210 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier 1790. En conséquence, la ville de la Charité fera partie du département du Nivernais. M. Gossin fait ensuite un rapport concernant la ville de Montauban. Messieurs, la ville de Mon-tauban, importante par son commerce et ses manufactures, se trouve située à l’extrême frontière du Quercy, du côté de Toulouse. L’esprit de rivalité qui a régné depuis longtemps entre Cahors et Montauban a porté les députés extraordinaires de cette ville à demander qu’elle soit détachée du Quercy pour être unie à Toulouse. L’affaire paraissait arrêtée lorsque la ville de Montauban, dans une assemblée générale du 26 décembre dernier, a désapprouvé la désunion du Quercy et enjoint à ses députés de rompre tout traité contraire. Toutes les convenances morales et naturelles donnent Montaubau à Toulouse, et cette considération était entrée pour beaucoup dans les motifs du comité pour proposer la formation de sept départements dans la province du Languedoc. Le comité pense que, malgré la fraternité qui anime les villes de Montauban et de Toulouse, il faut attendre du temps le calme dans les opinions ou dans les délibérations ; dans ce moment de secousses, les véritables intérêts ne sont pas sentis; les opinions opposées s’exagèrent ou s’exaltent ; les municipalités vont se former ; des corps représentatifs bien organisés sauront faire connaître le véritable vœu de Montauban et cette ville aura le temps de mieux combiner ses intérêts et de délibérer sagement sur son sort. Le comité propose en conséquence de décréter que la ville de Montauban sera provisoirement du département du Quercy, sauf, à la prochaine convocation pour la formation des assemblées municipales, de juger, à la pluralité des électeurs, si Montauban et son territoire au-dessous de l’Aveyron doivent s’unir au département de Toulouse. M. figuier. 11 serait injuste qu’une ville placée à une petite distance de Toulouse et qui a toutes ses relations avec elle n’y fût pas réunie et qu’elle fût rattachée à une ville moins importante et plus éloignée. Ce sont les procureurs et gens d’affaires de Montauban qui ont formé tous ces obstacles. Dans le moment présent le ressort de la sénéchaussée de Toulouse s’étend jusqu’aux portes de Montauban et celui de cette ville s’étend dans le Quercy ; ainsi la réunion fera perdre aux procureurs leur ancienne clien telle. Les députés extraordinaires de la ville étaient des négociants considérables et connaissaient les véritables intérêts de leur localité. M. Poncet d’Elpech. La délibération de Montauban est revêtue de la signature de trois procureurs-consuls, mais elle est signée également par tous les habitants de la ville. Il n’est pas naturel que Montauban qui avait une intendance et des cours supérieures, perde tous ses avantages. La province du Quercy n’entend pas d’ailleurs que sa capitale se détache d’elle. M. Hegel*. Je dois faire remarquer à l’Assemblée nationale qu’un projet a été concerté entre les villes de Toulouse et de Montauban dans lequel cette dernière devait faire partie du département de Toulouse ; c’est sur la foi de ce traité et pour conserver ses relations avec Montauban que les pays de Comminges et de Nébouzan ont consenti à s’unir au département de Toulouse. Je réclame donc l’exécution des conventions primitivement arrêtées de part et d’autre. Plusieurs membres réclament l’ajournement. L’ajournement mis aux voix est rejeté. Le projet du comité de Constitution est ensuite adopté. M. le Président. L’Assemblée reprend la suite de la discussion de L'affaire de Toulon. M. de Liancourt a la parole. M. le duc de Liancourt. Dans les circonstances actuelles, on ne peut trop répéter qu’une aussi grande révolution que celle qui change les lois, les usages, les habitudes de tant de siècles, ne peut s’opérer sans de grandes secousses ; que les malheurs passagers qu’entraînent ces grandes commotions, effets d’actions souvent répréhensibles, sont souvent aussi l’effet d’intentions pures, qu’une politique saine et éclairée ne doit pas condamner sans les examiner dans le rapport des circonstances qui les ont fait naître. M. d’Albert a toujours eu le désir constant de préserver le port et l’arsenal de Toulon des désordres qui auraient entraîné une perte irréparable pour la France. C’est dans cet esprit que M. d’Albert s’est constamment concerté avec les magistrats de la ville pour en prévenir le désordre ; qu'il a le premier manifesté le désir de voir lever à Toulon une milice nationale, composée de citoyens intéressés à maintenir l’ordre public, ainsi quesa correspondance en fait foi; que c’est dans cet esprit que, craignant des troubles peut-être malicieusement annoncés par les ennemis du bien, on a cherché à prévenir les événements qu’on lui faisait redouter, et préparer les moyens d’opposer une forte résistance aux entreprises qu’on lui disait être machinées contre le précieux dépôt qu’il devait conserver. On ne peut, avec l’envie d’être juste, donner