[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 avril 1790.] 581 selle d’église, remise par ladite . municipalité à l’hôtel de la Monnaie de Marseille. Cette adresse, dictée par le patriotisme, annonce la prestation du serment civique, l’adhésion aux décrets de l’Assemblée, et le zèle des citoyens d’Antibes pour la contribution patriotique. Une lettre adressée à M. le président par le 'prince évêque de Bamberg et Wurtzbourg , lequel réclame une créance de 1 ,500 mille livres dues par la France , pour fourniture de fourrages dans les guerres de 1757 à 1763, est renvoyée, par l’Assemblée, au comité de liquidation. Le sieur Matigny, ancien avocat au Parlement, a fait hommage à l’Assemblée d'un plan d’une ordonnance civile et d’un traité philosophique, théologique et politique de la loi du divorce, dont il est 'l’auteur. M. Brevet de Beaujotir, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Plusieurs membres demandent que les procès-verbaux ne présentent pas à l’avenir l’aualyse des opinions émises devant l’Assemblée et qu’ils se bornent à rappeler les conclusions. Ces observations sont adoptées et l’Assemblée décrète « que dans ses procès-verbaux on se bornera à rapporter les conclusions de chaque opinant, sans aucune analyse de son discours, et ce, conformément au décret qu’elle a précédemment rendu sur le même objet. » M. le marquis de 'Yaudreuil, président du comité de la marine , au nom de ce comité, et d’après les observations présentées par le ministre de la marine dans la lettre qu’il a adressée dernièrement à M. le président de l’Assemblée, propose, et l’Assemblée nationale adopte et porte le décret suivant: « L’Assemblée nationale décrète que l’augmentation de solde de 32 deniers, attribuée par son décret du 14 janvier dernier aux troupes de terre, aura également lieu pour les troupes de la marine et pour celles des colonies, à commencer du 1er mai 1790. » M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation judiciaire et sur la question spéciale de l'établissement des jurés. M. Gossin. Y aura-t-il en France des jurés en matière civile et criminelle, tels qu’ils sont établis en Angleterre ? Cette institution intéresse la liberté individuelle et les propriétés des citoyens ; on ne peut apporter trop de précautions, trop de maturité dans un projet si important; elle suppose une grande masse d’esprit public ; sans esprit public point de jurés. On peut céder à l’espérance flatteuse de son succès en matière criminelle ; le succès consolidera les fondements de notre liberté; si l’esprit public ne règne pas encore ce sera un sujet d’en développer le germe. Sauver l’innocence accusée, indiquer le criminel à la vengeance des lois, sont des devoirs qui vaincront l’indifférence des citoyens à remplir les fonctions publiques; encore faudra-t-il un code nouveau et une refonte préalable des formes. L’institution des jurés en matière civile est prématurée quant aux personnes et quant aux choses. Quant aux personnes, parce que l’esprit public ne rompra pas subitement cette apathie où le despotisme nous a contraint de végéter. Le patriotisme français est encore dans son adolescence ; il ne faut pas fatiguer par un trop grand nombre de fonctions publiques, des citoyens habitués à une sorte de nullité ; il faut préparer leur esprit à de plus grandes idées; il faut former leur goût pour le service général de la société. L’établissement des jurés n’est pas susceptible d’une perfection graduelle ; il doit être, dès le principe, aussi parfait qu’il puisse jamais être ou l’on compromettra son succès, et quels effets funestes l’interruption de la justice ne produirait-elle pas alors sur la Constitution? L’institution des jurés en matière civile est également prématurée quant aux choses : les lois ne sont pas réformées, toutes les coutumes existent. Le chaos de notre législation n’est pas débrouillé. Comment des jurés entendront-ils des lois qui embarrassent chaque jour les hommes les plus instruits? En Angleterre, l’institution n’a pas été brusquée, elle date de plusieurs siècles. En Amérique, l’institution n’a pas été repoussée par des habitudes, des préjugés contraires. La -difficulté n’est pas dans l’institution des jurés; si l’Assemblée le décrète, les jurés seront élus; mais ces jurés, tels qu’ils sont en Angleterre, peuvent-ils remplir en France le but de cette institution? Voilà le véritable problème, et notre situation actuelle me porte à penser qu’elle serait