364 [Assemblée nationale.) Lois. Les ordres arbitraires emportant exil, et tous autres de même nature, ainsi que toutes lettres de cachet, sont abolis, et il n’en sera plus donné à l’avenir. (Article 10 du décret de l’Assemblce nationale du 16 mars 1790, promulgué par lettres patentes du 26 du même mois.) Cette loi est une application et un développement de l’article 7 de la déclaration des droits de l’homme {Voyez ci-dessus n° 1). Il ne pourra désormais être expédié de cartouche jaune et infamante à aucun soldat, qu’après une procédure instruite et en vertu d’un jugement prononcé selon les formes usitées dans l’armée, pour l’instruction des procédures criminelles militaires. (Article 4 du décret du 6 août 1790, sanctionné le 8.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Violations des lois. le sieur La Tour-du-Pin tient dans les fers comme un scélérat dont il importe de purger la société ! N» II. Le sieur Davoust, sous-lieutenant au régiment Royal-Champagne, a été arrêté à Hesdin le 19 août 1790, mis en prison, transféré le 21, pendant la nuit, dans la citadelle d’Arras, et mis au secret, par ordre daté du 20 juillet 1790, signé Louis, et plus bas : La Tour-du-Pin. N° III. Le décret ci-contre venait d’être sanctionné, lorsque le sieur La Tour-du-Pin fit demander au comité militaire une autorisation pour renvoyer avec des congés absolus vingt cavaliers du régiment de Royal-Cham-pagne, qui étaient, suivant lui, détestés par tous les camarades. Le comité répondit au ministre que l’Assemblée nationale n’avait défendu que les cartouches infamantes, et que c’était à lui à faire ce que sa prudence lui dicterait. Voici comment sa prudence en ordonna ; Le 21 août 1790, le sieur Biaudos, ci-devant Casteja, distribua, par ordre du sieur La Tour-du-Pin, au milieu de tout l’appareil militaire, non pas vingt, mais soixante cartouches à des sous-officiers et cavaliers du régiment de Royal-Cham-pagne ; quoiqu’il n’y eût contre eux, ni jugement, ni procédure, ni information, ni accusation légale. A la vérité, les cartouches n’étaient pas jaunes ; mais voici leur contexture : « Nous soussignés, etc., . • . [10 novembre 1790.] Preuves. Toutes les pièces relatives à l’affaire du sieur Muscar sont au comité des rapports de l’Assemblée nationale et au secrétariat de la municipalité de Verdun. Voyez aux Pièces justificatives, n° 13, l’ordre du roi, pour l’arrestation du sieur Davoust (p. 361). Voyez aux Pièces justificatives, n° 14 (p. 361), la cartouche délivrée aux 60 cavaliers : voyez de plus les dépositions des habitants d’Hesdin, des sous -officiers et soldats renvoyés ou restants au régiment, les procès-verbaux de la municipalité d’Hesdin, et l’information du commissaire du roi qui s’y sont transportés en vertu du décret du 4 septembre 1790. Toutes ces pièces sont aux comités militaires, des recherches et des rapports de l’Assemblée nationale. lequel a servi depuis le jusqu’à ce jour, et est tenu de se rendre dans son pays. » Ainsi, l’acte même qui devait, par sa nature , rendre la liberté aux soixante cavaliers, était pour chacun d’eux un ordre d'exil. Cet abus de l’autorité ministérielle est tout à la fois un attentat aux droits de l’homme, une violation du décret qui défend d’expédier des cartouches infamantes, et de celui qui défend tous ordres emportant exil. Voilà les faits que la commune de Paris dénonce contre le sieur Latour-du-Pin, ci-devantministre de la guerre. Elle supplie l’Assemblée nationale de prendre ces faits en considération, de déclarer qu’il y a lieu à accusation sur ces faits contre le sieur Latour-du-Pin, d’ordonner que l’accusation sera instruite et jugée dans les formes prescrites par les lois constitutionnelles, par le tribunal ui sera incessamment organisé pour connaître es crimes de lèse-nation et des cas de responsabilité des agents du pouvoir exécutif; et de prendre, au surplus, les mesures que sa sagesse lui suggérera, d’après les observations qui terminent la dénonciation du sieur Champion, ci-devant garde des sceaux, pour qu’aucun agent du pouvoir exécutif ne puisse échapper à la responsabilité. DÉNONCIATION du sieur Guignard, par la commune de Paris. Il y a plusieurs mois que le procureur de la commune a dénoncé le sieur Guignard, comme principal auteur d’un complot de coqtre-révolu- [Assemblée nationale, J ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [10 novembre ITOO.i $63 tion. Si ce ministre n’a pas été décrété, ce n’est pas la faute de preuves ; c’est que le tribunal, qui était alors chargé d’instruire et de juger les accusations de crimes de lèse-nation, faisait lui-même la guerre à la Révolution. Cependant le procureur de la commune ne connaissait pas alors tous les faits qui tendaient à convaincre le sieur Guignard. Aujourd’hui même, il s’en faut bien que la commune les connaisse tous ; mais les faits connus démasqueront assez le sieur Guignard, pour qu’on lise sur son front ces mots gravés en gros caractères : Conspiration CONTRE SA PATRIE. Dans les premiers jours du mois de juillet 1789, il était encore permis de douter que l’Assemblée nationale parvînt à faire une bonne Constitution. C’est à cette époque que les Etats du royaume de Navarre émirent leur vœu pour être à jamais unis à la France, changèrent l’ordre de succession à la couronne pour adopter la loi salique, et annoncèrent le dessein de s’unir pour jamais à la France: mais ils crurent aussi qu’il serait imprudent de renoncer à leur Constitution qui était bonne, dans un temps où la France ne pouvait leur en offrir aucune en échange. Quand leur députation arriva à Versailles, on démollissaitla Bastille, et la Révolution étaitfaite. Peu de jours après, les fameux décrets du 4 août posèrent les bases de la plus belle Constitution qui ait jamais existé. Alors la députation pensa que ce nouvel état de choses pourrait fixer l’irrésolution de la Navarre. Elle demanda une convocation extraordinaire et prompte des Etats, pour qu’ils délibérassent sur l’adhésion ou la non adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale. Le sieur Guignard répondit à la députation, le 27 août 1789, qu’il ne voyait aucune difficulté à la convocation extraordinaire des Etats ; mais il ajouta qu’il n’y avait aucun inconvénient à ce que la Navarre conservât sa Constitution. Il fut en effet résolu dans le conseil du roi, du 28 août 1789, que les Etats de la Navarre seraient extraordinairement convoqués. Le sieur Guignard envoya les ordres pour la convocation au sieur de Lons, commissaire du roi dans cette partie. Mais il y joignit des ordres secrets pour empêcher toute délibération qui tendrait à l’adhésion de la Navarre aux décrets de l’Assemblée nationale. Les Etats furent convoqués. La disposition des esprits, et les pourparlers entre les trois ordres, annonçaient l’adhésion de la Navarre, lorsque le commissaire du roi crut devoir dissoudre les Etats, trois jours après leur convocation, sans leur donner le temps de délibérer. Et tandis que le sieur Guignard empêchait les Etats de Navarre d’adopter la Constitution française, il violait la leur ! Il faisait décider au conseil que le roi ne prêterait pas à la Navarre le serment qu’il lui devait, malgré la promesse que le roi avait faite par un écrit signé de lui de prêter ce serment. Il disait aux députés de Navarre que les engagements des rois envers les peuples étaient une affaire de circonstances. Il mettait les députés dans l’impossibilité de présenter à l’Assemblée nationale et au roi l’acte qui changeait l’ordre de succession à la couronne de Navarre. Il voulait donc que le royaume de Navarre fût à jamais séparé du royaume de France; qu’il perdît sa Constitution, sans être soumis à la Constitution française; que cette importante barrière, qui protège la France contre l’Espagne demeurât à la disposition du roi, et continuât d’être soumise au gouvernement arbitraire de ses ministres. Ces faits ont été dénoncés à l’Assemblée nationale, le 12 octobre 1789, par le syndic député du royaume de Navarre. Ils ont été publiés dans un ouvrage intitulé : Tableau de la Constitution du royaume de Navarre et de ses rapports avec la France , imprimé en 1789, par J.-Ch. Desaint. Dans le même temps à peu près, le sieur Guignard tenait les propos les plus séditieux contre la nation française et contre ses représentants. Il disait en pleine table, qu’il avait apporté de Constantinople un damas avec lequel il espérait de pouvoir couper quelques têtes dans Paris. C’est aussi vers la même époque qu’il supposait des dangers chimériques à Versailles pour avoir un prétexte de faire venir dans cette ville des renforts de troupes de ligne. On peut voir dans les pièces justificatives qui sont a la suite du rapport de M. Chabroud sur l’affaire des 5 et 6 octobre, quelle était la destination de ces troupes, quels étaient les projets et les mesures des sieurs Guignard, d’Estaing et autres, pour enlever le roi, la reine et la famille royale. 