à la conduite de M. d’Albert une autre interprétation. Si l’habitude d’un commandement sans opposition, d’une autorité sans bornes, tel que le service de la mer rend nécessaire, lui a paru quelquefois faire oublier, en 1789, que la révolution, désirée par toute la nation, et dont chaque jour augmentait l’influence, exigeait d’autres formes; si quelques expressions peu modérées pour les circonstances, fruit de l’impatience et d’un amour ardent du bien, sont sorties de sa bouche, paroles qu'il a eu le lendemain la prudence et le courage de détruire par des paroles contraires, ce tort léger esL le seul dont l’envie puisse le charger, et dont peu de personnes peut-être pourraient se flatter de n’être pas coupables. Je ne vois, dans la conduite du comité permanent de la ville de Toulon, que cette méfiance si naturelle, inhérente même à des temps de révolution, et qui, quoique injuste quelquefois dans son application, est cependant, dans certaines circonstances, le moyen le plus certain de prévenir une révolution contraire. Quant à l’espèce de préférence donnée par le comité de Toulon aune simple proclamation pour inviter les citoyens à la paix sur la loi martiale, ce n’est que la crainte de l’inexécution de cette loi et la possibilité de ne plus maintenir l’ordre. Dans l’espèce de silence du comité et de la milice nationale, après l’emprisonnement des officiers de la marine, on ne doit voir que l’impossi- {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier 1790.] 211 bilité de ramener l’ordre par aucun moyen de rigueur, et l’espoir dont il se flattait de conserver, par une conduite analogue aux circonstances forcées, les jours précieux de prisonniers recommandables, que la fureur du peuple menaçait. On ne doit voir aussi la criminelle intention de la violence exercée sur les officiers de la marine que dans quelques passions particulières d’hommes perfides qui ont égaré le peuple, et lui ont présenté le général et les officiers comme les ennemis de la liberté publique et comme les oppresseurs de la ville. Ils l’ont égaré sur les motifs spécieux de liberté et de patriotisme ; car le peuple ne pourrait jamais être entraîné par des intentions coupables, et si, dans l’égarement auquel le livrent d’odieuses impulsions, ses actions ne sont pas toujours bonnes, ses intentions sonttoujours pures; jamais, rassemblé, il n’a conçu le projet de faire un crime. Cependant, M. d’Albert a éprouvé un traitement rigoureux, que les plus grands crimes justifieraient à peine. Il eût été plus rigoureux encore, sans le courage de la garde nationale, que M d’Albert ne cesse de remercier dans ses mémoires; et M. d’Albert, victime de cet attentat, est l’homme que cinquante ans d’une vie pure et sans tache rendaient l’objet de l’estime de ses concitoyens; c’est lui qui, sur toutes les mers, a fait porter au pavillon français le respect qui lui est dû; c'est lui dont vous ménagez et consolez la délicatesse affligée; car quel est le Français dont les facultés restent entières quand la délicatesse est en souffrance? C’est d’après ces motifs que je vous propose le décret suivant : L’Assemblée nationale, après avoir pris connaissance de l’affaire de Toulon, déclare le comte d’Albert de Rioms, MM. Duvillage, de Bonneval, de Boves, de Saint-Julien, et du Gastellet, exempts d’inculpation; rend justice aux intentions patriotiques du conseil municipal et de la garde nationale de Toulon; ajourne le reste de l’affaire; décrète qne le Roi sera prié de prendre dans sa sagesse les mesures convenables pour assurer et maintenir l’ordre et la tranquillité dans le port de Toulon, et déclare que rien, dans cette affaire, ne doit porter atteinte à la réputation due aux qualités personnelles et aux services distingués de M. d’Albert de Rioms. M. de Robespierre. Lorsque nous sommes convaincus que M. d’Albert de Rioms a manifesté des principes contraires à ceux de la révolution actuelle, et s’est permis des procédés contraires aux droits de la liberté publique, et lorsque la conduite des habitants de Toulon nous offre le caractère d’une résistance légitime contre l’oppression, rien n’est aussi injuste et aussi impolitique à la fois que de donner ou des éloges ou une sentence d’absolution précise à M. d’Albert et aux autres officiers, ou le moindre signe d’improbation à la conduite des habitants de Toulon. Je ne veux être ni l’accusateur ni l’avocat des officiers de la marine; ni l’un ni l’autre rôle ne convient aux représentants de la nation; mais je crois que nous devons faire tous nos efforts pour empêcher qu’on ne donne des éloges aux sentiments et à la conduite des officiers qui ont manqué à la liberté et au respect qui est dû au peuple. Je ne parlerai pas des faits de cette affaire ; ils vous sont connus. Plût à Dieu que nous pussions oublier ce qui s’est passé à la même époque à Brest, où la liberté gémissait entourée de soldats; àMarseille, où les meilleurs amis de la liberté, jetés dans des cachots, étaient prêts à périr