prématurée. Je conclus à ce que les jugements par jurés aient lieu en matière criminelle, suivant les formes et le mode qui seront incessamment fixés; Et à ce que l’établissement des jurés en matière civile soit ajourné. M. de Bremond d’Ars. Je me rallie à l’opinion que vous venez d’entendre, et je me borne à ajouter qu’avant d’établir les jurés, il faut déterminer plus précisément leurs fonctions. Comment, les jurés seront chargés de la partie la plus importante de la justice! Eh! que restera-t-il à faire aux magistrats? Sur quoi sera fondé le respect dû à leurs fonctions? Le peuple qui les aura nommés regrettera de n’en avoir pas fait des jurés. Ils seront donc bornés à déclarer ce que tout le monde sait: qu’un homme convaincu d’homicide sera puni de mort. On propose de prendre les jurés parmi les pairs de l’accusé. Ne copions pas servilement les Anglais. Chez eux l’accusé peut être jugé par ses pairs, puisque la distinction des ordres a lieu; mais en France où il n’y a plus d’autre distinction que celle des talents et des vertus, cela n’est pas praticable. M. Buzot. Je crois qu’il est nécessaire d’établir des jurés tant au civil qu’au criminel. Selon moi, sans l’établissement des jurés point de justice et point de liberté. Mon opinion n’est peut-être pas celle de toute l’Assemblée, et je ne dois en accuser que les orateurs qui ont parlé sur cette question, et qui tous ont défini d’une manière différente la signification du mot juré. Mais de quelle espèce de jurés voulez-vous parler? quelles sont les idées que vous attachez à ce mot? Si vous parlez des jurés tels qu’ils sont en Angleterre, je n’en adopte ni au civil ni au criminel. Si, au contraire, vous voulez vous faire une idée exacte de cet établissement, peut-être serons-nous d’accord ensemble ; car, encore une fois, dans mon opinion, point de justice sans jurés. M. Thouret a pensé, avec quelques autres mem 582 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 avril 1790.1 bres de cette Assemblée, qu’il ne fallait point établir de jurés en matière civile. M. l’abbé Sieyès, dont tout le monde connaît la profondeur des idées, a pensé le contraire dans un plan qui n’est pas connu de tout le monde. Je pourrais vous donner des idées de ce plan ; mais qui peut vous les donner mieux queM. l’abbé Sieyès lui-même? En l’étudiant ce plan, car il faut l’étudier, nous aurons une idée nette de l’ordre judiciaire et des jurés. Pour procéder avec ordre, je demande qu’avant de décréter un principe dont on ne connaît pas les conséquences, on examine un plan qui les fera connaître, celui de M. l’abbé Sieyès. Je demande que, lorsque ce plan sera connu, il obtienne la priorité sur tous les autres, et soit immédiatement soumis à la discussion. Je ne vous parle pas des inconvénients qui résulteraient de l’admission du plan du comité ; je dirai seulement que, par une conséquence de ce plan, l’homme qui deviendra jupe deviendra mon maître. Je ne veux pas de maître, moi; je ne veux de maître que la loi. Encore une fois, Messieurs, ne travaillez pas sans méthode; adoptez un plan, et rappeliez-vous que vous n’aurez absolument rien fait si vous manquez votre ordre judiciaire. M. Rabaud de Saint-Etienne. Je dois prévenir l’Assemblée que quatre membres de son comité de Constitution se sont accordés à adopter le plan de M. l’abbé Sieyès, et à vous le présenter. M. Le Chapelier a été chargé de vous développer l’idée de ce plan, et je viens de faire écrire son nom dans la liste des orateurs qui doivent avoir la parole aujourd’hui. M. d’André demande que laparole soit donnée à M. Le Chapelier. Cette proposition est adoptée. M. Ee Chapelier. Je parle non seulement en mon nom personnel, mais encore au nom de quatre membres de votre comité de Constitution, qui ont examiné et adopté le plan de M. l’abbé Sieyès sur l’établissement des jurés. Si j’énonçais mon opinion particulière, je dirais que la proposition qu’on vous a faite de décréter les principes, est absolument inadmissible, j’ajouterais que le plan de M. Duport est impraticable. Je déclare cependant que mon avis est que l’établissement des jurés en matière civile est aussi pressant et non moins possible qu’en matière criminelle. J’ajoute que je ne puis adopter l’opinion de ceux qui veulent que le principe soit décrété, et que l’exécution du principe soit retardée. Quoi! Messieurs, vous consacreriez, dans un article, que les jurés sont utiles en matière civile, et vous oseriez consacrer dans un article