170 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 septembre 1790.] prétexte qu’ils peuvent passer à l’étranger. Remarquez, Messieurs, que les villes frontières ne peuvent tirer leurs subsistances que de l’intérieur. Quand la France prohibe la sortie des grains, les puissances étrangères usent aussitôt de représailles. Les frontières donc se trouvent tout d’un coup adossées à des pays devenus stériles pour elles, et pour ainsi dire à des déserts. Il faut donc qu’elles tirent de l’intérieur du royaume.... C’est se mettre en une véritable opposition à vos décrets et à la raison, que de distinguer entre la liberté de la traite de ville à ville, et la liberté du passage. Il est évident qu’il serait bien inutile d’avoir ordonné la libre circulation dans le royaume, si les villes pouvaient empêcher la libre traite hors de leur enceinte, pour une autre ville du royaume... Je conclus à l’adoption du décret, ou au moins de la première partie. M. le Président met aux voix la division. Elle est rejetée. (Le projet de décret du comité est ensuite adopté.) M. Tailhardat, député du Puy-de-Dôme , demande et obtient un congé de deux mois. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le traitement des ordres religieux et des chanoinesses séculières. Dans sa séance du 21 septembre, l’Assemblée a adopté l’article 1er du titre II intitulé : Des religieuses . M. Treilhard, rapporteur, propose de mettre aux voix ensemble les articles 2, 3 et 4 du projet, parce qu’ils ont entre eux une relation qui en fait presque un seul article. M. l’abbé Bourdon propose, par amendement à l’articie 3, de conserver aux maisons destinées par leur institut à l’éducation publique et au soulagement des malades, l’administration des biens dont ils ont joui jusqu’ici. On demande la question préalable sur cet amendement. La question préalable est prononcée. Les articles 2, 3 et 4 sont décrétés ainsi qu’il suit : « Art. 2. Dans les maisons, dont les revenus excèdent la somme de 600 livres, à raison de chaque professe, et celle de 300 livres, à raison de chaque sœur donnée ou converse, il ne sera tenu compte desdits revenus que jusqu’à concurrence desdites sommes. « Art. 3. Demeurent provisoirement exceptées des dispositions de l’article précédent, les maisons actuellement occupées à l’éducation publique et au soulagement des malades, et il leur sera tenu compte de la totalité de leur revenu, jusqu’à ce qu’il eu soit autrement ordonné. « Art. 4. Dans les maisons, dont le revenu est inférieur à 700 livres pour chaque professe, et à 300 livres pour chaque sœur donnée ou converse, les traitements des religieuses qui décéderont les premières accroitront aux traitements des survivantes jusqu’à concurrence desdites sommes. » M. Treilhard, rapporteur , donne lecture de l’article 5. « Art. 5. Il pourra être accordé, sur l’avis des directoires de département, un secours annuel aux maisons qui, par la destruction de la mendicité, ou par la privation d’autre ressource dont elles avaient joui jusqu’à présent, n’auront plus un revenu suffisant pour leur existence. » M. l’abbé Gouttes propose que ces secours soient tels, qu’y compris les revenus conservés, chaque religieuse ait au moins 300 livres par an. Un membre demande que le minimum soit de 400 livres. M. Martineau demande, au contraire, que ces secours, joints aux revenus conservés aux maisons religieuses, ne puissent excéder la somme de 300 livres par an pour chaque religieuse. Ce dernier amendement est adopté. En conséquence, l’article 5 est décrété dans la teneur suivante : « Art. 5. Il pourra être accordé, sur l’avis des directoires de département, un secours annuel aux maisons qui, par la destruction de la mendicité, ou par la privation d’autres ressources, dont elles avaient joui jusqu'à présent, n’auront plus un revenu suffisant pour leur existence ; mais ces secours, unis au revenu de chaque maison, ne pourront excéder la somme de 300 livres par année pour chaque religieuse. » M. le Président lève la séance à 10 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 23 SEPTEMBRE 1790. Observations par M. d’IIarmnbure sur la répartition de l'impôt foncier entre chaque département, district, canton, municipalité et entre chaque contribuable . 1. La répartition de l’impôt foncier ne sera d’abord que provisoire dans l’année 1791 ; mais, avant la fin de la même année, elle sera portée à son vrai taux qui pourtant ne sera définitif que que dans l’année 1793. 