[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 mars 1790. J M. le Président consulte l’Assemblée, et prononce que le second rapport sera entendu. Une partie de la salle se plaint vivement de ce que le président a posé la question sans entendre ceux qui demandaient à parler sur la manière de la poser. M. le Président. Je crois avoir donné dans cette Assemblée des preuves du désir que j'ai de ne pas lui faire perdre un seul moment ; c’est dans ces vues que je viens de poser la question : je prouverai encore, dans cette occasion, que je suis avare du temps de l’Assemblée, et je demande que le président ne soit jugé qu’après deux jours de discussion sur l’objet qui nous occupe. M. l’abbé Grégoire, ‘président du comité des rapports. Nous n’avons encore que deux pièces relatives à la Martinique: la première est un mémoire en date du lü décembre 1789, envoyé par M. de Yidrnénil. On ne connaît les faits que par ce mémoire. Plusieurs des arrêtés de l’assemblée de cette colonie paraissent à ce commandant tenir de si près à l’autorité exécutive et legislative, qu’il croirait passer les bornes de son pouvoir s’il les autorisait. II pense que la colonie ne Deut se dispenser d’adresser son vœu à l’Assemblée nationale : il adopte la demande de vendre aux étrangers les nègres condamnés à la chaîne, et admet provisoirement le servicede la maréchaussée, que la colonie propose de faire faire par des compagnies de milices. 11 autorise provisoirement un règlement formé pour l’établissement d’une municipalité dans les villes et bourgs de la colonie, ainsi qu’un règlement pour la’ tranquillité publique, il adopte la ermission accordée d’entrer dans les ports aux âtiments espagnols chargés de mulets. Le commandant observe que la situation de la colonie exige plus que jamais l’abordage des vaisseaux, et if consent provisoirement, et sous le bon plaisir du roi, à ce que, pendant quatre mois, les navires américains soient admis dans les quatre ports de la colonie, comme aussi à ce que tous les droits soient suspendus; autorise néanmoins les représentants du commerce de France à placer dans les ports des commis pour empêcher les fraudes, contrebandes, etc., et consent enfin à ce que la session de l’assemblée coloniale soit annuelle. La seconde pièce est un mémoire en date du 15 décembre dernier, contenant les protestations des commissaires, des négociants, capitaines, géreurs, etc., des deux paroisses de Saint-Pierre. ils observent que l’assemblée coloniale, étant composée de cent vingt membres, avait arrêté qu’elle ne pouvait rien statuer, si elle n’était composée au moins de quatre-vingt-un membres ; que cependant, depuis la fin de novembre, les différentes délibérations ont été prises en nombre bien inférieur; que cette assemblée s’estdéclarée complète au nombre de vingt, et que cette déclaration est illégale, puisqu’elle a été formée par un nombreinfé-rieur à celui qui avait été déterminé par l’assemblée générale ; qu’en conséquence ils protestent de nullité contre tout ce qui a été fait en nombre incomplet. Ils s’opposent notamment à ce que les quatre ports reçoivent tous les navires américains, parce qu’ils regardent cette admission comme l’occasion d’un grand nombre d’opérations frauduleuses, et que d’ailleurs, aux termes de la loi, le port de Saint-Pierre doit seul leur être ouvert. L’arrêté à cet égard est contraire au serment par lequel le commandant a juré de protéger particulièrement la ville de Saint-Pierre. M. Alexandre de Lamcth. Le premier devoir de tout membre de l’Assemblée est de ne point faire perdre du temps. Je dois donner raison des motifs qui me déterminaient à demander la parole. M. le président a eu tort de me la refuser, et je le prouve. En effet, M. le président, je vous ai demandé la parole pour abréger le travail de l’Assemblée, et vous me l’avez refusée. M. Barnave vous a demandé la question préalable, et vous la lui avez refusée. M. le baron de Menou vous l’a demandée sur la manière déposer la question, et vous la lui avez refusée... M. le fi* résident. En deux mots, Monsieur, j’ai eu tort: voulez-yous bien