614 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 février 1790.) hier au comité des rapports. Je voulais lui communiquer des détails sur les insurrections qui s’élèvent dans ma province (le Périgord). Ledit comité était séparé, et je ferai mon rapport moi-même. Je n’ai pas fait de discours étudié. Je ne suis pas venu ici pour entretenir des correspondances avec les ministres. Que tout le monde en dise autant. Je crois que l'origine des troubles des provinces méridionales est dans le Bas-Limousin ; que les chefs actifs des émeutes s’autorisent de l’abolition du régime féodal et se livrent à toutes sortes d’infamies d’après des décrets et des ordres du Roi supposés. Ces chefs convoquent les assemblées de paroisses pour planter le mai et éclairer les châteaux ; c’est le mot d’ordre. Ils vont d’abord chez les seigneurs ; ils les somment d’abattre les girouettes de leurs châteaux, de faire porter sur la place les mesures, du vin, des rubans et des plumes, sous peine d’être éclairés ; ils prennent dans les bois le plus bel arbre qu’ils plantent sur la place et auquel ils attachent les girouettes , les cribles et les plumes avec des rubans et mettent ensuite pour légende : Quittance finale des rentes. Je crois qu’il serait convenable de cantonner dans les villages de la cavalerie qui se joindrait au besoin avec la maréchaussée et réprimerait les violences par la force. Le peuple est bon, mais il est facile à séduire ; il faudrait s’attacher à punir ceux qui l’égarent; j’ai entendu dire à cette tribune que dans dix ans tous les citoyens sauraient écrire ; je n’en crois rien, mais si cela était, je le regarderais comme le plus grand des malheurs. M. Malès. Le moyen le plus efficace de maintenir l’ordre et la paix parmi les hommes, c’est de les éclairer sur leurs véritables intérêts, qui seront toujours d’observer la justice et de respecter la propriété. C’est pour arriver à ce résultat que le comité patriotique de Brive, en Bas-Limousin, a fait répandre à profusion la lettre suivante : LETTRE CIRCULAIRE DU COMITÉ PATRIOTIQUE DE BRIVE AUX HABITANTS DE LA CAMPAGNE. Messieurs et chers amis, Tous les braves gens voient avec la plus grande peine ce qui se passe dans quelques paroisses. Ceux qui forment des attroupements et qui se rassemblent soit pour aller chez les seigneurs, soit chez d’autres particuliers, sont coupables envers la nation et envers le Roi; le Roi et l’Assemblée nationale défendent ces attroupements sous les peines les plus graves. Vous manquez à la loi : vous allez contre les premières notions de la justice et de la raison, quand vous vous présentez en attroupements chez quelqu’un pour manger son pain, pour boire son vin et pour le mettre à contribution. Les maisons doivent être des asiles assurés pour tous ceux qui les habitent, et ceux qui ne respectent pas ces asiles méritent d’être punis. Si des ennemis très étraogers venaient en faire autant chez vous, vous vous plaindriez. Combien ne doivent pas se plaindre vos voisins qui se voient ainsi persécutés par leurs propres concitoyens, par leurs propres frères qui devraient être les premiers à les protéger et à les défendre? Dans vos campagnes où les instructions ne peuvent parvenir qu’un peu tard, où la plupart des habitants, occupés aux travaux de l’agriculture, ne peuvent eux-mêmes s’instruire que lentement; vous vous demandez ce que portent les lois nouvelles, vous vous persuadez tout ce qui peut vous plaire, et vous vous permettez d’agir en conséquence. Nos chers amis, ce n’est pas le peuple qui peut se faire des lois, parce qu’il lui serait impossible de s’entendre, et qu’il n'est pas, d’ailleurs, assez éclairé pour connaître celles qui lui sont nécessaires. Cè sont ses représentants, ses députés qui doivent les faire. C’est le Roi qui doit les sanctionner et les faire exécuter. Laissez donc agir l’Assemblée nationale et le Roi, qui ne travaillent que pour votre bonheur. En attendant, conformez-vous aux lois que -vous connaissez ; elles subsistent toujours jusqu’à ce que les nouvelles soient achevées et soient mises à exécution. C’est inutilement que vous attendriez des lois qui vous permissent d’agir par des voies de fait, et de vous faire justice vous-mêmes. C’est précisément