arriver au faîte des honneurs hiérarchiques; mais la Constitution nouvelle fera disparaître le scandales des bénéfices entassés sur des êtres sans fonctions, souvent sans mœurs, et le faste arrogant d’individus qui ne devaient arborer que la simplicité tuuehante des vertus évangéliques. Plus que jamais le clergé aura l’ensemble des principes qu’il doit professer, des sentiments chrétiens et civiques qui doivent l’animer et des bonnes œuvres dont il doit l’exemple : voilà l’esprit de corps qui lui restera; mais il ne l’aura plus dans l’acception odieuse de ce terme, qui signifie une confédération de gens du même état, jouissant d’avantages exclusifs, et dont l’orgueil ou l’intérêt veut mettre une barrière séparative entre eux et les autres citoyens. G’est là l'esprit de corps qu’il faut rompre partout ; il faut fondre tous les citoyens dans la masse nationale, et partout amalgamer l’intérêt personnel et l’intérêt public. Quand l’Eglise jouissait debiensconsidérés alors comme une propriété inattaquable ; quand, sous l’égide de l’immunité, chaque ordre monastique formait une corporation imposante; quand le clergé, taxé modérément et séparément, s’assemblait chaque cinq ans pour des opérations financières, il avait alors cet esprit, il serait inconcevable qu’il ne l’eût pas eu ; mais désormais tous les ecclésiastiques, assimilés aux autres citoyens pour les charges et les avantages de l’association politique, neposséderont qued’une manièresubor-donnée à la volonté nationale; leurs affections auront une nouvelle tendance, leurs intérêts seront unis à ceux de la patrie, et plus j’examine les causes qui enfantent et qui alimentent l’esprit de corps, plus je crois évidemment impossible que la dotation des curés en fonds territoriaux le fasse renaître. Mais, dit-on, ce projet peut détourner le pasteur de son ministère et l’arracher à son troupeau : ses fonctions sublimes doivent l’élever au-dessus du siècle, et les soins vulgaires doivent être étrangers à ses goûts. Que n’ajoute-t-on, après tant d’ineptes raisonneurs que jamais les prêtres ne doivent s’immiscer dans aucune affaire temporelle, parce qu’on lit dans l’évangile: Mon royaume n'est pas de ce monde, comme si le détachement du cœur, prescrit par le divin fondateur, à tous les fidèles, soit prêtres, soit laïcs, prononçait l’abnégation des occupations civiles? Il ne faut pas distraire le curé ; et moi je soutiens que des distractions lui sont nécessaires. Les fonctions du ministère ne laissent-elles pas du vide, ou n’exigent-elles par des intervalles ? L’amour de l’étude peut-il absorber l’àme au point de tenir ses facultés dans une tension continuelle? et l’accablante monotonie de la solitude, l’oisiveté d’un homme forcément casanier, sevré de société et n’ayant autour de soi que des gens d’un caractère agreste, souvent insociable; n’exposeraient-elles pas le surveillant des mœurs à les compromettre, ou n’occasionneraient-elles pas des absences fréquentes et funestes qui l’éloigneraient de sa paroisse sans y être remplacé ? Les attraits de l’agriculture l’habitueront à la résidence: lui envierait-on l’innocent plaisir de planter, de cultiver, pour charmer ses ennuis, pour faire diversion à l’etude, au spectacle de la misère ? Ses mains honoreront un travail qui, étant le premier en utilité, est encore le premier en vertu ; car, en général, l’agricole est l’ami des mœurs ; l’art rustique est d’ailleurs le seul qu’un curé puisse se permettre, et l’espérance d’améliorer son sort améliorera la culture. Ici, Messieurs, se présente une nouvelle considération politique. On désire avec raison que le pasteur répande dans les campagnes les connaissances relatives àla médecine, l’agronomie et l’art vétérinaire, science si nécessaire et qui vient seulement de naître. Donnez donc à son ministère toute la considération propre à lui concilier la vénération des peuples; donnez-lui donc une fortune qui permette des sacrifices ; donnez un genre de propriété qui facilite l’expansion des lumières. Souvent le laboureur ne peut ou n’ose hasarder des essais, par l’incertitude des produits ; ses connaissances sont celles qu’il hérita de ses aïeux : subjugué par l’habitude il ne s’écarte qu’en tremblant de la routine et craint même le ridicule des procédés nouveaux. L’expérience est la seule autorité à laquelle il ne peut se refuser : eût-il obtenu de sa pratique unedécouverteintéressante, il est mystérieux. Presque toujours dénué de principes, sa sphère de conceptions est fort resserrée ; la plupart des bons ouvrages relatifs à l’économie rurale excèdent la portée de son génie ; le curé est le seul lettré du village ; seul il est l’organe qui puisse transmettre à l’ignorance les inventions, les découvertes, et substituer aux préjugés des notionssaines. Il explique, for-tilie ou rectifie la théorie par la pratique, hasarde des avances, fait ou répète des essais. Le cultivateur serait ruiné ou découragé s’il échouait [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il avril 1790.] dans les premières tentatives; le curé lutte contre les difficultés, court les chances de nouvelles expériences et se croit dédommagé si de dix une seule lui réussit. Il érige dos ateliers, distribue des prix, éveille la curiosité et couronne l'industrie. Un champ ruiné devient, sous sa main, une riante prairie; un sol fangeux est affermi, un marais saigné se couvre de moissons, et enfin le paysan abjure l’habitude lorsque des succès répétés sous ses yeux, sur le même sol, ont éclairé son esprit et attisé son activité. Ainsi j’ai vu beaucoup de curés répandre autour d’eux des vues nouvelles, introduire l’art de marner, la culture des colzas, des navettes, la plantation despeujdiers, perfectionner la vigne et la manipulation des vins, former des prairies artificielles : leur exemple bientôt suivi a hâté les progrès de l’agronomie et rendu les campagnes plus florissantes (I). Les considérations précédentes se fortifient par (1) J’acquitte un devoir et je goûte un plaisir en citant quelques-uns de nos confrères correspondants de la société royale d’agriculture : M. Bralle, curé de Terri, près d’Amiens, a trouvé un procédé particulier pour rouir le chanvre et lui donner le plus grand deg’-é de finesse; M. Bidault, curé de Bazoche, près de Montfort-l’A-maury, a excité pen lant plusieurs années, par son zèle et ses écrils, les membres des comices agricoles de Moni-fort-l’Amaury; M. Breluque, curé de Charges-les-Ports-sur-Saône, par Vesoul. a perfectionné differents procédés d’économie «rurale, et employé avec succès le sarment de vigne écrasé pour la nourriture des bêles de somme; M*. Pressac de la Chaynaye, curé de Saint-Gaudent, près de (livrai en Poitou, correspondant de la société, a obtenu pour ses travaux sur l’agriculture, en l7o8, une médaille de la société d’agriculture; M. Chaix, curé de Baux, près de Gap, est très connu par ses découvertes en botanique; M. Hervé du Me-mil, curé d’Aubœuf-en-Vexin, près le pet't Andeli, s’occupe avec succès des différentes parties d’agriculture et a fait part à la société de plusieurs observations inléiessantes ; M. de Larbre, curé de la cathédrale, directeur du jardin de botanique à Clermont-Ferrand, est connu par ses travaux en botanique et plusieurs observations d’économie rurale; M. Poney, curé à Pouy, près de VilIeneuve-l’Arche-vêque, s’occupe avec succès de tout ce qui a rapport à l’économie rurale; M. Poirier, arehiprêtre de Faye, et euré de Laigné-sur-Usseau, près de ChàMlerauit, idem ; M. Roberjot, curé de Saint-Veran, près de Mâcon, correspondant de la société, a communiqué plusieurs mémoires qui sont imprimés dans les trimestres de la société ; M. Veluard, curé d’Escheroles, près de La Ferlé-Gau-cher, a obtenu cette année une médaille de la société d’agriculture, pour avoir fondé un prix en faveur des charretiers-laboureurs ; M. Flobert, curé de Bérancourt, près de Soissons. a obtenu, en 1788, une médaille d’or de la société d’agri-cuiture. etc., etc. Combien d’autres curés ou vicaires, correspondants ou non, que l’agriculture inscrit honorablement dans ses fastes, tels sont: M...., curé de Chevanriey, près Dijon ; M. Nusso, curé de Chavignon, dans le Soissonnais ; M. Cbaroyer, cure qe Gireeourt, en Lorraine ; M. Jean-jean, curé de Nebing, pris Dieuze, chez qui la modestie sert de relief à toutes les vertu», etc., etc., etc. J’abrège des citations qui me conduiraient trop loin. Personne n’a suivi avec plus d’exactitude que moi tous les envois de lettres et mémoires adressés à l’Assemblée nationale ; il est des jours où l’on reçoit jusqu’à huit cents pièces ; je puis assurer qu’aucune classe de citoyens n’a fourni proporiionnément autant d’observations utiles que celles des curés. Ceux du Dauphiné, spécialement, ont droit à un hommage dont je m’empresse de leur payer le tribut. lre SÉRIE, T. XII. 673 celles qui suivent. Beaucoup de curés devanciers ont affecté leur patrimoine ou acheté des fonds pour doter leurs bénéfices ; beaucoup de titulaires actuels ont fait des avances considérables pour améliorer les terres de leur dépendance. L’espoir d’une carrièreet d’une jouissance prolongées leur permettait la rentrée de leurs mises; une justice rigoureuse sollicite en leur faveur une indemnité proportionnelle, mais le moyen le plussimpleest de leur assurer la jouissance des fonds ; et si je demande que toutes les cures soient partiaire-ment dotées de même, c’est que tout milite en faveur de ce projet. Cette affectation de propriété territoriale forme un objet peu conséquent comparativement à l’étendue actuelle des propriétés ecclésiastiques etdomanialesqui vont rentrer dans le commerce D’ailleurs, si cetie dotation entraîne des inconvénients, les législatures suivantes pourront changer le mode de subsistance des pasteurs. On ne doit jamais détruira que pour un mieux évident ; mais ici, loin