ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (7 août 1789.] [Assemblée nationale.] 361 Vous reconnaîtrez ce que les lenteurs, et en beaucoup d'endroits, la nullité des perceptions, forment de vide dans le Trésor royal, ou plutôt dans celui de l’Etat ; car le Roi ne distingue pas son trésor de celui de la nation; et quand ses besoins vous sont connus, vous ne pouvez vous dispenser d’y subvenir, sans ébranler, dans une proportion quelconque, toutes les fortunes et l’organisation même du corps politique. Vos commettants, il est vrai, se sont flattés que la constitution pourrait avoir reçu sa sanctiou, avant qu’il fut nécessaire de vous occuper d’aucun impôt, ni même d’aucun emprunt; mais ils ont également voulu que vous consolidiez la dette publique, et que vous rejetiez, avec une juste indignation, toute mesure qui serait capable d’altérer la confiance. Le temps est venu, Messieurs, où une impérieuse nécessité semble vous commander, et vous avez déjà fait connaître l’esprit qui vous anime, en prorogeant les impôts établis, et on plaçant les créanciers de l’Etat sous la sauve-garde de l’honneur et de la loyauté française. Le Roi, Messieurs, vous demande de prendre en considération cet important objet, dans lequel il ne veut jamais avoir d’intérêt séparé des vôtres. 11 a voulu que sa franchise égalant le sentiment de sa confiance, on ne vous dissimulât rien, ü désire enfin que, vous associant à scs sollicitudes, vous réunissiez vos efforts aux siens, pour rendre à la force publique son énergie; au pouvoir judiciaire, son activité; aux deniers publics, leur cours nécessaire et légitime. Et nous, Messieurs, que vous avez si sensiblement honorés de votre bienveillance, nous, ministres d’un Roi qui ne veut faire qu'un avec sa nation , et qui sommes responsables envers elle, comme envers lui. de nos conseils et de notre administration ; nous qui sommes intimement unis par notre amour pour le meilleur des rois, par notre confiance réciproque et mutuelle, par notre zèle pour le bonheur de la France, et par notre fidèle attachement à vos maximes, nous venons réclamer vos lumières et votre appui, pour préserver la nation des maux qui l’affligent, ou qui la menacent. Après le discours de M. le garde des sceaux, M. Necker a pris la parole. M. Nfecker. Je viens, Messieurs, vous instruire de l’état présent des finances, et de la nécessité devenue indispensable de trouver sur le champ des ressources. À mon retour dans le ministère, au mois d’août dernier, il n’y avait que quatre. cent mille francs en écus ou billets de la caisse d’escompte au Trésor royal; le déficit entre les revenus et les dépenses ordinaires était énorme, elles opérations antérieures à cette époque avaient détruit le crédit entièrement. Il a fallu, avec ces difficultés, conduire les affaires sans trouble et sans convulsion, et arriver à l’époque où l’Assemblée nationale, après avoir pris connaissance des affaires, pourrait remettre le calme et fonder un ordre durable. Cette époque s’est éloignée au delà du terme qu’il était naturel de supposer; et en même temps des dépenses extraordinaires et des diminutions inattendues dans le produit des revenus, ont augmenté l’embarras des finances. Les secours immenses en blés, que le Roi a élé obligé de procurer à son royaume, ont donné lieu, non-seulement à des avances considérables, mais ont encore occasionné une perte d’une grande importance, parce que le Roi n’aurait pu revendre ces blés au prix coûtant, sans excéder les facultés du peuple, et sans occasionner le plus grand trouble dans son royaume. Il y a eu de plus, et il y a journellement des pillages que la force publique ne peut arrêter. Enfin, la misère générale et le défaut de travail ont obligé Sa Majesté à répandre des secours considérables. On a établi des travaux extraordinaires autour de Paris, uniquement dans la vue de donner une occupation à beaucoup de gens qui ne trouvaient point d’ouvrage; et le nombre s’en est tellement augmenté, qu’il se monte maintenant à plus de douze mille hommes. Le Roi leur paye vingt sous par jour; dépense indépendante de l’achat des outils, et des salaires des surveillants. Je ne ferai pas le recensement de plusieurs autres dépenses extraordinaires amenées par la nécessité; mais je n’omettrai point de vous rendre compte d’une circonstance de la plus grande gravité : c’est de la diminution sensible des revenus, et du progrès journalier de ce malheur. Le prix du sel a été réduit à moitié, par contrainte, dans les généralités de Caen et d’Alençon, et ce désordre