pour éviter ce désordre que les lois ont toujQurs été et seront toujours nécessaires. Croyez-vous qu’il existe jamais des lois qui autorisent le voll Mais qu’est-ce donc que voler? Qu’est-ce autre chose que de prendre le bien d’autrui, ou de forcer quelqu’un à nous donner ce qu’il possède, ce qu’il aurait droit de nous refuser et qu’il nous refuserait s’il en était le maître? La violence n’est jamais permise; si vous prétendez que votre voisin, riche ou pauvre, vous doive quelque chose, vous ne pouvez pas employer la violence pour l’obtenir, vous devez vous pourvoir devant les juges. Ces juges ne sont autres que ceux que vous avez déjà ; ils ont ordre de continuer leurs fonctions jusqu’à ce qu’il en ait été créé d’autres. Quand l’ Assemblée nationale a dit que tous les hommes étaient égaux en droit, elle a entendu seulement qu’ils doivent tous être également protégés par les lois ; mais elle ne veut pas que personne ait droit sur les propriétés d’un autre; elle veut que chacun soit plus assuré que jamais de jouir avec tranquillité de ce qu’il possède. Pourquoi vous persuade-t-on d’inquiéter les seigneurs? ne sont-ils pas hommes comme vous? N’ont-ils pas le même droit que vous à la protection de la loi? Ne sont-ils pas les maîtres de leurs propriétés autant que vous pouvez l’être des vôtres ? Vous voulez donc que la loi soit pour vous, et qu’elle ne soit pas pour les autres ? Mais la loi doit être pour tous. Si les seigneurs avaient ci-devant des privilèges, ils les ont sacrifiés; ils payent la taille, tout comme nous; ils s’empressent de reconnaître qu’ils sont nos égaux, qu’ils n’ont pas plus d’autorité que les autres hommes; plus ils perdent, moins ils méritent d’être insultés; ils ne sont plus à craindre pour personne, il faut donc les laisser tranquilles; mais si nous ne les craignons plü3, nous devons craindre les lois qui nous punissent toujours, et plus sévèrement que jamais si nous n’y sommes pas soumis. Ceux qui ont persuadé ces attroupements dans les paroisses où ils ont eu lieu sont des ignorants ou des méchaDts qui ont trompé les autres; ils ont fait faire des maux infinis qui, tôt ou tard, retomberont sur eux, et peut-être sur la société entière. Nous sommes tous intéressés, les pauvres comme les riches, à ce que nous soyons bien gouvernés. Si nous ne reconnaissons plus de frein ; si par l’effet des désordres de cette espèce, le Roi n’est plus le maître, nous allons tomber dans les mains des nations étrangères qui ne (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 1 16 février 1790.) demandent pas mieux que de nous trouver désunis; alors vous verrez des ennemis redoutables vous rendre tout le mal que vous avez voulu faire. Vous les verrez ravager les maisons du pauvre comme celles du riche, égorger vos femmes et vos enfants, vous exterminer vous-mêmes ou vous réduire à l’esclavage. Connaissez donc, nos chers amis, les suites funestes de vos égarements. Revenez à vous. Vivez tranquilles. Attendez tout de l’Assemblée nationale qui vous prépare un sort heureux pour l’avenir, et d’un Roi généreux et bon qui agit de concert avec elle pour vous le procurer. Nous avons l’honneur d’être, avec un sincère attachement et avec les sentiments d’égalité et de fraternité que doivent professer tous bons Français, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Les membres du comité de Brive. M. l’abbé Grégoire. Je ne crains pas qu’on se range à l’opinion de M. de Foucault sur l’instruction du peuple : la vertu a sa place naturelle à côté des lumières et de la liberté. Des pièces relatives aux faits dont il vous a parlé ont été remises hier au comité des rapports; nous en ferons le dépouillement, nous nous concerterons avec le comité de constitution, et demain, à deux heures, nous vous rendrons compte de ce travail. Permettez-moi seulement d’observer aujourd’hui que les causes de ces événements sont les libelles qu’on répand avec profusion, et l'ignorance dans laquelle on tient le peuple sur vos décrets. Je dois aussi vous faire remarquer, qu’ainsi que dans le mois de juillet, les troubles ont commencé le même, jour dans les diverses provinces où ils ont lieu. Cette identité mérite qu’ou y réfléchisse. M. le marquis de Lafayette paraît à la