de faire le mieux en pensionnant le curé, uu mal évident en est la suite ; vous ôtez aux pauvres et aux malades pain, vin, bouillon; vous anéantissez un des moyens les plus efficaces pour extirper la mendicité ; vous ravissez au curé des jouissances innocentes et utiles, à ses mœurs une sauvegarde, à son ministère des succès, à la constitution des amis, à l’agriculture un véhicule, au monopole un frein ; et, comme l’harmonie sociale résulte des vices et des vertus, il est évident que vous lui faites brèche par un système destructeur. Un membre de cette Assemblée (1) s’écriait que deux fois les curés députés avaientsauvé la France, en forçant la réunion des ordres et en volant pour le veto suspensif. Personne certainement ne démentira ce témoignage ; le décret que vous allez porter va punir ou récompenser leur civisme. Si vous arrachez au pasteur cet te vigne, qu’il a plantée, ce champ, sur lequel son œilse reposait avec complaisance; désormais captif au sein des campagnes, après avoir subi un dépouillement cruel, i’aspect delà nature aurait-il le même droitd’épa-nouir son âme? au lieu dusort gracieux que votre justice lui promettait, vous aurez aggravé la chaîne de ses calamités et celle de ses ouailles. Voudriez-vous faire repentir les curés d’avoir concouru si puissamment, à la Révolution, s’ils sontles seuls à n’en pas recueillir les bienfaits? Reste à examiner la possibilité du plan que je propose et la solution est facile. Beaucoup de curés ont déjà des fonds, surtout dans la France septentrionale : on peut compléter la dotation ou la former par l’union des terres domaniales, de celles des bénéfices simples ou des maisons religieuses supprimées; par des communaux, ou enfin par des acquisitions eu remplacement de ventes faites ailleurs. Reste donc à décréter que les curés et vicaires continueront de jouir des biens affectés à leurs bénéfices, sous le nomdedominicature, bouverot, gleyages ou autres dénominations et qu’en outre, les curés et vicaires des campagnes seront, autant qu’il sera possible, dotés en fonds territoriaux, jusqu’à la concurrence de la moitié de la pension arbitrée pour leur subsistance. Extrait des registres de la Société royale d'agriculture. La Société royale d’agriculture nous a nommés, M. l’abbé Lefebvre et moi, pour lui rendre compte (1) M. Chasset. m [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [II avril 1790.] 674 du mémoire lu à la dernière séance par M. l’abbé Grégoire sur l’utiliié et la nécessité de doter les cures en fonds de terre. L’auteur a présenté, avec la plus grande sagacité, toutes les considérations morales et politiques qui militent en faveur de son plan. Elles sont si multipliées et si bien enchaînées qu’il est presque impossible de faire un extrait, sans omettre des choses importantes et sans les affaiblir : mais comme le grand nombre de raisons qu’il fait valoir en faveur delà dotation des curés en biens-fonds sont étrangères à l’objet de cette société, nous nous arrêterons à celles qui l’inté-res-ent. De ce nombre sont : 1° l’avantage de secourir l’indigent par des denrées en nature, parce que ces secours soulagent plu3 immédiatement le besoin, soit à titre de d'on, soit à titre de prêt. Or, un curé pensionnaire et qui n’a qu’un peu d’argent ne pourrait pas rendre ce genre précieux de service à ses paroissiens pauvres. La société prendra toujours un grand intérêt à ce qui peut contribuer au bien-être des agents de la prospérité et de l’abondance. Cette première considération est suivie d’une autre, sur laquelle nous allons présenter les paroles mêmes de l’auteur ft). Si l’on ajoute à ces judicieuses observations qu’il est très probable que le dénuement des curés des pays, où ils sont à peu près tous à portion congrue, est cause de l’état de langueur de l'agriculture et de l’ignorance des cultivateurs de ces pays; ce sera un motif de plus à ajouter à ceux que vous venez d’entendre et la Société sera d’autant plus fondée à joindre son vœu à celui de M. l’abné Grégoire. Ce serait donc un malheur de retirer aux curés qui sont dotés en biens-fonds, cette source commune pour eux et leurs paroissiens de secours, d’exemples et d’instructions en matière d’économie rurale. Dans plusieurs cures, cette dotation n’est que parliaire, rarement est-elle de nature à remplir le traitement que, l’Assemblée nationale leur destine. Nous aimons à croire qu’elle n’a point entendu toucher une portion de dotation qui a tant d’avantages, et qui tournera d’autant à la décharge de la nation, puisqu’elle n’aura qu’un supplément de pension à y ajouter. Les paroisses se considèrent comme propriétaires de ces biens sur lesquels elles ont assigné le revenu de leur curé. Elles ne les regardent point comme des biens ecclésiastiques, mais comme des biens communaux. Plusieurs parties sont le gage de fondations pieuses ; nous n’avons point l’inquiétude que l’Assemblée nationale les eorqpte dans le nombre de ceux dont elle a ordonné la vente, ni que les municipalités les comprennent dans les ventes quVUes se chargeront de faire. Mais faut-il doter en fonds de terre les curés qui n’en ont point? Faut-il compléter en fondsde terre la dotation de celles qui n’en ont qu’une partie? Quelques observations sur la seconde question nous donneront le mode de la solution de la première. Les avantages d’une propriété foncière et agricole dans la main des curés, sont démontrés dans le mémoire dont nous rendons compte. Mais un curé doit-il avoir en fonds de terre la totalité de sa dotation? Dans les pays de labourage, il faudrait une forte charrue pour produire 1,200 livres. Dans ceux de vignobles il y a l'inconvénient de l’inégalité et de la variabilité du revenu. Dans les pays arides, il faudrait un territoire pour produire ce revenu net; et dans ces trois cas, nous voyons un homme toujours aux prises, comme les” cultivateurs ordinaires, avec le travail rural, s’il exploite par lui-même, ou ina tif comme un pensionnaire, s’il afferme, et exposé à être mal payé par un fermier. La position du curé serait donc critique et incertaine, puisqu’il aurait à lutter contre tant de chances désavantageuses et diverses. La totalité de sa dotation en fonds ruraux nous paraît avoir des inconvénients réels; il eu résulte la solution de la première question, qu’en formant une dotation foncière aux curés qui n’en ont point, elle doit être parliaire. Celte dotation parliaire a l’avantage d’être plus praticable et de se prêter mieux à tous les lieux et à toutes les circonstances; car on ne peut se dissimuler qu’une dotation totale en fonds se trouverait souvent impossible. Indépendamment de ces considérations sur la convenance d’une dotation partiaire, nous ajouterons que ceux des curés qui en ont une très ample, l’afferment et s’éloignent du but qu’il faut atteindre, l’emploi de-; lumières et de l’intelligence des hommes instruits pour le progrès de l’agriculture. Mais l’Assemblée nationale peut-elle faire, sur ce grand objet, un règlement général ? nous pensons que les dilficullés sont trop grandes et trop variées, pour qu’elles puissent être surmontées par une loi; que ce n’est que par la voie d’une8 instruction que les municipalités doivent être invitées à proposer les moyens de pourvoir à celte doiation partiaire, si désirable dans les lieux où les curés n’ont point de fonds ruraux. La mesure de cetie dotation e.-t nécessairement variable. Dans tel pays ou paroisse, douze arpents suffiraient; dans d’autres, il en faudrait vingt ou trente. Il faudrait qu’elle fût composée des différentes natures de fonds de la culture du pays. Lorsque Charlemagne accordait à chaque église l’exemption d’impôt pour une mense, la mense n’avait pas de mesure lixe; mais c’était une quantité relative à la quotité de productions nécessaires à la subsistance d’un ménage agricole. C’est aussi ce mansus qu’il conviendrait que chaque curé possédât. Aucun écrit ne peut mieux présenter lesavaniages et la nécessité de cette dotation que le mémoire dont nous rendons compte. La société y a reconnu les talents, la logique et l’éloquence patriotique de l’auteur, qui les a toujours employés pour la cause de la raison, de la liberté et de la vertu. La société ne peut qu’exprimer son vœu le plus exprès pour voir réaliser cette, dotation partiaire, réglée par les circonstances locales, comme un des moyens de procurer à l’agriculture de nouvelles lumières, de les répandre, et de procurer à ses ti avaux des coq-pérateurs qui accélèrent les progrès de l’art agricole, qui en est l’objet. Fait au Louvre, le 25 mars 1790. Signé : I’abbé Lefebvre, agent général; Boncerf. Pour extrait conforme au registre et au jugement de la Société. Signé : Broussonnet, secrétaire perpétuel. P. S. On voit, par ce rapport, que la Société royale d’agricuiture, à qui j’avais lu mon mémoire, l’avait honoré d’un suffrage bien flatteur, (1) Voyez la cilaboa ci-devant. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] dont je me suis appuyé lorsque j’ouvris la discussion sur cet objet à l'Assemblée nationale ; je m’empresse d’annoncer aux curés du royaume, que cette société a manifeste le plus vif intérêt à leur sort. Déjà, dans un ouvragesur les abus qui s’opposent aux progrès de V agriculture (1), elle avait désigné les pasteurs des campagnes comme devant être les restaurateurs de cet art (2). Elle a de nouveau consigné ce témoignage dans l’adresse intéressante qu’elle vient de présenter à l’Assemblée nationale, et dont j’ai demandé l’impression et l’envoi dans le royaume, ce qui a été décrété. La société d’agriculture compte parmi ses collaborateurs beaucoup d’ecclésiastiques. A la note iusérée à l’appui du mémoire précèdent (3), on trouve une partie de la liste que m’a fournie M. Broussonnet; j’aurais pu y adjoindre celle de quatre ou cinq cents curés qui, par les soins de M. l’abbé Lefebvre, avait formé une espèce de confédération pour hâter le progrès de l’économie rurale. Quand chaque département du royaume aura des comices agricoles encouragés par l’administration, quand la société royale d’agriculture sera le centre de leur correspondance et le fojer des lumières qui reflueront ensuite dans les cam-pag nés, le zèle actif des curés justifiera les espérances de la société d’agriculture, et acquittera envers elle la dette de lu reconnu ssance. Malheureusement grand nombre d’entre eux ne pourront, faute de propriété, offrir sur cet objet que le tribut de leur bonne volonté : on vient de prononcer à leur égard, avec plus de rigueur que l’Angleterre même devenue protestante, qui excepta de la spoliation générale les terres des-tinées à la dotation de ses ministres. J’avais demandé qu’on al feciât des terres aux curés qui n’en ont pas : mon opinion lut combattue par M. Hœderer, qui trouvera la réponse à ses arguments dans mou mémoire qui pié-cède (4) M. Monuel, curé de Valdelancourt, appuya mou opiuion, ainsi que M. Uillon, qui demandait au surplus, pour les évêques, une campagne avec les dépendances. 11 est étrange qu’il faille même faire cette réclamation. La plupart de mes preuves militent en leur faveur. Loin d’eux le faste de l’opulence-, mais il est juste d’assurer aux chefs de la hiérarchie une fortune stable et assez éiendue pour servir la générosité chrétienne, et rehausser l’éclat de leur ministère. M. Gouttes, en opinant comme mol, réservait aux assemblées administratives le soin de statuer sur cette dutatiou dont elles sentiront sans doute la nécessité. M. Rangeard, arclnprêire d’Angers, et plusieurs autres membres voulaient parier, mais on ferma la discussion, et le 14 avril intervint le décret qui conserve provisoirement aux curés l’administration des biens dépendant de leurs bénéfices (5). J’ai demandé pourquoi ce provisoirement ; ou me répond qu’il ne suppose aucune volonté de déposséder les cures, mais qu'il est là our ne pas blesser le principe constitutionnel. uel est ce principe? S rait-ce celui qui attribue à la nation la disponibilité des biens eeclésiasti-(1) Présenté à l’Assemblée nationale le 24 octobre 1789. (2) Ou les leviers de l’agricu)ture7 suivant l’expression de M. Cadet de Vaux, qui m’observau que, sur cent expériences rurales, quatre-vingt-seize sont dues aux curés. (3) Voyez page 673. (4) Voyez page 671 « Mais, a-t-on dit, etc. » (5) Non compris, sans doute, les biens obiluaires qui supportent des charges, imposent un surcroît d’uuvrages, et qui partant sont un salaire. 675 ques? La dotation des curés en fonds territoriaux n’y est pas contraire, puisqu’ils ne sont qu’usu-fruitiers sous la surveillance nationale. Ou veut-oq ériger en principe constitutionnel que le clergé ne pourra jamais être doté en biens fonciers? Ge serait s’interdire le droit de juger quel mode de dotation est plus convenable, je ne dis pas aux pasteurs, dont l’intérêt est subordonné à des considérations majeures, mais à la chose publique. J’ai étayé mon opinion de raisonnements propres, ce me semble, à captiver les suffrages par leur évidence; et si quelqu’un prétend tes combattre, je rentre dans l’arène. En finissant, je réponds à une dernière objection que je viens d’eu tendre. On craint que les municipalités, voulant favoriser les curés, n’estiment au-dessous de leur valeur les biens annexés à leurs bénéfices. Quand même cet inconvénient serait réel, jamais il ne contre-balaucerait les avantages résultant du système que je propose; dans toutes les choses de la vie, il faut peser le pour et le contre , voir de quel côté incline la balance, et si l’on ne voulait adopter que des partis qui n’offrissent aucun inconvénient, ou ne se déciderait jamais. Mais rassurez-vous, les municipalités feront i’estimaûon soüs ta garantie du serment et de la probité, et ce qui doit achever de tranquilliser cetie inquiétude affectée, c’e-t que, quoique les curés aient forcé l’esiitne généra e, et que toutes les provinces déposent en leur faveur, les insultes et tes outrages sont communément Rechange de leurs soins paternels; sicut oves in medio luporum ; et cette prédiction de l’Evangile se vérifie plus que jamais en ce moment; le despotisme municipal s’introduit presque partout, et l’on peut cil r par milliers les paroisses où l’ingratitude, l’orgueil, la tyrannie et même la rage se relayent pour aggraver les peines inséparables de notre ministère, pour harceler, vexer, tourmenter les pasteurs, C’est un tableau révoltant que je tracerai bientôt avec les couleurs convenables et les preuves irréfragables : est-ce donc là Je prix décerné à ceux qui, dans l’e«pace de six mois, ont deu% fois sauvé la France (l)? M. Treilhard (2). Messieurs, le comité des dîmes vous propose de prendre l’administration des possessions ecclésiastiques, et de remplacer la dîme par une prestation sulfisante pour subvenir aux frais du culte, à l’entretien des ministres de l’Eglise et au soulagement des pauvres. Dès le mois de décembre dernier |3), j’avais pris la liberté de vous exposer les motifs qui devaient vous déterminer à retirer des mains du clergé l’administration de ses biens. Etais-je dans l'erreur? Pour discuter celte question avec méthode, j’exaininerai d’abord si la naiion peut se charger de l’administration des possessions ecclésiastiques et si elle a intérêt à la reprendre. Je répondrai ensuite à toutes les objections, à celles du moins qui me paraissent mériter une réponse. La naiion peut-elle se charger de l'administration des biens ecclésiastiques? Qui peut en douter? Les biens du clergé sont à la disposition de la nation : donc la nation peut, à plus forte raison, (1) Voyez plus haut l’aveu de M. Cbasset qui n’est pas süSpect. (2) Le discours de M. Treilhard est incomplet au Moniteur. (3) Motion de M. Trebhard du 18 décembre 1789. — Voy. Archives , tome X, page 663. 676 [Assemblée nationale.] les faire administrer comme bon lui semblera. Administrer est moins que disposer. Les biens du clergé sont à la disposition de la nation, sous la charge des frais du culte , entretien des ministres et soulagement des pauvres ; donc, quelque parti que vous preniez sur l’administration des biens du clergé, vous devez pourvoir aux frais du culte , à V entretien des ministres et au soulagement des pauvres : mais la nation en a-t-elle moins le droit de reprendre l’administration des biens du clergé? Ces biens sont à ia disposition de la nation sous la surveillance et d' après les instructions des provinces : donc, lesdépui tements peuvent donner des instructions sur la maniéré de disposer de ces bieDs : résulte-t-il de là que la nation ne peut les faire administrer ainsi qu’il lui paraîtra convenable? Elle le peut; elle le doit, pour l’intérêt de l’Etat, pour l’intérêt de la religion, et surtout pour l’intérêt de ses ministres. Qui de nous n’a pas été frappé de cette répartition monstrueuse des revenus ecclésiastiques, qui voue à l’indigence une partie des ministres les plus nécessaires au culte, et qui entretient dans une molle abondance et daus une fastueuse oisiveté, des ministres inutiles, des ministres dont la conduite ne contraste que trop souvent avec l’esprit de leur état ? Cet abus a, dans tous les temps, excité des réclamations les plus fortes. Il subsistera, tant que vous n’aurez pas détruit les litres, sans fondions, et réglé pour chaque titre nécessaire un traitement proportionné aux services qu’il exigera. Tel est l’intérêt réel des véritables successeurs des apôtres, de ceux qui s’occupent en effet de l’ouvrage du salut des tidèles, de ceux enfin dans lesquels réside éminemment la partie enseignante de l’Eglise (1). Tel est aussi l’intérêt de la religion. L’administration des biens temporels a fait à l’Eglise une vaste place, qui ne peut être guérie tant que la cause du mal subsistera. Je ne retracerai pas ici les plaintes touchantes qu’ont faites, à cet égard, les personnages les plus distingués par leur savoir et par leur piété. Je ne vous dirai pas que le divin fondateur de la religion, maître absolu de tout, n’a cependant donné aucun bien temporel aux apôtres, et qu’il a dit, au contraire, à ceux qui voulaient ère ses disciples : vendez tout , donnez le prix auxpauvres , et suivez-moi (2). Mais je demanderai s’il n’est pas vrai que les ennemis de la religion ont puisé leurs plus fortes attaques dans la différence qui règne, quant à l’extérieur, entre la religion actuelle et cette même religion dans les siècles de pureté; dans le contraste d’un Dieu pauvre, qui ne trouve pas où reposer sa tête (3), et ses ministres environnés de tout l’appareil du luxe, de tout le faste de l’opulence. Lors donc, Messieurs, que vous fixerez aux ecclésiastiques un salaire honorable, vous ferez à la religion le plus grand des biens, un bien qu’une foule de saints personnages avaient inutilement désiré jusqu’à ce jour. Quand on ne pourra plus espérer de fixer les . (1) Aussi plusieurs ecclésiastiques respectables ont-ils fortement soutenu le plan du comité, qui n’a été presque combattu que par des possesseurs de bénéfices considérables. (2) Vende quœ habes, da Pauperibus. . . et veni, se-quere me. Math. 19, 21. (3) Films homtnis non habet ubi cap ut reelinet. [11 avril 1790.] regards par cette pompe extérieure que peut séduire une multitude frivole, mais qui contribue en effet si peu au bonheur de celui qui est environné, alors on s’efforcera de se distinguer par des vertus; alors les ennemis de notre culte, nui, tant de fois, ont triomphé des fautes ou des faiblesses de ses ministres, demeureront, en effet, confondus, et ils seront forcés de reconnaître qu’une religion annoncée par des apôtres si respectables, ne peut être que la vraie. Voilà l’intérêt de la religion. L’intérêt de l’Etat vient ici se confondre avec celui de la religion et de ses ministres. Et d’abord, il est