subséquent que vous n’établissez pas, dès à présent, un ordre de choses dont vous reconnaissez dès à présent l’utilité ; vous diriez : Nous voulons être libres, voilà un moyen sûr de le devenir, et cependant nous ne le serons pas encore; vous laisseriez enfin aux législatures qui vous suivront le soin de faire exécuter un principe que vous devez exécuter vous-mêmes. Mais, Messieurs, les législatures qui vous suivront seront-elles plus hardies, plus instruites que vous? Mais comment la justice sera-1- elle rendue depuis la sanction du principe, jusqu’à l’exécution du principe par des tribunaux provisoires? Vous établirez des tribunaux provisoires qui seront proscrits par votre Constitution aussitôt qu’ils seront établis par vous. Mais il serait bien inutile de supprimer, de rembourser toutes le3 charges de judic&ture existantes, si, en établissant ainsi de nouveaux impôts sur le peuple, vous ne le dédommagez par le bienfait de la jouissance des jurés; et que penserait le peuple de cette conduite? Il vous verrait faire le bien, il verrait que vous ne le voudriez pas; vos actions lui paraîtraient en contradiction avec vos principes; et que savez-vous, si dans l’incertitude où le jetterait votre démarche vacillante, il ne reprendrait pas la confiance qu’il vous a donnée? Je reviens au projet de M. Duport, et je soutiens qu’il est inexécutable. M. Duport commence par vous proposer l’établissement des jurés en matière criminelle et en matière civile; mais quels seront ces jurés? Des citoyens pris parmi des pairs pour séparer la question du fait d’avec celle du droit, et décider la question du fait. Je dis, moi, que la question du fait peut rarement, pour ne pas dire qu’elle ne le peut jamais, être séparée de la question du droit; car qu’est-ce qu’un fait dans une affaire quelconque? Une convention, un contrat, un testament, etc. Pour juger s’il existe une convention, un contrat, etc., il faut savoir si cette convention, ce contrat sont valides : ainsi la question du droit se trouve étroitement liée avec la question du fait. — M. Le Chapelier développe longuement et clairement celte idée. Il en conclut que la première question pouvant être décidée par la vue seule de l’acte matériel, la seconde ne peut l’être que par le jurisconsulte. Sous ce rapport, dit il, le plan deM. Duport est inexécutable; et je dirai, comme quelques-uns, que c’est un beau rêve, en supprimant l’épithète. Le plan de M. l’abbé Sieyès ne présente aucune de ces difficultés ; les jurés seront pris, selon lui, parmi les hommes de loi; ils décideront la contestation, sans séparer la question du fait de celle du droit ; et sans m’appesantir sur ce système, que je crois le meilleur, je demande que, par questions préliminaires, on décide ce que seront les jurés qu’on admettra, avant de décider si l’on admettra des jurés. (On demande de tous côtés que M. l’abbé Sieyès soit entendu. Il monte à la tribune et il est fort applaudi.) M. l’abbé Siéyès. — Je ne me présente point, Messieurs, pour soutenir ou pour développer le plan que j’ai fait imprimer, et qui vous a été distribué (1). Un plan est un eusemble; vous nous avez interdit de vous en présenter aucun, du moment que vous avez obligé les opinant? à ne donner leur avis que sur la question partielle : Etablira-t-on, n’établira-t-on pas des jurés? Je ne sortirai point de cet état de question, et même je crois qu’au point où est dans cet instant la discussion, on peut la resserrer encore. Tout le monde paraît être d’accord sur l’adoption des jurés en matière criminelle ; il serait superflu de continuer à en montrer la nécessité. 11 ne s’agit plus que de savoir si l’on étendra cette institution aux procès en matière civile. Cette question peut même se réduire à un point plus précis. Je ne crois pas me tromper, la grande majorité de l’Assemblée convient assez que les jurés doivent être établis en matière civile, si ce n’est en ce moment, au moins dans un autre temps. On trouve l’institution bonne en elle-même ; on veut seulement la reculer à une époque plus favorable. Il suffira donc que je dirige (1) Voy. plus haut le plan do M. Sieyès, séance du 19 mars 1790. