[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. donnée le 29 juillet par plusieurs gentilshommes des bailliages d’Ëxmes et u Argentan, secondaires du bailliage d’Alençon. Il a été donné lecture du projet de rédaction du procès-verbal de la séance d’hier soir, qui sera représenté à l’Assemblée avant d’être imprimé. MM. les députés du clergé et de la noblesse d’Alsace ont dit, par l’organe deM. leprïnce de Brogiie, que s’étant trouvés hier en trop petit nombre à l'Assemblée pour se permettre de prendre une résolution définitive, et s’étant réunis ce matin, ils déclaraient adhérer à ce qui a ôté décidé hier par la pluralité des provinces; qu’ils se faisaient honneur d’adopter les sentiments patriotiques dont plusieurs avaient eu l’avantage d’énoncer le vœu les premiers, et qu’ils allaient rendre compte à leurs commettants de l’engagement qu’ils prenaient pour eux, et sous leur ratification. 11 a été donné acte à MM. les députés du clergé et de la noblesse d’Alsace de leur déclaration, qu’ils ont remise signée d’eux, sur le bureau. MM. les députés des communes et des villes impériales d’Alsace, par l’organe de MM. Rew-bell et Bernard, ont fait la môme déclaration pour leurs commettants respectifs. MM. les députés de la noblesse de Touraine ont remis sur le bureau une déclaration signée d’eux, portant que, quoiqu’ils eussent adhéré avec empressement aux abandons et sacrifices qu’a exigés l’extinction du régime féodal, consentis par tous les représentants de la noblesse des autres provinces, ces abandons et sacrifices excédant leurs pouvoirs, ils ne les ont pu ni dû faire que sous la réserve de l’adhésion que leurs commettants s’empresseront sûrement de donner, et qu’ils notifieront avec la plus grande satisfaction à l’Assemblée nationale, dès qu’ils l’auront reçue. M. l’abbé Saurine, député du clergé de Béarn, a aussi déposé sur le bureau une déclaration signée de lui, portant « qu’ayant des pouvoirs illimités de ses commettants pour concourir au plus grand bien général, il adhère, en leur nom, à tous les arrêtés et délibérations pris jusqu’à ce jour par l’Assemblée nationale, et à tous les; arrêtés et délibérations qu’elle prendra à l’avenir, ses commettants étant disposés à faire en conséquence tous les sacrifices, et n’ayant rien de plus à cœur que de manifester, en toute occasion, le patriotisme le plus pur et le plus étendu. » M. le marquis de Clermont-Mont-Saint-Jean, député du bailliage de Belley en Bugey, a déclaré, au nom de ses commettants, par un écrit qu’il a signé et déposé sur le bureau, que s’étant trouvé absent de la séance du 4 au 5, il se réunit aux députés des deux autres ordres de ce bailliage, pour tous les abandons et sacrifices qu’ils ont faits pour le bien public. M. le vicomte dcBroves etM. le comte de Juigné, députés de la noblesse de la sénéchaussée de Draguignan, en adhérant à tout ce qui a été arrêté dans la soirée d’hier 4 de ce mois, ont déelarô que par la nature de leur mandat, n’ayant pu donner sur beaucoup d’articles que leur vœu personnel, ils réservent expressément à cet effet l’adhésion particulière de leurs commettants, et croient pouvoir assurer d’avance qu’ils ne le céderont point en générosité aux gentilshommes les plus patriotes du royaume. ils ont demandé que cette déclaration, signée [5 août 1788.] d’eux, fût insérée dans Je procès-verbal de cetfe séance. M. le comte de Montmorency donne lecture de l’arrêté pris dans la séance d’hier, tel qu’il a été libellé par le comité de rédaction. projet d’arrêté. L’Assemblée nationale considérant: 1° Que dans un Etat libre, les propriétés doivent être aussi libres que les personnes; 2° Que la force de l’Empire ne peut résulter que de la réunion parfaite de toutes les parties, de l’égalité des droits et des charges; 3° Que tous les membres privilégiés, et les représentants des provinces et des villes se sont empressés de faire, comme à l’envi, au nom de leurs commettants, entre les mains de la nation, la renonciation solennelle à leurs droits particuliers et à tous leurs privilèges ; Arrête et décrète ce qui suit: Art. 1er. Les