commence à s’introduire dans le Maine. La vente du faux sel et du tabac se fait par convois et à force ouverte dans une partie de la Lorraine, des Trois-Evêchés et de la Picardie ; le Soissonnois et la généralité de Paris commencent à s’en ressentir. Toutes les barrières delà capitale ne sont pas encore rétablies ; et il suffit d’une seule qui soit ouverte, pour occasionner une grande perte dans les revenus du Roi. Le recouvrement des droits d’aides est soumis aux mêmes contrariétés. Les bureaux ont été pillés, les registres dispersés, les perceptions arrêtées ou suspendues dans une infinité de lieux dont rénumération prendrait trop de place, et chaque jour on apprend quelque autre nouvelle affligeante. L’on éprouve aussi des retards dans le payement de la taille, des vingtièmes et de la capitation ; eu sorte que les receveurs généraux et les receveurs des tailles sont aux abois, et plusieurs d’entre eux ne peuvent tenir leurs traités. La force de l’exemple doit empirer journellement ce malheureux état des affaires; et les conséquences peuvent en être telles, qu’il devienne au-dessus de votre zèle et de vos moyens de prévenir le plus grand désordre et dans les finances et dans toutes les fortunes, et d’empêcher, au moins pendant longtemps, la dégradation des forces de ce beau royaume. Je crois donc, Messieurs, que vous sentirez la nécessité d’examiner, sans un seul moment de retard, l’état que je vous présente des secours indispensables pour empêcher une suspension de payements, et le Roi ne doute point que vous ne sanctionniez ensuite l’emprunt qu’exigent la sûreté des engagements, et des dépenses inévitables pendant deux mois ; terme qui vous suffira sans doute pour achever ou pour avancer les grands travaux dont vous êtes occupés, et pour établir un ordre permanent, et tel que la France a droit de l’attendre de votre zèle éclairé, et des dispositions justes et bienfaisantes de Sa Majesté. Il est vraisemblable qu’avec 30 millions, il sera possible de pourvoir aux besoins indispensables pendant l’intervalle que je viens d’indiquer ; mais il n’y a pas un instant à perdre pour rassembler celle somme. Je crois qu’il ne faut point chercher à décider la confiance par de hauts intérêts ; ce n’est point de la spéculation qu’il faut attendre des secours dans les circonstances [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 aoill 1789.] 3 m présentes, mais d’un sentiment généreux et patriotique ; et ce sentiment répugnerait à accepter aucun intérêt au-dessus de l’usage. Je proposerais donc, Messieurs, que l’emprunt fût simplement à cinq pourcent par an, remboursable à telle époque qui serait demandée par chaque prêteur à la suivante tenue des Etats généraux ; Que ce remboursement fût placé en première ligne dans les arrangements que yous prendrez pour l’établissement d’une caisse d’amortissement. Mais comme il est très-possible que par le résultat de vos soins et de vos travaux, les affaires générales du royaume et de la finance acquièrent un grand degré de prospérité, et qu’un intérêt de cinq pour cent devienne en peu de temps un intérêt précieux, je voudrais que le remboursement de l’emprunt proposé n’eût lieu qu’avec le consentement des prêteurs. Je proposerais que cet emprunt fût en billets au porteur ou en contrats, au choix des prêteurs ; et qu’il fût stipulé que dans le cas où le Roi, de concert avec l’Assemblée nationale, ordonnerait la conversion en contrats des effets au porteur actuellement existants, ceux de l’emprunt proposé ne pourraient jamais être soumis à cette conversion sans le consentement des prêteurs. Je proposerais encore que l’on dressât une liste de tous les prêteurs et de tous les souscripteurs qui, par eux-mêmes ou par la confiance de leurs correspondants et de leurs clients, auraient rempli cet emprunt patriotique, et que cette liste fût communiquée à votre Assemblée, et conservée, si vous le jugiez à propos, dans vos registres. Vous ne vous refuserez pas, Messieurs, à la sanction de cet emprunt. Plusieurs cahiers, sans doute, ont exigé que la constitution fût réglée avant le consentement à aucun impôt, à aucun emprunt ; mais pouvait-on prévoir les difficultés qui ont retardé vos travaux ? pouvait-on prévoir la révolution inouïe arrivée depuis trois semaines ? Vos commettants vous crieraient, s’ils pouvaient se faire entendre : Sauvez l’Etat, sauvez la patrie ; c’est de notre repos, c’est de notre bonheur que vous êtes comptables. Et combien ne l’êtes-vous pas aujourd’hui, Messieurs, que le gouvernement ne peut plus rien, et