758 lA86emblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES [5 février 1791.) Plusieurs membres : Non ! non ! M. ïe Président. Tant que je serai dans le fauteuil, vous n’empêcherez pas qu’un membre ne présenie sa proposition, parce que c’est la loi de l’Assemblée. L’Assemblée a décidé une question Général1 ; mais la question générale peut avoir besoin d’exception. Voilà ce que l’Assemblée n’a pas décidé. M. Pétion. Ma proposition est de savoir si, dans certains cas que la loi déterminera, il ne sera pas accordé d’indemnité à l’accusé absous; je demande que l’Assemblée en renvoie l’examen au comité de Constitution et de jurisprudence criminelle, pour en faire le rapport incessamment. MM. de La Rochefoucauld, Robespierre, de Choiseul-Prasliu et Ruzot appuient la proposition de M. Pétion. Un grand nombre de membres du côté gauche réclament l’ordre du jour. (L’Assemblée adopte l’ordre du jour.) M. Lefort annonce qu’il est de retour d’un congé qui lui avait été accordé par l’Assemblée. M. de Pardieu. Messieurs, je suis chargé d’annoncer à l’Assemblée nationale que le corps électoral du département de l’Aisne, en exécution de vos décrets, a procédé à la nomination de l’évêque de Soissons et que son choix s’est porté sur M. l’abbé Marolles, membre et secrétaire de cette Assemblée. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. de Colbert-Saigmday, évêque de Rodez, qui annonce que sa sauté ne lui permettant pas de faire usage d’un passeport qu’il avait obtenu pour deux mois, il le renvoie à l’Assemblée, en la priant d’agréer sa respectueuse reconnaissance. La discussion sur les jurés est reprise. M. Duport, rapporteur. Nous arrivons maintenant, Messieurs, au titre X (1) qui traite de la manière de former le juré d’accusation. Je vais soumettre à l'Assemblée quelques observations. Il existe quatre classes entre lesquelles les citoyens doivent être choisis pour former et être appelés aux fonctions politiques et publiques : 1° la classe des simples citoyens; 2° celle des citoyens actifs; 3° celle des citoyens éligibles aux assemblées administratives; 4° enfin, celle des citoyens éligibles à i’Assemblée nationale. Nous n’avons pas pensé, et personne ne pensera sûrement que l’on puisse prendre les jurés dans la classe qui est appelée presque exclusivement à vivre de son travail. Quant aux citoyens actifs, nous avons pensé qu’il serait bon, et peut-être nécessaire, de les appeler un jour aux fonctions de juré; mais dans l’origine d’une pareille institution, il nous a paru que ce serait la compromettre. Restreindre la formation du juré aux citoyens éligibles à l’Assemblée nationale, ce serait pousser trop loin la précaution ; d’ailleurs, comme il est de fait que ce n’est jamais dans les deux extrêmes de la société qu’il faut chercher ceux qui pratiquent les devoirs de la justice, nous avons pensé que l’on trouverait ce qui doit former le juré, dans la classe mitoyenne, qui est ordinairement la plus précieuse dans toutes les sociétés. Quelles sont les conditions d’après lesquelles les jurés seront appelés? La voix d’élection n’est pas admissible ici. Reste donc à savoir si les citoyens appelés pour former le juré le seront ou parla voie du sort ou par le choix d’un officier public. Si vous les appeliez par la voie du sort, il faudrait d’abord établir des règles générales d’exception en faveur des aveugles, des sourds et autres infirmes. D'ailleurs, le sort pouvant tomber sur le même homme plusieurs fois de suite et laissant le reste des citoyens dans l’incertitude, personne ne pourrait sortir de son pays. 11 faudra donc former une première liste de gens avertis que, dans l’année ou les trois mois, ils pourraient être maudés comme jurés; la seconde liste serait également formée au sort, et dès lors il n’interviendrait, dans la formation du juré qui doit juger, aucune espèce de choix, ce qui serait très dangereux, car il est des qualités sur lesquelles on ne peut pas transiger, ce sont les qualités nécessaires, et cela du côté de l’esprit, pour que ce ne soit pas un homme privé du sens ordinaire, et du côté de la moralité, pour que ce ne soit pas un homme notoirement connu comme suspect. Ensuite nous avons cru devoir établir le sort, parce qu’entre les hommes égaux c’est la seule manière de choisir, mais à la condition expresse que la première liste ait été formée avec quelque attention et avec