58 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 décembre 1789.] la circonstance présente, ont mérité notre attachement. « Nous avons l’honneur d’adresser àM. le comte de la Tour-du-Pin, l’exposé de nos plaintes contre M. Dubois de Crancé, en le suppliant de faire connaître à l’Assemblée nationale que nous nous réunissons à MM. le duc de Monteynard, le vicomte de Mirabeau et de Juigné, pour demander que M. Dubois de Crancé fasse une réparation authentique à toute l’armée. « Nous sommes avec respect, etc. Signé : les officiers du régiment d’ Armagnac. » Lettre des officiers du régiment d1 Armagnac, à M. le comte dé la Tour-du-Pin, ministre de la guerre. « Monseigneur, par tout ce qui est émané de vous depuis que vous êtes au ministère, vous nous avez prouvé l'intérêt que vous prenez aux militaires français : nous osons donc vous faire parvenir directement les plaintes fondées des bas-officiers, caporaux, grenadiers, chasseurs et soldats du régiment d’Armagnac, que nous n’avons pas cru pouvoir refuser d’entendre, d’autant que oar leur bonne conduite en Amérique, et dans ' a circonstance présente, ils ont mérité notre attachement : cette nouvelle preuve de leur délicatesse est précieuse dans ceux dont notre gloire dépend. Le soldat français ne devant jamais être humilié, nous osons vous supplier de faire connaître à l’Assemblée nationale que nous nous réunissons à MM. le duc de Monteynard, le vicomte de Mirabeau et de Juigné, pour demander que M. Dubois de Crancé fasse une réparation authentique à toute l’armée. « Signé : les officiers du régiment d' Armagnac. Lettre des officiers du régiment d’Auvergne à l'Assemblée nationale. « Nosseigneurs, nous vous demandons justice du mémoire lu dans une de vos séances, par M. Dubois de Crancé; l’esprit de système peut égarer, l’ignorance peut entraîner dans des erreurs, la méchanceté seule enfante des calomnies. Tout excuse un zèle même indiscret, rien ne peut affaiblirl’atrocité d’inculpations fausses et odieuses; le mépris pour l’ouvrage et l’auteur n’est pas une vengeance suffisante; l’offense est publique, la réparation doit l’être : vous vous la devez à vous-mêmes, vous la devez à la nation, à l’armée; l’honneur du soldat demande vengeance: oui, l’honneur! ce mot n’est point chimérique; et ces êtres éphémères qu’on vous a dépeints comme de vils brigands, le rebut de la nation, la lie du peuple, le connaissent; bien plus, fis le pratiquent. Si le militaire, semblable à tous les corps très-nombreux, voit dans son sein desindividus qui, en déshonorant leur état, souillent l’habit qu’ils portent, ces individus sont en trop petit nombre, pour que quelques exemples isolés puissent donner lieu à des imputations générales, aussi graves que fausses, et l’attention avec laquelle on a soin de tout temps de se purger des mauvais sujets, soit par les refus de les recevoir, soit en chassant ceux qui s’étaient déshonorés aux yeux de leurs camarades, prouve l’intérêt et le désir qu’on avait de ce tenir pur. « Qui le sait mieux que nous. Nosseigneurs ? A portée de voir de près le soldat, de l’apprécier et de l’étudier par la confiance qu’il a généralement en son officier, nous l’avons vu, même dans ces temps malheureux, où l’on s’efforcait de persuader qu’une discipline sévère pouvait tenir lieu de point d’honneur; nous l’avons vu n’être dirigé que par ce seul principe. Et dans des circonstances où toutes les lois réduites au silence semblaient annoncer l’impunité, où l’on semblait ne chercher qu’à l’égarer, qui a pu le contenir? qui a pu le maintenir dans des bornes que tout paraissait l’engager à franchir ? qui a pu faire régner l’ordre, la discipline et le respect pour des ordonnances qui avaient été abrogées, et qui ne sont encore même remplacées par aucune loi? Ce problème n’est pas difficile à résoudre pour quiconque connaît le soldat français; l’honneur était sa loi, il a été le frein qui l’a retenu. Le respect pour ses chefs, l’attachement à ses officiers, sa confiance en eux, l’idée qu’il se faisait du nom de soldat, tout ce que ce titre lui imposait, voilà ce qui a dirigé les soldats du régiment d’Auvergne; voilà ce qui les a retenus. Nous devons donc