[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790]. 48 1 dois, les soldats-citoyens, les citoyens-soldats, tous attendris , tous versant des larmes de joie, poussant tous des cris d’allégresse, célébrant à l’envi le triomphe de la vertu ; ou ma propre sensibilité me trompe, ou les traits de ce tableau doivent intéresser des cœurs français. Je ne répondrais pas, Messieurs, à la confiance dont me3 concitoyens m’ont honoré, si, en finissant, je n’exprimais à ce Sénat auguste le vif in-térêt que le régiment de Touraine leur a inspiré. Daignez, Messieurs, agréer cet intérêt; la commune de Perpignan vous en conjure, par les services que ce régiment a rendus à l’Etat, par la valeur qu’il a montrée dans toutes les occasions contre les ennemis du nom français ; elle vous en conjure par l’attachement inviolable qu’il a marqué pour la Constitution ; elle vous en conjure, enfin, au nom de la patrie qui trouvera dans les soldats de ce régiment des citoyens toujours prêts à mourir pour elle. M. Siau, médecin , député de la garde nationale de Perpignan , dit ensuite (1) : Messieurs, Je suis chargé de la part du corps des officiers des volontaires citoyens de Perpignan de vous porter le tribut de son admiration et de sa reconnaissance ; je suis encore chargé, Messieurs, de rendre le témoignage Je plus authentique du patriotisme, de la bonne conduite, des vertus civiles et militaires des régiments de Touraine et de Ver-mandois, pendant le long espace de temps qu’ils ont été en garnison dans notre ville : nos cœurs sont pénétrés de la manière dont ces vertueux militaires se sont constamment conduits envers nous ; et ce sentiment, que la garde nationale me charge de manifester, est partagé par toute la ville, et par tout ce qui fut autrefois province de Roussillon. On vous présentera, Messieurs, un tableau où le désordre, l’insurbordination, l’infraction à la règle paraîtront sous des couleurs qui inculperaient le brave régiment' de Touraine et terniraient sa gloire : mais pour apprécier ces mouvements et les motifs qui les ont déterminés, il est important de vous faire connaître tout ce qui les a précédés. Le régiment de Touraine a été témoin, pendant plus d’une année, du terrible choc des opinions de notre ville ; il a vu les bons citoyens ne pouvant d’abord élever qu’une voix faible, odieusement persécutés, calomniés, victimes des manœuvres les plus perfides : il a vu une assemblée patriotique contre laquelle on armait indignement le fanatisme civil et religieux ; il a vu des protestations indécentes contre vos sages décrets, dont deux mille exemplaires étaient déjà prêts et ont été saisis : il a vu les préparatifs de ce jour qui devaient répondre et coopérer avec les journées fatales de Nîmes et de Montauban : il a été témoin de la manière dont les bons citoyens . ont prévenu cet attentat en dissipant l’assemblée qui devait le commencer; ce régiment, enfin, a distingué les bons d’avec les mauvais : il a résisté avec intrépidité aux caresses, aux insinuations; il fallait bien que le cœur de ces braves soldats s’armât de défiance. Ils n’ignoraient pas que le royaume voisin était plein de fugitifs, de gens dangereux ; tout donnait l’éveil au patriotisme: enfin, Touraine voit les mêmes personnes, dont il connaissait et désapprouvait les principes, être (1) Voyez aux Annexes de la séance de ce jour la réponse faite à M. Siau par M. de Mirabeau le jeune. lre Série. T. XVI. à la tête et porter les flambeaux d’une fête nocturne qu’on donne à son colonel. Il voit une foule tumultueuse secouant la torche de la discorde : il entend le nom de son colonel mêlé à des acclamations, que celui-ci désavoue sans doute, mais qui jetaient les bons citoyens dans la consternation : il voit tous ces corps à protestation aller successivement lui rendre hommage ; il apprend que l’orateur de l’un d’eux a appelé M. de Mirabeau sauveur et rédempteur. Ce brave régiment s’est rempli de ce feu sacré de l’amour ae la patrie, qui, en élevant et exaltant les âmes, ne leur permet plus cette régularité de mouvements qu’on ne peut attendre que d’une Constitution achevée, et telle que nous la promettent vos travaux immortels. Soldat et citoyen français, je ne parlerai jamais qu’en faveur de la subordination, et j’en donnerai l’exemple; mais quand ce devoir est en opposition avec le devoir plus sacré de l’attachement à la Constitution, quand le soldat est placé entre son supérieur et la patrie , quel nom donnerons-nous à la désobéissance ? Je mejrappelle, Messieurs, le jour où elle fut une vertu : nous lui dûmes notre salut et celui de l’Empire. Nous recommandons à votre partiotisme, des guerriers qui n’ont cédé qu’à l’impulsion de ce sentiment : conservez à la France des défenseurs pleins d’honneur et de courage... conservez-leur des drapeaux qu’ils n’abandonnèrent jamais, et que la victoire couronna partout... Ah ! si vous aviez vu Touraine au moment où il venait de les perdre, je n’aurais pas besoin de vous parler en sa faveur 1 que son désespoir était beau ! On voyait des soldats courant au hasard dans les rues de notre malheureuse ville ; les larmes inondaient leur visage ; ils déchiraient leur honorable vêtement; le célèbre Thurel, le plus ancien soldat de France, à la tête des vétérans, montrant à mes concitoyens son triple médaillon, leur redemandait des enseignes qu’il avait suivies pendant quatre-vingts ans sous trois rois victorieux. Nous qui avons été les témoins de ce spectacle attendrissant à la fois et terrible, nous venons vous demander de ne pas nous séparer de nos frères, de nos amis de Touraine et de Verman-dois : nous vous le demandons par vos vertus civiques et par le droit que nous donne nos efforts pour les imiter... Placés aux bornes de ce vaste Empire, perpétuant un sang jadis étranger, conservant des habitudes et un langage qui ne sont pas les vôtres, votre feu nous a pénétrés, et vous n’avez pas de meilleurs frères : la fidélité des Français du département des Pyrénées-Orientales sera immuable comme les montagnes au pied desquelles ils habitent, qui sont les limites du royaume superbe dont vous venez d’assurer les hautes destinées. M. le Président répond aux trois députations : L’Assemblée nationale prendra en considération les plaintes, les réclamations et les faits dont vous venez de lui présenter les détails. Divers membres demandent l’impression des discours des députés de Perpignan. Cette impression est ordonnée. L’Assemblée décrète ensuite que les pièces déposées sur le bureau par les trois députations seront remises aux comités militaire et des rapports pour en être rendu compte à l’Assemblée. M. de Pardieu, secrétaire, fait ensuite lec-31