sous le fer coupable dont les anciens abus et l’antique absurdité de nos vieilles institutions avaient armé la justice ! Quand je considère tous les événements de cette province, je ne puis m’empêcher de penser que, rapprochés par leur époque, ils étaient peut-être liés par des fils qu’il ne serait pas impossible de découvrir; je crains surtout de voir un décret de l’Assemblée nationale décourager le patriotisme, et encourager les ennemis de la liberté. M. de Robespierre jette ensuite un coup d’œil rapide sur les principaux faits de cette affaire. Si vous marquez de l’approbation, continue-t-il, pour la conduite de M. d’Albert, ne refusez-vous pas au peuple le droit que votre déclaration des droits a consacré, celui de la résistance à l’oppression? N’établissez-vous pas au contraire qu’on peut insulter impunément l’autorité nationale?... Si vous déclariez qu’il n’y a lieu à aucune inculpation, ce serait déclarer qu’on n’est pas coupable pour avoir insulté le peuple. Si vous donniez des éloges que deviendraient vos décrets?... Je ne propose pas cependant de renvoyer au Châtelet; mais j’adopte la première partie du décret de M. Ricard; persuadé que la prudence et la justice vous commandent également de témoigner à la garde nationale et au conseil municipal votre satisfaction de leur conduite. M. Malouet (1). Messieurs, c’est un moment de deuil, c’est un malheur public que de voir traduire dans cette Assemblée, en accusés, les innocentes victimes d’une odieuse intrigue et d’une violence coupable. Le commandant et les officiers de la marine de Toulon sont innocents : je me charge de le démontrer. Les droits de l’homme et du citoyen ont été violés dans leurs personnes, vos décrets méconnus; les pouvoirs législatifs et exécutifs sont offensés; l’humanité, la justice, la sûreté publique, l’honneur national demandent qu’ils soient vengés. Il ne s’agit, Messieurs, que de bien constater les faits et les époques, de laisser chaque chose à sa place, et la vérité sortira de tous les nuages dont on voudrait l’envelopper. Il y a dans cette affaire trois époques et trois espèces de faits très différents. Les premiers griefs contre M. d’Albert sont antérieurs à la sédition du 1er décembre : Avait-il tort ou raison? quel genre de tort pouvait lui être imputé ?que pouvait-il résulter de cette inculpation? c’est ce que nous allons examiner. La deuxième époque est celle de la sédition. M. d’Albert, bien ou mal à propos, chasse deux ouvriers de l’arsenal, il en résulte une émeute; il est insulté, on s’attroupe, on lance des pierres contre sa maison; cinquante soldats de la marine sont appelés pour la garder. Les officiers municipaux emploient tous leurs efforts pour apaiser le tumulte; ils ne peuvent y réussir; M. d’Albert est arrêté. Voici maintenant la troisième époque. C’est après l’emprisonnement que s’élèvent les suspicions, les accusations et qu’on fait entendre des témoins. Sera-ce donc pour justifier la violation de tous (1) L’opinion de M. Malouet n’a pas été insérée a Moniteur. SH 2 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 janvier! Ÿ90.] les droits, de toutes les formes qu’on emploie maintenant des formes judiciaires, qu’on a reçu des dépositions ? Ah ! c’est avant d’insulter, de blesser, d’emprisonner les officiers de la marine qu’il fallait faire informer contre eux;ilest trop cruel aujourd’hui de les accuser, de vouloir les rendre suspects à la nation, après les avoir outragés de toutes les manières. Mais je demande de quoi l’on accuse le commandant et les officiers de la marine de Toulon? Oui est-ce qui les accuse ? Quels sont les chefs cï’accusation? Est-ce la municipalité de Toulon qui accuse? Je ne vois dans ses arrêtés et dans ses lettres aucun titre, aucun chef précis d’accusation? Elle expose des faits, elle envoie un procès-verbal de dépositions; elle annonce que le commandant et les officiers ont été arrêtés à la clameur publique. Or, qu’est-ce que la clameur publique dans une sédition? C’est la sédition elle-même; c’est la voix de ses auteurs ou de ses complices. Le premier fait à remarquer est donc que la municipalité n’a cru ni devoir, ni pouvoir donner aucun ordre d’arrêter M. d’Albert et les officiers de la marine ; que, jusqu’au moment de la sédition, elle traitait avec le commandant par ses députés; qu’elle demandait la grâce des ouvriers chassés de l’arsenal : qu’elle n’avait pas même pris une part directe et officielle aux plaintes antérieurement portées contre M. d’Albert par le corps des volontaires, et à la députation qu’ils avaient faite de trois de leurs membres à Paris, qu’elle a seulement approuvée à leur réquisition. La municipalité ne se croyait donc pas offensée avant cette malheureuse journée du 1er décembre; elle ne regardait pas davantage le corps des citoyens comme offensé par M. d’Albert. Une expression vive, qui ne s’adressait évidemment qu’à un ou deux particuliers, que M. d’Albert croit avoir aperçus dans le nombre des volontaires ; cette