[Assemblés nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 Septembre 1789.] était seulement instruit qti’il portait sur la qualité du veto. On reconnut alors la discussion fermée sur la question de savoir s’il serait «uspensif ou absolu; mais on ne peut rien en conclure sur celle qui avait rapport à sa durée. M. le Président, après avoir conpulsé les anciens procès-verbaux, déclare que la discussion ne peut être accordée à la première rédaction de M. Guillotin,mais qu’elle ne peut être refusée si l’on adopte la rédaction nouvelle. Il s’élève des doutes sur le résultat de l’examen des procès-verbaux. On propose à l’Assemblée de décider si la discussion sera fermée. M. de Mirabeau observe que la question doit être posée ainsi : la discussion sera-t-elie ouverte? La question posée, l’Assemblée arrête que la discussion est fermée. On demande la priorité pour la première rédaction de M. Guillotin. Cette demande est accueillie. Beaucoup de membres trouvant la question établie d’une manière Obscure et équivoque, elle est définitivement rédigée ainsi qu’il suit : Le veto suspensif du Roi cessera-t-il à la première législature qui suivra celle où on aüra proposé la loi, ou à la seconde? On va à l’appel sur cette question : 10 votants ne donnent point de voix; 224 sont d’avis que la suspension cesse à la première législature, et 728 qu’elle cesse à la seconde. La séance est terminée par l’annonce de deux dons patriotiques. M. de Curt, envoyé par la Guadeloupe pour être admis comme député à l’Assemblée nationale, offre six mois d’un revenu de 6,000 livres sur le Trésor royal : « J’ai pensé, dit-il dans sa lettre, que tous ceux qui vivent du Trésor royal devraient se croire obligés à faire de pareils sacrifices. » M. Bélouart qui a été capucin pendant vingt-six ans, et qui est actuellement prêtre à la paroisse Sainte-Marguerite de Paris, fait don d’une somme de 200 livres. Il témoigne ses regrets de la modicité de cette offre. Il dit « qu’il a toujours vécu sans ambition, mais qu’aujourd’hui il voudrait posséder la moitié du royaume pour la consacrer à secourir l’autre moitié. » M. le Président lève la séance à deux heures et demie; il indique celle du soir pour six heures, et annonce que le comité, de judicature s’assemblera à cinq heures. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 21 septembre 1789. M. Barrère de Heuza© (1). Opinion sur le veto (2) et la loi. Messieurs, le Corps législatif (1) L’opinion de M. Barrère de Vieuzac n’a pas été insérée au Moniteur. (2) l’Assemblée nationale ayant décidé le lundi 7 septembre que la discussion sur ces trois questions était terminée, j’ai cru qu’étant inscrit sur la liste de ceux qui devaient parler sur la sanction, j’avais droit de publier l’opinion que je n’ai pas pu prononcer. (Note de l’auteur.) doit-il être permanent ou périodique? divisé en deux Chambres pu réuni en une seule ? La loi une fois faite, doit elle être sanctionnée parle Roi? Le droit de veto royal doit-il être joint à celui de sanction ? Ce sont les questions à traiter. Je finirai par tout résumer en onze articles. Sur la permanence du Corps législatif. On paraît assez généralement décidé pour la permanence du Corps législatif et, dans le fait, on le rend intercalant. Une Assemblée de quatre mois chaque année est périodique comme celle qui n’aurait lieu que. tous les trois ans ; la période est seulement plus courte. Le Corps législatif doit être continuellement assemblé. Le pouvoir exécutif n’est-il pas toujours en action? Le Conseil d’Etat du Roi n’est-il pas permanent? et le Corps législatif n’est-il pas aussi utile à la natiou? n’est-il pas plus nécessaire à sa liberté? Un interrègne dans la législation pourrait être funeste en bien des cas. Le besoin des lois est un besoin continuel, il peut, en certaines occasions, être urgent. Le provisoire est intarissable dans un grand royaume. Une régence, une guerre subite, une calamité, des insurrections populaires, des germes de guerre civile, des contestes entre les grands corps, des atteintes à la Constitution qu’on ne peut trop réprimer, des abus ministériels ù étouffer dans leur naissance, des crimes d’Etat à juger et à punir sans délai ; tant de raisons ont fait désirer que les intermittences de l’Assemblée ne fussent que de huit mois et leur terme de quatre mois; elles auraient dù au contraire en faire désirer la permanence entière. C’est bien poser le principe et s’arrêter à moitié chemin dans les conséquences. L’Assemblée sera donc toujours tenante, la moitié se renouvellera tous les six mois, le service de chaque député sera ainsi d’une année entière sans interruption; pour ne pas rassembler tous les six mois les bailliages ou les districts , ils nommeront