338 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1790.] grands maux, de faire cesser ceux qui peuvent finir sans injustice, sans désordre et sans secousse politique. Nous n’avons parlé, jusqu’à présent, que des dons, des concessions, des brevets consentis en faveur d’étrangers, II en est de moins odieux, de moins défavorables ; ce sont ceux qui ont été accordés à des parents quelconques des fugitifs, à la charge de rendre à des parents plus proches, s’il s’en présentait : pour ceux-là, nous avons crU qu’ayant une raison de posséder, ils ne doivent être' assujettis qu’à la réclamation dans les cinq ans, du jour du décret, à moins qu’ils ne pussent opposer la force de la chose jugée qui, comme la prescription, est le terme que tous les légisialeurs opposent aux contestations et aux actions civiles. Enfin, le comité a prévu que les suites inévitables des persécutions d’un siècle entier, les malheurs, les chagrins, attachés à une expatriation forcée, avaient pu anéantir plusieurs familles, ou en disperser les malheureux rejetons dans des climats lointains. D’après cette idée affligeante, il a dû jeter encore dans l’avenir ses regards inquiets, et conserver pour ces Français expatriés ou méconnus, le prix des biens qui, dans le cours de trois années, ne trouveront pas de maître légitime. Car la nation ne peut jamais prescrire la propriété de ces biens, elle ne peut jamais s’approprier sans crime des patrimoines couverts de deuil et de larmes. Je sais que dans l’idiome des domanistes, des jurisconsultes fiscaux et des bureaux ministériels, la confiscation produit l’union au domaine, et que la confiscation prononcée pat* les déclarations des mois d’août 1669, juillet, 1681 et août 1685, fut suivie de l’édit de janvi-r 1688, qui déclare les biens des religion naires prétendus réformés, qui sont sortis et qui sortiront du royaume, au préjudice des édits et déclarations, réunis au domaine, pour être administrés et régis en la même forme que les autres domaines. Mais comment le législateur provisoire pouvait-il prononcer une confiscation des biens par le fait seul? comment pouvait-il faire exécuter des peines sans des jugements qui déclarent des coupables? ou plutôt comment osait-il punir pour des opinions religieuses? et comment osait-il déclarer des coupables pour s’emparer de leurs dépouilles? Cependant il faut l’avouer, le gouvernement fut effrayé de l’injustice de ses propres lois; il chercha d’abord à y jeter un voile religieux, en les consacrant à l’entretien des nouveaux convertis. Bientôt après il démentit les termes de la déclaration de 1688, et fit mettre en régie particulière les biens des religionnaires fugitifs. Ils furent séparés de l’administrai iun des domaines dont ils n’ont jamais pu ni dû faire partie. Ainsi, en aliénant,, pour faire cesser une régie dispendieuse, le peu de biens qui restera à l’expiration des trois années, c’est prendre une précaution sage et économique; la nation deviendra le dépositaire du prix de ces biens, comme elle l’était des biens eux-mêmes. En terminant ce rapport, je ne puis me défendre, Messieurs, du désir de faire passer dans vos coeurs le sentiment profond que m’ont fait éprouver les témoignages donnés par les descendants des fugitifs, de rattachement qu’ils ont conservé pour la France. Depuis que votre décret du 10 juillet a retenti dans les diverses contrées de l’Europe, il est venu de tontes parts à votre comité et à plusieurs membres de l’Assemblée. mille assurances touchantes de la reconnaissance de ces Français envers des législateurs qui_ allaient les rendre à une patrie vers laquelle ils n’avaient jamais cessé de tendre les bras. J’ai dit de ces étrangers malheureux, que ce sont des Français, et c’est leur véritable nom. Oui, Messieurs, ils n’ont jamais cessé de l’être; votre comité vous propose un article aussi juste que politique, qui doit assurer à ces descendants des religionnaires fugitifs, le titre de citoyens français. Encore s’il