offense qu’il a réparée eusuite,ne pouvait être réputée collective pour tous les citoyens avec lesquels M . d’Albert a toujours bien vécu. D’ailleurs, un homme sensé n’insulte pas un corps etM. d’Albert est au moins un homme très sensé. Cependant cette affaire de la cocarde se reproduit aujourd’hui comme cause première, comme signe des mauvaises intentions du commandant; il faut donc l’approfondir dans tous ses détails, et voir comment on peut en faire naître un vœu prononcé contre la révolution, un projet d’attaque ou d’offense contre les citoyens. Je remarque d’abord qu’il n’y a rien de plus contraire à la liberté, rien de plus tyrannique que cette espèce d’inquisition, qui donne un corps à la pensée pour en faire un délit, en attachant l’idée d’un projet criminel à des actions, à des démarches insignifiantes par elles-mêmes. On a remarqué, avec affectation, que M. d’Albert n’aimait pas la cocarde et qu’il avait défendu de la porter ; cela n’est pas, il l’a portée lui-même, ainsi que toutes les troupes. Il a trouvé très raisonnable que les ouvriers de l’arsenal la portassent aussi; mais il leur a défendu de s’enrôler dans le corps des volontaires et d'en porter le signe, qui est une aigrette. Pourquoi cette défense? Si le commandant croit qu’elle est nécessaire au maintien de la subordination dans l’arsenal, que le service de volontaire est incompatible avec celui de l’arsenal, qu’il en résulte une perte de temps pour les ouvriers, qu’ils seront moins assidus, moins soumis à leurs chefs, le commandant peut s’être trompé ; un décret de l’Assemblée, un ordre du gouvernement peut redresser cette erreur ; mais comme il n’était, sur ce point-là, contraint par aucune loi, que celle qui met à ses ordres toute la classe des ouvriers n’est point révoquée ; il a eu le droit de faire une pareille défense sans offenser personne et sans se rendre suspect de mauvaises intentions. Gomment se fait-il qu’un homme dont la conduite a été droite et loyale pendant.tous les orages qui se sont succédé depuis le mois de juin, se soit rendu suspect pour avoir défendu aux ouvriers de porter, non pas la cocarde, mais une aigrette de volontaire ? Mais il a tenu un mauvais propos aux volontaires. M. d’Albert aperçoit dans le nombre un maçon qui s’était signalé par ses violences dans l’émeute du mois de mars, qui avait même été décrété et condamné par la justice. M. d’André marque au ministre qu’il a purgé ce corps des étrangers, des gens suspects qui s’y étaient introduits : qu’il ne sera plus composé que de domiciliés et d’honnêtes gens. M. d’Albert est donc excusable d’avoir éprouvé et manifesté un mouvement d’humeur qui ne pouvait s’adresser aux volontaires citoyens. Mais on voit dans sa première lettre 'à M. Rou-baud qu’il n’aime point la cocarde, qu’il la regarde comme un signe d’effervescence. On y voit aussi qu’il est persuadé qu’on ne la porte plus en province quand on n’est pas sous les armes ; il pouvait être à cet égard dans l’erreur. Mais cette erreur même montre sa bonne foi et je ne crois pas !que Séjan ni Tibère aient jamais fondé sur de tels prétextes un titre d’accusation. Enfin, le dernier fait de la première époque à la cfiarge de M. d’Albert, est la démarche des bas-officiers de la marine auprès des officiers municipaux. Il est vraiment barbare de ne pas distinguer ici ce qui appartient à l’amour-propre blessé, à l’esprit de corps, aux mœurs, aux prétentions militaires, et de convertir une aventure de garnison en un crime d’Etat. Que suppose-t-on ? c’est tout de suite un complot contre la liberté, contre les citoyens, contre la Révolution ; mais si on n’avait pas arrêté l’officier du régiment de Dauphiné, si ses camarades ne s’étaient pas crus injustement vexés dans sa personne, cette démarche des bas-officiers de la marine n’aurait pas eu lieu, car ils n’avaient fait que se réunir aux bas-officiers de la garnison. Je veux bien que leur déclaration ait été provoquée par des officiers; c’est un acte indiscret, c’est une bravade répréhensible, mais non pas un complot, non une mauvaise action, non une déclaration hostile. Quoi ! ils commencent par rappeler leur serment, par dire qu’ils y seront fidèles, et qu’y a-t-il donc d’alarmant pour les citoyens dans une pareille déclaration ? Ils disent qu’ils ne laisseront point vexer leurs officiers ; donc ils se lovaient vexés, donc ils n’entendaient point être agresseurs, donc ils ne voulaient que n’être pas inquiétés, donc ils ne voulaient que la paix. Eh 1 pourquoi imputer au commandant une pareille démarche ? S’il l’avait suggérée, aurait-il pris l’engagement de la punir, dans le cas où les officiers municipaux en auraient été mécontents? aurait-il provoqué sur cela leur déclaration ? Donc M. d’Albert ne voulait que la paix. Mais il voulait aussi être obéi par ses subor-1 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. HR janvier îm] 21 S Jonnés, et il avait raison ; car tout homme qui ne sait pas se faire obéir n’est pas digne de commander; et