sensible que l’intérêt des pauvres solliciie le décret qui vous est proposé. Personne ne conteste qu’ils ont des droits puis-sanis sur ces revenus ecclésiastiques : ces droits sont-ils acquittés? Sans doute, il existe des ecclésiastiques dont la piété solide et éclairée porte la paix et la consolation dans les familles indigentes; et, je le dis hautement, le nombre en est peut-être plus grand que ne le pense le vulgaire. Mais les ecclésiastiques charitables ne sont pas toujours les plus opulents, et leurs ressources peuvent n’être pas proportionnées à leur bonne volonté. Nous ne pouvons d’ailleurs nous dissimuler que plusieurs ecclésiastiques regardent presque cuintne nue illusion la dette qu’ils ont contractée envers les pauvres lorsqu'ils ont pris possession de leur béoétice. Ainsi la portion souffrante de l'humanité se trouve privée d'une partie de son patrimoine : elle ne lui sera entièrement rendue qu’au moment où reprenant l’administration des biens ecclésiastiques, vous prendrez avec elle la charge des pauvres qui en est une suite. Vous savez aussi, Messieurs, avec quelle incurie et quelle négligence, des titulaires passagers ont souvent régi des possessions qu’ils ne peuvent espérer de transmettre à personne; vous savez comme ils adoptent avidement tout ce qui peut bâter ou multiplier la jouissance du moment, dût le fonds périr avec le titulaire. Ne leur parlez pas de réparations, encore moins d’améliorations : que leur importe que des bâtiments s’écroulent, pourvu qu’ils n’en soient pas témoins? Des fonds épuisés par des jouissances anticipées des créanciers, des ruines : voilà le tableau fidèle de la succession d’un grand nombre de bénéticiers. Dira-t-on qu’il n’est pas de l’intérêt de l’Etat d’éteindre une administra lion si vicieuse, pour en substituer une plus salutaire? En lin, personne n’ignore que, dans l’ordre des besoins, les besoins publics méritent une considération particulière, et que les biens du clergé, dans les circonstances où nous nous trouvons, offrent à la nation de puissants secours, des secours absolument nécessaires. Un titulaire de bénétices, quel qu’il soit, n’a de droits qu’au juste salaire de ses peines, suivant toutes les lois de l’Eglise; et, celui qui n’a pas d’office à remplir, ne peut mériter qu’une bien faible récompense. Vous serez donc justes, quand vous décréterez pour chaque titulaire un traitement proportionné à ses services (?). (1) Dignus est enim operarius mercede suâ. Luc, 10, 7. (2) Le résultat de l’opération fera que les curés et les vicaires seront beaucoup mieux payés, et que quelques évêques trop richement dotés, le seront moins, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 677 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] Par celte opération sage et canonique, vous assurerez à l’Etat une ressource que les ecclésiastiques vraiment dignes de leur caractère se félicitent de pouvoir vous offrir. Il en est heureusement un grand nombre dans cette auguste Assemblée; vous les avez entendus, comme moi, se plaindre avec amertume de 1 oubli de ces maximes antiques et salutaires, qui faisaient la gloire de la primitive Eglise, et qui, j’ose l’espérer, feront aussi le bonheur de la génération future. L’intérêt qui doit vous porter à reprendre l’administration des biens ecclésiastiques ne peut donc être douteux; et j’ai prouvé que vous feriez, par cette opération, le bien de l'Etat, celui de la religion et celui de ses ministres. Il me reste à répondre à quelques objections. On vous a parlé du décret du 2 novembre, comme ne pouvant se concilier avec celui qu’on vous propose, et les mêmes personnes qui se déchaînaient avec tant de fureur contre votre premier décret, sous prétexte qu’il enlevait au clergé une propriété qu’il n’a jamais eue, ne craignent pas de l'opposer aujourd’hui, comme ayant consolidé dans la main du clergé cette propriété prétendue. Eh! sur quel misérable motif ose-t-on se fonder? Le décret, dit on, n’a pas prononcé que la nation fût propriétaire, mais que les biens étaient à la disposition de la nation . Dites-nous donc si l’on peut avoir le droit de disposer de la chose d’autrui, et établissez la différence qui existe entre le droit de disposer et le droit de propriété; dites-nous si vous concevez, et comment vous concevez qu’on puisse avoir le droit de disposer, et qu’on n’ait pas celui d’administrer? Les frais du culte, l’entretien des ministres, le soulagement des pauvres, sont à la charge de la nation; voilà tout ce qui résulte du décret du 2 novembre : mais la nation regarde et regardera toujours ces charges comme son engagement le plus sacré, quel que soit le parti qu’elle prenne sur l’administration des possesseurs du clergé. « Les frais de cette administration n’absorbe-ront-ils pas les revenus? » Cette inquiétude est sans fondement. Les ecclésiastiques ont actuellement oft des fermiers ou des régisseurs; les fermiers, comme de raison, ont des profits sur leurs baux, et les régisseurs sont payés de leurs peines : il ne faudrait donc pas regarder comme une perte, dans l’état futur, soit le gain du fermier, soit le salaire du régisseur. J’ajoute que l’administration future sera nécessairement moins coûteuse que l’administration actuelle, parce que les soins en seront confiés à des assemblées organisées, existant indépendamment de cette administration, et qui n’en seront pas plus dispendieuses. D’ailleurs, les revenus ecclésiastiques éprouveront nécessairement une augmentation, soit par l’abolition, pour l’avenir, de ces pots-de-vin occultes, qui infectaient une partie des baux, soit parce que l’exploitation des fermiers se trouvant. dans la suite, surveillée par les administrations, les fonds seront certainement moins dégradés que par le passé. « Mais l’exemple de la régie des biens des jésuites ne doit-il pas nous alarmer? » Certes, nous serions bien à plaindre, si ces assemblées administratives que nous avons organisées avec tant de précautions, n’avaient pas, pour les domaines publics,' des soins plus actifs, plus éclairés, plus purs, que la régie mercenaire et dévorante d’une direction de créanciers. Quel sera d’ailleurs le devoir des assemblées administratives? Faire poser des affiches, recevoir des enchères ; adjuger à une personne solvable, ou qui donne une bonne caution : je ne vois pas comment leur administration pourrait-être si dévorante. « Ne vaudrait-il pas mieux laisser aux titulaires « l’administration de leur possession, et arrêter « par de sages règlements le cours des abus? » Cela est impossible. Ces abus, ces vices tiennent à la nature même des choses, et ne seraient jamais réformés, tant que le clergé conserverait son administration. La possession du temporel réveillerait toujours, dans un grand nombre d’ecclésiastiques, le germe de l’ambition et de l’avarice. Il y aurait toujours des titulaires qui, se préférant à tout, s’embarrasseraient peu de mal jouir, pourvu qu’ils pussent jouir davantage; des titulaires qui transmettraient à leurs successeurs des fonds dégradés, des bâti nents en ruine; et avant la révolution d’un siècle, une partie des ministres de l’Eglise se trouverait encore sans dotation. Enfin, il y aurait toujours des titulaires qui s’aimeraient mieux que les pauvres, et qui les frustreraient de leur portion sur les revenus ecclésiastiques. Aucun règlement ne parerait à ces inconvénients. Gomment prouverait-on à un ecclésiastique qu’il a reçu des pots-de-vin, quand lui et le fermier s’obstineraient à n’en pas convenir? Comment lui prouverez-vous qu’il n’acquitte pas sa dette envers les pauvres? L’obligerez-vous à rendre publique la liste de ceux à q,ui il en aura donné? Comment préviendrez-vous les dégradations, suite nécessaire du détail t de réparations et d’n ne exploitation vicieuse? Et s’il meurt après avoir passé un bail et reçu un pot-de-vin considérable, n’aura-t-il pas anticipé sur les jouissances de ses successeurs? Direz-vous qu’à la mort du bénéficier le bail sera rompu? Ce remède est lui-même un grand abus, bien de plus funeste à l’agriculture, à l’amélioration des terres, et par conséquent à l’augmentation des produits : un fermier qui pourra être dépossédé d’un moment à l’autre, donnera-t-il le prix qu’il paierait si uue jouissance assurée pendant un certain nombre d’années, lui permettait des spéculations et des avances dont il pourrait espérer de recueillir les fruits? « Mais sera-t-on exact à payer les salaires des « ministres du culte? ne laissera-t-on pas languir « les prêtres dans l’indigence? quand l’Etat aura « des besoins, ne s’emparera-t-il pas de ce qui « leur est destiné? peuvent-ils compter sur une « bonne foi et sur une exactitude dont les exem-« (îles jusqu’à ce jour ont été si rares? » Oui, sans doute, ils peuvent et doivent y compter; et l’on sera exact à l’acquitter, cette dette sacrée : l’administration passée n’est plus, et elle ne renaîtra jamais. Quoi! dans le moment le plus critique peut-être qui puisse exister, dans le moment où la nation, affaissée sous le poids d’une dette énorme, déclare que cette detie, qu’elle n’a pas contractée, est cependant sacrée et qu’elle n’éprouvera pas la moindre réduction, l’ou se permet de supposer que cette même nation, lorsqu’elle sera régénérée, lorsqu’elle aura rétabli l'ordre dans toutes les parties de l’administration, pourra manquer au plus saint des engagements, qu’elle détournera les salaires du clergé de leur destination, et qu’elle 678 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] vouera à l'indigence et à la mort les ministres de son culte! Loin que les ecclesiastiques courent ici des risques, je soutiens que leur jouissance n’aura jamais été plus assurée : car enfin, dans l’état actuel, elle peut être troublée de mille manières; un fermier peut ne pas payer, un régisseur peut-être infidèle; l’intempérie des saisons détruit