690 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { des plus intrépides défenseurs des droits du peuple, aussi ses ennemis l’ont-ils arraché à la vie. « Je meurs, dit-il en montant sur l’échafaud que ses bourreaux avaient dressé pour l’immoler, je meurs pour la liberté, je serais trop heureux si ma mort pouvait en assurer le triomphe; je n’ai qu’une seule grâce à demander à l’Etemel, c’est d’être la dernière victime. » « Citoyens représentants, le conseil général de la commune de Paris a, en conséquence, arrêté le 25 de ce mois, de donner une fête civique où se fera l’inauguration du buste de ce nouveau martyr de la liberté. La fête aura lieu demain décadi. Nous sommes chargés, citoyens représentants, de vous inviter à y assister. « Le cortège partira de la place de la Bastille à 10 heures pour être rendu à 11 heures à la maison commune où la députation de la Con¬ vention nationale est invitée à se rendre, pour de là se transporter aux différents lieux que le programme indique. « 29 frimaire an II. » Commune de Paris. Fête civique en l’hon¬ neur DE CHALIER, MARTYR DE LA LIBERTÉ. Arrêté du conseil général, du 25 frimaire, Van deuxième de la République française une et indivisible (1). Le conseil général, voulant célébrer avec pompe l’inauguration du buste de Châlier, martyr de la liberté, a arrêté que cette céré¬ monie aurait lieu le 30 de ce mois, et que l’ordre et la marche de cette cérémonie seraient exécutés ainsi qu’il suit ; et pour instruire le peuple des vertus de ce patriote célèbre, il a cru devoir rendre publiques les principales actions de sa vie. Châlier, né à Beaulard, dans le ci-devant Dauphiné, a été, à l’âge de quarante-six ans, assassiné à Lyon, le 16 juillet dernier, par des juges qui furent ses bourreaux. Ses actions, dont ils ont fait des crimes, sont sans nombre. Les voici : Vertueux par goût, patriote par instinct, il fut l’ennemi implacable des aristocrates, des feuillantins, des modérés, des égoïstes, des usuriers et de la caste sacerdotale fanatique, tous ennemis irascibles de la liberté. Il fut surtout le fléau du négociant avide et corrompu, l’ami du pauvre et le défenseur intrépide du peuple ; rien que la mort n’élait capable d’expier ces forfaits. Son entrée dans la carrièr révolu¬ tionnaire avait semblé le lui présager. Désigné par la voix publique pour composer la première municipalité de Lyon, et redoutant les honneurs, il part pour la Sicile où il avait une créance considérable à recouvrer. Le gou¬ verneur du despote, effrayé de son langage populaire, lui enjoint de quitter cette contrée sous vingt -quatre heures. Qui aurait cru que la ville de Lyon, où il était connu par sa probité, par la pureté de ses mœurs, par sa philanthropie, où il avait un commerce florissant, serait pour lui mille fois (1) Archives nationales , carton G 285, dossier 826. plus barbare que ne l’avait été la ville de Pa¬ ïenne ? Elu aux places les plus importantes, on le vit successivement électeur, officier municipal, membre du comité militaire et de celui des im¬ positions, membre de police, président du tribunal de commerce et président du tribunal de district. Travailleur infatigable et propre à tout, il se multipliait pour servir le peuple, le peuple qu’il a tant aimé, en même temps qu’il cherchait à l’instruire dans les Sociétés populaires, dont il était un des plus fermes soutiens. Quelle énergie, quel courage n’y-a-t-il pas déployés? Il soutient le patriote abattu, stimule celui qui vacille, fait trembler les malveillants, et porte partout l’espérance ou l’effroi. Une conduite aussi vigoureuse devait sou¬ lever contre lui tous ces petits tyrans, ces sangsues du peuple qui dévoraient la subsistance des ouvriers de cette trop fameuse cité. Aussi vit-on s’évertuer contre lui toute la gent musca-dine; propos inventés, lettres controuvées, journalistes stipendiés, tout fut employé pour le rendre l’homme le plus affreux; on osa inter¬ préter son regard, ses gestes, sa pensée; son silence même fut quelquefois un crime. Est-il étonnant qu’un tribunal contre-révolutionnaire nécessairement avide du sang d’un patriote aussi prononcé, l’ait fait monter sur l’échafaud, où