mainmortes, mortes-tailles, corvées, droits de feu, guet et garde, et toutes autres servitudes féodales, sous quelque dénomination que ce soit, même les redevances et prestations pécuniaires établies en remplacement d’aucuns de ces droits, sont abolis à jamais sans aucune indemnité. Art. 2. Les droits de banalité, quels qu’ils soient, et tous droits seigneuriaux, tels que cens, rentes, redevances, droits de mutations, cham-parts, terrages, droits de minage, mesurage et autres, sous quelque dénomination que ce soit, seront rachetables à la volonté des redevables, au prix qui sera fixé, soit de gré à gré, soit selon les proportions qui seront réglées par l’Assemblée nationale. Art. 3. Le droit exclusif de colombier est aboli à jamais. Les fuies et colombiers sont supprimés. Art. 4. Le droit exclusif de la chasse et de la pêche est pareillement aboli, et tout propriétaire est autorisé à pêcher et à faire pécher dans les ruisseaux et rivières qui coulent le long de sa terre, à détruire et faire détruire, seulement sur son héritage, toute espèce de gibier. Art. 5. Le droit de garenne est également aboli. Art. 6. Les justices seigneuriales sont supprimées sans indemnités, et néanmoins les officiers de ces justices continueront leurs fonctions jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par l’Assemblée aux moyens de rapprocher la justice royale des justiciables. Art. 7. Les dîmes en nature, ecclésiastiques, laïques et inféodées pourront être converties en redevances pécuniaires, et rachetables à la volonté des redevables, selon la proportion qui sera réglée, soit de gré à gré, soit par la loi, sauf leur remploi à faire par les décimateurs. Art. 8. Toutes les rentes foncières, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu’elles soient, seront rachetables. Art. 9. Il sera pourvu incessamment à l’établissement de la justice gratuite, et à la suppression de la vénalité des offices de judicature. � Art. 10. Les droits casuels des curés de campagne sont supprimés; il sera pourvu à l’augmentation des portions congrues et à la dotation des vicaires, et il sera fait un règlement pour fixer le sort des curés des villes. Art. 11. Tous privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides, sont abolis à jamais ; la perception s’en fera sur fous les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1789.] 353 citoyens et sur tous les biens, de la même manière et dans la même forme, et il va être avisé aux moyens d’effectuer le payement proportionnel de toutes les contributions, même pour les six derniers mois de l’imposition courante. Art. 12. Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouissaient, et dont le sacrifice est nécessaire à l’union intime de toutes les parties de l’Empire, il est déclaré que lous les privilèges particuliers des provinces, principautés, villes, corps et communautés, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont abolis sans retour, et demeureront confondus dans les droits communs à tous les Français. Art. 13. Tous les citoyens, sans distinction de naissance, pourront être admis à tous les emplois et dignités ecclésiastiques, civils et militaires. Art. 14. Les anDates et les déports sont supprimés. Art. 15. La pluralité des bénéfices et des pensions ecclésiastiques n’aura plus lieu pour l’avenir. Art. 16. Sur le compte qui sera rendu à l’Assemblée nationale de l’état des pensions et des grâces, elle s’occupera de la suppression de celles qui n’auraient pas été méritées, et de la réduction de celles qui seraient excessives, sauf à déterminer la somme dont le Roi pourra disposer pour cet emploi. Art. 17. L’Assemblée nationale décrète qu’en mémoire des grandes délibérations qui viennent d’être prises pour le bonheur de la France, une médaille sera frappée, et qu’il sera chanté un Te Deum, en actions de grâces, dans toutes les paroisses et églises du royaume. Art. 18. L’Assemblée nationale proclame solennellement le Roi Louis XVI, restaurateur de la liberté française. Art. 19 et dernier. L’Assemblée nationale se rendra en corps auprès du Roi, pour présenter à Sa Majesté l’arrêté qu’elle vient de prendre, pour lui porter l’hommage de sa respectueuse reconnaissance, et la féliciter du bonheur qu'elle a de commander à une nation si généreuse. Sa Majesté sera suppliée de permettre que ce Te Deum soit chanté dans sa chapelle, et d’y assister elle-même. Lecture faite du projet d’arrêté, il est reconnu que la discussion ne pourra pas porter sur le fond, mais uniquement sur la forme. La séance est levée et remise à demain neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du jeudi 6 août L789 (1) La séance est ouverte à neuf heures du matin. 