tribune. Des applaudissements redoublés et prolongés se font entendre. Un profond silence s’établit ensuite. Messieurs, dit l’orateur, l’objet proposé à l’Assemblée est aussi grave que pressant. Déjà plusieurs fois l’Assemblée nationale a témoigné sa douleur, et son indignation même, contre les excès qui lui sont dénoncés aujourd’hui; mais ces excès n’ont pas cessé, ils se multiplient, au contraire, au grand regret des amis de la liberté quiy voient un danger pour elle; des amis de la justice et de l’humanité, qui comptent les infortunes particulières; des amis du peuple, dont le repos est troublé, et la subsistance journalière compromise. Qu’il me soit permis de défendre ce peuple et contre ceux qui l’inculpent et même contre plusieurs de ceux qui le justifient. Le peuple veut avant tout la liberté; mais il veut aussi la justice et la paix; il les attend non seulement de la conclusion de nos travaux, mais aussi de nos décrets provisoires; il les attend du zèle des officiers civils et municipaux qui, s’ils préfèrent à leurs devoirs la popularité, en deviennent indignes ; il les attend aussi de l’énergie du pouvoir exécutif, qu’il ne faut plus chercher sous des ruines, mais là où il est, dans la Constitution; c’est par elle et pour elle qu’il doit agir avec vigueur pour rétablir l’ordre public, sans lequel la liberté n’est jamais ni douce, ni assurée. M. Kmmery a fait sentir combien l’objet soumis à notre discussion est important; mais, avec son importance, il faut considérer son urgence encore. Je conclus avec lui qu’il faut que le comité de 615 constitution présente un projet de décret; mais j’ajoute qu’il doit le présenter dès demain. (De nombreux applaudissements succèdent à ces paroles.) M. le comte de Mirabeau. Je demande que le comité de constitution se concerte avec celui des rapports pour nous présenter, non pas un simple décret, mais un projet de loi qui statue, notamment sur le cas où les officiers civils refuseraient de recourir aux moyens qui leur sont confiés. L’Assemblée adhère à ces deux propositions et arrête que le mémoire sera renvoyé aü comité de constitution, lequel se concertera avec le comité des rapports, et proposera un projet de loi demain ou jeudi au plus tard. M. le Président lève la séance, après avoir indiqué celle du soir pour six heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séance du mardi 16 février 1790, au soir (1). M. le marquis de lia Coste, Vun de MM. les secrétaires, donne lecture des adresses suivantes, contenant des offrandes patriotiques, et des actes d’adhésion et de soumission aux décrets de l’Assemblée nationale. Adresses de félicitation, adhésion et dévouement de la commune de Glamecy, de celle de Saint-Omer et de celle d’Issurville. Adresse de la ville d’Ambronay en Bugey; ses anciens officiers municipaux présentent en particulier leurs hommages à l’Assemblée nationale, et annoncent que l’union la plus parfaite a régné dans la formation de la nouvelle municipalité, que tous les citoyens ont manifesté la joie la plus vive, et surtout les sentiments de l’amour le plus vrai envers le meilleur des rois, dont le nom seul excite l’attendrissement dans tous les cœurs. Adresse des officiers du siège de la Monnaie de la ville de Troyes, qui expriment avec énergie la joie qu’ils ont ressentie à la nouvelle de la mémorable journée du 4 de ce mois; ils prêtent entre les mains de l’Assemblée le serment civique, et déclarent qu’ils font avec résignation le sacrifice de leur état, s’il doit en résulter un meilleur ordre de choses dans l’ordre judiciaire. Adresse de la garde nationale de la même ville; elle exprime la même joie, et prête le même serment que les officiers de la Monnaie. Lettre de M. Guillaume des Deux-Ponts, colonel du régiment des chasseurs de Flandres, en garnison à Sarreguemines, qui annonce queson régiment a entendu avec la plus vive satisfaction la lettre qui lui a été adressée par l’ Assemblée nationale. Adresse de félicitation et d’adhésion de la ville de Montbron ; elle sollicite un chef-Jieu de district, ou du moins une justice royale. Adresse du corpsfdes commerçants, ]marchands, arts et métiers de la ville de Fronton ; il fait le (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.