chaque année les députés des deux semestres. Ce sera assez de six cents députés. Si cette méthode rend l’Assemblée nationale moins dispendieuse par la continuité, elle le sera moins par le nombre ; il sera d’ailleurs bien plus commode pour chaque député de n’avoir qu’un seul voyage à faire au lieu qu’il serait obligé d’en faire deux en deux ans, ou trois en trois ans selon qu’on renouvellerait chaque année la moitié ou le tiers seulement de ses membres. Sur l’unité du Corps législatif. L’unité de l’Assemblée vaut mieux que deux Chambres. En politique comme en physique les machines les plus simples et qui ont le moins possible de frottements sont toujours préférables et leur invention est d’autant plus belle qu’elle est moins compliquée. Deux Chambres sont une complication très-inutile. En les tenant divisées, on prive chacune d’elles des lumières de l’autre dans les débats. On amaigrit celle des représentants par le choix des meilleurs sujets pour former le Sénat. 11 faut cependant plus de génie et de lumières pour créer la loi, pour la discuter convenablement que pour la juger. Si le Sénat approuve la loi, cela prouve que la division était utile ; s’il l’improuve ou la modilie, il est possible que cela vienne de ce qu’il n’en a pas entendu la discus- 86 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] sion. Si on suppose qu’il a raison de l’improuver, on veut qu’alors il se réunisse au corps des simples députés pour délibérer en commun, cascade superflue qu’on aurait prévenue en laissant l’Assemblée dans son intégrité, délibérer à la majorité de tous les députés sans exception ; donc cette division serait dans tous les cas inutile. Elle pourrait être dangereuse, en ce que la corruption possible dans la majorité du Sénat pourrait être une enrayure continuelle delà législation de l’autre Chambre, et qu’en s’y réunissant, la majorité captée du Sénat jointe à la minorité des simples représentants, pourrait déterminer une loi toute contraire à celle qui aurait été décidée par la majorité de la première Chambre, c’est-à-dire une loi plus ministérielle que nationale ; ce serait encore allumer dans les représentants le feu de la discorde, des rivalités, des discussions toujours favorables au sceptre, dont l’autorité ne s’accroît que par les divisions de toute espèce entre les sujets. Sur la sanction royale. Voilà une loi faite d’une manière ou d’une autre, il faut sans doute qu’elle soit remise au pouvoir exécutif. Celui-ci la munira de son sceau. Il attestera ainsi au peuple français, que telle est la teneur exacte de la loi nationale, il en fera la promulgation avec les formalités ordinaires et ordonnera de son autorité, qu’elle soit exécutée en son nom, car rien dans le royaume, hors la loi, ne peut s’opérer qu’au nom et en vertu du pouvoir exécutif, mais pour faire exécuter la loi, il est inutile qu’il la juge. C’est ce que j’appelle sanction royale , car enfin il faut s’entendre et ce ne peut être qu’en définissant les mots. Sur le veto absolu. Le droit de veto, s’il faisait partie de la prérogative royale, ajouterait à la sanction le droit de rejeter absolument la loi décrétée par le Corps législatif, et ce serait là un veto absolu, ou bien le droit d’en suspendre l’exécution par une sorte d’appel au peuple, qui serait vidé par les assemblées élémentaires, lorsqu’elles procéderaient au choix des nouveaux députés, et ce serait là un veto suspensif. L’idée seule du veto absolu est odieuse. Ce ne serait pas le donner au Roi, mais à toute la corruption qui l’environne ; ce serait laisser à tous les abus réformés par le législateur le moyen de revivre par l’intrigue de ceux qui auraient intérêt à les maintenir ; par conséquent ce serait donner lieu au rejet des bonnes lois bien plus souvent qu’à celui des mauvaises ; ce serait soumettre à la volonté d’un seul la volonté générale, gêner le législateur par la crainte du veto , l’exposer à être fatigué par l’usage fréquent de cette entrave, le rebuter au point que pour ne pas perdre son temps et sa peine à faire des lois, il serait comme forcé de se concerter avec les ministres ; l’ascendant de ceux-ci dans ce concert tiendrait bientôt de l’empire. La nation ne conserverait plus dans la personne de ses représentants qu’une ombre de législation dont le pouvoir législatif aurait, par l’effet du veto absolu, toute la réalité. Ainsi se confondraient insensiblement les deux pouvoirs dans les mains du Roi, et la monarchie serait dissoute. La liberté publique ne tient pas à l’équilibre des pouvoirs ; vieille erreur qui prétendait conserver un corps politique comme la nature con-serve les corps organisés par des mouvements qui les usent. Ces corps vieillis par les causes mêmes qui les font