11 ne sera pas difficile de prouver que l’épouse du sieur Guignard alla le 4 octobre à Rambouillet pour y faire préparer les logements ; et l’on pourra juger par ce fait que le sieur Guignard jouait le principal rôle dans ce complot. Tout le monde connaît la fameuse conversation du 5 décembre 1789 entre le sieur Guignard et le sieur Bonne-Savardiu. La commune de Paris ne s’appesantira ni sur les détails, ni sur les preuves de celte conversation. Elle s’attachera au fait principal qui y est révélé. Le sieur Guignard avait formé un projet de contre-révolution. Le printemps de l’année 1790 était l’époque fixée pour faire éclater le complot. Le roi et ses ministres devaient aller visiter les provinces, et quand nous aurons le cul sur la selle , disait le sieur Guignard, nous verrons. L’interlocuteur lui demande quels sont ses moyens pour avoir des troupes qui puissent résister à la garde nationale. Le sieur Guignard garde son secret sur ce point. Mais il va nous apprendre lui-même quels sont ses moyens et ses espérances. D’une part, il attendait du dehors des troupes et de l’argent : c’était l’objet des négociations du sieur de Maillebois avec la cour de Turin et les princes d’Allemagne. D’une autre part, il espérait de grands secours des mécontents et des aventuriers dispersés dans l’intérieur du royaume. Mais il fallait pour ceux-ci des points de ralliement. Or, voici ce que le sieur Guignard a tenté pour former des noyaux d’armée qui fussent autant de foyer de contre-révolution. Le sieur Guignard écrit, le 6 mars 1790, aux principales municipalités de la Bretagne, pour leur annoncer un camp volant qu’il a résolu de former dans cette ci-devant province, sous le prétexte de repousser les brigands qui la dévastent. Le sieur d’Hervilly, à qui il avait confié le commandement de cette armée, était autorisé à la composer de divers détachements des troupes qui étaient dispersées dans la Bretagne. La lettre du sieur Guignard menaçait de la responsabilité les villes qui ne voudraient pas consentir à se laisser dégarnir de troupes pour former cette armée. Le nouveau général écrit de son côté aux mu- 366 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES* (10 novembre iîèOJ nicipalités, non pour leur déclarer qu’il se portera sur leurs réquisitions dans les lieux qui auront besoin de secours, mais pour leur apprendre qu’il est chargé des dispositions, pour leur dire qu’il espère qu’on se concertera avec lui, c’est-à-dire qu’on prendra ses ordres; pour leur vanter son patriotisme, et pour les préparer à tous les mouvements que la rigueur de la saison pourra exiger de lui. Si cette tentative eût réussi, le sieur Guignard aurait pu former à volonté, sous le même prétexte, des camps volants semblables dans d’autres parties du royaume. Ces camps auraient été autant de points *de ralliement pour les ennemis de la Révolution qui seraient venus grossir ces petites armées. Ce projet répandit l’effroi dans toute la Bre-tagne.Les craintes étaient d’autant moins chimériques, que dans le même temps le sieur Dambers provoquait à Marseille un combat général entre son régiment et la garde nationale de cette ville, et que, dans le même temps encore, on découvrit la conspiration du sieur de Maillebois, pour introduire en France 30 ou 40,000 hommes de troupes étrangères. Les députés de Nantes allèrent demander au sieur Guignard une explication sur ce point. Le sieur Guignard leur répondit qu’on n’avait pas l’intention de former de camp volant. Mais sa lettre du 6 mars disait formellement le contraire. Tous les députés de Bretagne s’assemblèrent en comité. Ils écrivirent, le 27 mars, au sieur Guignard pour le prier de leur faire, le plus tôt qu’il serait possible, une réponse satisfaisante, et propre à dissiper les alarmes de leurs concitoyens. Le ministre, par sa réponse, leur promit que le camp volant n’aurait pas lieu, que le sieur d’Hervilly n’aurait désormais rien à faire que de se tenir à son régiment, que si l’on avait besoin de lui, il marcherait dès qu’il en serait requis, et non autrement. Il chercha, de plus, à leur faire entendre que les inquiétudes