choix. Maintenant il ne s’agit plus que de savoir par qui le choix sera fait. Nous avons pensé, Messieurs, qu’il était important que ce choix soit remis à un seul homme. En général, lorsqu’il y a à s’expliquer sur un grand nombre d’individus et à exercer des fonctions délirâtes, jamais je ne conseillerais qu’on le confiât à un corps bon pour conserver, bon pour surveiller, mais jamais pour choisir, parce qu’il n’est pas responsable. C’est donc à un individu seul que je le confierais, par la raison que cet homme est entouré journellement de l’opinion publique. Maintenant je crois qu’il est nécessaire de vous faire remarquer qu’un homme qui choisit 800 personnes, c’est-à-dire 200 par trimestre, et qui par conséquent ne peut jamais avoir eu vue tel fait ou tel homme en particulier dans le choix qu’il fait des citoyens éligibles, est placé dans une situation où il peut faire le bien sans craindre qu’il fasse le mal. Nous avons pensé ensuite que dans la nécessité absolue d’avoir une première énumération de cette liste considérable, ce n’est pas sous le rapport du choix qu’il faut l’envisager, mais sous un rapport plus important qui est celui de l’exclusion des hommes que l’opinion publique demanderait à exclure, et pourquoi elle n’a besoin que d’un organe. C’est dès lors pour ces fonctions seules, que le procureur général syndic est choisi. Si l’on fait attention, d’une part, à la confiance qu’il faut avoir dans les hommes élus par le peuple, si d’une autre on réfléchit qu’il n’y a pas d’autre manière de faire la liste des jurés, je pense que l’avis que nous avons soumis à votre délibération ne souffrira pas de difficulté. (1) Le titre IX a été adopté dans la séance du lor février 1791. M. de Cazalès. La première question que vous ayez à déterminer, c’est d’abord la nature [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 février 1191.) 759 du juré. Une fois cette question posée, toutes les autres s’éclairciront très naturellement. Ain-û je demande d'abord qu’il soit mis à la discussion quelles seront les conditions necessaires pour être appelé à remplir les fonctions de juré. M. l*étion. Votre comité distingue différentes classes entre les citovens. Je vous prie d’observer que l’admissibilité de tous les citoyens aux fonctions de jurés n’a pas les mêmes dang: rs que l’admissibilité aux fonctions d’éb cteurs, ou aux places d’administration. Les jurés subissent véritablement un choix; ils sont soumis à plusieurs récusations. On ne peut concevoir pourquoi votre comité a exclu des fonctions de jurés la niasse des citoyens que vous avez déclaré être citoyens actifs. Messieurs, vous voyez que sans cesse l’inégalité des fortunes ici décide de l’inégalité des citoyens. Voilà déjà, dans plusieurs circonstances, la règle qu’on ne cesse de suivre, c’est-à-dire que sms cesse on humilie la majeure partie des citoyens; parce qu’un citoyen n’a pas telle fortune, on le regarde comme incapable de remplir tel emploi. Il est, Messieurs, contre tous les principes que vous avez adoptés, même contre tous les principes de justice et d’équité, de bannir ainsi, sous le prétexte du défaut de fortune, les citoyens des différents emplois. Je n’approuve pas aussi le choix qui vous est proposé; ce serait, Messieurs, s’exposer à de grands inconvénients que de mettre dans les mains d’un seul homme le droit de faire des élections aussi intéressantes, parce que cet homme pourrait ne pas bien épurer les choix, pourrait avoir des prédilections. Je préférerais que ce choix fût fait par les électeurs de district. Ce choix ainsi fait vous assurerait d’autant plus uue l’on ne prendrait que les hommes capables d’exen er c*js fonctions importantes, des hommes en état de les remplir. Ensuite, Messieurs, il n’y aurait plus qu’une opération infiniment simple à faire, ce serait de tirer au sort sur ceux qui auraient été choisis par les électeurs de district. Je dis en dernière analyse que c’est là la seule objection qu’on puisse faire contre les citoyens actifs. Je maintiens donc que je propose la seule manière de bien composer votre juré d’accusation. Tout ce qu’on peut dire pour exclure les citoyens actifs ne se réduit qu’à une seule et unique question : ils n’ont pas de fortune, et de là ils n’ont ni honnêteté ni lumières. M. de Cazalès. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de répondre aux déclamations du préopinant, à ces déclamations qu’il croit populaires, et qui cependant sont si loin de l’être qu’il serait facile de démontrer qu’elles sont évidemment contre les intérêts du peuple. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’apprendre à l’Assemblée nationale que les propriétaires sont la société elle-même; que c’est par la propriété que la société a été fondée; et que s’il est juste que tous soient soumis à la loi, que tous doivent être égaux en droits devant elle, il n’en est pas moins vrai que toutes les fonctions publiques doivent être remises aux propriétaires pour l’avantage même de ceux qui sont soumis à ces fonctions, pour l’avaniage dos jusiiciables et pour l’avantage des administrés. Je vais donc m’occuper seulement du projet du comité. Votre comité vous propose d’appeler à remplir ies fonctions de jurés tous les éligibles aux places de district et de département : je crois que l’Assemblée nationale doit faire porter cette charge importante aux citoyens qui réuniront les qualités nécessaires pour être élus membres du Corps législatif. (Murmures.) Je vais examiner l’office du juré relativement à celui qui l’exerce; je vais le considérer relativement à l’intérêt de celui qui y est soumis; et je crois que de ce double rapport naîtront les raisons sur lesquelles je motiverai mon opinion. Je commencerai par rappeler à l’Assemblée nationale que pour être éligible aux administrations de district et de département il suffit de payer un impôt direct de 10 francs, ce qui suppose une propriété de 50 livres de rente. Je lui rappellerai que pour être élu à la législature il suffit de payer la valeur d’un marc d’argent, c’est-à-dire un impôt de 52 livres, ce qui suppose une propriété de 250 livres de rente, et une propriété de 250 livres ne me paraît pas, comme l’a dit M. le rapporteur, être dans la classe où se trouvent si souvent les vices de la richesse. Je crois qu’au contraire cette propriété est dans l’état médiocre où M. le rapporteur convient que se rencontrent ie plus souvent ies lumières et les vertus. Les fonctions de jurés doivent être gratuites. M. Thouret s’est indigné de la seule idée qu’il pourrait être nécessaire de les payer. La sainteté du juré, a-t-il dit, serait profanée, sa dignité avilie, sa moralité corrompue, du jour où l’argent deviendrait un ressort nécessaire à son activité. Or, je soutiens qu’à moins du plus extrême besoin, la société n’a pas le droit d’imposer des fonctions gratuites au sociétaire qui n’a pas une fortune suffisante pour se nourrir; car il est une loi de la nature, uue loi plus forte que la fonction sociale, qui veut que tout homme vive; et c’est aller directement contre cette loi que de forcer un citoyen à faire le sacrifice de son travail et de l’emploi de son temps, de ie dévouer gratuitement à des fonctions publiques. Si vous voulez ajouter au prix de la perte du temps qu’essuiera ce citoyen qui a besoin de sou travail pour vivre, et qui rendra son déplacement nécessaire, lorsqu’il sera obligé de se transporter au chef-lieu du département, et que le chef-lieu du département ne sera pas son domicile habituel, vous sentez qu’il est impossible d’imposer une pareille charge à un homme qui n’a que 50 livres de rente, à un homme qui a une propriété insuffisante pour sa nourriture. Si vous adoptez une pareille mesure, il est évident que notre loi se trouvera en contradiction avec la loi plus impérieuse de la nécessité, et sera constamment éludée et violée. Alors se réalisera l’inquiétude qu’out eu ceux-là mêmes qui vous ont proposé l’institution des jurés, qui est que cette institution ne puisse pas se soutenir en France. Un grand nombre de citoyens se refusera à en remplir les fonctions : ce ne sera pas faute d’esprit public, ce sera parce que leur fortune ne leur permettra pas de faire ce sacrifice à la chose publique. De quel intérêt n’est-il pas, pour l’accusé et pour la société entière, que la plus grande autorité que des hommes puissent exercer sur des hommes, le droit de disposer sur leur conscience, sur une simple conviction morale, de l’honneur et de la vie des citoyens, ne soit confié qu’à des hommes qui soient, par leur fortune, indépendants et désintéressés; à des hommes choisis dans cette classe qui, placée entre l’extrême richesse et le besoin, n’a ni les vices de l’une, ni 760 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 février 1791.] les besoins