passer à la discussion ? M. Le Chapelier. Avant que la discussion commence sur les rapports qui viennent de vous être faits, il faut savoir si elle commencera. (On interrompt par des murmures .) M. Camus. Je fais la motion expresse de la nomination d’un comité qui discutera et présentera à l’Assemblée un rapport plus simple. (Cette motion est appuyée par un grand nombre de membres.) M. Le. Chapelier. On vient de renouveler la motion de nommer un comité pour abréger le travail et fixer l’ordre de la discussion. Je l’appuie, et voici mes raisons. Deux rapports vous ont été présentés; peu de membres, sans doute, en ont suivi clairement les détails : je défie qu’on puisse asseoir une opinion quelconque sur leur objet. Cette affaire présente de grandes questions. Il faudrait établir ces questions, et déterminer l’ordre dans lequel elles doivent être examinées ; sans cela nous nous perdrons dans une foule de raisonnements et de projets : trente-trois personnes se sont déjà fait inscrire; si chacune donne son avis et présente ses vues particulières, nous emploierons peut-être huit jours à une discussion à laquelle deux séances auraient suffi, si l’on eût marché avec méthode. Toute l’Assemblée est convenue de la nécessité de terminer promptement le travail sur les droits féodaux. (On interrompt.) Je m’étonne d’autant plus de cette interruption, que j’ai vu désirer le terme de ce travail à toute l’Assemblée. Nous devons hâter nos opérations, de manière cependant que la précipitation ne nuise pas à leur sagesse. Quand nous aurons posé les bases de l’affaire des colonies, notre marche sera plus sûre et plus rapide. C’est hâter notre travail que de nommer un comité qui serait tenu de faire son rapport dans un temps très court. (On demande la question préalable.) L’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer sur la question de savoir si on nommera un comité. M. de Kîehicr. Les pétitions du commerce de France et de l’armée bordelaise sont particulièrement à l’ordre du jour. 11 faut savoir de quoi sera chargé le comité. Sera-ce de discuter sur ces pétitions? Dans ce cas, il faudrait entendre le comité de commerce, qui a un rapport à vous présenter à ce sujet. Sera-ce de préparer un résultat sur les affaires de Saint-Domingue et de la Martinique? Alors il faut s’occuper (les pétitions et revenir ainsi à l’ordre du jour. 6 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [“2 mars 1790.] M. Charles «le Cameth. 11 me semble que le préopinant s’est un peu rapproché de la question-, car il est impossible de traiter l’affaire des colonies d’une manière partielle. Il faut bien se persuader que la moindre faute que ferait l’Assemblée dans cette longue et difficile affaire exposerait la métropole à perdre les colonies. 11 faut bien convenir que le gouvernement a fait des fautes considérables, qu’il s’agit de réparer; et l’Assemblée à laquelle on reproche tant de torts, parce qu’elle a réformé tant d’abus, sera facilement calomniée dans cette affaire où la calomnie peut être si utile. On lui réproche en ce moment qu’il n’y a pas de crédit, et tout le monde sait que quand elle a été appelée, il n’y avait plus de crédit en France. De même, quand les colonies sont en danger, on remet cette affaire entre ses mains, on la presse, on voudrait qu’elle prît un parti dans une seule séance, bien sûr qu’une telle précipitation donnerait lieu à quelques erreurs. Il n’est pas possible d’envisager la question d’une manière isolée; il est nécessaire de lier le système politique des colonies au système général politique de la métropole. Si l’on discutait en ce moment, chacun parlerait suivant ses principes, ses goûts et le point de ses méditations; ou divaguerait sans cesse. En toute chose il faut commen-• cer par le principe; il faut s’occuper de la constitution des colonies; c’est là ce que vous devez faire. Je crois cette marche de la plus grande importance pour les colons; c’est comme Français, c’est comme colon que je demande qu’elle soit suivie. Il faut donc nommer un comité. Si vous n’en nommez pas, il faut au moins renvoyer au comité de