il a trouvé la gloire avec la mort. Vertueux républicains, écoutez Châlier, condamné, con¬ duit au supplice, expirant, et jugez. Le président du tribunal présente un tableau de la procédure; les jurés se retirent pour délibérer, et Châlier est conduit dans un cabinet. S’y livrt -t-il à la douleur, la frayeur s’empare-t-elle de tous ses sens? Non... il s’endort. Les jurés le condamnent; il excipe du décret qui défend de juger les prisonniers du 29 mai; vaines réclamations. « Eh bien, s’écrie-t-il, craignez le retour de Matines, si ce n’est pas dans un mois, ce sera dans deux. » Comptant sur le génie tutélaire de la Bépublique, il voue tous ses juges à la mort et prononce leur sentence. « Le citoyen Moulin, dit-il, fera imprimer, dans la présente semaine, le plaidoyer qu’il a prononcé pour ma défense, avec la note dont j’ai donné lecture, ainsi que les noms des jurés et des juges qui ont prononcé mon arrêt de mort. » Il entend de sang-froid cet arrêt, et dans le moment même, il voit Bertrand, son ami, maire de la ville, que les barbares avaient précipité comme lui dans les cachots. « Adieu Bertrand, le plus tendre de mes amis, je vais mourir; mon heure est venue, ne crains rien, Châlier saura mourir d’une manière digne de la cause qu’il a soutenue. » Dans ce moment terrible, pour tant d’autres, il voit un de ses amis fondant en larmes : « Pourquoi t’affliger, lui dit-il, la mort n’est rien pour celui dont les intentions furent droites et dont la conscience fut toujours pure; quand je ne serai plus, mon âme ira se perdre dans le sein de F Eternel, dans cette immensité qui nous environne. » Le moment fatal arrive. « Partons, s’écrie-t-il avec fierté, l’heure de mon triomphe est arrivée. » Lorsque l’exécuteur lui attache les mains : «Pourquoi m’attacher les mains, crains-tu que je veuille m’échapper. » [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEM EN l' AI RES. j g dSibre'îras 691 Indigné de ce que l’exécuteur ose lui arracher un petit bonnet de la liberté qu’il avait recom¬ mandé d’attacher à son habit : « Ils m’ ôtent, les scélérats, tous les emblèmes de la liberté; mais Châlier a la liberté dans le cœur, rien ne pourra la lui ravir. » Il s’entretient tranquillement avec le prêtre qui l’accompagnait. « Mon ami, on dira que Châlier est un lâche et qu’il devait se donner la mort, mais sache qu’il y a de la faiblesse à se la donner et non à la recevoir. » Arrivé au pied de l’échafaud, il regarde avec un visage serein les cafés qui environnent la place, les spectateurs et l’échafaud; il y monte d’un pas assuré, et il adresse ces paroles au prêtre, son ami : « Dis au peuple que je meurs pour la liberté que je serais trop heureux si ma mort pouvait la consolider; je n’ai qu’une seule grâce à de¬ mander, c’est d’être la seule victime. » Monté sur l’échafaud, il dit : « Je donne mon âme à l’Eternel, mon cœur aux patriotes et mon corps aux scélérats. » On avait porté la barbarie jusqu’à disposer la guillotine de manière que chaque coup le mutilât sans le frapper de mort. Cinq fois, le fer fatal descend pour lui faire cinq nouvelles blessures; le croirait-on ! Insensible à la dou¬ leur et ne pensant qu’à la patrie, il agite sa tête mourante et crie au bourreau : « Attache -moi donc une cocarde, je meurs pour la liberté. » Ainsi vécut, ainsi mourut Châlier; républi¬ cains, voilà notre modèle. Ordre de la marche du cortège. I. Corps de gendarmerie à cheval, précédé de ses trompettes et d’une enseigne portant cette inscription : A la mémoire de Châlier, assassiné à Lyon four la liberté. II. Corps de sapeurs, précédés de deux ban¬ nières; la première qui servira d’indication, portera ces mots : Paroles de Châlier, gui ont servi de motifs à son accusation. Deuxième bannière ayant pour titre, Premier chef d'accusation, et pour inscription : « Partout j’avais observé et réfléchi sur le despotisme, la tyrannie et les abus de tous genres; partout j’ai vu le peuple opprimé. » III. Canonniers, précédés d’une bannière portant cette inscription : Deuxième chef d’ accusation. «Si j’eusse été nommé à la Convention natio - nale, la faction brissotine, dont je connaissais les trames, n’aurait pas