de l’autre, à des hommes qui vivent dans cet état de médiocrité où se rencontrent quasi toujours les lumières, le courage et la vertu ; non que les hommes y soient meilleurs, mais pure que leur éducation est plus généreuse; non que les hommes y soient plus vertueux, mais la pratique de la vertu est plus facile à ceux qui ne sont ni assez grands ni assez petits pour être séduits, ni assez indigents pour pire achetés par des fripons, ou intimidés par des factieux. Je sais qu’il est possible d’être nécessiteux et de n’être pas achetable, mais au moins il faut convenir que c’est une difficulté; et ce n’est pas sur les vertus difficiles que les législateurs doivent compter; ce n’est pas d’après cela que la nature humaine doit être calculée. En un mot si les fonctions du juré devaient être lucratives, mon avis serait non d’y appeler les citoyens de toutes les classes, mais d’y appeler la classe la moins riche du peuple. Les fonctions de jurés sont une véritable charge pour ceux qui les exercent; mais s’il est vrai que leurs mains doivent être pures, comme la justice qu’ils administreront, appelez-y des hommes au-dessus du besoin. Si je suivais mes principes dans toute leur rigueur, je n’hésiterais pas à conclure que pour remplir les fonctions de jurés, il faut au moins posséder une propriété de 1,000 livres de rente; mais pour me servir de la rigide expression de Montaigne : « La vérité de maintenant n'est pas ce qui est vrai , mais seulement ce qu'on peut ordonner ». Je me restreins à conclure que la seule marche à suivre est d’appeler aux fonctions de jurés ceux qui auront réuni les qualités nécessaires pour être élus au Corps législatif; c’est-à-dire qui auront une propriété de 250 livres de rente. Si vous en ordonnez autrement, je vous prédis que l’institution des jurés croulera, parce que la plus grande partie des citoyens que vous y appellerez n’eu voudront pas remplir les fonc-lions. Alors se vérifiera ce dire populaire, que les hommes échappent toujours à la punition qu’ils ont méritée. Si à la force de ces raisons il était nécessaire de joindre l’autorité des deux seuls peuples qui pratiquent l’institution du juré, je vous dirais qu’en Angleterre, pour être appelé à en exercer les fonctions, il faut posséder une propriété de 10 livres sterlings de rente, et qui équivaut à 240 livres de rente. Le statut qui l’a réglé est le quatrième de la reine Marie : par conséquent il a été passé en 1693 ; et 240 livres de rente d’alors équivalent à 15 ou 16,000 livres de capital. Je vous dirai que c’est d’après tous les auteurs les plus savants dans la jurisprudence anglaise que ce tarif a été fixé. Je vous dirai que cet usage a tellement prévalu, qu’il est sans exemple qu’on appelle à remplir les fonctions de jurés des hommes qui ne possèdent pas une grande propriété. Je vous dirais que dans les Etats-Unis de l’Amérique, dans cet Etat dont vous aimez à citer les règlements et à suivre l’exemple, dans cet Etat où l’établissement du juré a été perfectionné, il faut pour être membre du juré, avoir réuni les qualités nécessaires pour être élu membre de la législature. Je conclus donc à ce que l’Assemblée nationale décrète que pour pouvoir être appelé aux fonctions de juré il faudra réunir les qualités nécessaires pour être éligible au Corps législatif. M. Robespierre. A qui appartient le droit d’élire les fonctionnaires publics? C’est là la question ; car les jurés sont des fonctionnaires publics. Il n’en est point de plus intéressants, puisque leur devoir pèse à chaque instant sur les droits particuliers et sur la liberté individuelle des citoyens. À qui appartient le droit d’élire aux places de fonctionnaires publics? à celui-là seul de qui émanent toutes les autorités, toutes les fonctions publiques, au souverain, c’est-à-dire au peuple. Remarquez, Messieurs, que dans la circonstance actuelle, vous ne pouvez pas vous écarter de ce principe, sans ouvrir la porte aux plus grands inconvénients. C’est dans les temps de révolution surtout qu’il faut observer scrupuleusement ce principe. Il ne faut pas que ces factions connues sous le nom d’aristocrates, de démocrates, d’impartiaux, puissent sous le voile de la justice se faire mutuellement une guerre aussi lâche que cruelle. Or, rien n’est si possible dans les circonstances où nous sommes que de voir l’administration confiée à un officier qui pourrait être enclin à