382 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le même membre [Guyton-Morveau] donne des renseignemens sur l’établissement de Meudon. La Convention décrète que le rapport sera imprimé au bulletin. Suit la teneur du rapport. Je déclare que je ne suis entré à Meudon que pour surveiller et diriger les opérations aérostatiques; que c’est de là en effet que sont sortis les aérostats envoyés à l’armée. Qu’à la vérité ces mots, la mort, sont écrit en trois endroits, mais qu’ils ne s’y trouvent qu’avec l’inscription entière, liberté, égalité, fraternité ou la mort. Qu’il y a réellement à Meudon d'autres travaux pour lesquels il n’a aucune mission; mais que s’y étant trouvé plusieurs fois avec ses collègues membres du comité de Salut public, et tout récemment avec Prieur, Bréard et Cochon, il avoit parcouru avec eux tous les ateliers, tous les bâtimens, et l’intérieur du parc; que non-seulement il n’y avoit rien observé qui n’annonçât une destination naturelle pour soutenir la guerre de la liberté, mais qu’il pouvoit d’autant moins concevoir ce qui avoit donné lieu à des soupçons, qu’il n’y a de magasins que pour le travail journalier; que les produits des ateliers s’expédient continuellement au dehors; qu’il n’y a enfin de pièces d’artillerie que le petit nombre absolument indispensable pour des recherches dont on sentira toute l’importance quand on saura que le comité de Salut public fait actuellement traduire un volume in-4° d’expériences sur l’artillerie, faites par les ordres et aux frais du gouvernement anglais. Il seroit imprudent de rester en arrière des ennemis de la liberté dans cet art devenu nécessaire à sa défense; ce seroit stupidité de divulguer les moyens de puissance que nous pouvons tirer de ces épreuves (69). (On applaudit.) (70) On demande l’impression au bulletin de la déclaration faite par Guyton-Morveau. DUHEM : Oui, pour démentir Y Orateur du Peuple, que l’on réimprime à Bordeaux et dans toutes les villes maritimes. BATTELLIER : Les seules inscriptions que l’on voie à Meudon sont celles que vous a rapportées Guyton-Morveau. Sur la porte principale est écrit : Commission du comité de Salut public. L’Orateur du Peuple a pris les trous des soufflets pour les embrasures, où il prétend que l’on tue les hommes. Il n’y a à Meudon que sept pièces de canon, les plus mauvaises peut-être de la République, et elles ne servent qu’à des expériences. (69) P.-V., XLVI, 36-37. C 321, pl. 1327, p. 13. Décret non numéroté. Rapporteur : Bentabole d’après C* II 21. Bull., 2 vend. ; Débats, n° 732, 16-17 ; Moniteur, XXII, 56 ; J. Mont., n° 147 et 150 ; J. Univ., n° 1 764 ; J. Paris, n° 3. (70) Moniteur, XXII, 56. Voici un fait : deux particuliers ayant sauté la haie, je les fis demander pour savoir d’eux ce qui les avait portés à cette indiscrète audace. Ils refusèrent d’obéir; je fus obligé de les envoyer chercher par la force armée. Ils se trouvèrent deux ci-devant nobles ; et leurs réponses, peu mesurées, forcèrent à les envoyer à la maison de détention de Meudon. J’ai pris depuis un arrêté qui porte que quiconque s’introduirait furtivement dans l’établissement de Meudon serait regardé comme suspect et traité comme tel. Je demande à lire cet arrêté à la Convention, pour qu’elle le confirme ou rejette. BENTABOLE : Je demande le renvoi à un comité; je pense qu’un arrêté, qui porte une disposition pénale aussi grave que la réclusion jusqu’à la paix, ne peut être confirmé qu’après un rapport qui en démontre la nécessité. BATTELLIER : J’appuie le renvoi : j’observe que je n’ai pu ni voulu donner à mon arrêt un effet rétroactif, et que les individus arrêtés par mon ordre ont été relâchés après un mois de détention. Après une légère discussion la Convention ordonne le renvoi au comité de Salut public et l’insertion au bulletin de la déclaration de Guyton-Morveau (71). 43 Sur le rapport du comité des Secours publics, la Convention rend les décrets suivants : a Roger DUCOS, au nom du comité des Secours publics, fait le rapport suivant (72) : Citoyens vous avez décrété, le 24 fructidor (73), que le citoyen Gérard Meunier, pauvre et chargé de dix enfants, avait bien mérité de l’humanité pour avoir constamment donné des soins, et distribué, à ses frais, des aliments au représentant du peuple Drouet, tombé l’an passé au pouvoir des brigands de l’Autriche, et détenu par eux dans un cachot à Bruxelles, où ils avaient résolu de le faire mourir de faim et de soif dans une horrible torture ; vous avez en outre chargé votre comité des Secours publics de vous faire un rapport sur la récompense due à ce digne et généreux citoyen, et sur les secours à accorder à sa famille. (71) Moniteur, XXII, 56. Débats, n° 732, 16-17. J. Fr., n° 728 ; M. U., XLIV, 25 ; Rép., n° 3 ; Mess. Soir, n° 767 ; Gazette Fr., n° 996 ; F. de la Républ., n° 3 ; Ann., R.F., n° 3. J. Perlet, n° 731 ; J. Mont., n° 147 ; J. Univ., n° 1 764 ; J. Paris, n° 3. (72) Moniteur, XXII, 60-61. Bull., 3 vend. Le nom de Meunier est différemment orthographié : il peut être Munier, ou Meunié ; Débats, n° 732, 26 ; J. Fr., n° 728 ; J. Mont., n° 147 et 152. (73) Ci-dessus, Archiv. Parlement., 24 fruct., n° 39. SÉANCE DU 2 VENDÉMIAIRE AN III (MARDI 23 SEPTEMBRE 1794) - N° 43 383 Citoyens, si l’histoire ne fournit pas d’exemple du mécanisme atrocement inventé par nos ennemis pour aggraver la captivité de notre collègue, elle n’en fournit pas non plus de l’action sublime du vertueux Meunier, qui l’a préservé des horreurs de la faim, de la soif, et lui a procuré les choses les plus