4370 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.1 « Nous ne parlons pas des dépenses énormes qu’il faudrait faire pour recommencerinutilement tant de procès. Cette considération n'est rien devant les principes. Le véritable intérêt de la nation, c’est l’intérêi de la loi. Mais remarquez qu’ici la loi irait directement contre le but qu’elle se propose. Remarquez que nous ne jugeons pas des prôcès qui naissent de jour en jour, que nous n’avons pas des nullités accidentelles à prononcer. Nous avons à juger une masse ancienne de procès toute viciée, touie infectée de nullités dès l’origine. Nous ne pouvons pas détruire une procédure, sans en détruire mille. Le même principe nous conduirait forcément au même résultat. « Les prisonniers sont dans une agitation qui tend à l’insubordination et à la révolte. Tourmentés par la captivité, par la douleur, par les maladies, par tous les genres de calamités qui se réunissent sur eux, et qui les pressent, les uns sont abattus et se consument lentement ; les autres s’irritent et seroidissent violemment contre leurs fers. « Et ne croyez pas, Messieurs, qu’il y ait ici aucune exagération. Nous avons vu, jusque dans nos audiences, des preuves marquées de désespoir. Récemment, une femme que Injustice n’a pas trouvée coupable, a été emmenée dans un de nos tribunaux. A l’instant même où son procès allait être rapporté, son conseil l’abandonna. On lui donne un autre conseil ; on lui dit que le lendemain elle sera jugée; il n’y avait qu’un jour à attendre; mais un jour est apparemment un siècle dans les prisons. L’infortunée fond en larmes; elle pousse des cris déchirants ; elle se frappe la tête contre le barreau, en maudissant ses juges; et le public, témoin de cette scène, la voit emporter par deux fusiliers. « Oui, les maux sont multipliés, ils sont constants, et jusqu’ici nous en avons inutilement cherché les remèdes. Nous nous sommes assemblés plusieurs fois, nous avons tenu des conférences, nous avons exposé au ministre de la justice nos difficultés; le ministre n’a pas cru pouvoir les résoudre. 11 nous a dit que nous avions la loi sous les yeux, et que nous trouverions dans nos lumières et dans nos consciences les motifs de nos décisions. Certes, c’est toujours là que nous les avons cherchés, ces motifs : mais avec les mêmes intentions, nous sommes arrivés à des résultais différents. Les uns, attachés au texte de la loi, l’ont appliquée scrupuleusement dans tous les cas; les autres, croyant saisir l’esprit de la loi, sa volonté qui est le bien, ont craint de faire le mal en son nom; ils n’ont point prononcé les nullités, lorsqu’elles se tournent contre les accusés eux-mêmes, et que leurs conseils se gardent de les faire valoir. Ils ont distingué dans les nullités celles qui attaquent le corps des preuves, l’information, par exemple, ou plutôt les dépositions que contient l’information, et celles qui n’attaquent que les actes étrangers, isolés de l’information. « Cependant l’esprit des tribunaux n’étant pas le même, chacun suit le sien; l’un infirme ce que l’autre aurait confirmé; l’un fait languir un accusé pendant 6 mois, pour la plus grande perfection de la procédure, tandis que l’autre le fait sortir 6 mois plus tôt, pour le plus grand bien de la justice. Il faut un accord entre nous ; et puisque nous voulons tous l’utilité publique, il faut que nous y arrivions tous. « Vous pouvez, Messieurs, nous conduire à ce but également désiré. Vous pouvez nous autoriser à n’avoir égard aux nullités, qu’autant qu’elles attaquent le corps des preuves, et noua dispenserdeles prononcer, lorsquelles ne frappent que sur les actes de procédure et de simple instruction. « Nous attendrons, Messieurs, avec respect le décret que vous prononcerez dans votre sagesse. Des circonstances graves ont déterminé notre démarche; elles détermineront sans doute votre décision. Le temps presse, la justice souffre, les accusés languissent, les prisons regorgent : ces demeures souterraines qui recèlent dans leur sein les éléments de tous les.crimes, travaillées depuis longtemps d’une fermentation sourde, peuvent s’entr’ouvrir par une explosion subite et vomir sur Paris tous les désordres à la fois. » M. le Président. Messieurs, l’Assemblée nationale partage les sentiments d’bumanité qui vous animent et il est bien pénible pour elle que ces sentiments soient combattus par le respect qu’elle doit elle-même aux lois qui, par sou organe, ont proclamé la volonté nationale sur les formes de la procédure criminelle. L’Assemblée nationale, Messieurs, se fera rendre compte de votre pétition; elle en balancera dans sa sagesse les inconvénients; et ce sera pour elle une véritable jouissance si elle peut, en l’adoptant, couvrir du voile de l’humanité les défauts de forme que vous lui dénoncez, et dont les suites effraient justement votre sensibilité. (L’Assemblée décrète que la pétition des membres des tribunaux criminels de Paris sera renvoyée aux comités de législation criminelle et de Constitution, pour lui eu être rendu compte à la séance de jeudi matin, 2 juin, à l’heure de midi.) Une députation des graveurs de Paris est admise à la barre. Un d'entre eux prend la parole et fait connaître la pénible existence des artistes sous le règne du despotisme, se promettant que tout sera reconquis sous le règne de la liberté; et passant rapidement sur la défaveur que l’art de la gravure éprouve en France, il présente un mémoire et un projet de loi pour démontrer l’utilité de la gravure, l’importance de lu cultiver et les moyens d’encouragements qu’il convient de lui donner. Il termine ainsi : Comme artistes, nous n’avons pas besoin de lois : le génie n’en connaît pas d’autres que celles qu’il .s’impose à lui-même. Mais, comme membres de l'État, nous devons être protégés; car il s’enrichit de notre industrie. Nous venons solliciter une loi qui assure notre propriété, eu défendant les contrefaçons, seul moyeu de la conserver. M. le Président répond ; L’Assemblée nationale, Messieurs, connaît les rapports intimes qui lient les arts à la liberté publique. Ceux-là ont bien méconnu ou calomnié les vues du Corps législatif, qui ont craint ou feint de craindre de voir les arts oubliés ou tombés en décadence sous le gouvernement libre que la volonté souveraine de la nation vient d’élever sur les débris du despotisme. Les arts, sous le régime d’où nous sortons, n’étaient cultivés que par le désir qu’avaient les riches, de varier les jouissances du luxe et par le besoin de satisfaire leur caprice; sou-le régime de la liberté, au contraire, ils auront uraigui-lon, l’enthousiasme de la gloire, et pourprotecteur, l’amour de la patrie. Dans peu, les artistes français feront revivre, sous nos yeux, tous les chefs-d’œuvre qui ont illustré Athènes et Corinthe.