fait autant de mal. » IV. Tambours. V. Sociétés populaires, précédées d’une bannière portant cette inscription : Troisième chef d’ accusation. « Jurons de purger la terre de la liberté de tous les scélérats. » VI. Députations des sections, précédées d’une bannière portant cette inscription : Quatrième chef d’ accusation. « Les modérés ont du jus de pavots; les acca¬ pareurs de l’or fluide, les perturbateurs de l’écume de soufre; les réfractaires de l’extrait de ciguë. » VII. Comités révolutionnaires des sections, précédés d’une bannière portant cette inscrip¬ tion L Cinquième chef d' accusation. « Nous ne pouvons atteindre les ennemis de la République que par des lois révolutionnaires. » VIII. Commune du 10 août, suivie des muni¬ cipalités voisines, précédée d’une bannière ayant pour inscription : Sixième chef d’accusation. Mettes la main sur mon cœur et vous sentirez ce qu’il souffre; mais un républicain doit étouffer la nature pour obéir à son devoir. IX. Juges de paix, commissaires de police et officiers de paix, précédés de deux bannières, l’une ayant pour inscription indicative : Prophéties de Châlier. La seconde ayant cette inscription : Première prophétie. Boland trahira tôt ou tard la chose publique. Rappelez-vous en... Qui vivra verra. X. Le corps électoral, précédé d’une bannière portant cette inscription : Deuxième prophétie. « Si l’on ne met pas en état d’arrestation tous ceux qui ont le plus contribué aux malheurs de notre cité, que de sang vous verrez couler! XI. Les tribunaux civils et criminels. XII. Le tribunal révolutionnaire. XIII. Grand corps de musique. XIV. Première moitié du conseil général de la commune, précédée d’une bannière portant cette inscription : Troisième prophétie. Aristocrates, feuillantins, rolandins, égoïstes, modérés, égarés, tremblez; à la première atteinte qui sera portée à la liberté, les ondes ensanglantées de la Saône et du Rhône charrieront vos cadavres dans les mers épouvantées ! XV. Char de triomphe, sur lequel sera placé le tombeau de Châlier, surmonté de l’urne dans laquelle ses cendres sont renfermées; une renommée couvrira cette urne de la couronne de l’immortalité; de chaque côté seront assis deux députés de Commune-Affranchie, victime, comme Châlier, des aristocrates, présentant au peuple les restes de ce martyr, leur concitoyen et leur ami, et apportant des couronnes pour les défenseurs de la patrie ; le devant du char offrira un autel, sur lequel sera placée la tête de Châlier recouverte d’un crêpe, orné d’une couronne et de guirlandes de cyprès. La figure du fer qui a tranché ses jours sera peinte sur la face du piédestal; au-dessous seront écrites ces paroles remarquables : Que je serais heureux si ma mort pouvait servir à V affermissement de la liberté ! Le char sera entouré des autres députés et des patriotes de Commune -Affranchie. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j JJ $“*£“793 692 Aux quatre coins du char seront placés : 1° Les élèves de la patrie, portant une ban¬ nière ayant cette inscription : Il est notre modèle, nous saurons limiter. 2° Les défenseurs de la patrie blessés dans les combats, portant une bannière ayant cette inscription : Comme Châtier nous eussions voulu perdre la vie. 3° Les veuves des défenseurs de la patrie» portant une bannière ayant cette inscription : Ne pleurons point nos époux; ils partagent sa gloire. 4° Les vieillards, portant une bannière ayant cette inscription : O Patrie! Si nos bras ne peuvent plus te défendre, nos conseils enflammeront le cœur de tes enfants. La seconde moitié du conseil général de la commune. XVI. Le département de Paris. XVII. Les ministres. XVIII. Les vétérans de la maison des Inva¬ lides précédés d’une bannière portant cette ins¬ cription : Que nos forces rt égalent-elles notre courage ! XIX. Les aveugles, dans un char, portant une bannière ayant cette inscription : Nous voyons Châtier dans ses vertus. La marche sera fermée par un corps de cava¬ lerie. La force armée formera la baie des deux côtés du cortège pour en maintenir l’ordre et le déve¬ loppement si nécessaires à la majesté d’une fête. Le cortège se réunira le décadi 30 frimaire, à dix