11 est fait lecture des adresses de félicitation et d’adhésion des trois ordres de Saint-Maixant, de Toulon-sur-Ârroux, de la ville de Limoux, du sieur Louis Paulin de Lavie, avocat en parlement, habitant de la ville de Monestier-Saint-Chaffre en Yélay; des trois ordres de Felletin, de la ville de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. ’ lre Série, T. VIII. Berres ; de plusieurs citoyens, officiers municipaux, électeurs et commune d’Hennebont; delà ville de Digne, de la ville de Lorient, de la ville de Saint-Fargeau, de la ville de Villeneuve-le-Roux, de la ville d’Ambert en Auvergne, de la ville de Carcassonne; des trois ordres de Narbonne, des trois ordres de la ville de Montalieu, diocèse de Carcassonne; de la communauté de Draguignan ; des trois ordres de la sénéchaussée de Béziers; des citoyens de Lodève; des trois ordres de la ville d’Agde, de la ville et paroisse de Saint-Nicolas de Londeau, de la ville de Siste-ron; de la principauté, et nommément des arbalétriers d’Orange ; des jeunes citoyens de la ville de Bergues, à laquelle est jointe une délibération des officiers municipaux ; du comité des électeurs des communes du bailliage de Bourbon-Lancy, de la ville de Thiers, de la ville de Vanvez, diocèse de Nîmes; de la ville d’Arles, de la ville de Tours, de la ville de Calais, de la ville de Port-Louis, de la ville d’Alais, de la ville de Lunéville, du bourg de Chorges en Dauphiné; enfin, de la commune de Loriol en Dauphiné. M. le Président annonce qu’on va relire le projet d'arrêté rédigé par le comité de rédaction; il rappelle de nouveau aux membres qui auraient des observations à proposer, qu’elles ne doivent porter que sur la rédaction et non sur le fond. Le projet d’arrêté est relu pour être discuté article par article. Après celte lecture, un grand nombre d’orateurs se présentent pour discuter les articles. M. le curé de.... Tous les membres privilégiés se sont empressés de faire un généreux abandon des droits qui ne paraissent avoir d’autre fondement qu’un usage antique. Je conçois très-bien que la sanction royale n’est pas nécessaire pour l’abolition des droits abusifs dont le clergé et la noblesse viennent de faire un sacrifice à la chose commune. Mais il est des droits qui sont plus respectables. Vous pensez que le Roi réunit les droits d’une infinité de fondateurs. Croyez-vous, Messieurs, que l’on puisse se porter à l’abolition de ces droits sans la sanction expresse du monarque? Réfléchissez que ces droits remontent jusqu’à Charlemagne; que les dîmes sont des concessions consenties au moins tacitement par tous les Etats généraux précédents. Elles sont donc des propriétés, et à ce titre elles sont inviolables et sacrées. Forcez, Messieurs, les détenteurs de ces propriétés à en faire l’usage qu’ils doivent en faire; qu’elles refluent sur la classe indigente des citoyens. Sages médecins des maux de la France, ne souffrez pas que quelques individus soient des espèces de polypes qui absorbent tous les sucs nourriciers. Faites-les, ces sucs, couler par différents canaux pour vivifier le corps entier; mais gardez-vous d’en tarir la source. D’ailleurs, quand même je le voudrais, il n’est pas en mon pouvoir de consentir à la suppression des dîmes; ce serait aller diamétralement contre le vœu de mes commettants. Je demande donc que l’article des dîmes soit distrait de l’arrêté. Cette observation obtient peu de faveur, et elle excite des rumeurs dans une grande partie de l’Assemblée. Un noble du Limousin, qui, jusqu’ici enchaîné par des pouvoirs impératifs, jouissait des pre-23