88 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1789.] alternativement dans les chefs-lieux des différents districts de chaque département. » M. SLaujuinais. Je propose par amendement d’ajouter : autant que les localités le permettront. L’amendement est rejeté et l’article adopté. Les deux articles suivants sont décrétés sans discussion : « Art... Les assemblées primaires choisiront les électeurs dans tous les citoyens actifs de leur canton. » « Art.. . Les électeurs choisis par les assemblées primaires de chaque district, choisiront le‘s membres de l’administration de district parmi les éligibles de tous les cantons de ce district. » M. le Président donne lecture de l’article suivant : « Art... Les électeurs choisiront les membres de l’administration de département parmi les éligibles de tous les districts de chaque département. » M. le Président. Il a été proposé par amendement que pour l’administration de département, il y eût au moins un membre de chaque district et par sous amendement qu’il y en eût au moins deux. M. I&ewheïl. Cet amendement gênerait la liberté des votants, qui doivent pouvoir, dans toute l'étendue du département, accorder leur confiance à celui qui la mérite le plus à leurs yeux. J’irai plus loin, et je présenterai une opinion contraire à l’article du comité. Chaque province sera divisée en plusieurs départements ; mais toutes ces parties, quoique divisées, auront toujours quelques intérêts communs. Je crois qu’il serait utile de permettre que tous les éligibles renfermés dans les anciennes limites pussent devenir indifféremment membres de l’un des départements de cette province. M. Moiïgîas «le ISo«|«ïefoü*t. La représentation doit être égale ; elle doit être utile aux représentés : elle serait inégale parce qu’il pourrait arriver que l’un des deux départements d’une province fournît ainsi un plus grand nombre de membres à l’administration. Le but d’utilité pourrait de même n’être pas complètement rempli. Des administrateurs choisis dans le sein même du département, connaissant davantage ses localités, connaîtront mieux ses besoins. M. Defermon. Cette considération ne sera sûrement pas oubliée par les électeurs; ils verront s’il est de leur intérêt de nommer un éligible hors de leur district, ou de choisir des administrateurs dans son sein : laissons leur cette liberté. M. Gaultier de IBîasazat. Il est nécessaire que le district tienne par un ligament au département. L’amendement proposé par M. l’abbé... remplit cet objet. Cet amendement est adopté, et l’article avec ce changement est unanimement décrété, ainsi qu’il suit : « Art... Les électeurs choisiront les membres de l'administration de département parmi les éligibles de tous les districts de chaque département, de manière néanmoins que dans cette administration il y ait au moins deux membres de chacun des districts. » Un cinquième article a été présenté en ces termes : « Art... Les électeurs des assemblées primaires de chaque département, réunis par département, pourront choisir les députés à l’Assemblée nationale parmi les éligibles de tous les départements du royaume. » M. le marquis d’Amfoly. En adoptant cet article, les députés seraient* toujours pris dans les villes principales du royaume. Pour éviter cet inconvénient, je demande que les députés qui seront nommés par chaque assemblée de département soient exclusivement choisis parmi les éligibles du département électeur. M. Garat l'aine. Je ne puis adopter cet avis, parce qu’il me semble que, d’après tous les principes, chaque assemblée de département doit avoir la liberté de fixer ses regards sur les vertus et sur les lumières partout où elles se trouveront. M. Elewbcll. En divisant les provinces, vous vous êtes proposé de détruire l’esprit de province ; si vous adoptez la motion de M. d’Ambly, vous consacrez cet esprit, et vous aurez quatre-vingts provinces au lieu de trente-deux généralités. Nous ne nous considérons pas dans cette assemblée comme députés de tel ou tel bailliage; le parti qu’on vous propose pour les assemblées qui nous suivront les remplira de députés des départements, et non de représentants de la nation. M. Ivoys. Les préopinants poussent un peu trop loin le principe ; ils oublient que les besoins locaux doivent aussi être représentés; ils oublient qu’en adoptant l’article du comité, au lieu d’esprit national, on n’aurait que l’esprit de la capitale et de la cour. Les gens riches qui entourent le trône, et qui font l’ornement de Paris, se sont répandus dans les provinces au moment des élections; ils y ont fait valoir l’influence trop puissante des dignités et de la fortune. Il