celui qui craint le peuple, le trompe ou le corrompt est hors d’état de le servir. Qu’on ne dise point que M. d’Albert a fait une imprudence en punissant dans cette circonstance un acte d’insubordination : ce qui est arrivé le 1er décembre serait arrivé plus tard, ou il fallait renoncer à toute discipline. On voulait faire, à Toulon, ce qu’on a fait ailleurs, et par les mêmes voies ; partout le peuple a été excité, non pas à la liberté, mais à la licence, à la révolte. Personne ne résistait, à Toulon, à la Constitution, aux décrets de l’Assemblée nationale ; mais l’autorité militaire, celle d’administration s'y était maintenues. Un homme ferme, juste, intrépide, y commandait: comment les factieux n’auraient-ils pas été tentés de s’en défaire ? Cet homme était populaire, charitable : il avait la simplicité de nos braves soldats, jointe à l’élévation et aux talents d’un bon général; il fallait bien en faire un aristocrate, un conspirateur, un ennemi de la nation. Voilà la détestable intrigue que ne soupçonnent pas les généreux habitants de Toulon, mais dont nous parviendrons peut-être à découvrir quelques fils. Je ne range point parmi les faits de la première époque les dispositions faites dans l’intérieur de l’arsenal et rendues suspectes par des dépositions que nous examinerons, parce que ces dépositions n’ont pas précédé, mais suivi l’emprisonnement du commandant et des officiers de la marine, et qu’il n’y aurait point de suspicions répandues contre eux s’il n’y avait eu une violence criminelle exercée sur eux. Je m’arrête donc à la seconde époque, 1er décembre. M. d’Albert congédie la veille deux officiers mariniers dont il est mécontent depuis longtemps. Qui est-ce qui peut avoir à Toulon le droit de demander compte au commandant de cet acte d’autorité ? Qui est-ce qui peut juger, contradictoirement à l’assertion de M. d’Albert, qu’il a fait une injustice en chassant ces deux hommes ? La sûreté de l’arsenal, l’ordre nécessaire du service n’exigent-ils pas que les administrateurs aient toute autorité pour exclure, même sans motif apparent, de l’intérieur de l’arsenal, les employés dont ils croient avoir raison de se défier? Un habitant de Lyon, de Paris, de Toulon même, ne peut, sans une permission par écrit, entrer dans l’arsenal, monter sur un vaisseau. L’étroite enceinte où se trouvent renfermés dix-huit cents forçats, des approvisionnements immenses d’armes, de matières combustibles, le dépôt le plus important de nos forces navales, ne commandent-ils pas des précautions de prudence, qu’on pourrait croire exagérées, des dispositions rigoureuses qui paraissent injustes? Et voudrait-on toujours juger des exceptions indispensables dans l’ordre politique, par des principes non contestés dans l’ordre moral ? Nul ne doit être puni sans motif, voilà la règle, mais si vous en concluez que tous les subordonnés d’un arsenal doivent être maintenus dans leur emploi, à moins qu’on ne leur fasse leur procès, il n’v aura plus d’armée navale. Or, quelle a ôté la conduite de ces deux hommes renvoyés? Ils ont été, dans l’instant même, et dès le soir, échauffer le peuple. Des témoins déposent qu’il y a eu, le 29 au soir, un attroupement sur le quai ; ils ont été se plaindre aux consuls; ils ont prétendu faire de leur cause la cause du peuple, et ils ont réussi. M. d’Albert, instruit de ce mouvement, donné ordre aux troupes de la marine de se tenir prêtes à marcher. C’est encore une condition nécessaire du commandement militaire, de ses fonctions, de ses devoirs, de se rendre imposant et de prévenir les désordres publics par le spectacle d’une force active qui oppose, dans le premier moment, aux idées d'insurrection, celle de l’autorité armée, et qui éloigne la révolte par l’inquiétude de ses suites. Mais c’est, dans un arsenal, une obligation inviolable pour celui qui en a la garde d'être toujours armé, toujours menaçant contre les dix-huit cents brigands qui y sont détenus, et dont un instant de négligence ou de confusion peut faire des incendiaires à la disposition des ennemis du dehors et des factieux qui se glissent parmi les citoyens. L’ordre donné par M. d’Albert était donc sage et nécessaire ; il n’a excédé ni les limites de ses droits, ni celles de ses devoirs. Le lendemain, 1er décembre, le corps municipal, mis en mouvement par les ouvriers, se présente, par députation, au commandant pour demander la grâce des ouvriers congédiés. M. d’Albert la refuse d’abord, je ne dis point qu’il ait eu raison, mais je ne prononce pas davantage qu’il ait tort, car une grande foule entourait les officiers municipaux, et les huées, les insultes commençaient déjà à affaiblir le commandement; or, la violence ne supplie pas, elle commande ; et un homme d’honneur commandé par la violence ne lui obéit pas ; il succombe, mais son courage et son devoir conservent la même fierté. Daignez donc remarquer, Messieurs, qu’ici les officiers municipaux négocient, ils sont loin d’inculper, ils demandent une grâce, ils