vivre, meurent nécessairement. C’est le sort d’un Etat qui a fait consister sa vie politique dans le choc des pouvoirs, dans l’action et la réaction de ses éléments. La monarchie ne tend à sa dissolution que parce que tous les pouvoirs tendent à se mêler ; ils se mêlent bientôt quand ils se combattent, parce que la victoire ne peut toujours rester indécise. Le simple contact suffit pour en amener le mélange et la confusion. Le pouvoir exécutif a surtout envers tous les autres la vertu irrésistible de les absorber, pour peu qu’il y touche. Le pouvoir qui l’invoque pour sa conservation demande du secours aux lois , séparons donc le pouvoir exécutif et le législatif, de manière que l’un n’ait jamais rien à faire à l’autre. On veut empêcher l’abus du veto absolu, par la menace de cesser le payement des impôts ; c’est la ressource d’éviter un petit mal par un plus grand ; c’est menacer l’ennemi de sa liberté de se donner la mort, ou l’usurpateur d’une partie de sa maison de la brûler tout entière. L’insurrection générale aurait les mêmes vices. G’est un remède qui pour faire cesser un vice local jetterait le malade dans des convulsions mortelles. L’opinion publique sera, dit-on, seule suffisante pour nous garantir des abus du veto ; mais par qui les Rois pourront-ils connaître l’opinion publique, si ce n’est par des courtisans et par des ministres? et que pourrait sur eux l’opinion publique ? cette opinion ne serait-elle donc rien pour l’Assemblée nationale? si, par son influence sur le Roi, elle peut empêcher l’abus du veto, elle peut encore mieux en prévenir le besoin par son influence sur les représentants de la nation de l’Europe qui a le plus de patriotisme et de lumières. Sur le veto suspensif. Le veto suspensif ne serait pas, j’en conviens, comme l’absolu, une guerre ouverte entre la nation et son chef, mais il mettrait souvent en procès le monarque et l’Assemblée nationale, procès indécent, procès capable de compromettre la dignité royale et de l’avilir ; dans ce litige impolitique et bizarre, les intérêts du peuple en seraient le fond , l’Assemblée nationale en serait le premier juge , le Roi serait en sa qualité de délégué, l’appelant des décrets, et le peuple serait dans sa propre cause le juge suprême entre ses représentants et le monarque; celui-ci, après avoir eu la première humiliation d’avoir le peuple pour son juge, en aurait souvent une seconde, celle de perdre son procès; ensuite une troisième, celle de faire exécuter des lois qu’il aurait im-prouvées par son appel. Sur le veto de la loi. Ici s’élèvent de tous côtés des clameurs sur les dangers des décrets précipités et qui n’ayant plus le frein du veto royal pourraient être l’effet de l’erreur ou des passions. Chacun se dit en frémissant : les propriétés et les personnes seront donc à la merci de l’ignorance ou de la fougue de douze cents aristocrates qui, plus absolus qu’un [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] 57 despote, pourront dans une session orageuse , dans une séance impétueuse, renverser et le gouvernement et les limites des différents pouvoirs et l’organisation des grands corps et l’état même des citoyens ! Si ces craintes étaient effectivement celles de la nation, elle s’effraierait donc de sa propre confiance envers des mandataires, qu’elle a jugés dignes de son choix. Il y aurait bien des choses à dire pour calmer des alarmes qu’on ne feint ou qu’on n’exagère que pour en faire le prétexte du veto royal absolu ou suspensif; mais supposons le danger tel qu’on le peint, supposons que certaines Assemblées puissent se livrer à la précipitation, aux erreurs, aux écarts, à l’emportement, au zèle indiscret, aux illusions de l’éloquence; supposons surtout que tout cela soit possible dans des temps orageux et au sein des partis qui laissent si rarement à la raison publique et à l’esprit des individus , le calme et l’impartialité si nécessaires à des corps législatifs. Eh bien ! voici le préservatif infaillible de ces égarements politiques. C’est un veto sans doute, mais ce n’est pas le veto d’un mortel qui peut se passionner comme tout autre, qui par état doit être plus agité par les passions d’autrui, plus égaré par des inspirations captieuses qu’une Assemblée entière par les préjugés, ou par les passions de ses membres. C’est le veto de la loi, veto froid, impassible, impartial, qui s’étendrait à tous les décrets sans exception, veto sans dangers pour la nation, sans inconvénients pour le monarque, et qui en forçant les lenteurs de la législation lui assurerait une sorte d’infaillibilité et lui imprimerait le caractère de la sagesse. Cet admirable veto serait celui qui renfermerait un décret solennel et irréfragable, par lequel aucune des