312 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1791.] moyennant les trois quarts de leur pension, tous les soins dont ils auraient besoin... Je propose donc le projet de décret suivant : « Art. 1er. Il sera conservé des compagnies d’invalides; leur nombre sera porté à celui nécessaire à la garde des postes des frontières, qui ne contiendraient pas un bataillon de 501) hommes. « Art. 2. Les invalides connus à l’hôtel sous le nom de moines lais, et qui ne préféreront pas de retourner dans leur famille avec les pensions qui leur seront attribuées, seront répartis dans les postes où seront en garnison les compagnies d’invalides; ils auront dans la caserne un quartier où ils jouiront personnellement du quart de leur pension; les trois autres quarts seulement seront employés à leur nourriture et entretien. « Art. 3. L’Assemblée nationale renvoie à son comité militaire le présent décret pour servir de base à celui qu’il mettra sous les yeux de l’Assemblée pour la destruction de l’hôtel royal des invalides. » M. l’abbé ifanry. Messieurs, vers la fin de la première année de nos séances, le roi institua une commission civile et militaire, pour rétablir l’ordre dans l’administration des invalides. Sa Majesté vous invita dès lors à choisir aussi deux commissaires, dans le sein de cette Assemblée, et à concourir aux succès de ses vues. Vos commissaires furent nommés dès le mois de décembre 1789 ; et depuis cette époque nous avons presque absolument ignoré le résultat de leurs conférences. Une section de votre comité militaire semble avoir regardé toutes les discussions relatives à cet établissement, comme un simple travail préparatoire du décret qu’il vient enfin soumettre à votre délibération. Le projet de loi qu’il nous présente aujourd’hui, et qui n’est signé que de sept de ses membres, est un nouvel exemple de je ne sais quelle fatalité qui menace parmi nous d’une suppression inévitable, tous les établissements dont on dénonce les abus et dont on tente la réforme. Il paraît qu’il n’y a eu aucun accord entre les commissaires qui ont discuté la situation actuelle de l’hôtel des Invalides. La division d’opinion qui règne dans votre comité militaire semble, en effet, évidemment attestée, par le petit nombre de ses membres qui ont souscrit le rapport soumis, dans ce moment, à votre examen. Mais quoi u’il en soit du vœu partial qui provoqua votre élibération, j’observe, Messieurs, que votre comité a fait précisément ie contraire de ce que vous lui demandiez; et qu’il a entièrement mis à l’écart le résultat que vous attendiez de son zèle et de ses lumières. En effet, vous ne l’aviez point chargé d’examiner s’il fallait conserver ou détruire l’hôtel des Invalides. Cette alternative n’avait jamais été pour vous la matière d’une question problématique ; et cependant c’est une suppression absolue, et inconcevablement précipitée, que l’on vous propose ! Voilà comment votre comité a excédé sa mission. Voici maintenant comment il a oublié vos intentions et ses devoirs : Vous saviez qu’il existait des abus dans l’administration des Invalides : vous vouliez les connaître ; vous étiez sagement impatients d’y remédier ; et on ne vous en dénonce aucun ! Et au lieu de cet esprit de réforme que sollicitait votre confiance, on ne vous moutre ici qu’un génie destructeur qui supprime au lieu de régénérer et substitue l’esprit de système à cette patience des améliorations continues, qui est peut être le plus rare talent de l’administration! Pour moi, Messieurs, je vais me rapprocher de vos premières vues pour mieux combattre ie plan de votre comité. Je viens démontrer que, en allant au delà de vos intentions, il s’est égaré et que, eu restant eu deçà de vos projets, il s’est aveuglé volontairement dans la route qu’il a suivie. Il vous propose la suppression de l’hôtel des Invalides : je vais prouver que cette suppression serait un désastre public. Il ne vous présente aucun objet de réforme : je vais vous découvrir dans cet établissement national des abus auxquels il est indispensable et facile de remédier. Ainsi, Messieurs, j’attaquerai d’abord tout ce qu’a fait votre comité ; et je tâcherai ensuite de suppléer à ce qu’il aurait dû faire. On rencontre rarement la sagesse dans les parties extrêmes ; mais on peut espérer de la reconnaître et de la suivre, dans toutes les résolutions impartiales et modérées. Le plan de mon opinion ne sera donc qu’un simple développement de ce mot profond, que j’entends répéter, depuis quelques jours, de tous les côtés dans cette Assemblée : Nom ne voulons pas supprimer V établissement des Invalides ; mais nous voulons bien le réformer et l’améliorer. Eh bien ! ce sont précisément ces sages résultats de la raison et du patriotisme, que je viens motiver et justifier, en mettant, devant vous, ces deux conséquences sous les principes qui les appellent. Pour réfuter le système qui tend à la suppression de l’hôtel des Invalides, il faut considérer cet établissement vraiment national, en lui-même, et relativement aux guerriers auxquels il est destiné. En l’examinant, sous ce double rapport, il est facile d’en démontrer, je ne dis pas seulement les avantages, mais encore l’indispensable nécessité dans une grande monarchie. Saint Louis fut le premier de nos rois... ( Murmures .) Je prie l’Assemblée de ne pas s’impatienter et de ne pas s’effrayer si je suis obligé de consacrer deux minutes à l’historique des établissements qui ont été faits en faveur de militaires invalides. Vous sentez, Messieurs, que ce court épisode tient essentiellement à la cause que je traite. (Applaudissements.) Saint Louis fut le premier de nos rois qui conçut la haute pensée d’acquilter la dette de la nation envers les défenseurs de l’Etat. Au retour de sa première expédition dans la terre sainte, ce monarque supérieur à son siècle et qui, à force de vertus, devina presque tous les grands principes de l’administration, traînait à sa suite les débris de son armée. Envoyant ainsi de près, durant le cours d’un long voyage, tant de soldats infirmes qui ne pouvaient plus subsister que de ses libéralités, il forma le projet de les rassembler et de les secourir tous dans un même asile. Une multitude innombrable de croisés avait perdu la vue en combattant les Sarrasins, qui s’étaient rendus si redoutables par l’usage du feu grégeois. Ce fut en faveur de ses infortunés frères d’armes que saint Louis fonda les Quinze-Vingts. Cet hôpital, qui offre encore aujourd’hui un asile précieux à la classe la plus indigente des citoyens, a été le premier établissement militaire de la nation, eu faveur des soldats français ; car toutes les autres institutions de ce genre n’étaient que des ordres de chevalerie. A mesure que la multitude des souverainetés particulières rendit ensuite les guerres plus fréquentes dans l’intérieur de la France, on s’aperçut que des