est vrai que si l’on devait par la suite être soumis aux orages que nous avons éprouvés, ils ralentiraient leurs poursuites. Il n’est pas dit qu’on doive oublier ses intérêts naturels et ceux de sa province pour je ne sais quel esprit général. On réclame la liberté des électeurs; c’est un abus, c’est une illusion ; la liberté réelle doit avoir pour objet d’être bien et de faire le bien de tous. On demande à aller aux voix. On délibère, et la discussion est fermée. M. Ghristin propose cet amendement à l’article du comité : « Et néanmoins qu’il y ait au moins les deux tiers des députés choisis parmi les éligibles du département. » M. le comte de Grillon. Il est très-vraisemblable que, quelle que soit votre décision, les éligibles du département seront le plus souvent choisis. Connus sous des rapports utiles, et par leurs vertus et leurs talents, ils auront un avantage incalculable sur les intrigants qui voudraient lutter avec eux. Je pourrais appuyer mon opinion d’un exemple qui est sous vos yeux, en vous faisant observer combien peu dans cette élection, où l’on avait la liberté d’élire dans tous les ordres, il s’est introduit de nobles ou d’ecclé- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre 1789.] 89 giastiques parmi les représentants des communes, et certes jamais le désir d’être élu ne sera aussi ardent ..... Les murmures qui s’élèvent ne me feront pas douter de la solidité de ces réflexions. On craint les personnes puissantes; mais si elles résident dans le département, elles auront le même droit que les autres citoyens ; si elles n’y résident pas, elle ne pourront arriver à l’élection que par de grandes qualités ou de grands bienfaits. L’intérêt du royaume est que la belle et noble fonction de représentant de la nation soit le prix des talents et des vertus. M. Males. Le grand intérêt de la France est la population, qui fait la richesse des empires; vous ne l’encouragez pas dans les campagnes si vous donnez aux villes une trop grande influence. Si vous permettez que le tiers des représentants d’un département soit pris hors de ce département, aussitôt que le Roi aura publié des lettres de convocation pour une assemblée nouvelle, vous verrez se répandre dans les provinces un essaim de prélats et de gens de cour, que nous avons appelés dans la dernière élection des coureurs de bailliages. N’espérez pas que vous aurez toujours des rois citoyens et des ministres lionnêtes'gens. Quand un gouvernement voudra ressaisir un pouvoir arbitraire, il fera ce que font nos voisins; il cabalera, il intriguera, il corrompra les électeurs et l’Assemblée nationale se trouvera composée d’un tiers de députés engagés, par l’espoir des faveurs ou des emplois, à détruire la constitution. M. le duc de La Rochefoucauld . Je suis autant ennemi du despotisme et de l’anarchie que le préopinant, et cependant je ne partage pas son effroi. Il a cité l’Angleterre ; mais il n’a pas exposé la cause du vice dont il a voulu vous faire le tableau : sur 8 millions d’habitants, à peine cinq cent mille concourent aux élections ; dans les comtés le peuple élit en masse; dans les bourgs l’élection est faite par quinze ou vingt personnes presque toujours dévouées au gouvernement. Vous avez établi des règles qui vous mettent à l’abri de ces inconvénients ; la France aura un avantage que l’Angleterre n’a pas, puisque les administrations intermédiaires feront connaître les hommes dignes de la confiance. Vous avez senti que la qualité d’éligibilité la plus importante était la confiance des électeurs ; et si vous avez une fois dérogé à ce principe en exigeant un marc d’argent, ce n’est pas un motif d’y déroger encore. J’entends murmurer autour de moi contre cette opinion. Des murmures ne sont pas des réponses ; qu’on examine mes raisons, et qu’on juge avec connaissance de cause. Je demande que l’article du comité soit admis sans amendement. M. le comte de Mirabeau. Quand on a eu l’honneur d’être pendant plusieurs mois le témoin et le compagnon de vos travaux, on doit s’attendre à trouver parmi vous une grande défaveur sur l’opinion qui a pour objet de limiter à l’enceinte de chaque département l’élection à l’Assemblée nationale. Nous avons souvent entendu réclamer le grand principe que chacun de nous représente la nation, qu’il est solidaire des intérêts, de la sûreté et de la liberté de toute la France, et non d’un canton, et nous devions espérer de voir toujours accueillir cette réclamation avec faveur. Y a-t-il une autre loi pour l’élection que la confiance de ceux qui élisent, et pouvez-vous en ce sens imposer des lois à vos commettants? Le principe d’élection