un parti. Il composerait la liste, de. tous ceux qui seraient attachés aux mêmes principes que lui; il serait facile à un procureur-syndic de composer en partie ce juré de ces hommes nuis et faibles qui appartiennent toujours au plus adroit et au plus rusé. Ainsi vous verriez par là la destinée des citoyens livrée à des principes factieux. Vous pourriez même voir les plus zélés patriotes victimes de ce dangereux inconvénient. J’en conclus que, soit que vous considériez les principes, soit que vous considériez les circonstances si décisives de la Révolution, vous ne pouvez pas confier à un seul homme le droit de choisir les jurés qui doivent prononcer sur la vie et la liberté des citoyens. Ce droit appartient donc essentiellement au peuple. Le caractère esseutiel des jurés consiste à être jugé par ses pairs. Or, si vous attachez à une certaine quantité de propriété le droit exclusif d’être appelé aux fonctions de juré, il est évident que l’égalité des droits est violée, et que tous les accusés ne sont pas jugés par leurs pairs, puis-qu’alors les citoyens sont en quelque sorte divisés en deux sections, dont l’une est destinée à être jugée, et l’autre à juger, et la dernière de ces sections est élevée au-dessus de l’aulre de toute la hauteur qui existe entre l’égalité politique et la nullité et la sujétion. La majorité de la nation serait donc dans un état de nullité et d’abjection qui est absolument incompatible avec les principes de la Constitution et les droits qu’elle a exigés de ses représentants. Je conclus doue, d’une part, qu’il faut que tous les citoyens puissent être appelés aux fonctions publiques. Il s’ensuit de là que les jurés ue peuvent être élus que par le peuple; et je vous prie de remarquer que si vous adoptez Lune de ces deux dispositions, la dernière écarte tous les inconvénients que l’on pourrait trouver à permettre l’élection dans toutes les classes de la société ; car la plus sûre garantie de la confiance publique c’est le suffrage de la majorité des citoyens ; et quelles que soient les classes de propriétaires que vous veuillez exiger, il est évident que la circonstance qu’un homme possède tant de propriété, que la circonstance qu’un tel homme paye tant d’imposition, n’est point un garant aussi certain ni de ses lumières, ni de sa droiture, ni de sou incorruptibilité, que le suffrage de ses concitoyens; et moins cet homme sera fortuné, et moins il aura de ces moyens qui subjuguent les suffrage.- et qui éblouissent les yeux du public : ce sera un garant certain au public de ses talents et de ses vertus. Je conclus donc, Messieurs : 4° que tous les ci- [o févior 1791.] 761 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. toyens doivent avoir la faculté d’être élus aux fonctions de jurés ; 2° que les électeurs du peuple doivent élire seuls ceux qui doivent être élus aux fonctions de jurés. En conséquence je propose l’idée suivante: je propose que les électeurs de chaque district nomment tous les ans les 30 citoyens qui doivent former la liste des jurés. Si les assemblées vous paraissant devoir être trop longues, vous pouvez ics diviser en sections. Dans tous les cas, les incommodités, les longueurs, ne peuvent jamais vous appeler à sacrifier les intérêts de la liberté et les droits les plus sacrés. Lorsqu’il se_ présentera des affaires dans les cas déterminés par le comité, on tirera au sort, sur les 30 sujets choisis par les électeurs, ceux qui doivent composer le juré d’accusation. Le juré de jugement se formera avec la même simplicité et sans qu’il soit besoin de procéder à de nouvelles élections. On réunira dans une liste les jurés qui auront été nommés par les districts et dans les époques aussi déterminées par le comité et voisines des moments où il faudra faire les procédures criminelles. Alors le président du tribunal tirera au sort pour nommer les jurés. M. Duport, rapporteur. Votre comité se trouve obligé de répondre à deux objections d’un genre entièrement opposé. Je dirai d’abord que je crois que l’avant-dernier opinant a très bien démontré l’impossibilité physique qu’il y a que des jurés qui n’auraient pas au moins la présomption des facultés nécessaires pour pouvoir se transporter dans les lieux où ils doivent exercer leurs fonctions, où ils doivent demeurer un temps quelconque, ne pourraient pas être jurés. Quand ou veut faire une institution on doit vouloir