[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ® {�cembre 1793 '™7 en combattant, lui dit : Tes deux enfants sont morts dans le combat. — Eh! vil esclave, répond la citoyenne, t’ai-je demandé si mes enfcmts vivent? dis-moi que la bataille est gagnée et cou¬ rons au Capitole en rendre grâce aux dieux!... Pétitionnaires des maisons d’arrêt envoyés par l’aristocratie, ou par une sensibilité abusée, admirez du moins cette réponse dictée par le plus pur patriotisme. La citoyenne de Rome perdait pour jamais ses enfants, et ses enfants étaient patriotes. Pouvez-vous dire que votre perte momentanée est égale à la sienne? Mais le législateur vous dit cependant une vérité évidente; il vous doit une justice éclairée, il vous doit un examen général, mais sévère des motifs d’arrestation; il doit des mandats de liberté à tous ceux qui n’ont pas dû, qui n’ont pas pu entrer dans la classe des suspects, et qui ne sont pas faits pour donner par leurs moyens, par leurs principes, par leurs relations, par leur vie politique, des inquiétudes à la liberté, des sollicitudes à la patrie. Aussi la Convention nationale, sur la mo¬ tion de Robespierre, a vu la nécessité de rendre les patriotes à la liberté sans atténuer les me¬ sures révolutionnaires. Elle a renvoyé aux comités de Salut public et de sûreté générale la recherche du meilleur moyen d’exécution de ce décret. Voici le décret : Art. 1er. La Convention nationale décrète que les comités de Salut public et de sûreté générale nommeront des commissaires pris dans leur sein pour rechercher les moyens de remettre en liberté les patriotes qui auraient pu être incarcérés. Art. 2. Ces commissaires apporteront, dans l’exer¬ cice de leurs fonctions la sévérité nécessaire, pour ne point énerver l’énergie des mesures révolutionnaires commandées par le salut de la patrie. Art. 3. Les noms de ces commissaires demeureront inconnus du public, pour éviter le danger des sollicitations. Art. 4. Ils ne pourront mettre personne en liberté de leur propre autorité. Les comités ont discuté les divers moyens qui pouvaient remplir le vœu de l’Assemblée. Nommer une Commission particulière, de quelque secret qu’on l’investisse, a paru dan¬ gereux par sa séparation et son isolement du comité de sûreté générale, centre naturel de cette partie du gouvernement révolutionnaire. Confier aux représentants du peuple dans les départements ce jugement particulier, c’est exposer encore la Convention et le comité à des réclamations nouvelles; ce n’est pas mettre sur la même ligne tous les départements, puis¬ qu’il n’y a pas de représentants dans chacun d’eux; c’est enfin soumettre à l’opinion d’un seul homme la réformation d’un jugement rendu par plusieurs. Nommer une commission ambulatoire, c’est s’exposer à des longueurs interminables; c’est l’obséder de sollicitations; c’est faire languir l’exécution d’une mesure juste, et qui a besoin d’activité pour faire taire les injustes mur¬ mures et réformer quelques erreurs, ou un petit nombre d’injustices particulières. Eriger le comité de sûreté générale en une espèce de tribunal d’appel, c’est confondre les principes, altérer son institution, retarder ses opérations et transformer une mesure révo¬ lutionnaire, une mesure de sûreté générale, en procès par écrit avec chaque famille d’incar-céré, avec chaque commune qui aura été sol¬ licitée, avec tous les intrigants qui stipulent pour les détenus; c’est dénaturer le genre de réclamation qui doit être promptement déter¬ miné. Est-il donc si difficile, si compliqué le moyen de contenter les citoyens et de satisfaire à la liberté civile dans ces circonstances? Ayons d’un côté la loi des personnes suspectes, de l’autre le tableau des détenus, les motifs d’arrestation, et les notes sur l’état et la profession des in¬ carcérés. Il y a des castes qui sont déjà jugées; il y a des professions qui portent leur jugement; il y a des parentés qui sont frappées de soupçon par la loi; il y a des patriotes, dès ouvriers, des citoyens égarés et