SÉANCE DU 14 FRUCTIDOR AN II (31 AOÛT 1794) - N“ 18 147 BOURDON (de l’Oise) : Qu’il soit permis à un vieil ami de la révolution de vous faire sentir quel est l’état politique ou vous êtes. Depuis 1789, toutes les révolutions ont servi de piédestal à de nouvelles conjurations; je ne vous en retracerai pas la suite, vous la connaissez. Robespierre savait qu’il n’y avait qu’un moyen de les faire réussir : c’était de payer des misérables, des scélérats, ou des hommes égarés et trompés, pour les mettre en point de contact avec les aristrocrates; voilà pourquoi Robespierre fit demander par son complice Danton que l’on payât le peuple dans les assemblées de section. On avait décrété que l’on mettrait en liberté tous les individus arrêtés comme suspects pour des motifs qui ne seraient pas compris dans la loi du 17 septembre, ce décret était généreux et sage; il conciliait les intérêts de la patrie avec ceux des citoyens. Au lieu de l’éxécuter, on a fait sortir un marquis de Tilly, une comtesse d’Adhemar qui avait le tabouret chez la reine, un Dubayet qui a livré Mayence... REUBELL : Je demande la parole... BOURDON : Je demande, depuis la mémorable journée du 9 thermidor, qu’a-t-on fait ? On a proposé ici les assemblées primaires; on a agité le peuple pour les lui faire demander; ensuite un membre est venu avec une astuce perfide, proposer la liberté de la presse illimitée, et cela pour inventer des calomnies contre les meilleurs patriotes, pour les appeler la queue de Robespierre. On est venu encore avec un discours doucereux proposer de ne traiter aucun individu comme suspect, et de ne les juger que sur leurs actions. C’est-à-dire, par exemple, que si un homme était soupçonné hier de vouloir mettre le feu au magasins à poudre, il ne fallait l’arrêter qu’aujourd’hui, et non pas hier. Voilà l’extrait du discours de Tallien (On applaudit). Cette analyse de faits est trop frappante pour ne pas convaincre nos collègues qu’il existe une nouvelle conspiration qui voudrait se mettre à la place de Robespierre et de Danton. Je ne proposerai pas des mesures dont ils ont abusé. Je ne demanderai pas des cachots, il n’en faut pas dans une république, mais une police active et forte. (On applaudit). Les vérités que je viens de dire ne peuvent être prises en mauvaise part par aucun de nos collègues; car si on a proposé ces moyens de contre-révolution, la Convention les a rejetés à l’unanimité. J’ai parlé pour prouver que le volcan de Robespierre est encore existant, par les scélérats mis hors de prison. On ne m’accusera pas d’être inhumain; mais je ne puis voir sans indignation qu’on ait fait sortir des amis de Danton, un Fabricius, sa créature et son agent, 22 scélérats qui avaient mis les patriotes dans des cages de fer et voulu livrer Landau. On a effrayé la société en jettant parmi elle une foule de coquins, et les patriotes et les citoyens qui ne sont pas compris dans la loi du 17 septembre sont encore dans les fers; et l’on voit se promener dans les rues un infâme Dubayet qui a livré Mayence, tandis que mes parens qui étaient à ce siège m’ont assuré qu’il y avait encore pour six mois de farine et de bled. Je demande que les comités de Sûreté générale et de Législation prennent des mesures pour connaître les menées insidieuses des ennemis de la patrie (65). Un membre, après avoir rendu compte de différents faits, propose, et la Convention rend les deux décrets suivants : La Convention nationale décrète que ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, sont chargés de lui faire, le plutôt possible, un rapport sur tous les événements qui se sont passés depuis les 9 et 10 thermidor, et de proposer les moyens de comprimer les malveillans (66). RÉAL : Je demande la parole pour un objet urgent. Parmi les citoyens appelés pour former le tribunal révolutionnaire à Paris, il en est qui remplissent des fonctions importantes dans les départements, et qui n’ont point de suppléants. Tels sont les accusateurs publics près les tribunaux criminels. La loi qui réorganise le tribunal révolutionnaire porte que les fonctionnaires publics qui n’ont point de suppléants seront provisoirement remplacés par la Convention; mais cette loi ne détermine point sur la présentation de quels comités se fera cette nomination. Il résulte de ce silence de la loi qu’il y a tel département où l’action de la justice criminelle est paralysée. Pour faire cesser cette incertitude et mettre de l’uniformité dans les principes du gouvernement révolutionnaire, je demande que la Convention nationale adopte pour le remplacement provisoire de ces fonctionnaires publics le mode décrété pour le renouvellement des comités révolutionnaires. (Le projet proposé est décrété en ces termes) (67). La Convention nationale décrète que ceux des fonctionnaires publics appelés pour former le tribunal révolutionnaire, qui n’auront point de suppléants, seront provisoirement remplacés par les représentants du peuple en mission dans les départements où il s’y en trouvera; et par la Convention, sur la présentation du comité de Législation, dans les départements où il n’y aura point de représentants (68). Tallien, Merlin (de Thionville), Reubell, réclament la parole. CARRIER: J’ai entendu Tallien aux Jacobins; je lui demande quel était ce 10 fructidor dont il parlait. Qu’il s’explique là-dessus. Le Président: La parole est à Merlin (de Thionville). (65) Débats, n° 712, 267-270; Moniteur, XXI, 645-646; J. Mont., n° 124; C. Eg., n° 743; J.S.-Culottes, n° 563; Ann. Patr., n° 608; Ann. R.F., n° 273; Rép., n° 255; J. Perlet, n° 708; F. de la Républ., n° 424; Gazette Fr., n° 974; Mess. Soir, n° 743; M.U., XLIII, 236. (66) C. 318, pl. 1281, p. 46, minute signée de Bourdon. Décret n° 10 665, anonyme selon C*Il20, P-276. Bull., 15 fruct. (suppl.); Rép., n° 255 (suppl.). (67) Moniteur, XXI, 684. (68) P. V., XLIV, 249-250. C 318, pl. 1281, p. 48, minute signée de Réal; décret présenté par le comité de Législation n° 10 662. J. S.-Culottes, n° 563.