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 avril 1790.1 583 ce que j’ai à dire sur la question ainsi réduite à ses derniers ternies : L'institution des jurés en matière civile est-elle bonnef est-elle praticable - en ce moment ? Les difficultés que l’on oppôse à l’établissement des jurés en matière civile, sont tirées de l’état actuel de nos lois et de notre procédure, ou des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Je conviens que nos lois sont compliquées, que l’étude des différentes coutumes multiplie infiniment les difficultés pour tous ceux qui veulent acquérir des connaissances en ce genre, que notre procédure est longue et embarrassée. Tous ces inconvénients sont un mal de plus, qui sollicite plus puissamment encore l’établissement d’une législation simple, claire et uniforme. Mais je conviens de la réalité du mal, et je sens très bien que pour ceux qui ne se représentent l’institution des jurés en matière civile que comme un simple déplacement d’hommes, c’est-à-dire comme l’art de substituer aux hommes de loi des citoyens étrangers à ce genre d’étude, souvent même grossiers et ignorants; je sens, dis-je, qu’un tel changement ne se présente qu’hérissé de mille et mille difficultés : mais qu’il me soit permis de le dire, ceux qui aperçoivent sous ce point de vue l’établissement des jurés civils sont entièrement hors de la question ; et ici vou3 sentez déjà l’inconvénient de se servir d’un mot susceptible de plusieurs sens, sans être convenu d’avance de celui qu’il faut y attacher. Car ne doutez pas, Messieurs, que dans cette discussion la plupart des difficultés queles opinants s’opposent à l’envi, ne viennent de ce que chacun attache à ce mot des idées particulières. J’entends par jury un corps de citoyens choisis, et appelés de manière qu’il est toujours propre à décider avec connaissance et intégrité sur toutes les questions qu’il importe de résoudre, pour appliquer la loi. Si nous pouvions nous transporter à l’époque plus ou moins éloignée où les lois seront à la portée de ceux qui doivent les observer, et où ceux-ci seront plus en état de les connaître, vous m’accorderiez, sans doute, non pas seulement que les jurés seront très propres à décider les questions judiciaires, mais encore qu’ils vaudront bien mieux pour cette fonction que les juges eux-mêmes. En effet, placez-vous au moment où un citoyen commettra un délit, soit contre la propriété, soit contre la liberté, c’est-à-dire au moment où il manque à la loi, n’est-il pas clair que les hommes les plus propres à connaître la loi qu’il enfreint en ce moment, sont ses pairs , c’est-à-dire' ceux qui se rapprochent de sa position par une similitude de devoirs et de relations ? Ainsi, celui qui manquera à la loi militaire sera jugé en connaissance de cause par ceux qui, placés dans la même position, doivent être instruits des devoirs qu’elle impose. Ainsi, un cultivateur, un manufacturier, un commerçant, connaissent, outre les lois générales qui frappent à la fois sur tous les citoyens, celles qui sont particulières à leurs professions; et voilà pourquoi un jury doit être composé, autant qu’il est possible, des pairs de l’accusé ou des plaideurs. Il faut, relativement aux lois générales, que tout citoyen puisse dire, dans un cas donné : A la place de l’accusé, je ne me serais pas conduit de même, il a mal fait, il est coupable. De même pour les lois qui frappent sur des professions particulières, il faut que ceux qui se trouvent particulièrement appelés à les observer, et par •conséquent à les connaître, puissent dire : A la place de cet homme, j’aurais fait autrement; il a manqué à la loi, il est dans le cas de la peine. Vous sentez, Messieurs, que, quelque idée qu’on veuille se former d’une loi en particulier, puisqu’elle est destinée à être exécutée, il faut qu’elle soit connue au moins par ses véritables exécuteurs ou observateurs, c’est-à-dire par les citoyens que cette loi regarde spécialement ; sans quoi, l’on pourrait soutenir qu’il n’y a pas d’in-fraction'àla loi, et que les délits dénoncés ne sont pas imputables. Mais c’est trop parler d’une autre époque que celle où nous vivons. Il faut songer à passer de l’état actuel à celui que nous ambitionnons tous d’atteindre. 