qu’on avait conçues sur ce camp volant étaient mai fondées. « On devait présumer, dit-il, que M. d’Hervilly « ne ferait point un pas sans en être requis par « les municipalités. « On ne devait pas supposer que je voulusse « enfreindre les décrets de l’Assemblée nationale « sur l’usage des troupes réglées, puisque j’aurais « été responsable de cette infraction. « 11 est vrai que j’ai dit à MM. les députés de « Nantes, qu’il ne s’agissait pas d’un camp vo-« lant, parce que ce projet ne devait être mis en « exécution que dans le cas où plusieurs lieux « de la province auraient demandé à la fois des » troupes réglées. » Il est difficile de comprendre comment la Bretagne aurait pu se rassurer sur une présomption démentie par le fait, comment elle aurait pu présumer que le sieur d’Hervilly ne ferait que ce qu’il serait requis de faire par les municipalités, lorsqu’il avait écrit aux municipalités qu’il était chargé des dispositions, qu’il espérait qu'on se concerterait avec lui. Un général d’armée, chargé des dispositions, avec lequel le pouvoir civil est obligé de se concerter,- n’est certainement pas un homme obligé de ne faire que ce dont il sera requis par le pouvoir civil. Devait-on être plus rassuré par la responsabilité du minisire ? La formation des camps volants était un moyen de renverser la Constitution, qui avait établi la responsabilité. Si l’on eût laissé au sieur Guignard la liberté d’employer ses moyens, il n’y aurait eu bientôt ni Constitution ni responsabilité. Comment pouvait-on croire que le camp volant ne devait être exécuté, que dans le cas où plusieurs lieux de la Bretagne auraient demandé à la fois des troupes réglées, lorsque le ministre et le général l'annonçaient d’une manière absolue, comme une chose décidément arrêtée et qui allait s’exécuter ? « On formait, dit-on, ce camp volant, pour repousser les brigands qui dévastaient la Bretagne.» Mais les députés de Bretagne ont observé au sieur Guignard qu’une armée était inutile, si l’on ne voulait que repousser quelques paysans mal armés. Ils lui ont observé, qu’il n’y avait eu qu’une apparition momentanée de brigands dans un petit coin de la Bretagne ; qu’il n’y en avait plus, que tout était calme, lorsqu’il avait voulu former son camp volant. Etait-ce le moyen de pourvoir à la sûreté de toutes les villes, de toutes les bourgades, de tous les villages de Bretagne, qui sont répandus sur une surface d’environ 2.500 lieues carrées, que de dégarnir ces villes, ces bourgs et ces villages de toutes leurs forces militaires, pour en former une armée sur un seul point de cette immense surface ? Le plan du sieur Guignard était donc évidemment contraire au motif qui paraissait l’avoir déterminé. Il avait donc un autre but qu’on ne disait pas. Ce but secret était nécessairement criminel ; car si ce n’était pas un plan de protection pour maintenir la paix publique, ce ne pouvait être qu’un plan hostile pour tenter une contre-révolution. Ces faits sont prouvés par la correspondance imprimée des députés de Bretagne avec le sieur Guignard, intitulé camp volant. Si l’on joint à tous ces faits ceux qui ont été dénoncés par la commune de Marseille, et la lettre du sieur Guignard qui témoignait aux municipaux contre-révolutionnaires de Montauban, la satisfaction du roi sur leur conduite , on ue pourra qu'être étonné de l’excessive indulgence des représentants de la nation. Il est temps que de grands exemples apprennent enfin aux ministres prévaricateurs et à tous les agents du pouvoir exécutif qui machinent contre la chose publique, que la responsabilité n’est pas un vain nom. L’Assemblée nationale est donc suppliée de déclarer qu’il y a lieu à accusation du crime de lèse-nation contre le sieur Guignard sur les faits ci-dessus dénoncés, et d’ordonner que l’accusation sera instruite et jugée dans les formes prescrites par les lois constitutionnelles, par le tribunal qui sera incessamment organisé pour connaître des crimes de lèse-nation et des cas de responsabilité des agents du pouvoir exécutif. Elle est suppliée, en outre, de prendre en considération la pétition de la commune qui termine la dénonciation du sieur Champion, relativement aux deux articles constitutionnels concernant les ministres et les agents du pouvoir exécutif accusés du crime de lèse-nation, et d’en faire l’application au sieur Guignard.