non coupables qui se présentent avec une justification facile. Ce serait sans doute un tableau bien ins¬ tructif pour les citoyens, que celui de tontes les fautes, de toutes les imprudences, et de tous les délits politiques qui ont élevé des soupçons justes contre un grand nombre de citoyens. En examinant ainsi l’influence que ces fautes ont eue sur les événements, les rapports qui se sont établis entre la corruption de l’esprit public et l’opinion ou la conduite de ces citoyens, les relations qu’il y a eu entre le succès de nos ennemis, et les vœux impolitiques ou impies de quelques détenus, on apprendrait à démêler la trame de cet enchaînement funeste de re¬ vers, d’oscillations et de secousses qu’a éprouvé la fortune étonnante de la République. Nous avons pensé que ce tableau des détenus et des motifs d’arrestation pourrait être faci¬ lement et promptement parcouru par un plus petit nombre que par un plus grand. Cinq membres du comité nous ont paru suffisant, une section de cinq commissaires s’occupera constamment de cet objet important. Il ne lui sera permis que de songer aux pri¬ sons, que de penser que là il a pu entrer quelques patriotes par injustice, ou quelque citoyen égaré par erreur, ou quelque homme incarcéré par des passions particulières. Il ne sera permis à personne de connaître quels sont les membres de cette section du comité. Nul ne les abordera; ils n’auront pour sol¬ liciteurs, que la justice et la République; pour témoins de leurs travaux, que leur conscience et la liberté; pour bases de leurs jugements, que les cartons dépositaires des motifs d’arres¬ tation, et les preuves de patriotisme ou d’inci¬ visme. 368 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 0 nivôse an II 26 décembre 1793 Ils ne confondront pas les délits antirévolu¬ tionnaires avec l’indiscrétion légère; une rela¬ tion incivique et momentanée, avec de longues habitudes aristocratiques; quelques murmures arrachés par quelque circonstance, avec un acharnement décidé contre la Révolution. Ils ne confondront pas l’égarement du sans-culotte avec l’acharnement du riche; enfin l’espérance et la justice iront consoler dans les maisons d’arrêt ceux qui furent de bonne foi attachés à leur patrie, et en savent souffrir sans murmure. Quant aux aristocrates qui par leurs vœux secrets soutiennent les ennemis de la Répu¬ blique et pleurent sur ses succès, ils seront forcés d’aimer la liberté par une plus longue privation, en voyant la justice nationale venir •au secours des patriotes, même égarés. Quant aux citoyens qui se plaignent des arres¬ tations, la Convention peut leur dire : Je fais des lois justes, car elles sont faites pour éta¬ blir la liberté; je fais des lois de précaution et de résistance, car je suis attaquée par toutes les puissances du dehors, et tous les vils intri¬ gants du dedans; je fais des lois révolution¬ naires, mais l’aristocratie et l’étranger les contrerévolutionnent et les corrompent sans 'Cesse. Quant à ceux . qui, par leurs fonctions ou leurs lumières, sont appelés à aider l’établis¬ sement de la République, nous leur dirons avec ,ceux qui ont parcouru l’histoire des peuples libres : « Sylla, homme emporté, mène vio¬ lemment les Romains à la liberté; Auguste, rusé tyran, les conduit doucement à la servi¬ tude. Pendant que sous Sylla, la République reprenait des forces, tout le monde criait à la tyrannie, et pendant que sous Auguste la ty¬ rannie se fortifiait, on ne parlait que de li¬ berté. » Législateurs d’un peuple libre, fondateurs d’une République sans aristocratie, ennemis -implacables des Auguste et des Sylla, c’est à vous de faire entendre ce langage à toute la France : nos prisons remplies d’aristocrates ou de leurs partisans, ne présentent aucun danger ; la liberté est au bout de ces ordres sévères, mais justes : nos maisons d’arrêt remplies d’aristocrates, ou de leurs partisans, sont sans danger, car il y a parmi nous un certain droit des gens, une opinion établie et décrétée solen¬ nellement, qui