aperçoivent avec inquiétude un attroupement, ils tâchent de le dissiper ; ils protègent la retraite du commandant, ils le conduisent dans sa maison, et c’est lorsqu’ils le croient en sûreté qu’ils se retirent en commandant pour sa garde la milice nationale. Cependant, au premier mouvement du peuple, deux piquets de cinquante canonniers sont aussi commandés; on insulte l’officier qui est à la tête, on veut lui arracher son épée ; on en terrasse, on en blesse un autre, on le désarme. M. de Bonne-val causait tranquillement sur un balcon avec deux capitaines de la milice; on lui donne un coup de sabre sur la tête. La foule augmente à la porte de l’hôtel, on lance des pierres de toutes parts; c’est au milieu du tumulte que M. d’Albert réclame la loi martiale, qu’il demande cinquante hommes du régiment de Barrois. Un envoyé de l’Hôtel de Ville demande de la part des consuls que le détachement se retire, la garde nationale suffira pour rétablir le calme, et défendre de toute insulte les officiers de la marine. Cette garde arrive, en effet, et le détachement de Barrois se retire, celui de la marine reste seul, et dans le moment où M. de Broves qui le commande est menacé et assailli, il doune l’ordre de porter les armes; il n’est pas obéi et rentre par le balcon dans la maison du commandant. La loi martiale est refusée, mais on y supplée; on croit y suppléer par une proclamation qui défend toute insulte, toute attaque contre M. d’Albert et les officiers de la marine ; ceux de la garde nationale promettent d’obéir; le calme se rétablit un ins tant, plusieurs personnes même de l’intérieur de l’hôtel de la marine en sortent pour aller dîner. C’est alors que le trouble recommence, qu’on enfonce la porte, que des volontaires entrent et 214 l|A*semblée national*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier 1790.] disent qu’ils veulent s’assurer de M. de Broves, comme ayant donné l’ordre de faire feu. Cet officier se livre lui-même, un quart d’heure après on en demande un autre, M. Duvillage. M. d’Albert s y oppose, il est lui-même arrêté et conduit au cachot avec MM. du Castellet, de Bonneval et Duvillage. Ainsi, Messieurs, je vous supplie de le remarquer, ce n’est point, comme on le dit, à la clameur publique que le commandant et les officiers sont arrêtés, c’est après quatre heures d’attroupement et de tumulte, c’est après avoir commencé par des huées et des menaces, après avoir blessé, terrassé, désarmé plusieurs officiers, après une proclamation de paix et de retraite, que la violence, toujours croissant, s’est convertie en fureur et s’est portée aux derniers excès. Nous voici arrivés à la troisième époque, Quand on a mis au cachot le représentant du Boi et les principaux officiers d’un corps distingué, il est très probable que l’on désire de les trouver coupables, il est très probable que l’on ne néglige rien pour y parvenir, car les auteurs d’un tel attentat ont tout à craindre pour eux-mêmes, s’ils ne s’assurent des victimes et des complices. On a donc produit des témoins et reçu des dépositions ; il faut anticiper ici sur l'ordre des faits et vous produire aussi une déposition irrécusable, qui constate que la municipalité de Toulon n’est pas libre; que les volontaires y commandent en maîtres, qu’excités eux-mêmes par une multitude séditieuse, les uns trompés, les autres épouvantés, suivent à regret cette impulsion violente, et qu’il résulte de ce mouvement désordonné un appareil de terreur et de menaces devant lequel les plus honnêtes gens se taisent en gémissant. M. d’André mande aux ministres que dans les conseils tenus en sa présence, des volontaires, des gens armés entraient à tous moments et annonçaient la volonté du peuple. C’est ainsi qu’il fut délibéré, le 7 et le 8, que les prisonniers seraient détenus jusqu’à l’arrivée des ordres de l’Assemblée. C’est ainsi que l’ordre donné par M. d’André et par les consuls de transférer M. d’Albert, malade, de la prison à l’hôpital, a été révoqué par ia multitude qui a, au contraire, transféré MM. de Castellet et de Bonneval quoique alités, blessés et très souffrants, de l’hôpital à la prison. C’est ainsi que M. d’André annonce qu’il est lui-même gardé à vue, qu’il ne peut résister aux ouvriers de l’arsenal, qui demandent des armes et qu’il a fallu leur en donner. Je suppose donc, Messieurs, qu’en entendant le compte qui vous a été rendu des dépositions, vous n’avez pas oublié tous ces faits, desquels résultent plusieurs conséquences : la première, que la municipalité et les honnêtes citoyens, cédant aux circonstances, ne peuvent avoir manifesté, ni par ce qu’ils ont fait, ni par ce qu’ils ont écrit, un vœu et une opinion libres. La seconde est que le peuple ému et dans une fermentation violente par des bruits mécham ment répandus, et par des intérêts privés, qui se sont confondus dans le mouvement général, le peuple, dis-je, a dû. craindre, menacer, accueillir et propager les alarmes et les fables les plus extravagantes. La