s’agissait de ces cosmopolites, qui, étrangers dans tous les pays, ne méritent de trouver nulle part une cité ; s’il s’agissait de ces hommes pusillanimes ou orgueilleux, qui fuient la patrie quand elle est en danger, ou quand elle traite ses enfants avec égalité, elle serait moins odieuse l’erreur qui prononcerait des déchéances et des privations civiques. Mais lorsque des lois tyranniques ont méconnu les premiers droits de l’homme, la liberté des opinions et le droit d’émigrer; lorsqu’un prince absolu fait garder, par des troupes, les frontières, comme les "portes d’une prison; ou fait servir sur les galères, avec des scélérats, des hommes qui ont une croyance différente de la sienne-, certes alors la loi naturelle reprend son empire sur la loi politique, les citoyens dispersés sur des terres étrangères ne cessent pas un instant, aux yeux delà loi, d’appartenir à la patrie qu’ils ont quittée. Celte maxime d’équité honora la législation romaine, et doit immortaliser la vôtre. Qu’ils viennent donc au milieu de leurs concitoyens, ces êtres malheureux qui gémissent sur un sol étranger refuge de leurs pères ! la patrie n’a jamais cessé de tourner vers eux ses regards affligés, elle a toujours conservé leurs droits ; qu’ils se rassurent donc: il est déchiré ce code absurde et sanguinaire, que le fanatisme et la cupidité avaient suggéré à des tyrans ; et les législateurs de la France apprennent enfin à l’Europe toute la latitude qu’il faut donner également à la liberté des opinions religieuses et à l’état civil de ceux qui les professent..... M. lîftrrcre, rapporteur, donne ensuite lecture des articles du projet de décret du comité des domaines. (Les articles 1 à 15 sont adoptés sans discussion tels que les propose le ranporteur qui a modifié la rédaction de l’article 12.) M. de Slarsannc présente quelques observations sur l’article 16 et s’oppose à ce que la prescription de trente ans puisse être invoquée par les héritiers de ceux qui ont obtenu des concessions de biens de religionnaires : il dit que ce serait sanctionner une première injustice. M. Barrcre, rapporteur , déclare que le comité des domaines a fait tout ce qu’il a cru praticable, mais qu’il a voulu, en même temps, éviter, par une prescription suffisamment longue, des procès qui seraient interminables et parfois insolubles. (L’amendement de M. de Marsanne est rejeté.) M. de Marsanne observe que le projet du comité n’est pas complet, parce qu’il ne tranche pas u’une manière suffisamment précise ce qui concerne les dons et concessions faits en faveur des parents des religionnaires. (9 décembre 1790. J 359 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. Rarrère répond que cette omission a été réparée dans un article nouveau (art. 1/). L’observation n’a pas d’autre suite. Divers membres formulent quelques critiques sur la rédaction de l’art. 21 (art. 20 du projet primitif), mais ne présentent' pas d’amendements. Après ces observations, le décret est renduaiusi qu’il suit : DÉCRET. L’Assemblée nationale, ayant reconnu, par son décret du 10 juillet dernier', qu’il était de la justice de restituer, aux représentants des religion-naires fugitifs, les biens dont ceux-ci ont été privés dans des temps de troubles et d’intolérance, et voulant pourvoir au mode de la restitution déjà ordonnée, après avoir entendu le rapport de son comité des domaines, Décrète ce qui suit : Art. 1er. Les religionnaires fugitifs et autres dont les biens ont été confisqués pour cause de religion, ou leurs héritiers, sont appelés à recueillir, selon les formes indiquées ci-après, les biens qui se trouvent actuellement dans les mains des fermiers préposés à la régie. Art. 2. Ils seront tenus de se pourvoir par simple requête en mainlevée desdits biens, dans le délai de trois armées, à compter du jour delà publication du présent décret, par-devant le tribunal de district, dans l'étendue duquel lesdits biens se� ront situés; lequel tribunal ne pourra prononcer la