(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (12 novembre 1789.) Lettre du Roi a l’Assemblée nationale (i). « Paris, le 12 novembre 1789. « Messieurs, j’ai reçu avec sensibilité vos remer-cîments. J'ai donné mes ordres pour former une nouvelle Chambre des vacations du parlement de Rouen. « Vous savez que les lettres patentes qui prorogeaient la Chambre des vacations de ce parlement, ont été enregistrées purement et simplement, et vous avez vu, par l’arrêté que cette Chambre a pris le 10 de ce mois, que celui du 6 n’était pas destiné à devenir public. « Ces motifs me font regarder comme convenable que l’affaire n’ait pas d’autres suites, je pense que la modération et l’indulgence sont les plus sûrs moyens de réunir les esprits aux mêmes principes, et je n’hésite pas à vous dire que c’est le vœu de mon cœur. « Signé : Louis. » La lecture de cette lettre est suivie de nombreux applaudissements dans une grande partie de la salle. Plusieurs membres demandent la parole. M. de Clermont -Tonnerre propose la motion, suivante conforme aux désirs du Roi : « M. le président se retirera par devers le Roi pour le remercier d’avoir nommé une nouvelle Chambre des vacations, déclarer qu’au surplus, voulant donner des marques de son dévouement au Roi, l’Assemblée, usant d’indulgence, consent à ce qu’il ne soit donné aucune suite à l’affaire de la Chambre des vacations du parlement de Rouen. M. le chevalier Alexandre de Lametli. L’Assemblée nationale doit être juste, et non clémente ; elle doit s’en tenir strictement à l’équité; quant au Roi, il peut être indulgent, mais il n’usera de cette indulgence que lorsque l’affaire aura été jugée. M. Dupont (de Nemours ). Messieurs, cette question doit se décidçr par la grande maxime : Pardonner aux vaincus, écraser les superbes. M. Blin. Je propose la motion suivante : « M. le président se retirera par devers le Roi pour l'assurer que l’Assemblée entrera toujours dans ses vues de bonté et d’indulgence pour ses sujets de toutes les classes. > L’Assemblée devient tumultueuse; d’un côté on demande l’ajournement ; de l’autre on crie : Aux voix ! M. le président ne peut se faire entendre. — Le désordre est à son comble. M. le marquis de Foucault, élevant la voix. Quelques membres veulent fatiguer l’Assemblée (1) La. version de la lettre du Roi donnée par le Moniteur n’est pas conforme à la version du procès-verbal del’Assemblée nationale. pour qu’on se retire sans prononcer, mais on se trompe, nous serons infatigables. M. Muguet de Wanthou. Par la lettre du Roi, l’Assemblée est dessaisie de la question et sans examiner si elle a le droit de faire grâce, je crois que cette considération suffit pour prononcer l’ajournement. M. Rewbell. Je demande l’ajournement jusqu’à ce que les malheureux qui sont en prison à cause de la révolution du mois de juillet, soient mis en liberté. (Le tumulte recommence. — La grande maj orité de la salle demande à aller aux voix — L’adhésion à la lettre du Roi paraît évidente.) M. le duc de Liancourt. Plus l’opinion d’a-d’hérer à la lettre du Roi est générale, plus il me semble convenable de se prêter à écouter l’opinion contraire. Le décret que vous avez rendu contre la Chambre des vacations du parlement de Rouen est une chose de nécessité, de justice, mais je crois qu’on peut aujourdhui user de douceur et de clémence. Avant tout et surtout, on doit entendre la discussion. M. le marquis de Foucault. J’insiste pour qu’on aille aux voix. La résistance de quelques membres est une violation des droits de l’Assemblée. M. Rewbell. Il n’y a de dispute et d’altercation que lorsqu’on veut violer les règlements. Quand l’ajournement est demandé, la discussion ne peut être refusée; suivons le règlement et nous aurons la paix. M. le baron de Menou. Je demande l’ajournement en me fondant sur l’article 19 de votre règlement. Cet article porte que lorsqu’un décret aura été rendu, il ne pourra plus être remis en question pendant la durée de la session. Ce n'est pas lorsqu’il s’agit d’un crime de lèse-nation que des législateurs doivent s’attendrir. Ce n’est pas le sentiment, c’est la justice qu’il faut consulter. Si les magistrats de Rouen ne sont pas jugés, le peuple dira qu’il n’y a que les dernières classes qui soient punies et que les hommes puissants ne le sont jamais. Je demande que, si l’on fait race à la Chambre des vacations du parlement e Rouen, on ouvre les prisons à tous ceux qui sont accusés du crime de lèse-nation. M. le comte de Crillon. Justement indignés de la conduite des magistrats de Rouen, vous avez voulu faire un grand exemple et vous l’avez fait. La demande du Roi donne un nouveau degré de justice et d’authenticité à votre décret; mais c’est par les ministres que vous avez été instruits de cet arrêté. Refuser au Roi la grâce qu’il demande, serait aussi barbare qu’impolitique; je m’oppose à l’ajournement. M. le duc d’Aiguillon veut parler et ne parvient pas à se faire entendre (1). M. Le Chapelier. Je trouve naturel que vous vous soyez d’abord intéressés à la demande du Roi; mais après avoir payé ce premier tribut à (1) Voy. aux annexes de la séance l’opinion de M. le duc d’Aiguillon.