11 est sûr que les lois ne sont pas en ce moment à la portée de ceux mêmes qu’elles regardent le plus. Que s’ensuit-il ? que le jury d’aujourd’hui ne doit pas être composé des mêmes hommes qui le formeront au temps d’un meilleur ordre de choses. Mais qu’est-ce qui empêche de le composer momentanément des memes hommes qui sont aujourd’hui en possession de suivre les affaires judiciaires et de les terminer? Le jury, tel que je l’ai conçu, tel que je l’ai combiné, se prête à tous les besoins ; il évite toutes les difficultés, tous les embarras. On ne peut pas lui opposer qu’il ne sera pas en état de juger les matières difficiles, car ce serait dire que personne ne pouvait juger sous l’ancien régime. Songez que ce sont les mêmes hommes qui continueront à juger sous le nom de jurés, et qu’il n’est pas possible de marquer autrement le passage de l’ancien au nouvel ordre judiciaire. Remarquez en même temps que, quoi que le service de la loi se fasse par les mêmes hommes, cependant l’avantage de ce changement se fera sentir dès le premier jour. Tous les hommes de loi seront appelés à juger, d’où il suit queles décisions seront l’ouvrage non pas seulement de ceux qui, instruits ou non, siégeaient en qualité déjugés, mais de tous ceux des légistes que la confiance publique appellera à partager cette belle fonction. Ainsi, déjà, il faut m’accorder que le corps d’un jury sera composé de membres plus véritablement instruits, plus en état de juger que ne l’était le tribunal lui-même. Cette certitude est la suite naturelle d’un choix fait sur la totalité des hommes de loi. Vous remarquez aussi qu’en introduisant dans les jurés d’autres membres que les légistes, quoique vous ne les appeliez d’abord qu’en petit nombre, vous ne laissez pas cependant que de produire un très bon effet, par l’espèce de surveillance sur eux-mêmes que les étrangers accepteront de la par?: des anciens légistes. Ajoutez à ces considérations que nul ne sera dans un jury que d’après le choix de l’homme du peuple, je veux dire du procureur-syndic; et enfin que si parmi les anciens praticiens ou juges, il en était dont on eût à se défier lors même que vous supposeriez qu’ils ont passé par les divers cribles dont je viens de faire mention, ils se trouveraient encore arrêtés à la porte du jury par la faculté de récusation accordée aux parties. Ainsi, nous devons déjà regarder comme une vérité démontrée, qu’un jury bien organisé est non seulement praticable en ce moment pour les matières civiles, que non seulement il est à l’abri de toutes les difficultés qu’on lui a opposées, mais encore que ce changement aura dès aujourd’hui mille avantages sur les anciens tribunaux. Ou vous a beaucoup dit, Messieurs, que l’état politique de la France est tel, qu’il y aurait du risque à hasarder la belle institution du jury en matière civile. K84 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {8 avril 1*190.1 L’élat intérieur de la France, relativement à la justice, le voici : 1° les justices seigneuriales sont abolies ; et n’étant pas encore remplacées, on peut dire qu’il n’y a pas de justice primaire dans la presque totalité de la France; 2° les tribunaux royaux, d’une part, s’attendent à leur destruction ; de l’autre, les événements ont suspendu ou ralenti leur exercice; 3° les cours souveraines; vous connaissez leur position et leur conduite. Faites-y attention, Messieurs, il ne s’agit pas d’introduire plus ou moins de nouveautés dans une machine toute montée. La machine judiciaire n’existe plus, et pourtant la justice est le premier besoin des peuples : il est pressant d’y pourvoir, rien n’est plus urgent. Dans cet état de choses, vous convenez que les jurés seraient une belle institution tant au civil qu’au criminel, et pourtant vous voulez les retarder, sous le prétexte que leur établissement actuel occasionnerait une trop forte secousse. Je sais quelles impressions vives on doit faire sur les esprits en ce moment, toutes les fois qu’on prononce les mots de changement, d’innovation, et les préopinants se sont beaucoup servis de ce moyen pour jeter de la défaveur sur la cause du jury civil. Mais il est permis de demander au moins le sens de ce qu’ils ont voulu dire. 11 est de fait que le système judiciaire est désorganisé en France. Il est de fait que les principaux ministres de l’ancienne justice passent pour n’être point les partisans de la Révolution ; vous ne pouvez vous dispenser de reproduire un ordre quelconque de justice et de police dans le royaume. Ainsi, Messieurs, je vous supplie de faire attention à cette vérité ; il ne s’agit pas de laisser à une machine actuellement montée la continuation de son jeu, il s’agit d’en former une, parce qu’il n’en existe point ou à peu près ; il s’agit de la former ou sur l’ancien modèle ou d’après une combinaison plus appropriée à votre nouvelle Constitution. Au milieu des grands changements que cette opération suppose dans le régime entier de la justice, n’est-il pas étrange qu’on veuille vous faire considérer 