SÉANCE DU 28 FRUCTIDOR AN II (14 SEPTEMBRE 1794) - N°s 43-44 165 43 Un membre observe que depuis quinze jours il a fait remettre au comité des Secours une pétition des réfugiés de la Vendée en la commune de Calais-sur-Anille, département de la Sarthe, par laquelle ils exposent que l’administration de district a cessé, depuis le 14 thermidor, de leur payer 40 sous qu’ils recevoient de la nation, à titre de secours; que ces malheureux sont dans le plus grand besoin; qu’en conséquence il demande que le comité des Secours soit tenu de faire un rapport sur cette pétition dans le délai de trois jours. La Convention décrète cette demande (78). 44 Menuau a fait le rapport suivant : Citoyens, si jamais rapport mérite votre attention toute entière, c’est celui de l’affaire que je viens soumettre en ce moment à votre décision. Vous y verrez un infortuné vieillard aveugle, père de quatre enfans, dont l’un est aussi aveugle, et un autre sourd et muet; vous y verrez, dis-je, ce respectable père de famille ruiné pour avoir négligé de remplir une formalité prescrite par une loi que dans sa triste position, il est bien pardonnable de ne pas avoir connue, et obligé de se voir dépouiller de la seule ressource qui lui reste pour alimenter une famille assez nombreuse, ou bien de payer une seconde fois quelques arpens de terre qu’il est bien constant qu’il a déjà payés. Voici les faits : Par acte devant notaire, duement en forme le citoyen Morisseau acheta des frères Hardy, l’un prêtre, l’autre homme de loi, un petit domaine situé à Croix-Echelles, district de Saintes, moyennant la somme de 24 300 livres. Le contrat est du 19 juin 1790 (vieux style). Il y fut stipulé que le paiement seroit fait dans le délai de quatre mois, temps suffisant pour obtenir des lettres de ratification. Le paiement a été fait à l’époque fixée par le contrat, et la quittance a été donnée par les vendeurs au pied de la grosse dudit contrat : elle est en date du 2 novembre 1790; mais les vendeurs ont été depuis mis en état d’arrestation, par mesure de sûreté générale, et leurs biens séquestrés. Morisseau, aveugle depuis l’âge de quinze ans, ne savoit pas qu’il étoit indispensable que cette quittance fût enregistrée; il pensoit de très bonne foi que pour opérer sa décharge, il lui suffisait d’avoir rempli les clauses du contrat rédigé par un officier public, lequel (78) P.-V, XLV, 252. C 318, pl. 1286, p. 16. Décret n° 10 878. Rapporteur anonyme selon C* II 20, p. 297. contrat avoit été enregistré dans les délais prescrits par la loi. Cette formalité ayant été oubliée, le préposé à l’enregistrement du canton a demandé, le 20 prairial, un nouveau paiement, et il s’est fondé sur la loi du mois de mars 1793, et encore parce que les deux vendéens étaient détenus par mesure de sûreté générale, et l’un deux étant un prêtre réfractaire, et devant être puni par la déportation, son bien devenoit national; et le receveur du droit d’enregistrement ne voyant point de date certaine à la quittance des 24 300 L payées par Morisseau, a dû croire, aux termes de la loi, que cette somme n’avoit pas été payée. Morisseau, au contraire, pensa que pour prouver qu’il avoit payé, et que, s’il avoit négligé une formalité prescrite par la loi, il avoit été de bonne foi, il lui suffisoit de représenter plusieurs actes très authentiques, et notamment un certificat de la commune de Saintes, réunie en assemblée générale, qui attesta que le paiement en avoit été fait dans le temps stipulé par le contrat. Morisseau a fait plus; il a démontré que Hardy, prêtre réfractaire, a placé, six jours après avoir reçu les 24 300 L dont il s’agit, une somme de 15 000 L à titre de rente constituée. Cette rente est maintenant entre les mains de la nation. Malgré des preuves si éclatantes de la vérité du paiement fait par Morisseau, le receveur du droit d’enregistrement, appuyé par la loi et les principes, a continué ses poursuites; mais notre collègue Garnier (de Saintes), alors en mission dans le département de la Charente-Inférieure, convaincu de la bonne foi du citoyen Morisseau, ordonna de surseoir à toutes poursuites, et le renvoya aux comités de Législation et des Domaines, réunis, en observant qu’il étoit constant que les 24 300 L avoient été réellement payées par Moriseau, et que ce citoyen, aveugle depuis l’âge de quinze ans, chargé d’une nombreuse famille, méritoit de fixer l’attention des législateurs. L’épouse de Morisseau a présenté sa pétition à la Convention nationale; elle a été renvoyée aux comités de Législation et des Domaines, réunis, qui fidèles aux principes, ont passé à l’ordre du jour; et attendu les infirmités du pétitionnaire et celles de quelques uns de ses enfans, et attendu aussi les attestations données et jointes à la pétition, ont renvoyé le tout au comité des Secours. Citoyens, vous n’avez point à prononcer sur la validité en la nullité de la quittance des 24 300 L, prix de la vente faite par les frères Hardy au citoyen Morisseau. Cette nullité est certaine; la loi est positive, et les comités de Législation et des Domaines n’ont pu s’en écarter. Mais la position de Morisseau et les faits justificatifs qu’il présente en foule à l’appui de sa réclamation, sollicitent en sa faveur la justice et l’humanité de la Convention nationale. Si Morisseau a commis une erreur, il est au moins certain qu’il a été de bonne foi, et si la loi a voulu prévenir la fraude et la punir, elle n’a jamais entendu envelopper, dans ses dispositions, le citoyen vertueux et simple dont