heures du matin, dans la grande rue du faubourg Saint -Antoine. Le rang que chacun des groupes devra tenir sera indiqué par des jalons placés dans cette rue à des distances convenables; les jalons auront douze pieds de hauteur, afin d’être plus aisément aperçus. Le cortège se rendra à la maison commune par la rue Saint-Antoine, la rue du Martroy et l’arcade Saint-Jean. Il sera établi, au fond de la cour de la maison commune, à la place qu’occupait le tyran Louis XIV, un autel consacré à la liberté. Les concitoyens de Cbâlier monteront le buste de cet illustre martyr, et le présente¬ ront au conseil général; le buste sera reçu et placé par le maire et les membres du conseil, sur la console qui lui est destinée, dans la salle de l’Assemblée générale. Le cortège reprendra la marche, suivra les quais jusqu’au pont Notre-Dame; la rue Saint-Martin jusqu’au boulevard; les boulevards jusqu’à l’arc de Triomphe, au-devant du théâtre de la rue Favart; là, le char s’arrêtera bous l’arc de Triomphe, au-dessous duquel Bera suspendue une couronne de chêne. Les deux députés descendront du char pour poser une couronne sur la tête de Marat, qui sera élevé sur un sarcophage dans l’état où il était lorsqu’il a été poignardé. Les deux députés remonteront ensuite sur le char, et le cortège se rendra par les boulevards et la rue des Capucines à la place des Piques, où les députés quitteront encore le char pour porter une couronne civique à l’effigie de Le Peletier, qui sera posée sur un lit couvert d’une draperie, soutenue par des faisceaux. Le cortège se rendra de la place des Piques aux Jacobins par la rue Saint-Honoré. Des commissaires de la Société des Amis de la liberté et de l’égalité, qui y tient ses séances, viendront recevoir des mains des députés de Commune -Affranchie le buste de Châlier, dont la Société fera l’inauguration. Le cortège se rendra ensuite à la Convention nationale, en suivant la rue Saint-Honoré, la rue Saint-Nicaise et la place de la Réunion. Les députés présenteront aux législateurs le buste et les cendres de Châlier et l’effigie de la tête mutilée de ce martyr de la liberté. La musique exécutera des airs lugubres depuis la place de la Liberté jusqu’à la maison commune. Pendant le reste de la marche, et aux différentes stations, elle exécutera des symphonies héroïques en réservant les princi¬ paux morceaux pour les stations. Le conseil du département du Tarn écrit que la ville de Castres, chef-lieu de ce départe-_ ment, est totalement purgée des professeurs du mensonge; ses églises sont métamorphosées en magasins de fourrages, et la ci-devant cathé¬ drale en temple de la raison. Encore quelque temps, et le département du Tarn ne connaîtra d’autre culte que celui de la liberté et de l’amour de la patrie. Insertion au « Bulletin » (1). Suit la lettre du conseil du département du Tarn (2). Le conseil du département du Tarn, à la Convention nationale. « Castres, le 21 frimaire, l’an II de la République française une et indivi¬ sible. « Et nous aussi, nous sommes les témoins du triomphe de la raison sur le fanatisme et la superstition. Déjà les apôtres jurés des pré¬ jugés religieux déchirent eux-mêmes le masque dont ils s’étaient couverts et se montrent à nu à leurs ci-devant fidèles. La ville de Castres, chef-lieu de ce département, est totalement purgée des professeurs du mensonge, ses églises sont métamorphosées en magasins de fourrages et la ci-devant cathédrale en temple de la raison. C’est dans cet asile, autrefois le repaire de la mollesse et de l’erreur, que se réuniront indistinctement tous les citoyens pour se péné¬ trer des principes éternels de la vérité et de la morale universelle. Les abdications de plusieurs curés de campagne nous font présager que les mêmes progrès germeront dans les autres dis¬ tricts; nous hâterons par tous les moyens qui sont en notre pouvoir le terme de cette révo¬ lution salutaire; encore quelque temps, et le département du Tarn ne connaîtra d’autre culte que celui de la liberté et de l’amour de la patrie. ( Suivent 12 signatures.) (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 318. (2) Archives nationales, carton G 285, dossier 826.