l’espoir du cultivateur; un gros déeimateur conteste l’acquit de la portion congrue : dans le nouveau régime au contraire, aucun de ces inconvénients n’est à redouter; le titulaire sera payé exactement et à son terme. Gomment pourriez-vous balancer encore à adopter la proposition de votre comité des dîmes? Seriez-vous touchés de l’objection qui a été faite, résultant du prétendu inconvénient d'un déplacement trop subit et trop étendu des dépenses qu’entraînerait le nouveau régime? Vous ne retrancherez sur le revenu des titulaires actuels, que ce qui doit être employé, suivant les lois de l’Eglise et de l’Etat, aux besoins publics, ail soulagement des pauvres, à la dotation des curés et des vicaires qui ne sont pas suffisamment dotés, et à l’acquit des charges. Vous ne ferez que ce qu'auraient dû laire les titulaires; et si un ecclésiastique, au lieu de soulager les pauvres, avait entretenu de somptueux équipages, de nombreux domestiques, une table élégante, le déplacement de ces dépenses ne saurait être trop subit, parce qu’il rétablirait l’ordre, loin de l’intervertir. Faut-il actuellement combattre ces calculs ridicules qui vqus ont été présentés par quelques membres du clergé, et desquels il semblerait résulter que les charges ecclésiastiques surpassent leurs revenus? Faut-il discuter les offres qui ont été faites d’aider la nation par un emprunt, à condition qu’on laissera au clergé l'administration de ses biens? Les auteurs de ces calculs n’ont pu se flatter de faire illusion un seul instant, parce qu’il est notoire que le clergé, après avoir acquitté ses charges, a encore un superflu qui entretient un grand nombre d’ei clésiastiques inutiles dans l’abondance et dans l’oisiveté. A l'égard de ceux qui ont fait les offres, leur seul objet a été de vous faire sanctionner indirectement l’existence du clergé comme formant un Corps, et de ménager pour le clergé séculier tous les biens des Ordres monastiques que vous avez ai olis. Ce piège n’est pas dangereux, et j’ose croire qu’il ne reste actuellement aucun doute dans vos esprits sur la nécessité de prendre l’administration des possessions ecclésiastiques. Voire aomité vous a également proposé de remplacer la dîme par une prestation suffisante pour subvenir aux frais du culte, à l’entretien des ministres de l’Eglise, et au soulagement des pauvres. Ce second décret n’est pas moins nécessaire que le premier : je ne dirai qu’un mot sur cet objet. Vous avez déjà aboli les dîmes, sauf un remplacement ; il faut donc remplacer la dîme : c’est chose décrétée. In remplacement n’est pas un rachat : on ne peut donc pas songer à faire racheter la dîme : c’est encore une chose décrétée. 11 ne pourrait donc s’élever de difficulté que sur le mode et la nuotité du remplacement. Quant au mode, il ne s’agit p is de décréter aujourd’hui ; ou vous propose seulement de déclarer que « dans l’état des dépenses publiques, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte, à l’entretien des ministres et au soulagement des pauvres. Gela est conséquent à votre décret du 4 août. Vous délibérerez sur le mode dans la suite, et vous le décréterez dans votre sagesse. Je ne me permettrai ici qu’une réflexion : quand vous aurez dégagé les biens ecclésiastiques, et pourvu, par un remplacement quelconque, aux charges dont ils peuvent être grevés, la vente successive de ces biens opérera évidemment le salut de l’Etat. On suppose que leur produit est d’environ 70 millions. En les aliénant au denier 25 (et vous devnz vous flatter d’en trouver ce prix, surtout si vous les vendez par petites parties), ces biens donnent un capital d’environ 1,«00 millions, qui, employé à éteindre les dettes les plus onéreuses, pourrait vous débarrasser de 150 millions d’intérêts annuels. Tout le monde doit reconnaître les avantages de cette opération. J’ajouterai que, dans les biens du clergé produisant des revenus, on ne comprend ni les futaies, ni les emplacements, qui fourniront encore une ample ressource à l’Etat. Cette considération, toute importante qu’elle est, n’est pas nécessaire pour vous faire sentir combien il sera avantageux de ranger parmi les dépenses publiques « les frais du culte, l’entretien des ministreset le soulagement des pauvres» : je pense donc que vous ne pouvez trop vous hâter de décréter le projet du comité des dîmes. M. de Lafare, évêque de Nancy (1). Messieurs, s’il était possible de séparer mes intérêts temporels de ceux des églises de France, de mon église en particulier et de la religion même, je me serais condamné au silence. Plaçant mon âme à la hauteur de l’abnégation évangélique, à cette hauteur où l’injustice des hommes ne saurait atteindre, où les biens de la terre restent si loin de nous, j’aurais dévoué sans peine et précipité dans le gouffre dévorant, qui demande tant de victimes, les biens temporels qui m’ont été départis. Mais ici mon intérêt personnel et passager n’est qu’un point. Il s’agit de l’intérêt durable et perpétuel de nos églises et de la religion qui en est inséparable. Il n’est plus alors permis aux ministres des autels de dissimuler.de se résigner, de se taire. Leur silence serait coupable. Il faut qu’ils défendent, avec courage et constance, les droits sacrés que l’on attaque. C’est une de ces cire instances où la résistance est le plus saint des devoirs. Qu’il est douloureux pour les membres du clergé de ce royaume de n’avoir à faire entendre leur voix dans cette assemblée que pour se plaindre ou du fond, ou de la forme de vos délib rations qui le concernent. N était-ce pasa=sez qu ■, malgré une possession de quatorze siècles, une. possession confirmée par tout ce que les sanctions humaines ont de plus imposant, une possession plus ancienne, pour plusieurs de nos églises, que l’existence même de la nation française, toutes les propriétés ecclésiastiques euss(?rit été, par le s*ml acte de votre volonté, mises à la disposition de la nation ? N’était-ce pas assez que, sans avoir, comme vous le deviez, consulté les provinces, où réside (1) Le discours de M. de Lafare n’est pas complètement exact au Moniteur ; nous le reproduisons s la version impriniée par les soins d® l'auteur, [Assemblée aationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] 679 la nation, à qui, par votre décret du 2 novembre, avait été attribuée la disposition de nos biens, vous ayez pris sur vous de dé -réter, le 19 décembre, la vente des biens de l’Eglise [O ir une valeur d'environ quatre cents mil ons? N’était-ce pas assez que, reprenant tout à coup aux provinces, la surveillance de toute disposition des biens ecclésiastiques dans leur territoire, surveillance qui leur appartenait de droit et que vous avez même décrétée, vous l’ayez, par votre décret du 17 mars, transmis aux municipalités du royaume, en leur confiant la vente des biens ecclésiastiques, sous l’api»arence de soumission ou d’adjudication à leur profit? N’était-ce pas assez que votre décret du 13 février eût, malgré nos représentations et les principes les plus certains de religion et d’équité, supprimé toutes les institutions monastiques si chères à l’Eglise ? Fallait-il encore que la motion incidente, qui vous a été présentée hier, vînt intervertir toutes les règles pour s’empresser d’ajouter de nouvelles rigueurs à vos délibérations précédentes? Rappelez-vous, Messieurs, la résistance invincible que vous avez opposée le 12 février à ce que l’on mît en délibération la motion incidente que j’avais faite pour que la religion catholique, apostolique et romaine fût solennellement reconnue la religion de l’Etat. Cette motion pouvait être privilégiée sans doute; vous l’avez écartée, parce qu’elle était incidente. Ce qui attaque les églises et ses ministres obtiendrait-il seul une exception ? Votre comité des dîmes vous a présenté, soit en son nom, soit au nom du comité ecclésiastique, dont une grande partie n’avait été ni consultée, ni prévenue, un projet de décret relatif aux églises de Fi ance, inadmissible dans presque tous ses points, il me sera facile de le démontrer. Je ne discuterai rien de ce qui touche à l'ordre spiriluel. Le rapport du comité ecclésiastique n’est encore qu’annoncé, mais s’il est fait sur les principes qui vous ont été présentés, l’incompétence de l’Assemblée nationale pour de pareilles questions sera évidente. Vous la reconnaîtrez aisément vous-mêmes. Je me bornerai en ce moment à la question qui concerne les biens temporels des égiises du rovau-me,et à l’examen des quatre articles du projet de décret du comité des dîmes, dont la motion incidente a voulu que l’Assemblée s’occupât sans délai, et qu’elle osait même, malgré sa haute importance, vous proposer de décréter dans la même séance, et sans désemparer. D’abord, Messieurs, je suis en droit de demander pourquoi c’est, sur l’annonce d’un projet non arrêté du comité ecclésiastique, que l’on nous force de délibérer ? Pourquoi, lorsque le règlement défend expressément à tout membre de faire aucune motion incidente, et à l’Assemblée de la prendre en considération ? Celle qui nous occupea reçu, contre toute règle, et contre la réclamation d’une partie de l’Assemblée, une exception qu’elle ne devai t pas avoir ? Je pourrais demander encore pourquoi une lettre alarmante du premier ministre des finances, sur la situation du Trésor public, avait précédé immédiatement cette motion extraordinaire ? — A toutes ces demandes, il u’est personne, pour peu qu’il ait suivi la marche ordinaire de nos opérations, qui ne cuisse trouver la réponse. Je passe directement à la question. L’article premier du projet de décret présenté par le comité des dîmes, est ainsi conçu ; « A compter du jour de la publication du présent décret, l’administration des biens déclarés, par le décret du 2 novembre dernier, être à la disposition de la nation, sera et demeurera confiée aux assemblées de départements