que vous seuls avez encore quelque moyeu pour résister à l’orage 1 Pour moi, j’ai rempli ma tâche ; je dépose entre vos mains la connaissance des affaires ; et de quelque moyen que vous fassiez le choix, mon devoir se borne à respecter vos opinions, et à donner, jusqu’au dernier moment, des témoignages de zèle et de dévouement. On ne doit pas se dissimuler qu’au milieu des troubles dont nous sommes environnés, le succès de cet emprunt n’est pas démontré. Cependant, un premier emprunt, garanti par les représentants de la nation la plus attachée aux lois de l’honneur, et la plus riche de l’Europe, présente un emploi à l’abri de toute inquiétude réelle. On apercevra, sans doute aussi, qu’indépendamment des sentiments généreux et patriotiques qui doivent favoriser le succès de cet emprunt, il y a bien des motifs de politique propres à déterminer les capitalistes. 11 est manifeste que chacun a un intérêt majeur à prévenir une confusion générale et à vous laisser le temps d’arriver à votre terme. Ah ! Messieurs, que ce terme est nécessaire ! qu’il est pressant ! Vous voyez les désordres qui régnent de toutes parts dans le royaume : ces désordres s’accroîtront si vous n’v portez pas, sans délai, une main salutaire et conservatrice; il ne faut pas que les matériaux du bâtiment soient dispersés ou anéantis, pendant que les plus habiles architectes en composent le dessin. Vous considérerez, Messieurs, s’il n’est pas devenu indispensable d'inviter ceux qui disposent aujourd’hui de quelque manière d’une puissance exécutrice, à maintenir le recouvrement des droits et des impôts établis, tant qu’ils font partie des revenus de l’Etat. On ne peut payer sans recevoir, on ne peut recevoir sans l’action des lois, et cette action s’affaiblit lorsqu’aucun pouvoir ne la rassure et ne la soutient. L’habitude de se soustraire aux charges publiques, déjà si attrayante par elle-même, acquiert de nouvelles forces par l’exemple ; et lorsqu’elle n’est pas combattue de bonne heure, il n’est souvent plus possible de la dominer sans les moyens les plus violents. Yous ne pouvez donc, Messieurs, vous dispenser de jeter un regard d’inquiétude sur 1 état de la France, afin dé prévenir que des précautions trop tardives n’empêchent ce beau royaume de profiter des bienfaits que vous lui préparez. Le Roi, Messieurs, est disposé à concourir à vos vues, et les ministres auxquels il a donné sa confiance s’en serviront selon ses intentions, pour contribuer avec vous au bonheur de la nation. Réunissons-nous donc pour sauver l’Etat, et que tous les gens de bien entrent dans cette coalition; il ne faut pas moins que l’efficacité d’une pareille alliance pour surmonter les difficultés dont nous sommes entourés. Le mal est si grand, que chacun est malheureusement à portée de l’apprécier ; mais au centre où les ministres du Roi sont placés, il présente un tableau véritablement effrayant. Tout est relâché, tout est en proie aux passions individuelles, et d’un bout du royaume à l’autre, on soupire ardemment après un plan raisonnable de constitution et d’ordre public, qui rétablisse le calme et présente l’espoir du honneur et de la paix. Malgré nos maux, le royaume est entier, et la réunion de vos lumières peut féconder tous les germes de prospérité. Que personne donc, ni dans cette Assemblée, ni dans la nation, ne perde courage: le Roi voit la vérité; le Roi veut le bien ; ses sujets ont conservé pour sa personne un penchant que le retour de la tranquillité de son royaume fortifiera et augmentera. Livrons-nous donc, Messieurs, à l’tieureuse perspective que nous pouvons découvrir ; un jour, peut-être, au milieu des douceurs d’une sage liberté et d’une confiance sans nuages, la nation française effacera de son souvenir ces temps de calamité ; et en jouissant des biens dont elle sera redevable à vos généreux efforts, elle ne séparera jamais de sa reconnaissance, le nom du monarque à qui dans votre amour vous venez d’accorder un si beau titre. M. le Président a répondu: L’Assemblée nationale est profondément affligée des maux dont vous venez de l’entretenir ; elle prendra en considération les faits et les propositions que vous venez de lui soumettre. M. de Clermont-Lodève se lève, et dit : Donnons cette nouvelle preuve de patriotisme. Mes cahiers m’y autorisent. Sauvons l'Etat. Ici même, avant que les ministres du Roi se retirent, sans délibérer et par acclamation, accordons l’emprunt qu’ils nous demandent. Nous délibérons ensuite sur la forme qui est proposée. Les ministres du Roi se retirent et sont recon-