tous les moyens qui concourent à l’établir ; et il est évident que ne pas établir les jurés serait préférable à former cette institution de manière que l’opinion publique la repoussât. Je sais très bien qu’il faut que l’opinion publique l’adopte. Les législatures suivantes pourront lui donner toute la perfection que l’opinion publique lui désignera, mais dans ce moment il faut regarder que tout ce qui est physiquement impossible à établir ne doit pas être établi. À présent je n’ai plus qu’à répondre à M. de Gazalès. Il a reproché au comité d’avoir dit qu’en plaçant les jurés dans la classe de ceux qui payent 50 livres, c’est-à-dire le marc d’argent exigé pour l’éligibilité à l’Assemblée nationale, nous appelions celte classe celle des gens riches. Ce n’est pas là ce que nous avons dit, ou ce que nous avons voulu dire ; mais seulement que dans cette classe se trouvent aussi ceux qui payent davantage, et que les hommes riches et puissants auraient dans cette classe, ainsi bornée, une prédominance considérable : certes , s’ils avaient tous 50 livres, ils seraient dans la classe mitoyenne de la société, celle que nous paraissons tous désirer ; mais ils ne forment pas cette classe, ils la bornent seulement. Je pense donc que si l’Assemblée veut simplifier ses opérations et la discussion sur cet objet, elle doit d’abord examiner quelles seront les qualités de ceux qui seront appelés à être jurés. On vous a dit qu’il était plus naturel de faire élire les jurés par les citoyens : je ne sais pas si on entend bien ce qu’on veut dire lorsqu’on parle d’élection de jurés, cela ne me présente à moi qu’un mot vide de sens. Que sont les jurés? Ce sont des citoyens par opposition aux fonctionnaires publics, ils sont chargés de remédier à l’abus des fonctionnaires publics. S’il fallait procéder à des élections, il serait plus simple de laisser les juges qui sont élus, juger et le fait et le droit. M. Malouet. Je pense, comme le comité, que les jurés ne peuvent pas être élus par le peuple; car cette fonction devant être alternativement partagée par tous les citoyens que la loi n’en déclare pas incapables, il n’y a pas lieu à élection, mais seulement à désignation. Je ne vois pas non plus d’inconvénient à laisser à un officier public la désignation de la liste du juré ; mais je ne trouve pas que M. le rapporteur ait détruit les observations très sages de M. de Cazalès sur les qualités exigibles pour être juré. La grande majorité des petits propriétaires est infinie en comparaison de celle des gens véritablement riches. De là résulte la nécessité d’appeler des propriétaires dont la fortune et l’éducation soient une sorte de garantie, et aux yeux du public, et aux yeux de l’accusé. Je crois, Messieurs, que si vous avez déjà réduit au marc d’argent l’éligibilité pour la législature, il me semble que vous ne pouvez, sans de grands inconvénients, affranchir de cette condition ceux qui seront appelés à prononcer sur la vie des citoyens. J’exige, de plus, qu’aucun ne puisse être élu juré, même dans la classe de ceux qui payent 50 livres, s’il est actuellement en instance et poursuivi pour dettes exigibles par corps, encore qu’il n’y ait point de condamnation prononcée. M. le Président résume la discussion et pose les deux questions suivantes : La liste sera-t-elle de 30 citoyens ? Par qui sera formée la liste des citoyens éligibles ? M. de Cazalès. Je propose, par amendement, que ceux qui payent 50 livres de contribution directe, c’est-à-dire ceux qui sont éligibles au Corps législatif, puissent seuls être forcés à accepter les fonctions de jurés et qu’on ne puisse pas y forcer les autres. Plusieurs membres demandent la question préalable sur les amendements. M. Duport, rapporteur. Je demande que l’amendement de M. Malouet ne soit pas mis aux voix, ni rejeté par la question préalable, parce que c’est là le cas de récusation. Or, si le procureur syndic, l’accusateur public et l’accusé n’ont pas jugé à propos de récuser, je ne vois pas qui pourrait récuser. Ainsi, je demande qu’on passe à l’ordre du jour sur cet amendement. (L’Assemblée rejette les amendements par la question préalable et adopte l’ordre du jour sur celui de M. Malouet.) L’article 2 du titre X du projet de décret est mis aux voix et adopté comme suit : TITRE X. De la manière de former le juré d'accusation. Art. 2. « Cette liste sera composée de 30 citoyens éli-