mainlevée, qu’après communication au procureur général syndic du departement, et sur les conclusions du commissaire du roi. Art. 3. Ils joindront à leur requête les titres et pièces propres à établir qu’ils sont héritiers de celui qu’ils prétendent représenter, et que les biens, par eux réclamés, proviennent de son chef. Art. 4. Lorsque les titres dn demandeur en mainlevée ne seront pas suffisants pour prouver sa parenté et la propriété des biens par lui réclamés, il pourra être admis à compléter cette preuve par enquête, même de commune renommée. Art. 5. Tous les titres, baux et documents qui sont au pouvoir de la régie, concernant les biens réclamés, seront communiqués, sans déplacer, aux parties intéressées qui pourront s’en faire délivrer copie ou extrait sans frais. Art. 6. Ne pourront les demandeurs en mainlevée se mettre en possession des biens, en vertu des ordonnances qui l’auront prononcée, qu’après l’avoir fait signifier, tant au régisseur ou à ses préposés qu’aux fermiers et détenteurs desdits biens. Art. 7. Les adjudicataires actuels des biens des reli-giomiaires, à titre de rente perpétuelle, avec clause résolutoire, seront tenus d’en laisser la libre possession et jouissance à ceux qui en auront obtenu mainlevée sur la première réquisition, à la charge, par ces derniers, de leur rembourser préalablement les frais de culture, labour et semences, ainsi que lemontantdes sommes que les adjudicataires justifieront, par des procès-verbaux de visite, devis estimatif, adjudication au rabais, réceptions d’ouvrages et quittances d’ouvriers, avoir rayé, lors de leur entrée en jouissance, aux adjudicataires précédents, pour le parfait rétablissement desdits biens, conformément aux clauses de leur adjudication. Art. 8. A l’égard des biens des religionnaires fugitifs adjugés à titre de location, ceux qui en obtiendront la mainlevée seront obligés d’en entretenir les baux; et ils en percevront les loyers, à compter du jour de leur demande. Ils pourront, en conséquence, exercer contre les fermiers toutes les actions résultant desdits baux, à la charge d’en remplir également toutes les clauses et conditions. Art. 9. Pourront néanmoins, ceux qui auront obtenu la mainlevée, faire procéder à la visite deslieux par experts, ou à défaut, nommés d’office ; lesquels estimeront les rêédifications, plantations et améliorations qui se trouveront à faire auxdits biens; et iis sont autorisés à compenser le montant de cette estimation jusqu’à due concurrence avec les sommes qu’ils devront rembourser aux adjudicataires, eu vertu des dispositions de l’article précédent. Art. 10. Dans le cas oùle montant des sommes à répéter d’après l’estimation des experts, excéderait le remboursement à faire à l’adjudicataire, celui qui a obtenu la mainlevée pourra se pourvoir devant les mêmes juges pour se faire payer le surplus par l’adjudicataire. Art. 11. Les baillistes et adjudicataires des biens appartenant aux religionnaires fugitifs, seront tenus de restituer à ceux qui obtiendront la mainlevée de ces biens, le prix des bois et arbres de futaie qu’ils auraient coupés sur ces biens depuis le jour de la publication du décret rendu le 10 juillet dernier, et ce, à dire d’experts accordés ou pris d’office. Art. 12. Les religionnaires fugitifs et autres dont les Liens ont été confisqués pour cause de religion, et leurs héritiers, dont les biens auraient été vendus, ne pourront les revendiquer ; mais il leur sera donné mainlevée et délivrance des rentes constituées par le gouvernement des deniers provenant de la vente desdits biens. Art. 13. Tous prétendants-droit à la propriété des biens, dont la mainlevée sera accordée, seront tenus de se présenter dans le délai de cinq années, à compter du jour de la publication de la prise de possession liesdits biens, prescrite par l’article 6 du présent décret. Lequel délai courra même contre les mineurs sans aucune espérance de restitution. Art. 14. Ceux qui se présenteront dans le délai de cinq