lois décrétées par une Assemblée nationale n’aurait force de loi définitive que lorsque la pluralité des assemblées élémentaires en procédant à l’élection des nouveaux députés l’aurait confirmée, avec ou sans l’amendement qui aura été décrété. Cette marche paraît irréprochable , elle dissipe bien mieux que le veto royal les alarmes qu’on fait sonner si haut sur les excès et les égarements possibles d’une Assemblée nationale qui serait souveraine dans ses décrets; elle rend à la nation l’exercice immédiat du pouvoir législatif que l’étendue de l’empire la forçait de confier à des représentants. Les assemblées élémentaires qui, séparées n’auraient pu s’accorder à faire des lois, qui , privées des avantages immenses d’une discussion commune, auraient été sujettes à commander des erreurs dans les cahiers tout à la fois impératifs et contradictoires, seront dans une situation bien plus lumineuse en jugeant les projets des lois faits par leurs mandataires réunis. L’objet de leur décision sera préparé et partout le même. Les débats de l’Assemblée nationale auront éclairé ces assemblées élémentaires; celles-ci auront un secours déplus, celui des lumières publiques toutes récentes et leurs discussions particulières. C’est alors que des cahiers pourront sans inconvénient être impératifs sur chaque décret, et le rapprochement des cahiers faits dans la prochaine législature , montrera la loi fixée par la majorité des vœux de la nation dispersée. Elle sera ce qu’elle doit être, l 'unique législateur, et le monarque attendra avec autant de calme et de majesté ce moyen infaillible de discerner la volonté générale , pour remplir l’auguste mandat de la faire exécuter comme dépositaire de la force publique. Projets d’articles sur les objets ci-dessus. Art. 1er. Le Corps législatif sera continuellement assemblé. Art. 2. La moitié du Corps législatif sera renouvelée tous les six mois. Art. 3. Les assemblées élémentaires , en procédant chaque année à l’élection des députés, nommeront à la fois ceux des deux semestres. Art. 4. Le nombre total des députés dans chaque législature sera réduit à 600. Ast. 5. Le Corps législatif ne formera qu’une Chambre. Art. 6. Dans le cas où il aura été commis des crimes de lèse-nation ou de lèse-majesté, dans ceux où il aura été porté quelque atteinte à la Constitution , dans les cas encore de forfaiture ministérielle et des corps de magistrature, l’Assemblée nationale choisira au scrutin 50 membres pour juger les accusés sur la dénonciation qui en sera faite au tribunal par décret de l’Assemblée. Art. 7. Aucune des lois décrétées par une Assemblée nationale n’aura force de loi définitive que lorsque la pluralité des assemblées élémentaires, en procédant à l’élection des nouveaux députés, l’aura confirmée avec ou sans l’amendement qui aura été décrété. Art. 8. En cas de partage des assemblées élémentaires sur un décret quelconque, ce partage sera vidé par la prochaine législature après de nouveaux débats. Art.9. L’Assemblée nationale, en rendant chaque décret, déclarera s’il est urgent ou s’il ne l’est pas, et tout décret déclaré urgent sera exécuté provisoirement. Art. 10. Ne seront déclarés urgents les décrets dont l’exécution ne serait pas réparable en définitive. Art. 11. Nul décret de l’Assemblée nationale ne pourra être exécuté dans l’étendue du royaume que d’autorité du Roi, en son nom et après la promulgation que Sa Majesté en aura faite dans les formes ordinaires, et ne pourra, cette promulgation, avoir lieu pour les décrets non urgents , qu’après leur confirmation dans la législature qui aura suivi celle où ils auront été rendus, auquel cas elle ne pourra être refusée. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1 ). Ré flexions sur les municipalités et le veto. Messieurs, j’ai écouté avec une extrême attention l’opinion de M. l’abbé Sieyès ; j’ai suivi ses raisonnements : la force de sa logique et l’enchaînement rapide de ses idées m’ont étonné sans me convaincre. Il a conclu premièrement à ce que les municipalités fussent organisées avant de s’occuper de l’organisation du Corps législatif ; secondement , à ce que tout veto , même suspensif , fût refusé au dépositaire du pouvoir exécutif. Mon opinion est sur ces deux points, diamétralement opposée à celle de M. l’abbé Sieyès. Je crois fermement que j’ai raison et c’est cette conviction intime qui m’avait fait demander la parole : l’Assemblée a jugé que la matière était assez éclaircie; je ne puis pas être de l’avis de l’Assemblée, et je vais, pour l’acquit de ma conscience, écrire ce que j’aurais dit. Pour prouver qu’il faut organiser les assem-(1) L’opinion de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre n’a pas été insérée au Moniteur.