n’est pas le même pour les assemblées provinciales ; dans une administration locale et de localités, il est profondément juste de choisir pour administrateurs ceux qui ont un intérêt local et la connaissance des localités. On s’appuie de l’exemple de l’Angleterre ; pourquoi argumenter d’un ordre de choses absolument différent, et de la partie même de cet ordre que vous avez reconnue essentiellement mauvaise? Chaque année, le parti des ministres provoque la réforme de la représentation nationale; le parti de l’opposition fait la même provocation, et jamais la réforme ne s’opère ; ce qui est une preuve certaine de la mauvaise foi des deux partis. D’où vient, dira-t-on, celte mauvaise foi ? C’est que chacun se fait une propriété de la corruption politique, en faveur de laquelle la phalange des intéressés agit ..... Ce n’est pas qu’il n’v ait quelque chose de vrai dans les inquiétudes qu’on cherche à nous inspirer; mais ce serait une grande faute de la part du corps législatif de transporter, dans des lois faites pour tous les temps les craintes d’un moment que nous ne verrons plus, et de conserver la trace d’un ordre de choses où il n’y avait ni constitution ni esprit public, dans un ordre de choses où l’un et l’autre se trouveront ..... J’adopte l’article pur et simple du comité, parce qu’il renferme toutes les convenances et tous les principes, en statuant qu’une partie de l’empire sera parfaitement libre de choisir dans toute autre partie l’homme qu’elle croira le plus digne de sa confiance. M. Détncunier. Un des préopinants a redouté les coureurs de bailliages ; il a donc oublié que les électeurs seront tenus de résider dans le département où se fera l’élection ; il n’a donc pas vu que vous êtes disposés à décider que les élections se feront partout au même instant; la lettre de vosdécrets et l’esprit connu de l’Assemblée auraient dû dissiper ses craintes. Alors il n’aurait pas appuyé une opinion contraire à trois grandes considérations. Premièrement, tout député représente la totalité de la nation. Secondement, la confiance des électeurs est le premier titre pour être élu. Troisièmement, restreindre la faculté d’élire, c’est peut-être dans quelques circonstances empêcher les électeurs de faire un bon choix. Au reste, je ne vois pas d’inconvénient à déclarer qu’un tiers des députés de chaque département pourra être pris hors de ce département. M. le Chapelier. Vous portez atteinte à la liberté du peuple en excluant une partie des citoyens du droit d’obtenir sa confiance. La confiance est le prix de la vertu et des talents, il appartient à tout citoyen de décerner librement ce prix; tous ont droit de l’obtenir, il est du devoir de tous de le mériter. Les premières observations de M. Démeunier doivent empêcher de craindre les intrigues errantes dont on s’efforce de vous effrayer. M. Rarnave. C’est parce que l’Assemblée représente la nation qu’elle peut imposer à chaque Qft [AsSémbléê nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 novembre n89.) département telle ou telle règle de représentation. En décidant que les députés ne pourront être pris que dans le département, vous attirerez dans les campagnes ceux des habitants des villes qui ambitionneront vivement les honneurs de la représentation publique; vous rendrez plus active cette utile censure que tous les citoyens exerceront sur tous ceux qui pourront prétendre à les représenter... J’adopte la motion de M. d’Ambly et je propose que dans ce moment, ou dans un autre instant plus opportun, on déclare que la nation, en commettant aux différents départements le choix des députés, est maîtresse de prescrire les règles de l’élection. On demande à aller sur-le-champ aux voix. M. Emmery monte à la tribune, et ne peut Se faire entendre. La motion de M. d’Ambly obtient la priorité. La question préalable est demandée sur l’amendement de M. Christin et l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. La motion de M. d’Ambly est décrétée en ces ces termes : « Art... Tous les députés à l’Assemblée nationale qui seront élus par chaque assemblée de département ne pourront être nommés que parmi les éligibles du département électeur. » M. le Président met en discussion un sixième article proposé par le comité, en ces termes : « Art... Le nombre des électeurs que les assemblées primaires de chaque canton auront à nommer s�era déterminé à raison d’un sur cent citoyens actifs, présents ou non présents à l’assemblée, en sorte que jusqu’à 150 citoyens actifs, il sera nommé Un électeur, et qu’il en sera nommé deux depuis 151 citoyens actifs jusqu’à 250, et ainsi de suite. » M. Robespierre expose