et de disiricts, ou à leurs directoires, ainsi qu’aux municipalités, sous les règles et les modifications qui seront expliquées » L’objet de cet article est d’enlever à toutes les églises, à tous les bénéficiers, légitimes possesseurs, Ja jouissance et l’administration de leurs biens. Proposition révoltante ! A-t-on pu croire que vous l’admettriez? Non, Messieurs, vous ne le pouvez pas, vous ne le devez pas. Vous ne le pouvez pas ; car enfin une assemblée qui a décrété la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit compter la justice pour quelque chose. O, la justice s'oppose formellement au projet d’invasion qu’on veut vous faire adopt r. La jouissance légitime est la propriété sacrée de chaque titulaire. Assurer à chaque citoyen sa propriété, quelle qu’elle soit, ou réelle, ou usufruitière, c’est votre premier devoir. Demandez à chaque titulaire qu’il fasse, pour venir au secours de l’Etat en danger, tous les efforts du patriotisme, il les fera de lui-mêine; il est Français comme vius ; vous n’aurez pas besoin de rien exiger. Mais vouloir que l’Assemblée nationale porte l’abus du pouvoir jusqu’à dépouiller arbitrairement, par Pacte absolu de sa volonté, des possesseurs légitimes, c’est lui conseiller le crime le plus flétrissant pour une nation, l’abus de la force contre la faiblesse. Ce serait une lâcheté ; vous ne pouvez pas la commettre. Par là même, vous ne devez pas vous fixer un seul instant sur la proposition qui vous est faite. Les lois de l’honnêteté ne sont pas moins sévères que celles de la justice. Mais il est des considérations politiques qui seules doivent vous arrêter. Dans le rapport qu’on vous faisait hier sur les domaines et que vous avez applaudi, on vous disait que toute régie faite par des compagnies était ou destructive du produit, ou destructive du fonds. Mais c’est ici que cette vérité trouve son application tout entière. A qui veut-on vous faire confier l’administration des biens ecclésiastiques? aux directoires des districts, aux municipalités. L’art de régir des biens, d’acheter, de vendre à propos, de tenir des livres de compte en rèjfie, de veiller aux réparations et à l’entretien, de suivre les procès, eu un mot, d’embrasser tout ce qu’une régie comporte, est un art difficile et qui demande des hommes expérimentés et uniquement adonnés aux détails sans cesse renaissants de cette profession. Eh bien ! Messieurs, c’est à des pères de famille, essentiellement occupés du soin et des détails de leurs propres affaires, à des hommes initiés peut-être pour la première fois à l’administration publique, déjà surchargés de tant d’attributions d’administration, de justice, de finances, de police, à des hommes dont la mission doit se borner à deux ans, que vous confieriez des intérêts de cette importance. Je veux que dans les villes vos vues fussent complètement remplies. En serait-il de même dans les campagnes? Une régie, quelquefois plus considérable que celle de la communauté tout entière, sera entre les mains de trois officiers municipaux, sans caution, et peut-être sans intelligence pour de telles fonctions. Que sera-ce si jamais un mauvais choix confiait les fonctions municipales à des hommes avides ou d’une probité équivoque? que deviendrait tous ièsifltérêts qui |eqr servent [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] 680 commis? Et s’il était de l’intérêt de ces individus ou de la communauté même, de supprimer les titres de la terre ou du bénéfice, quelle serait la surveillance assez efficace pour l’empêcher ou le punir? Ce n’est pas ainsi que pourrait se conduire une nation éclairée. Un pareil abandon ne serait pas exécutable, dans un simple individu. Je le demande à ces hommes qui paraissent eux-mêmes applaudir à ce système désastreux : voudraient-ils hasarder ainsi la régie du moindre bien qui leur appartînt? ils ne le voudraient pas et ils feraient bien. Puisse donc l'Assemblée, se désabuser de ces suggestions dangereuses, dont l’effet serait pour l’Etat un malheur de plus, et une source intarissable de repentir. Le second article ne présente ni plus de justice, ni plus de convenance; le voici : « Dorénavant, et à partir du premier janvier de la présente année, le traitement de tous les ecclésiastiques sera payé en argent, aux termes et sur le pied qui seront fixés. » Je ne m'arrêterai pas à cet effet rétroactif qu’on veut donner à la loi en faisant partir sa première exécution du mois de janvier dernier. Ce n’est plus qu’une faible nuance d’injustice devant celle qui constitue l’essence même de l’article. Fixer le traitement de tous les ecclésiastiques, en argent, c’est-à-dire envahir la dotation territoriale faite anciennement aux églises, aux pasteurs et aux pauvres, sous la garantie même de la nation, à sa décharge et pour un service pù-hlic; violer ainsi la foi jurée, anéantir les fondations et le respect inaltérable qui leur est dû; se jouer des conventions humaines, et ravir par la force, ce dont on serait repoussé par la justice, voilà l’esprit de celte opération. — Le droit exorbitant de faire une pareille révolution dans le culte, vous ne l’avez pas. Les provinces ne vous l’ont pas donné. La mienne, c’est-à-dire le bailliage qui m’a député, m’a formellement prescrit de m’opposer à toute opéiat on de ce genre. Tous les cahiers viennent à son appui; ils s’accordent et se bornent à vouloir que vous opériez la réforme des abus dans la répartition des biens ecclésiastiques ; mais là finit l’exercice du pouvoir qu’ils vous attribuent. La dotation des églises en biens-fonds est-elle donc un abus? non: c’est leur dotation en argent qui en serait un ; et voici les raisons : Il est de l’intérêt même de l’Etat que les revenus de l’Eglise soient assis sur des biens-fonds. La dépense de la religion est annuelle et perpétuelle; par cela même il faut que l’Eglise éprouve, comme tous les autres propriétaires, l’augmentation progressive de la valeur des fonds de terre pour se trouver toujours au niveau de ses besoins. 11 faut que cette dépense soit indépendante du système financier qui régit accidentellement les Etats. Il faut qu’elle ne puisse être exposée ni aux variations du Trésor public ni à la dilapidation des déprédateurs. On a vu ces paiements de l’Etat arriérés de deux ou trois ans. Quelle serait alors la ressource des autels, des pauvres et des ministres? Il faut que les pasteurs des villes, et surtout des campagnes, puissent distribuer des denrées bien plus encore que de l’argent Dans les temps de calamité et de disette, une distribution de denrées, faite à propos, par un pasteur charitable, donne aux pauvres familles une subsistance que souvent une valeur trois et quatre fois plus considérable ne procurerait pas. Tels sont le3 motifs qui portèrent nos pères à assurer en biens-fonds ta dotation des églises, et si cet ordre de choses n’existait pas, l’expérience aurait invinciblement démontré la nécessité de l’établir. Loin donc une idée irréfléchie, essentiellement injuste et inadmissible dans son principe, contraire aux vues d’une saine économie politique, et tendant par ses conséquences inévitables à détruire insensiblement dans ce royaume le culte et la religion. Le troisième article du projet de décret n’est pas plus admissible que les autres. « Les dîmes de toutes espèces abolies par l’article V du décret du 4 août dernier et jours suivants : ensemble les droits et redevances, qui en tiennent lieu, mentionnés audit décret, comme aussi les dîmes inféodées appartenant aux laïcs, déclarées racheiables par le même décret, cesseront toutes d’être perçues à jamais, à compter du 1er novembre 1791. Et cependant les redevables seront tenus de les payer, à qui de droit, exactement, durant la présente année, comme par le passé; à défaut de quoi ils y seront contraints en la manière accoutumée. » Par cet article, l’abolition absolue des dîmes ecclésiastiques aurait lieu à compter du 1er novembre 1791. Mais le comité a perdu de vue la nécessité de pourvoir au remplacement de la dîme avant de prononcer définitivement sa suppression. Il a oublié ce décret spécial de l’Assemblée nationale, par lequel elle s’est engagée à déterminer, pour les églises, l’entretiendu culte, les possesseurs actuels, les pauvres et l’enseignement public, une juste et préalable indemnité. Bien loin d’avoir rempli ce préalable, l’Assemblée, par ses décrets des 2 novembre, 19 décembre, 13 février et 17 mars a cumulé tous les motifs qui rendent sa détermination indispensable. Jusque-là l’abolition absolue de la dlme serait une véritable spoliation des églises, le commencement de la ruine de la religion et du culte. Quant aux dîmes inféodées, il m’est impossible de ne pas observer combien le rtdour sur elles me parait injuste et inexplicable. Avant d’avoir réglé la juste et préalable indemnité due aux légitimes possesseurs (cet article de la déclaration des droits de l’homme a l’air, par la facilité avec laquelle on l’oublie, de n’avoir été décrété que pour la forme), ou prononce l’abolition de ces dîmes à terme fixe : qui sait si, par l’impossibilité peut-être d’acquitter au terme désigné cet engagement sacré, ce ne serait pas un supplément de spoliation et de perte pour tant de familles malheureuses qui, dans tous les coins de la France, sont, depuis vos décrets sur les droits féodaux, réduits à la plus triste misère, au désespoir le plus déchirant. Vous devez, Messieurs, procéder avec plus de justice. Si vous voulez charger l’Etat du rachat «tes dîmes inféodées, prononcez leur abolition, à la bonne heure ; mais ne la prononcez que quand vous aurez réellement effectué le rachat. Les dîmes inféodées ont été acquises à titre onéreux, sont entrées depuis dans toutes les conventions sociales. C’est une propriété que vous devez respecter. Le IV® article demande une discussion approfondie. C’est évidemment le but où