à la vérité l’hommage que nous lui rendons, en affirmant que l’honneur, seule base de la discipline, même dans ces temps où on avait voulu y substituer un autre mobile, n’a jamais cessé d’animer le militaire. Nous devons à nos soldats l’assurance publique de la fausseté de ce qu’a avancé M. de Crancé, quant à leurs sentiments et quant à leur composition. La plus grande partie d’entre eux, et l’on peut dire la totalité, est prise dans les laboureurs, dans les artisans honnêtes, ou même dans des classes plus relevées, jamais dans le rebut de la société. Cette justice, nous la leur rendons, et nous nous contenterons d’observer, quant à la verge de fer, seut moyen, selon l’auteur, de mener l’armée, que la discipline sévère fait des esclaves, que l’honneur et l’amour de la patrie font seuls les soldats français; enfin, nous nous devons à nous-mêmes de repousser la calomnie, qui cherche, en les flétrissant, à nous flétrir nous-mêmes; car la classe des officiers deviendrait la plus vile, si elle n’était destinée qu’à gouverner des brigands , et notre honneur est si étroitement lié au leur, qu’on ne peut attaquer l’un sans outrager l’autre. Quoique convaincus que des faussetés entassées, ouvrage de la mauvaise foi et de l’ignorance absolue, n’aient pu faire sur l’esprit du public, et encore moins sur le vôtre, aucune impression, nous n’en réclamons pas moins votre justice ; nous demandons que le calomniateur rétracte les mensonges dont il a fait retentir des voûtes destinées à ne recevoir que l’expression de la vérité ; et pleins de confiance dans votre équité et la justice de votre demande, « Nous sommes avec un profond respect; Nosseigneurs, de Bois-Joly, Terssac, Richard, la Tredière, la Grândinière, Rua de Fongatte, Lajant, Fontelle, Gonidec de Olraissan, Rickleg, Bel-fond, Bord, de Chanvallon, de Peyrass, de Micon, Chambellan, de la Reynie, de Guerrisse. » M. de Menou, après avoir fait lecture de cette dernière lettre, lit celle que M. Dubois de Crancé a adressée à tous les bas officiers et soldats des régiments composant l’armée française. La voici : « Messieurs, je ne croyais pas, lorsque j’ai pro- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 janvier 1790.] nonce mon opinion sur l’état militaire, qu’on chercherait à m’en faire un crime. On a supposé que j’avais dit que les troupes françaises n’étaient composées que de brigands : calomnie atroce, par laquelle les ennemis publics ont voulu rendre odieux aux braves guerriers qui consacrent leur valeur à la patrie un défenseur zélé de la liberté nationale. C’est ainsi que l’aristocratie, expirante sous le poids de l’opinion publique, cherche à se venger de ceux qui l’ont combattue. « J’ai dit que le mode ancien de recrutement était mauvais, que les soldats et les autres citoyens étaient tous frères, et que, dans les périls de la patrie, ils devaient tous concourir à la défendre; j’ai dit que les troupes devaient être organisées de manière à éviter tout abus d’autorité et tout danger pour la liberté publique, j’ai dit qu’un soldat français n’était pas fait pour être l’instrument passif des ordres arbitraires, mais que la base d’une bonne organisation était que de bonnes lois remplaçassent la volonté absolue des chefs; que les punitions infamantes fussent supprimées ; que les grades fussent accordés au mérite par le choix libre des camarades; que les troupes fussent mieux nourries , mieux payées; que les recrues de chaque régiments se fissent dans les mêmes captons, afin qu’un régiment fût composé, en officiers et soldats, de voisins, de frères et d’amis. « J’ai blâmé l’usage d’envoyer des recruteurs dans les grandes villes, parce que les grandes villes sont le centre des vices. J’ai dit qu’on, ramassait sur le pavé des gens sans aveu, des brigands, avec lesquels nous tremblerions d’associer nos enfants; or, je pense que nos enfants doivent être soldats. Je sais que la discipline et le bon exemple épurent les mœurs, et que tel qui fut libertin dans sa jeunesse peut devenir un excellent sujet. Nos régiments en fournissent assez de preuves; mais tant que ce sujet n’est nas formé, il peut être dangereux à fréquenter 'jour un jeune homme sans expérience