les motifs qui le déterminent à penser que les Assemblées nationales doivent être composées au moins de mille députés; il est persuadé que plus elles seront nombreuses, plus l’intrigue aura de peine à s’y introduire, et plus la vérité paraîtra avec éclat. Les mêmes raisons lui font croire que le nombre des électeurs doit être plus grand que le comité ne le propose. M. Rémeunier combat cette observation, et l’article du comité est adopté. Un autre article est présenté; il a pour objet la détermination du nombre des électeurs à élire dans chaque canton pour la formation des assemblées de département et de district. Cet article est renvoyé à demain, ainsi qu’un autre relatif à la proportion à établir entre le nombre des cantons et celui des administrations des membres de district. M. le Président. M. le marquis de Montes-quiou demande à faire Un rapport , au nom du comité des finances , sur l'état financier du royaume. Je lui donne la parole. M. le marquis dé Mohlesquiou (1), Messieurs, le comité des finances a cru qu’il était temps de présenter le résultat de ses travaux. (1) Le Moniteur n’a pas inséré les tableau* Annexés au rapport dé M. de Montesquieu, La bonté avec laquelle vous avez accueilli ses premières observations l’a encouragé à leur donner plus d’étendue. Il a cherché à embrasser l'ensemble des finances du royaume, et à réunir sous un seul point de vue votre état présent, vos besoins, vos ressources et vos espérances. Après avoir assuré une heureuse constitution à l’empire français, malgré toutes les résistances, malgré tous les orages qu’ont fait naître les ennemis de la liberté, il ne vous reste plus qu’à relever la fortune publique, sans laquelle les peuples ne jouiraient pas du grand bienfait qu’ils tiendront de vous. La confusion que nous avons vue régner dans les finances ne doit plus être le sujet de nos regrets, puisque, sans des besoins extraordinaires, nous aurions gémi peut-être pendant plusieurs siècles encore sous le joug du pouvoir arbitraire. Mais, ainsi que le désordre a fait périr le despotisme, il ferait bientôt périr la liberté. Peut-être même les maux dont nous nous plaignons encore tiennent-ils en grande partie à la sourde inquiétude, à cette inquiétude vague que l’avenir inspire à chaque citoyen. Le peuple e3t depuis longtemps écrasé sous le poids des impôts. Il craint encore de recevoir une surcharge nouvelle. Il sait qu’une dette prodigieuse a été reconnue par ses représentants, et il n’applaudira à la loyauté des dépositaires de sa confiance que lorsqu’il n’aura plus à craindre d’en être la victime. Il faut donc promptement entreprendre et consommer ce grand ouvrage, et, pour y parvenir, il ne s’agit plus de combiner les petites ressources de lafiscalitéet de l’agiotage, pour varier lesimpôts et pour solliciter la cupidité. Ces talents si recommandés, et regardés si longtemps comme recommandables, ne feront plus fortune parmi nous. Ils sont finis ces jours de notre enfance. G’est d’un plan général, d’un plan régénérateur, que nous avons besoin. Tous les bons esprits seront en état de le juger, si des moyens simples sont présentés dans un langage intelligible. Il n’est plus permis d’en employer d’autre; et désormais, en finances, tout ce qui n’est pas à la portée de tout le monde n’est plus à la portée de personne. Mais, avant d’adopter aucun système, il faut connaître bien notre situation ; avant de songer à perfectionner le mode de nos revenus, il faut établir une recette assurée; il faut distinguer nettement nos dépenses, nos dettes constituées, et celles auxquelles nous oserons donner la dénomination bien vulgaire, bien triviale, mais très-expressive de dettes criardes. Réduire et déterminer les dépenses, assurer l’acquittement et l’extinction des dettes constituées, rembourser les dettes criardes, et en même temps soulager le peuple, voilà quels sont nos devoirs. Les dettes auxquelles nous donnons ici ,1e nom de dettes criardes ont été dans tous les temps et sont encore le plus grand obstacle à toute régénération. G’est pour y satisfaire, sans causer un grand engorgement dans le payement des dépenses courantes, qu’ont été imaginées ces funestes anticipations qui absorbent à gros intérêts les revenus futurs, et qui rendent l’administration tributaire des capitalistes. Ce sont ces mêmes dettes qui, s’opposant à tous les marchés faits au comptant, et qui, obligeant de laisser dans toutes les comptabilités des objets arriérés, ont fait imaginer ces comptes d’exercice interminables tant que toutes les dépenses ne sont pas soldées ; de sorte qu’au bout de douze années, la situation d’un département, qui