2. L’année 1792 sera accordée à chaque département, district, canton, municipalité et à chaque contribuable, pour redresser, par le ministère de commissaires nommés à cet effet, les erreurs et inégalités qui auraient pu avoir lieu dans la répartition de 1791. 3. Néanmoins le recouvrement de l’impôt se fera d’après la première répartition dont il va être parlé ci-après. On sentira qu’il n’y a pas le moindre inconvénient à cette recette provisoire, puisque la diminution ou l’augmentation de la cote d’imposition de chaque contribuable aura lieu par des sous pour livre en augmentation ou en diminution; ce qui n’oblige à aucune opération compliquée, de la part des percepteurs, ni de celle des contribuables. 4. On prendra pour base de la répartition de l’impôt foncier, la somme que se vend communément, et d’après la notoriété publique, l’arpent de terre dans chaque canton du royaume, en le distinguant seulement par première, deuxième et troisième qualité (1) et quels que soient les productions et fruits que rapportent ledit arpent, ainsi que sa valeur ; ce qui n’inlirme, en aucune manière, la base proposée. (i) J’entends la première, deuxième et troisième qualité de terres labourables, des prés, des vignes et des bois. | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]23 septembre 1790.] Exemple de la manière d’imposer un arpent de terre qu'on estime se vendre communément 400 livres. 5. On prendra pourrevenu net présumé, 2 1/20/0 de la somme de 400 livres qui fera la somme de ............................. 10 liv. » s On imposera le quart du revenu net présumé, qui sera par an ..... 22 10 Nota. Le même procédé aura lieu pour les arpents, acres, mesures, sous quelques dénominations qu’elles soient dans le royaume, et quelles que soient la culture et la production desdites mesures de terre. 6. Chaque municipalité fera le rôle de son imposition foncière d’après ce procédé. La cote d’imposition étant finie, elle y joindra l’impôt d’habitation, celui du citoyen actif, celui des domestiques mâles et femelles, celui des chevaux, la taxe fixée par les décrets sur les terres incultes, ainsi que celles sur les terres nouvellement en valeur, qui sont exemptes d’impôts pendant le laps de temps fixé par les précédents décrets. Il sera fait une addition de ces différentes sommes afin d’avoir le montant de l'impôt foncier de la municipalité signé d’elle; copie en sera envoyée au directoire du district, qui, après avoir envoyé des commissaires vérificateurs dans chaque municipalité l’adressera à l’Assemblée nationale, signée des membres du directoire du district. 7. L’Assemblée nationale, ayant reçu les rôles de l’impôt foncier de chaque district, fera faire une addition du montant des rôles de tous les districts du royaume. 8. Si la somme se trouvait excéder celle qu’elle a voulu retirer de cet impôt, on calculerait ce que la somme excédante fait de sous ou de deniers par livre sur la somme totale, et elle décrétera qu’il soit diminué tant de sous ou tant de deniers par livre sur la cote d’imposition de chaque contribuable à cet impôt. Si, au contraire, la somme se trouvait moindre, elle la porterait à son vrai taux par des sous ou deniers par livre additionnels. n 9. Si quelque district négligeait d’adresser les rôles de son imposition, il serait provisoirement taxé d’office, sauf à obtenir d’être rectifié l’année suivante. 10. L’Assemblée nationale rendra public, par la voie de l’impression, le montant des rôles de district, afin que chaque municipalité, chaque district, chaque département puisse se convaincre, par la vérification de commissaires, que tous supportent l’impôt avec une égalité proportionnelle à leur richesse. 