tendaient les trois articles qui ont précédé. C’est PaMuie que l’on prépare ou à la nation ou à la religion. « Dans l’état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] 681 aux pensions des ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers de l’un et l’autre sexe, de manière que les biens qui sont à la disposition de la nation puissent être dégagés de toutes charges et employés par le Corps législatif aux plus grands et aux plus pressants besoins de 1 Etat. » Voilà donc toute la théorie du système qu’on vous présente. — Dépouiller, par les moyens les plus expéditifs et 1rs plus abrégés, l’Eglise gallicane de tous ses biens pour les céder plutôt que pour les vendre aux capitalistes, aux créanciers de l’Etat. — Car, Messieurs, malgré toutes les espérances exagérées avec art dont chaque jour cette tribune retentit sur cet objet, personne de vous ne s’abusera ou ne se laissera abuser au point de croire que la vente des biens ecclésiastiques puisse se faire, avecquelque avantage, dansles malheureuses circonstances où se trouve le royaume. Elle ne se fera qu’au plus triste rabais : au denier vingt, peut-être moins; puis les déprédations, les insol vances, la perte pour l’Etat sur les effets royaux reçus dans la vente ; peut-être y aura-t-il un tiers à perdre sur la balance des prix d’achats et des produits actuels. Ainsi l’Etat, obligé de pourvoir à perpétuité aux dépenses du culte, aurait ôté de ses mains un moyen reproductif et susceptible d’au mentation graduelle et toujours croissante, pour le vendre à perte, pour le jeter dans le gouffre de l’agiotage. — El comment y suppléerait-il ? Ceserait, Messieurs, par uneimposition annuelle sur la nation. Cette imposition, malgré toute l’étude que l’on a mise à exagérer les ressources et à diminuer la dépense, serait, ainsi qu’on l’a articulé, de cent trente-trois millions. Mais, ici, il faut rétablir l’exactitude des calculs. Je présume qu’on a omis par inadvertance l’article des cathédrales. Comme cet article sort de l’ordre du jour, je me bornerai à dire en passant, en attendant qu’il me soit permis de le prouver, que ces établissements tiennent essentiellement au régime de l’Eglise, et que vous n’avez pas le droit de les supprimer. — Cet article de dépense est au moins de sept millions, et porterait déjà la dépense totale à cent quarante millions. À présent, je demande à votre comité, pourquoi ne préseme-1-il jamais à l’Assemblée que ses hypothèses particulières, toujours plus conforme à la latitude qu’il veut donner à ses calculs, qu’à la réalité au moins approximative? J’ai fait comme lui, et peut-être plus que lui, une étude suivie de ces objets, et je crois pouvoir vous attester, Messieurs, que, dans son calcul, votre comité se trompe notablement sur le nombre des religieux, religieuses et ecclésiastiques du royaume. J’esiime son erreur de plus de quinze mille têtes, et peut-être d’avantage. — Qu’il produise au reste les renseignements qu’il a dû prendre d’après vos ordres, et les dépouillements qu’il a dû faire : je ne crains pas de voir mon calcul démenti. Jusque-là, j’ai le droit d’en soutenir la vérité. Il porte sur des bases, et celui de votre comité ne m’en présente aucune. — C’est donc encore un excédent de dépense d’environ quinze millions qu’il faudrait ajouter. Je ne parle pas des dettes de toute espèce, des chapitres, des monastères, des communautés, des bénéfices qu’il faudra nécessairement prélever sur les biens-fonds, ce qui réduirait notablement le produit des ventes. Votre loyauté ne voudra pas sans doute attacher aux églises, à leurs ministres et uniquement par votre fait, l'infamie d’une banqueroute que vous avez si juste raison de détester et de redouter. Toutes ces dépenses réunies porteront bien sûrement à cent soixante millions au moins la masse de l’imposition annuelle à jeter sur la nation. Mais il est un objet qui mérite toute notre sollicitude, et que, jusqu’à présent, les spéculations financières de vos comités n’ont fait qu’effleurer. Cet objet, Messieurs, est celui qui concerne les pauvres. On l’a souvent perdu de vue dans cette Assemblée. C’est à nous, ministres des autels, de le rappeler. Après telle ou telle église, tel ou tel monastère, les pauvres sont les seconds donataires des biens de ces établissements. A ce titre, ils sont essentiellement intéressés à la conservation, ou à la représention préalable et équivalente de leurs revenus. Ainsi, la suppression de la dîme, sans un juste remplacement, l’invasion générale des biens-fonds du clergé, seraient de véritables attentats au patrimoine des pauvres et aux ressources que la charité des fondateurs leur avait préparées. Eh ! Messieurs, n’abusons pas ces pauvres citoyens, qui peut-être se réjouissent inconsidérément de l’espéraDce anticipée de voir prononcer la spoliation de nos églises. Qu’ils écoutent un moment et qu’ils jugent 1 Je suppose que la vente des biens du clergé, bien loin d’être au�si préjudiciable à la nation qu’elle le sera en effet, lui fût au contraire utile, et lui procurât une diminution quelconque dans ses impositions annuelles, par exemple d’un cinquième ; voici le résultat de cette diminution. Le pauvre, sans propriété, ne doit rien payer, si votre constitution financière est juste. Mais s’il veut avoir les droits de citoyen actif, il paiera la valeur de trois journées de travail, et par conséquent trois livres. Dans cette hypothèse, le cinquième de diminution qu’il éprouverait lui vaudrait douze sols. Mais considérez le bénéfice des classes supérieures de contribuables, depuis celle qui jouit de deux millions de rente, jusqu’à la classe du pauvre sans propriété. — Si le dixième était le taux de la contribution coinmuoe, la première classe devant payer 200,000 livres d’impôts, le cinquième de diminution que lui vaudrait la spoliation du clergé lui procurerait une remise de 40,000 livres, et ainsi par proportion à toutes les classes de contribuables. — Par là, plus un citoyen serait riche, plus les biens de l’Eglise profiteraient à sa décharge. Or, je demande combien, dans tous ces profils appliqués aux riches, se trouveraient de portions patrimoniales et alimentaires du pauvre et quel tort incalculable on lui ferait? Cette opération serait donc évidemment toute au détriment du pauvre : en effet, quelles que soient les charges de l’Etat, il ne peut jamais, dans une constitution bien ordonnée, payer au delà de ses moyens. 11 gagnerait des sols et perdrait des écus à l’opération projetée. — Aiosi, l’Assemblée nationale enlèverait pour jamais à toutes les générations des pauvres, et pour l’appliquer au profit du riche, une ressource qui lui était substituée à perpétuité sous la sauvegarde même de la nation et la garantie de la loi. Pressé par cette objection que je crois sans réplique et dont la méditation est bien faite pour désabuser le peuple, on répond qu’on pourrait établir en France, comme en Angleterre, la taxe des pauvres. En Angleterre, ce pays, quoi qu’on en dise, de la sage, de la vraie et de la durable liberté ; ce pays dont le commerce immense entretient une 682 [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1790.] circulation prodigieuse, et par conséquent une activité constante d’agriculture, de marine, d’ateliers, de manufactures de toutes espèces, il existe une taxe annuelle au profit des pauvres d’environ 80millions. Cette taxe dut son origine à la suppression ries monastères et des établissements ecclésiastiques et religieux sous le règne atroce et despotique de Henri VIII. Ces suppressions desséchèrent dans les campagnes les sources de la circulation locale, du travail et de l’industrie. La misère et la pauvreté les remplacèrent. Il fallut imposer la nation pour subvenir à l’indigence. Les mêmes causes produiront en France les mêmes effets, si l’on compare la population des deux royaumes, et la différence constante de leur prospérité et de leur industrie, la taxe des pauvres en France devrait être énorme, lorsque la suppression ou spoliation des églises, des monastères et des bénéfices, et la réduction des pasteurs au strict nécessaire, laisseraient les campagnes sans ressources, multiplieraient partout les pauvres dans une proportion effrayante, et décupleraient peut-être la nécessité ordinaire des secours. L’avantage que la nation retirerait de son opération serait-il équivalent à la charge accablante qui en résulterait? Personne ne le croira, pas même le comité des dîmes, qui n’estime pas, ce me semble, à plus de 160 millions le revenu net et ci-devant possible du clergé. L’abolition de la dîme ôtera, suivant l’opinion commune, 70 millions. La suppression des droits féodaux, sans indemnité, doit faire perdre à l’Eglise au moins 12 millions de revenus. La dette générale de l’ancien clergé de France, cumulée avec les dettes particulières de ses diffé-| rents diocèses, doit enlever au moins 8 millions de rentes. La dette des diocèses du clergé étranger, environ 4 millions. Les dettes de tous les établissements ecclésiastiques et religieux du royaume, que les premiers renseignements, pris déjà par les municipalités, annoncent former un objet très considérable, absorberont infailliblement 5 à 6 millions de rentes. Dans la vente de biens ecclésiastiques pour environ 400 millions, il entrera des valeurs reproductives pour 200 millions au moins. Ce qui fait, vu la certitude de la mauvaise vente, à peu près 10 millions de rentes à retrancher. Les rentes en contrais sur 1 Etat ou sur particuliers, la plupart anciennement constituées et à un très faible denier, doivent être un objet d’environ 15 millions. La récapitulation de toutes ces sommes donne 1 25 mil lions. D’après ce calcul et l’estimation même du comité des dîmes, il ne devrait rester à l’Eglise, en revenus fonciers ou territoriaux, qu’environ 35 millions (1). On ne doit pas être étonné de la perte