troisième conséquence, enfin, est que les vrais criminels, les instigateurs de cette émeute, qui sont peut-être étrangers et qu’on a vu distribuer de l’argent, les ouvriers mécontents, ceux qui étaient déjà montés ou qui se préparaient à l’insubordination, les ennemis personnels de M. d’Albert et des officiers prisonniers, ont dû influer avec plus ou moins d’activité sur ce désordre. Ce n’est jamais par une seule cause, par un seul moyen, qüe les émeutes populaires et les crimes qui les suivent s’exécutent ; tel homme qui n’y aurait pas songé, profite de l’occasion pour se venger, pour accréditer une calonmie utile ; car la société ressemble alors à un véritable laboratoire de chimie, où des végétaux, des minéraux inactifs n’attendent que le feu qui les divise et les sublime pour devenir des poisons. G’est au milieu de ces circonstances, c’est, si j’ose le dire, à travers les tourbillons de flammes , et de fumée qui marquaient encore l’incendie, qu’on a reçu les dépositions. Et cependant qu’ont-elles constaté ? Que prouvent-elles? Bien. Non, Messieurs, le plus ardent inquisiteur, le plus habile criminaliste ne saurait composer la preuve d’un délit, d’un dessein même criminel, de cette multitude de dires vagues ou positifs, mais contradictoires ou insignifiants; la méchanceté même a oublié ici sa perfidie et ses moyens, et quand ces mensonges se convertiraient en vérités, le commandant et les officiers de la marine resteraient ce qu’ils sont, purs et innocents, mais victimes d’un attentat atroce. Je ne reviendrai plus sur les dépositions relatives à la cocarde, ce serait manquer au respect dû à une Assemblée législative; ce serait montrer devant vous, Messieurs, cette crainte servile que repoussent les lois et leurs organes, que de se défendre plus longtemps contre le reproche tyrannique qui s’adresse à l’intention. La première déposition marquante pour les gazetiers incendiaires et le peuple crédule, es celle des préparatifs qui se faisaient depuis trois semaines, dans l’arsenal : On travaillait à des cartouches à mitraille, à des artifices ; on transportait des caisses à coulisses d’un lieu à l’autre. Je réponds que c’est lp travail de tous les jours dans les aleliers et les magasins de l’artillerie, ou si ce travail a été interrompu pendant quelque temps pour s’occuper d’objets plus instants, c’était une raison de le reprendre avec plus d’activité ; car, indépendamment des consommations qui ont lieu pour les armements et nous avons dans ce moment-ci plusieurs bâtiments à la mer, on prépare pendant la paix tous les ustensiles, toutes les munitions d’artillerie nécessaires à l’universalité des bâtiments du port, en cas de guerre. 11 n’y a donc rien de plus ridicule que les alarmes ou les soupçons qu’on voudrait induire d’une telle allégation ; elle ne mérite pas d’être autrement combattue. On a déposé que, le 29 décembre, on avait fait charger les canons de l’amiral ; cela devait être ainsi. Aussitôt que le commandant a quelque inquiétude pour l’arsenal, son intention principale doit se porter sur le port et sur le bagne des forçats. Dans ces cas-là, on fait plus que d’armer les batteries de l’amiral, on en dresse vis-à-vis du bagne, on charge à mitraille et tout est disposé pour foudroyer le bagne si les forçats se révoltent et si l’on ne peut les réduire autrement. ün a déposé qu’en plusieurs lieux de la côte, comme à Toulon, on avait dressé depuis peu des mâts de signaux sur les montagnes (1), et (1) Extrait des registres des délibérations du conseil de la marine, séance du 19 septembre 1788. D’après les délibérations du conseil de Toulon, un projet de signaux de jour, donné par M. le comte de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 janvier .1790.) cette innovation, combinée avec la nouvelle d’une escadre étrangère dans la Méditerranée, a donné lieu aux bruits les plus absurdes, aux plus odieux soupçons. Rien n’est plusvrai que le renouvellement et la multiplication des mâts de signaux, mais on ignore sans doute à Toulon que cette innovation résulte d’une proposition faite, il y a dix-huit mois au ministre, pour changer la tactique des signaux de terre, depuis Antibes jusqu’à Toulon; M. de Bonneval en a fait le plan qui fut agréé dans le temps et que j’aurais fait exécuter alors, si j’avais eu des fonds disponibles ; on les a assignés depuis, et les mâts ont été dressés sur les hauteurs désignées. Il était bien plus facile de vérifier le fait, que de le rendre répréhensible ou suspect. Deux autres articles, si je ne me trompe (1), terminent le premier titre des griefs ou des reproches relatifs aux dispositions préparatoires d’une attaque supposée. Le premier est la demande faite par M. d’Albert d’un régiment suisse; le second est un, ou même plusieurs témoins, qui déclarent que les ofticiers sont venus le 29, dans les casernes, engager les soldats à être fidèles à leur général. Lorsque nous jouirons, Messieurs, de la protection des lois, lorsque la liberté sera affermie, si