1 ejury au civil comme fait pour bouleverser la monarchie entière? Nos adversaires veulent une nouvelle justice primaire dans les cantons; ils veulent un nouvel arrangement de tribunaux ou d’assises dans les districts et les départements ; à cette occasion, ils veulent s’exposer aux réclamations multipliées qui vont arriver de toutes les villes de la France, pour avoir le tribunal du ressort; ils veulent substituer, aux anciennes cours, des moyens nouveaux quelconques; ils veulent l’institution du jury pour les procès criminels; c’est-à-dire ils veulent tout changer, ils veulent très véritablement un nouvel ordre judiciaire. Cependant les innovations leur paraissent peu de chose ; ils ne conçoivent des alarmes que pour le jury au civil ; c’est le jury civil tout seul qui suppose un grand changement, et une secousse telle, qu’on ne répond plus de rien si on essaie de l’adopter pour ce moment. J’ose croire que le jury dont j’ai donné l’organisation n’a rien d’impraticable pour le moment, pas plus au civil qu’au criminel; mais j’ajoute, pour ceux qui veulent les jurés au criminel, qu’il est certainement bizarre de craindre les embarras, les difficultés qu’entraînerait l’institution des jurés pour les procès civils. Car vous ne pouvez pas monter un ordre de choses propre à vous donner des jurés au criminel, sans avoir tout ce qui vous serait nécessaire pour fournir les jurés au civil : soit que vous n’exigiez qu’un de ces deux jurys, soit que vous les adoptiez tous les deux, il vous faut, dans l’un et l’autre cas, un tableau d’éligibles, des règles pour appeler, pour assurer les membres du jury, des juges appropriés à cette nature de décision; en un mot, il vous faudra le même établissement que si vous adoptiez l’un et l’aure jury. Permettez-moi donc une comparaison: en refusant les jurés civils par les considérations des difficultés qui les accompagneraient, vous vous conduiriez comme un manufacturier qui ayant, je suppose, mille pièces à vendre, se bornerait à en fournir 500, par la crainte d’avoir à doubler son atelier, quoique très suffisant déjà pour la totalité de son débit. Cette comparaison est juste, si vous voulez bien vous rappeler que, quant à l’effet du jury civil, il est bon, il ne peut être que bon, si vous commencez par y admettre, comme je l’ai fait, les gens de loi. Ainsi, Messieurs, je crois pouvoir dire qu’il reste démontré, pour tout homme raisonnable, que tout ce qu’il y a à redouter de l’établissement d’un nouvel ordre judiciaire est commun et à ceux qui veulent et à ceux qui ne veulent pas le jury au civil : je dis plus, que les embarras du nouveau régime judiciaire seront bien plus nombreux pour ceux qui veulent se borner au jury criminel; car, d’une part, il faudra qu’ils conservent les anciens tribunaux; et, de l’autre, qu’ils établissent un ordre nouveau, c'est-à-dire qu’ils veulent vous procurertout l’attirail, tout le fatras de l’ancien régime, et toutes les difficultés en même temps qu’ils paraissent craindre du nouveau. S’il est bien vrai que nous soyons unis pour la liberté, nous devons l’être pour le jury civil comme pour le jury criminel ; si, au contraire, nous ne sommes pas dignes de la liberté, convenons-en, l’un et l’autre jury sont également prématurés. Je conclus, en adoptant l’établissement du jury organisé ainsi que je l’ai indiqué. M. Roederer. Je demande qu’il soit fait lecture du plan de M. Siéyès. M.Tronchet. La discussion étant présentement réduite à une des questions particulières qui naissent du plan de M. l’abbé Siéyès, il suffit de lire le titre relatif au jury. M. Ic comte Stanislas de Clermont-Tonnerre. Je crois nécessaire de lire le plan de M. Siéyès dans son entier, parce qu’il n’est pas possible de discuter utilement un projet de cette nature, sans le considérer dans son ensemble. M. Garat, l’aîné. Ce serait contrevenir à l’ordre qui a réglé la discussion de s’occuper de la lecture de la totalité du plan qui embrasse plusieurs objets étrangers à la question sur laquelle nous délibérons actuellement. M. le Président met les diverses propositions aux voix. L’Assemblée décide qu’il sera fait lecture du plan de M. l’àbbé Siéyès, mais seulement en ce qui concerne le jury. Un de MM. les secrétaires fait cette lecture ainsi qu’il suitj: DES JURYS. 81. Toute cause d’instance, tant au civil qu’au criminel, portée soit aux assises, soit aux chambres d’un tribunal de département, ne pourra être jugée que par le ministère d’un jury.