et dans 'effervescence des passions. Voilà ce que j’ai dit, ou tout ce que j’ai voulu dire : je respecte trop nos braves militaires, nos soldats-citoyens pour avoir voulu les ravaler, et je ne puis attribuer les imputations que l’on m’a faites à cet égard qu’à la haine d’une cabale anti-patriotique, qui se signale depuis quelques temps par son acharnement à poursuivre les gens de bien. On veut vous exciter contre les amis de J a cause publique. On voudrait pouvoir employer votre courage en faveur de ce despotisme sous lequel vous avez si longtemps gémi, et se servir de vous-mêmes pour vous donner de nouveaux fers plus pesants que ceux que nous avons tous brisés. « Il est facile, dans l’éloignement, de donner de fausses impressions, et de calomnier les meilleures intentions; cette considération doit mettre l’homme sage en garde contre les artifices des méchants... « Voulez-vous me connaître, mes camarades? demandez comme je me suis conduit à l’Assemblée depuis sept mois ; si mes principes n’ont pas toujours été ceux d’un franc et loyal ami de la liberté française. Allez dans mon pays, cherchez-y un seul homme qui ait à se plaindre de moi, qui ait à me reprocher une seule injustice. Et vous pourriez croire que celui qui a fait toute sa vie profession ouverte de respecter, chérir et défendre en toute occasion les droits de l’humanité, serait injuste envers ses camarades ! Vous sentez que cela ne se peut pas, et vous regretterez de m’en avoir soupçonné. Au surplus, lisez mes observa-tions sur la constitution militaire, vous verrez dans quel esprit j’ai parlé à l’Assemblée nationale; vous verrez que mes vœux, auxquels je vous proteste que se réunissent ceux de tous les bons citoyens, sont pour que nos braves guerriers deviennent aussi heureux et aussi considérés qu’ils méritent de l’être. « Je suis avec les sentiments et l’attachement les plus véritables, « Messieurs, « Votre très-humble et très-obéissant, serviteur. Du Bois de G rangé. » La lecture de cette lettre a été entendue avec la plus vive satisfaction. M. le Président lève la séance, après avoir indiqué celle de samedi pour l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER. Séance du samedi 2 janvier 1790, au matin (1). M. le l�rtsMemî ouvre la séance par l’annonce de divers dons patriotiques. Les députés de la ville de Nancy, admis d’abord à la barre et autorisés ensuite à assister à la séance, offrent environ 80 marcs d’argent, provenant des boucles des citoyens. L’orateur de la députation prononce le discours suivant : « Messieurs, la ville de Nancy nous a députés vers vous, moins pour offrir le faible don que nous avons l’honneur de vous présenter, que pour nous rendre témoins de vos nobles travaux et pour vous faire parvenir les expressions de son dévouement et de sa soumission. Daignez agréer cet hommage, Messieurs : il est celui d’une ville distinguée par son attachement pour ses princes, et qui en a un bien plus grand encore pour la patrie. « Le nouveau régime qu’établit l’Assemblée nationale peut faire éprouver quelques pertes à la ville de Nancy ; elle est assurée que vous les diminuerez autant que le permettra l’intérêt général, et que votre sollicitude, qui s’étend sur toutes les parties de l’empire, en soulageant les habitants des campagnes, est bien loin d’oublier ceux des villes, et principalement de celles qui, privilégiées dans l’ancien ordre des choses, ont fait de' plus grands sacrifices à la patrie. » M. le Président répond; Les généreux sacrifices qui se multiplient à la veille de cette contribution patriotique, dont le salut de l’Etat a fait une loi impérieuse, sont bien propres à adoucir les pénibles travaux de l’Assemblée nationale ; son zèle pour le bonheur général est assez connu, et il est non moins évident que ses soins répandront partout l’aisance et la liberté. Elle voudrait qu’il lui fut possible de se rendre aux vœux particuliers de toutes les villes de France ; les intérêts de celle de Nancy seront pris en considération : elle reçoit d’ailleurs avec satisfaction vos hommages, vos vœux et votre offrande patriotique. Elle vous permet d’assister à sa séance. (1) Cetle séance est incomplète au Moniteur.