un délateur, si un témoin osait produire de tels griefs, on se bornerait à lui dire : Est-ce un crime que de demander unré giment suisse? Est-ceun crime que d'exhorter les soldats à être fidèles à leur général? Et le témoin, le délateur seraient confondus, Mais, puisque, dans les circonstances actuelles, il faut tout justifier, tout expliquer, et les pensées et les paroles, voici ma réponse : Le régiment suisse d’Ernest a passé plusieurs années à Toulon ; il y a vécu dans la meilleure intelligence avec la marine; il servait dans l’arsenal, les soldats de ce corps avaient particulièrement l’entreprise du transport des bois. Dans l’émeute qui eut lieu à Toulon au mois de mars dernier, contre les officiers municipaux, il fut question d’augmenter la garnison. M. d’Albert demanda le régiment d’Ernest, le ministre de la guerre le promit ; il l’a demandé plusieurs fois depuis, et ce régiment serait arrivé; il fut contremandé précisément pour ne pas donner d’ombrage aux mécontents de Toulon. Quant à l’exhortation faite aux soldats, comme les témoins ne disent pas qu’on les ait engagés à attaquer les citoyens, je ne crois pas devoir m’y arrêter. Mais après toutes les dépositions, toutes les combinaisons préparatoires, viennent des déclarations précises de plusieurs témoins, qui déposent de l’ordre donné de faire feu sur le peuple; il me semble qu’il y en a douze sur vingt-cinq. C’est ici que les contradictions doivent Bonneval, pour l’entrée de ce port et côtes adjacentes, ayant été présenté au conseil par M. de Fleurieu, a été examiné et approuvé. Pour copie conforme à l’original : Signé : La Boülaye. Pour copie : Signé : La Luzerne. 1) J’ai parcouru très rapidement le procès-verbal des dépositions ; je peux me tromper sur quelques détails, mais non sur les faits essentiels. 215 être rendues sensibles, et que l’évidence doit l’emporter sur des ouï-dire. Un grand nombre de témoins déposent que les armes n’étaient pas chargées et qu’on n’a pas donné l’ordre de charger : ainsi ceux-là constatent qu’on n’a jamais pu ordonner de tirer. Tous ceux qui assurent qu’on a ordonné de tirer, déposent qu’au premier commandement de charger on a jeté les armes à terre, que l’ordre même de porter les armes n’a pas été exécuté. Ainsi il était impossible de tirer et absurde d’en donner l’ordre. Les dépositions à charge se contredisent sur l’expression même du commandement et sur la personne qui l’a fait. Les uns disent que M. de Bonneval en a fait le signe avec la main, d’autres que c’est M. de Broves qui a prononcé le : feu! d’autres que l’ordre est parti du balcon et tous déclarent qu’aucun ordre n’a été exécuté. Que résulte-t-il donc de cette diversité, de cette contradiction de témoignages ? la vérité qui est que les armes n’ont pas été chargées ; une seconde vérité qui est qu’il n’y avait aucun projet, aucune combinaison même de défense ; car c’est par hasard et sans être commandé, qu’un major de vaisseau se trouve à la tête du détachement; il sortait de chez lui, il le rencontre sur la place. Mais la plus concluante de toutes les vérités est celle-ci : M. d’Albert avait dix-sept cents hommes à ses ordres ; s’il s’était cru obligé d’en imposer aux séditieux, s’il n’avait compté pour cela sur la garde nationale, sur les consuls, il aurait fait prendre les armes à toutes les troupes. Il ne commande que deux piquets de cinquante hommes ; il fait retirer celui de Barrois aussitôt que le consul le propose; est-il possible, est-il probable qu’un officier à la tête de cinquante hommes, entouré d’une foule immense et de la garde nationale, ait donné l’ordre défaire feu? Et si cet officier, assailli, attaqué personnellement au moment d’être désarmé, avait blessé, tué l’assaillant, ne serait-il pas dans l’exercice d’une légitime défense, du droit acquis à tout citoyen de résister à l’oppression? Car, enfin, Messieurs, si, dans une émeute, la loi martiale est refusée, que faut-il faire? les officiers, les soldats doivent-ils se laisser assommer ou emprisonner par compagnie, par bataillon? Les dépositions reçues à l’Hôtel de Ville ne disent pas que cette loi martiale a été réclamée et refusée; mais tous les officiers, M. de Villarin, chargé de ce message, l’affirment unanimement et votre décret rend les officiers municipaux responsables du refus. Je sais bien que ceux de Toulon n’ont pas1 douté que la proclamation, la défense de toute violence ne produisît le même effet; que les commandants et officiers de la garde nationale n’ont pas pu se faire obéir. Mais dans un tel désordre, lorsque les agresseurs sont les plus forts, lorsqu’ils abusent de la force, le droit naturel de se défendre serait-il interdit à l’officier, au soldat sous les armes ? Ce ne peut être l’esprit de la loi, et votre sagesse y pourvoira sûrement pour l’avenir.1 Je crois, Messieurs, avoir rempli la tâche que je m’étais imposée et avoir démontré sans réplique la parfaite innocence du commandant et dés officiers de la marine. De cette multitude