que cause à l’Eglise la suppression des droits féodaux sans indemnité, que j’ai estimée 12 millions. Il suffit de considérer que les terres et seigneuries ecclésiastiques, étant, en généra], les plus ancinnnes du royaume, tenaient de plus près aux temps du (1) Ce calcul détaillé doit, je l’espère, fixer les incertitudes de quelques personnes et redresser les erreurs de celles qui se sont crq permis d’attaquer le résultat que j’ai présenté. f régime féodal, et avaient par cette raison une très grande partie de leurs revenus en droits féodaux. C’est donc pour l’appât de trente-cinq millions de. revenus fonciers et territoriaux, dont, vu les circonstances, la vente ne s'élèverait pas au-dessus de huit cents millions, que la nation contracterait à perpétuité une charge énorme et accablante. Mais si (ce qu’à Dieu ne plaise) les dépenses du culte, celles de la subsistance des ministres des autels et des pauvres n’étaient point acquittées ou tardaient trop de l’être, insensiblement les prêtres deviendraient plus rares, le culte serait mal desservira religion disparaîtrait enfin de ce va-te royaume; l’immoralité, l’impiété, l’anarchie s’y établiraient pour toujours. Il est, Messieurs, une considération relative à la province de Lorraine et Barrois, que je dois avoir l’honneur de vous exposer. Cette province n’est réunie à la couronne de France que depuis 1768, et par conséquent n’a point participé aux dettes anciennes de la France. Réunie par le traité de Vienne conclu entre l’empereur, les rois de France, d’Espagne et de Naples respectivement intéressés et garants, elle ne peut pas voir ses églises soumises à la rigueur de vos décrets et leurs biens vendus pour paver des deites dont une partie lui est étrangère. L’article XIV du traité de Vienne porte expressément : « Les fondations ecclésiastiques faites dans la province de Lorraine et Barrois, tant par S. A. R. le duc de Lorraine, que par les souverains ses prédécesseurs, seront maintenues tant sous la domination du roi Stanislas, beau-père de Sa Majesté très chrétienne, qu’après sa réunion à la couronne » Cette province est dans un véritable état de détresse, le numéraire y est peu abondant et le commerce y languit. Quel désastre ne serait-ce pas pour elle si ses biens ecclésiastiques étaient vendus au profit de l’Etat ? Tels qu’ils sont, ils pourraient acquitter dans la province les dépenses du culte. Mais lorsque cette ressource leur serait enlevée, il faudrait y suppléer par une imposition annuelle et extraordinaire de deux à trois millions. Jamais la province ne serait en état de la supporter et de l’acquitter. Elle serait donc réduite à n’avoir bientôt ni culte, ni ministres, ni religion. Quelle perspective à montrer à la Lorraine! Comment lui proposer l’opération projetée et l’abandon gratuit de ses propres ressources! Mais, Messieurs, c’est spécialement dans ses grands rapports avec l’Etat et avec la religion que je reviens à envisager la question présente. Si les églises pouvaient être dépouillées de leurs dotations je l’ai déjà dit dans cette tribune, et je le répète encore, c’en serait fait en France de Irréligion de nos pères et du culte catholique. L’Etat lui-même ferait l’opération la plus immorale, la plus impolitique et la plus désastreuse. Non : ce n’est point en flétrissant, en détruisant chacune des ressources de la patrie que vous pourrez la faire sortir de la crise où elle gémit. Les biens du clergé pouvaient vous offrir des ressources vraiment justes et salutaires, des ressources qui auraient écarté la crise mortelle de nos finances, qui auraient rendu l’âme, la circulation et la vie au corps politique. Pour le malheur de l’Etat, vous les avez rejetées. 11 eût été si facile d’emprunter et d’hypothéquer sur les biens des églises une somme de quatre cents militons, sans invasion, sans injustice, sans spoliation. Tpus les membres du clergé eussent ét£ âg 'le* [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] vant de vos vœux. Le désordre des finances eût été prévenu. La sécurité eût été générale. La Constitution se serait élevée, sans convulsions, sans troubles, sans inquiétudes ..... Combien de regrets tardifs et irréparables peut-être vous vous seriez épargnés! Quel génie ennemi de la France et de la religion de nos pères a pu faire rejeter ces ressources sûres, faciles et abondantes, pour leur substituer un système destructeur qui laisserait toujours la patrie exposée aux dernières calamités,' l’Eglise gallicane menacée de sa dissolution ! Oui, Messieurs, ce sont d’affligeantes vérités qu’il est bien plus douloureux pour moi de vous exprimer aujourd’hui, qu’il ne peut vous être pénible de les entendre. Mais qui, dans ces temps d’orage, rappellerait la vérité fugitive, si ce n’était pas les ministres des autels ? Malheur à nous, si, lorsque des ébranlements continuels agitent avec tant de violence la religion et la monarchie, nous pouvions contempler d’un œil tranquille, les désastres de l’Etat 1 quelle excuse couvrirait notre coupable silence? Ah ! pourquoi la sage prévoyance de nos pères nous avait-elle appelés à venir siéger avec eux dans leurs Assemblées politiques ? n’était-ce pas pour que nous fussions sans cesse, au milieu même de ces hommes religieux, les apôtres inébranlables de la vérité, les défendeurs intrépides de la foi, les conservateurs vigilants des intérêts sacrés de nos églises ? Les temps sans doute n’ont que trop changé; mais notre mission est la même. L’obligation qu’elle nous impose n’a pas varié. C’est un devoir sacré pour nous de défendre jusqu’à la fin les droits inaliénables de nos églises. Nous avons solennellement juré de les maintenir. Fut-il jamais une circonstance plus capable d’alarmer notre sollicitude et de déterminer notre zèle? IJne invasion générale menace le patrimoine de l’Kglise et des pauvres, les fondations destinées par la piété de no-» pères à l’entretien du culte, et ne tend à rien moins qu’à détruire par le fait dans ce royaume la religion elle-même. C’est ici que les ministres des autels doivent s’armer de courage, opposer, s’il le faut, une ré-is-tance invincible aux décrets destrucieurs qu’on voudrait vous surprendre contre le bien inséparable de la religion et de la patrie. Ainsi, Messieurs, s’il était possible que ce projet d’invasion fût adopté, permettez d’avance ’< que je dépose, au sein de l’Assemblée nationale, la déclaration solennelle au nom de mes commettants, au nom de mon diocèse, de sa cathédrale, de ses établissements religieux, au nom de ses pauvres, au mien propre et peut-être aussi au nom de quelques membres de cette Assemblée.... M. l’abbé Maury. De tous, de tous les ecclésiastiques. M. île I�afare. Je dis donc au nom d’un très grand nombre du membres de cette Assemblée, que nous ne pouvons participer, adhérer, ni consentir, en aucune manière, aux décrets qui consacreraient les articles soumis à votre discussion, ni à tout ce qui pourrait suivre et résulter de ces décrets. » Trouvez bon, Messieurs, que j’aie l’bouneur de vous prier d’ordonner qu’il soit fait mention de ma réclamation dans le procès-verbal de cette séance. M, le Président. Je rappellq à l’Assemblée ms qu’elle doit se réunir aujourd’hui dans ses bureaux pour l’élection du président. La séance est levée à trois heures un quart. ASSEMBLÉE NATIONALE. Séance du lundi 12 avril 1790. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY. M. Brevet de Beasijour , secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance du samedi 10 février au soir. M. le prince de Broglfe lit celui de la séance d hier dimanche. Il ne s’élève aucune réclamation ni sur l’un ni sur l’autre de ces procès-verbaux. Il est fait lecture des adresses suivantes : Adresses des nouvelles municipalités des communautés de Durfort, de Bezacourp, de Saint-Martin, de Terme en Périgord; d’Aveyzeleny, d’Andonville, de Sombernon, département de la Côte-d’Or, et de vingt-deux communautés adjacentes ; d’Argissy en Bourgogne; d’Arandas, de Natte, de Saint-Martin-de-Mont, deSagis, d’Argis en Bugey; de Saint-André-le-Désert, de Saint-Huruge, de Saint-Paul, de Ceret, de Montbreton eu Dauphiné ; de Lalobbe, d’Assien, d’Hotias, de Sours, de Corgengoux, de Saint Jean-le-Vieil, de Tenav çn Bugey; de Mousson-Villiers, départe-ment”de Wrneuil; de la ville de Mout-Saint-Vin-cent en Charolois. De la communauté de Baumotte en Franche-Comté; elle supplie l’Assernhlée d’ordonner que sur les deniers provenant du prix de ses bois de réserve, qu’elle a vendus dans le courant de l’année dernière, pour 37.000 livres, il sera prélevé la somme de 11,200 livres; savoir: 1,200 livres pour effectuer son don patriotique, et 10,000 livres pour être placées à intérêts, lesquelles seront employées annuellement à l’acquit de ses charges locales. De la communauté de Saint-Desiré en Berri; elle offre, pour sa contribution patriotique, la somme de 658 livres, et sollicite l’établissement de quatre foires par année dans son sein. Delà communauté de Lacelle-sur-Loire ; elle fait plusieurs demandes et observations relatives à la répartition de l’impôt. De celle d’Alignv, près Cosnes ; elle demande que cette ville soit le siège d’un tribunal de district. Enfin de la communauté de Cours en Beaujç-lois, qui réclame d’être du district de P.oanne, et un chef-Heu de canton. Toutes ces municipalités, après avoir prêté, de concert avec les habüants, le serment civique, présentent à l’Assemblée nationale le tribut dé leur admiration pour ses travaux, et de leur dévouement entier à ses décrets. M. le baron de Menou, président , annonce qu’il résulte du relevé du scrutin, fait pour l’élection d’un nouveau président de l’Assemblée nationale, que de 568 votants, M. le marquis de Bom.ay a eu 307 voix, M. Pétion de Villeneuve 234, et 27 voix perdues ; par conséquent que M. de Bonnay a réuni en sa faveur la pluralité absolue.