11. Les bonifications que pourront produire les vérifications des commissaires seront portées en diminution sur tous les contribuables par des sous pour livre, en déduction de la cote d’imposition de chaque contribuable. Observations en faveur de ce mode d'imposition. Déjà l’Assemblée a décrété, qu’il serait fait des sections des maisons et des biens des propriétaires dans chaque municipalité; Que des commissaires de la municipalité et des propriétaires seraient chargés de ce travail ; 4ra Série, T. XIX. 177 Que les propriétaires déclareraient leurs biens en quotité et en revenu net; Celte première opération rend prompt et facile le mode d’imposition que je propose. Il n’y a pas un cultivateur qui ne soit en état de le concevoir et de l'exécuter. On observe qu’il est illusoire d’établir la répartition de l’impôt sur le revenu net. Tel contribuable prouvera que son revenu net se réduira à peu de chose ; au lieu qu’en l’établissant sur le capital de la valeur présumée de l’arpent, personne ne peut se plaindre d’une taxe arbitraire ; car les estimateurs pourraient dire au propriétaire qui se plaindrait : « Voulez-vous donner votre terre à ferme au prix qu’on l’estime ? on vous offre un fermier. » Il n’y a pas un canton dans le royaume où l’on ne sache, par la notoriété publique, ce que se vend communément l’arpent de terre de première, deuxième et troisième qualité. Ce mode excite à bien cultiver sa terre, afin de pouvoir en payer l’impôt et en tirer un revenu. Ce serait un grand malheur de voir laisser, par des propriétaires négligents, des terres sans culture. Ou voit que le résultat de cette opération termine une question bien embarrassante dans l’Assemblée nationale, puisqu’elle fixe, en moins de sept mois, ce que payera chaque département, district, canton, municipalité et chaque contribuable. On doit bien se pénétrer de la facilité avec laquelle les plaignants se feraient rendre justice s’il y avait lieu. Leur plainte ne pourrait porter que sur trois observations aisées à résoudre: La première, si on leur avait supposé un plus grand nombre d’arpents ou de mesures de terre qu’ils n’en ont ; La deuxième, si l’on avait estimé trop haut la valeur de l’arpent; La troisième, si leur voisin était favorisé. Les commissaires, aidés des experts et de la notoriété publique, résoudraient facilement ces questions. Je prie également qu’on se persuade que j’ai eu en vue principalement de proposer un mode commode et certain, pour assurer une répartition bien proportionnelle à la fortune de chaque propriétaire. Il est égal qu’on paye plus ou moins, mais ce qui serait intolérable, ce serait d’être taxé arbitrairement. Le mode qui fera éviter ce dernier écueil sera un des grands bienfaits de la Constitution. J’ai fixé provisoirement l’impôt au quart du revenu net présumé, ayant pensé qu’il valait mieux être dans le cas de diminuer que d’augmenter. J’ai pensé, avec quelques bons esprits à qui j’ai communiqué cette idée, répondre à la juste impatience de l’Assemblée, puisque, par ce procédé simple, on peut, en deux séances, assurer la répartition, l'assiette et le recouvrement de l’impôt foncier dans tout le royaume, pendant l’armée 1791. Tout ce travail peut être terminé en sept mois, sous la responsabilité des corps administratifs; et je demande qu’ils soient soumis à cette responsabilité dans cette importante opération, par la raison qu’elle est démontrée facile, à la portée de tout cultivateur et de tout officier municipal, que d’ailleurs il en résulte un. cadastre assez parfait, sans aucuns frais importants. Les différents administrateurs doivent se bien 12 178 [Assemblée nationale.) pénétrer que c’est à une association de 24 millions d’hommes, à qui ils sont chargés de rendre justice sur un des points sur lequel il leur importe le plus de l’obtenir. J’ajouterai encore une considération très propre à faire désirer d’adopter un mode qui, du moins, sans avoir de grands inconvénients, rende justice prompte à chaque contribuable. On sait que le vexin français, l’ile de France et quelques autres provinces sont trop taxées par l’imposition faite sur les anciens privilégiés en 1790, pour en voir prolonger la méthode injuste pendant l’année 1791 ; ce qui ne manquerait pas d’arriver, si l’on tarde à prendre un parti sur cet important objet. Il y a des propriétaires dans ces provinces, qui payent la moitié ou le tiers de leur revenu. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du vendredi 24 septembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Gillet-Lajacquemiiiière, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. Il est adopté. Un de MM. les secrétaires annonce une adresse des marchands armuriers de la ville de Paris, qui demandent une indemnité pour les dommages qui furent causés chez eux les 13 et 14 juillet 1789, lorsqu’on s’empara de leurs magasins. Cette adresse, avec les pièces qui y sont jointes, est renvoyée à la municipalité de la ville de Paris. Adresse des négociants de Cette, par laquelle ils demandent à l’Assemblée nationale la faculté d'établir une chambre de commerce et une bourse, pour se réunir journellement, comme dans les autres villes maritimes, et d’imposer, en conséquence, et lever sur les négociants telle somme qu’ils aviseront nécessaire pour l’achat ou louage d’une maison ou lieu qui sera appelé Bourse, et autres frais indispensables; ils démontrent, très au long, l’avantage qui résulterait d’une telle réunion, pour l’accroissement du commerce dans les ports de mer : ils protestent de leur entier dévouement pour les décrets de l’Assemblée nationale, et la préviennent qu’ils ont formé provisoirement, du consentement de la municipalité, un directoire composé de sept membres, pour la décision des seuls objets qui ne pourraient souffrir aucun délai, lesquels sont en grand nombre dans les circonstances présentes. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la liquidation de la dette publique. M. d’Elbecq. Je ne connais pas assez les grandes opérations de finances pour vous présenter mon opinion particulière sur la grande et importante question qui est soumise aujourd’hui (1) Cette séance est incomplète au Moniteur . (24 septembre 1190.) à votre délibération ; mais il est de mon devoir de vous faire connaître le vœu de la ville de Lille, une des plus grandes et dés plus florissantes du nord de la France, par son commerce et ses manufactures. Elle m’a chargé de vous faire part de ses inquiétudes sur l’émission de 2 milliards d’assignats-monnaie, et voici comment elle se résume dans un mémoire que vous ont envoyé à chacun en particulier ses députés extraordinaires (1) : « En payant en assignats forcés la dette nationale exigible, tout l’argent disparaît, tous les ateliers se ferment, les ouvriers de toutes les classes se trouvent sans travail et sans pain, les denrées et les marchandises augmentent, de manière que toute balance est rompue au dehors comme au dedans; enfin le commerce national est anéanti. Si la nation se libère, au contraire, par des quittances de finances, tous nos maux sont finis, la confiance renaît, le capitaliste ouvre ses coffres, le fabricant rappelle tous ses ouvriers, et tous les Français heureux bénissent la Constitution. » M. de Foucault. Je demande qu'on indique une assemblée extraordinaire ce soir, pour lire les adresses de province que nous recevons tous les jours, pour, sur et contre les assignats, afin que l’Assemblée soit à portée de connaître le vœu de la nation entière, avant de se déterminer sur un objet aussi important. (L’Assemblée, consultée, remet cette lecture à l’ordre de deux heures.) M. de La Galissonnière (2). Messieurs, votre comité des finances vous a présenté un aperçu approximatif de la dette exigible, montant à 1,900 millions; il vous propose deux moyens pour la payer : Le premier, une émission de 1,900 millions d’assignats en papier-monnaie forcé, ne portant pas intérêt; Le second, une émission de quittances de finance de pareille somme, portant intérêt à 5 0/0. Les opinions sont partagées sur ces deux moyens, et dans cette Assemblée même les idées ne sont pas fixées. Celles du public sont flottantes; il n’est personne qui ne soit effrayé sur un résultat dont les effets, en changeant la face du royaume, vont prononcer sur les destinées de la France. L’opinion de Paris semble pencher vers les assignats : l’opinion de la grande majorité des provinces y est formellement contraire. Nous ne pouvons nous dissimuler que les provinces constituent le royaume ; sa capitale, quelque intéressante qu’elle soit, ne peut être qu’un objet de considération, mais non un motif déterminant, le vœu des provinces doit donc être consulté ; car, en dernière analyse, leur volonté fera toujours la loi : et, à cette occasion, Messieurs, je ne dois pas cacher mon étonnement d’avoir entendu un membre de cette Assemblée, avancer, dans la séance du 10, des idées totalement destructives de la soumission et du respect que des représentants doivent aux représentés. Dire que nous voulons des lumières , mais non de corps , parce que nous n'en connaissons plus ; des lumières pétitionnelles , car nous n'avons jamais voulu, nous ne voulons pas, et nous ne voudrons jamais de lois ; (1) Voyez aux Annexes le mémoire de la ville de Lille. (2) Le discours de M. de La Galissonnière n’est que mentionné au Moniteur . ARCHIVES PARLEMENTAIRES.