constitution. En dernière analyse, je crois qu’on ne peut conserver les colonies qu’en les faisant jouir des bienfaits de la constitution, avec les modifications qu’elles-croiront nécessaires, et qui seront soumises à la prochaine législature. M. l’abbé Maury. On a entamé une foule de questions qui ne peuvent être traitées que successivement. Voici, Messieurs, l’ordre des faits. Vous avez entendu jeudi les adresses de l’armée bordelaise et du commerce de France. Vous avez dit que vous ne pouviez discuter sur l’objet de ces adresses qu’après avoir pris connaissance des dépêches que le ministre avait reçues de Saint-Domingue et de la Martinique. Je ne suis pas frappé, comme le préopinant, du danger qu’il y a à répandre des calomnies contre l’Assemblée.... Le rapport de ces dépêches vient de vous être fait, et vous allez décréter que les pièces seront renvoyées à un comité qui sera chargé de vous présenter un plan de travail ; mais, en les renvoyant même à un comité, il est une question majeure, et la voici : abolira-t-on la traite des noirs, oui ou non, dont vous devez vous occuper préalablement, et qu’il faut aborder sans délai? Il est impossible que l’Assemblée ne s’explique pas sur cette question : il s’agit de la tranquillité, de la sûreté de nos colonies; il s’agit de là banqueroute qu’il faut éviter; et telles sont les circonstances qui nous environnent, que votre siience sur la traite des nègres rend la banqueroute inévitable. Je conclus donc, Messieurs, à ce qu’on renvoie à un comité tout ce qui regarde la constitution, l’organisation des colonies; mais je demande que la discussion soit ouverte demain même sur la grande question de la traite des nègres. (On demande à aller aux voix.) M. le Président. On demande la division de la motion de M. Camus, et cette division consiste à ce que la question de la traite des nègres soit traitée isolément et demain. Je vais mettre aux voix cette division. " (On demande la question préalable sur la division.) M. de Cazalès. Les deux préopinants ne sont pas, ce ne semble, dans la question ; il ne s’agit point ici ni de la constitution de Saint-Domingue ni des principes du régime positif, ni du privilège exclusif des Compagnies des Indes et du Sénégal : il s’agit de trouver un moyen provisoire pour arrêter les insurrections qui affligent les colonies, et pour les mettre en état de recevoir vos lois. Le rapport que vous avez entendu doit suffire pour fixer votre opinion ; le reste doit être renvoyé au comité : si vous adoptez quelque moyeu dilatoire, il ne sera peut-être plus temps de revenir sur vos pas. (On s’obstine à demander la question préalable sur la division.) M. le Président. Que ceux qui sont d’avis qu’il y a lieu à délibérer sur la division demandée, c�’est-à-dire que la question de la traite des nègres soit discutée demain, veuillent bien se lever. (Une grande partie' de l’Assemblée se lève. La contre-partie est posée.) M. le Président. Je demande pour mon compte une seconde épreuve. (Ou fait une seconde épreuve, elle paraît douteuse comme la première.) M. le Président. Je demande pour mon compte l’appel nominal. M. l’abbé Manry. 11 est, ce me semble, inutile de faire un appel nominal sur une question préalable ; je demande qu’il soit fait sur la motion principale : s’occupera-t-on demain de la traite des nègres? oui ou non. M. Rœderer. La question préalable a été demandée sur la. division; elle a été mise aux voix; deux épreuves ont paru douteuses, etM. le président a demandé l’appel nominal. Je demande que l’ordre accoutumé ne soit point interverti, et que l’appel soit fait sur la question préalable seulement. L'avis de M. Rœderer est adopté ; la question est posée comme elle l’avait été déjà ; l’appel nominal est fait, et l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la division demandée. On passe à la motion principale; elle est mise aux voix, et l’Assemblée décide qu’elle renverra l’affaire des colonies à un comité composé de douze membres, pris indistinctement dans l’Assemblée, et que le rapport sera fait lundi matin. La séance est levée à sept heures et demie.