nécessaires à la vie. Il faut le répéter à l’univers entier ; non, la tyrannie la plus oppressive ne se montra jamais plus raffinée en supplices, tant est implacable la haine des rois contre la liberté du peuple ! l’instrument fatal enchaînait à la fois la tête et les mains de Drouet (74) qui dans cet état d’immobilité, ne pouvait exister que par la main hardie et bienfaisante du brave Meunier. Voilà donc encore une fois les dons exécrables que prodiguent les rois, en parallèle avec les douces vertus que professent les républicains. Combien il était important que vous fissiez connaître aux partisans de la tyrannie l’infernale machine crée par le tyran d’Autriche, comme Guillaume Tell avait publié celle dans laquelle le tyran autrichien l’avait retenu si longtemps enlacé ! L’histoire s’effraiera de ce nouveau forfait royal, en même temps qu’elle burinera honorablement l’action sublime du généreux Meunier. Mais, citoyens, il s’agit de la récompenser cette action, et votre bienfaisance a encore à apprécier le désintéressement de Meunier, car il vous a dit «qu’il trouvait dans son cœur la véritable récompense de son action ». Sans doute, par le décret qui déclare que « ce citoyen a bien mérité de l’humanité» vous avez proclamé la récompense la plus glorieuse ; et ce titre honorable est bien capable d’ajouter à son désintéressement un plus grand oubli du besoin. Mais si les sentiments de Meunier sont satisfaits les vôtres ne le sont point ; vous ne voulez pas et vous le prouvez tous les jours, que l’homme vertueux soit dans la souffrance ; ce n’est que dans les gouvernements tyranniques que l’homme de bien, l’ami de la philosophie et de l’humanité est voué à la plus profonde misère ; et que le crime seul y conduit à l’élévation et à l’opulence. L’action de Meunier l’eût précipité dans les fers, si le tyran d’Autriche en eût eu connaissance ; la République française l’aura récompensé par une déclaration que l’histoire recueillera, et par des secours qui arracheront le bienfaiteur de Drouet à l’infortune et à l’ingratitude de son pays. Nous trouvons à placer une autre réflexion bien importante dans ce rapport, c’est que ce qui fut sous la tyrannie la classe la plus indigente et la plus opprimée est celle qui produit partout les plus grands actes de vertu et de dévoûment aux sincères amis de la révolution. Pourquoi, citoyens? parce que celui sur qui pesait le plus la tyrannie doit aussi plus profondément sentir le prix de la liberté, et s’il l’a une fois essayée il ne s’en dessaisit ja-(74) Le schéma de l’instrument de torture est donné dans Bull., 29 fruct. mais : tel est le brave Meunier, portier d’un hospice. Il avait vu nos républicains sur son territoire ; il dut s’attacher à leurs principes ; et la forte compression qu’il a dû éprouver pendant dix-huit mois n’a pas été capable de l’en séparer : il l’a prouvé par les soins et les aliments qu’il a fournis à ses frais à notre collègue, au péril de sa vie et du sacrifice de dix enfants, que le tyran autrichien aurait immolés à sa rage, s’il eût découvert son action courageuse. Mais, tandis que le spectacle de l’abominable machine attachée au piédestal de la statue de la Liberté, montre aux hommes les bienfaits que leur préparent les tyrans ; tandis que cet infâme instrument va presser tous les peuples de sortir enfin du sommeil léthargique dans lequel la servitude les a plongés, que l’ami des Français libres, que ses dignes enfants jouissent des récompenses que les hommes vertueux, que les ennemis prononcés de la tyrannie éprouveront toujours d’une nation grande, puissante et généreuse. Votre comité a pensé que par une somme une fois payée, vous deviez d’abord gratifier Gérard Meunier des dépenses qu’il peut avoir faites, et des soins qu’il a donnés à notre collègue Drouet; il a pensé que vous deviez en outre lui assurer une pension viagère qui le mit en état de soutenir sa nombreuse famille, et que ce double secours lui serait accordé à titre de récompense nationale. Il a encore pensé que si Meunier, déjà âgé de soixante-un ans, venait à manquer à sa famille, la pension devait être transmise, par portions égales, aux enfants qui lui survivront, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, à laquelle époque il leur sera payé une somme fixe, pour leur faciliter les moyens d’un établissement. Enfin, citoyens, votre comité propose que le décret que vous allez rendre, ainsi que celui du 24 fructidor soient adressés à Meunier, avec une lettre du président de la Convention nationale, en reconnaissance du peuple français, pour les soins généreux qu’il a eus d’un de ses représentants tombé au pouvoir des féroces Autrichiens. Ce projet a paru remplir vos vues, car inutilement chercheriez-vous à proportionner une récompense à l’action d’autant plus méritoire qu’elle a été périlleusement exercée à côté de la barbarie et de la férocité des satellites du despotisme : vous pourrez bien amender le projet, mais je vous répondrai qu’il est de ces actes extraordinaires que l’intérêt ne récompense jamais. Tels sont ceux des Meunier, des Geffroy qui ont conservé la vie à deux représentants d’un peuple libre, au risque de la leur : tel serait celui de l’homme énergique et audacieux qui braverait tout pour l’arracher à un tyran. Ducos présente un projet de décret, qui est adopté en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Roger Ducos, au nom de] son comité des Secours publics, décrète ce qui suit : Article premier. - La trésorerie nationale fera payer à Gérard Meunier une