fait regarder comme un homme vertueux, celui qui tuera l’usurpateur de la souveraineté nationale. La déclaration des droits est précise, la République arme le bras de chaque citoyen, le fait son magistrat pour le moment, et le proclame son zélé défenseur. Il est encore une réflexion qui n’a échappé à aucun patriote (1) : nous ne comptons nos succès que depuis que les étrangers sont mis en état d’arrestation, depuis que les mauvais citoyens sont impuissants, depuis que les intri¬ gants sont connus, depuis que les hommes sus¬ pects sont arrêtés. Ainsi, c’est au milieu des maisons d’arrêt, comme au milieu des camps, ique la République prend des forces. (1) Dans le rapport de Barère, reproduit par le Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse an II [samedi '28 décembre 1793], p. 395, col. 2). on lit : « Encore une réflexion sur les arrestations faites depuis la loi du 17 septembre... » Républicains ! Les Bressotins vous condui¬ saient doucement à la servitude, les Monta¬ gnards vous mènent vigoureusement à la liberté. Les Brissotins criaient sans cesse à la sûreté des personnes et des propriétés, et ils vous dérobaient la propriété la plus précieuse, la liberté publique. Les Montagnards crient au contraire, à la Révolution, à la République, et ils vous l’assurent par la liberté des bons ci¬ toyens et par l’arrestation des mauvais. Oh ! qu’une fausse pitié peut faire de maux ! Tandis que de braves républicains périssent dans les armées, quelques esclaves de la monarchie ne peuvent-ils sacrifier un instant de leurs délices, ou de leur inutile et oisive liberté. Enfin, vaut-il mieux finir honorablement la Révolution dans teois mois, ou en prolonger les déchirements prndant trois années. Ce calcul doit suffire, et la véritable humanité est celle qui termine. bientôt les maux de la patrie, et qui affermit promptement la République. Le rapporteur a proposé un projet de dé¬ cret d’exécution du décret précédemment rendu, mais ce dernier a été rapporté, et l’Aasemblée a passé à l’ordre du jour, sur le projet de décret nouveau (1). Compte eendu du Moniteur universel (2). Barère, au nom du comité de Salut publie. Je viens au milieu des victoires sur nos ennemis extérieurs, etc... ( Suit avec quelques légères variantes le texte du rapport que nous avons inséré ei-dessus d’après le document imprimé.) Yoici le projet de décret : » La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport des comités de Salut public et de sûreté générale, décrète (1) Le document imprimé par ordre de la Conven¬ tion ne publie pas le projet de décret nouveau et se borne à en signaler le rejet par le moyen de la note que nous insérons ci-dessous. Nous reproduisons ce projet de décret d’après le Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse .an II [samedi 28 décembre 1793], p. 395, col. 2). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport des comités de Salut public et de sûreté générale, décrète : « Art. 1er. Il sera formé dans le jour, dans le comité de Salut public, une section chargée exclu¬ sivement de l’examen et du jugement des motifs d’arrestation des citoyens incarcérés par les comités de surveillance, en exécution de la loi du 7 septembre (vieux style) concernant les personnes suspectes. « Art. 2. Cette section sera composée de cinq membres qui sont tenus de s’assembler deux fois par jour pour cet obtet. « Art. 3. Ils seront renouvelés dans le comité tous les quintidi. « Leurs noms seront secrets. « Ils travailleront seuls dans une salle particu¬ lière, ils décerneront à la majorité des voix des mandats de liberté. « Art. 4. La Convention adjoint aux comités de sûreté générale quatre membres dont les noms sui¬ vent ; Dumaz, du Mont-Blanc; Reverchon; Bour-gain; Bouillerot. » (2) Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse an II [samedi 28 décembre 1793], p. 394, col. 1) Voy. d’autre part ci-après aux annexes de la séance, p. 379, le compte rendu de la même discussion d’après le Journal des Débals el des Décrets.