420 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE une véritable école d’économie rurale, qui serait consacrée à des expériences relatives à l’objet dont il s’agit; on y entretiendrait une portion de tous les animaux que le climat permet d’élever. L’établissement proposé est d’un tel avantage pour la République que, sous le rapport seul des chevaux, le plan soumis à la Convention devrait être adopté. Je m’appuierai d’une réflexion de Buffon. A la fin de son article sur le cheval : « je ne puis, dit ce célèbre naturaliste, terminer l’histoire du cheval sans marquer quelques regrets de ce que la santé de cet animal utile et précieux a été jusqu’à présent abandonnée aux soins et à la pratique souvent aveugle de gens sans connaissance et sans lettres. La médecine, que les anciens ont appelée médecine vétérinaire, n’est presque connue que de nom. Je suis persuadé que, si quelque médecin tournait ses vues de ce côté-là, il ferait de cet état son objet principal, et en serait bientôt dédommagé par d’amples succès; que non seulement il s’enrichirait, mais même qu’au lieu de se dégrader il s’illustrerait beaucoup, et cette médecine ne serait pas si conjecturale et si difficile que l’autre. La nourriture, les moeurs, l’influence du sentiment, toutes les causes, en un mot, étant plus simples dans l’animal que dans l’homme, les maladies doivent aussi être moins compliquées, et par conséquent plus faciles à juger et à traiter avec succès, sans compter la liberté qu’on aurait tout entière de faire des expériences, de tenter de nouveaux remèdes, et de pouvoir arriver sans crainte et sans reproche à une grande étendue de connaissances en ce genre, dont on pourrait même, par analogie, tirer des inductions utiles à l’art de guérir les hommes ». Le rapporteur propose un projet de décret en vingt articles, dont les dispositions ont été développées dans le rapport. Le projet de décret est ajourné à une séance prochaine. 66 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de SAINT-MARTIN au nom] de son comité des Secours publics sur la pétition d’Henri-Nicolas Latoison, François Puffins, Timothée Arnous, Joseph Briere, domiciliés à Nantes, département de la Loire-Inférieure, lesquels ont été acquittés et mis en liberté par jugement du Tribunal révolutionnaire de Paris, du 28 fructidor, après une détention, savoir : Timothée Arnous et Nicolas Latoison, de dix mois et demi; et François Puffins et Joseph Briere, de dix mois; Décrète que, sur le vu du présent décret, la Trésorerie nationale paiera à chacun desdits Arnous et Latoison la somme de 1 050 L, et à chacun desdits Puffins et Briere celle de 1 000 L, à titre de secours et indemnité, et pour les aider à retourner dans leur domicile. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (113). 67 Sur le rapport de Dubois-Crancé, organe du comité Militaire, la Convention rend le décret suivant (114) : La Convention nationale, considérant que les officiers réformés de la garde nationale soldée de Paris, et attachés par la loi du mois d’août 1791 à la suite des ré-gimens qui ont été formés de cette garde soldée, n’ont cessé d’être employés depuis cette époque au classement des nouvelles levées ou à la police des hôpitaux de Paris, où ils touchoient leurs appointemens ; Considérant que la loi du 2 thermidor, sur la solde des troupes, ne comprend que les militaires présens à leurs corps, aux hôpitaux ou absens par congé, ce qui prive les officiers de la solde qu’ils étoient dans l’usage de toucher; Décrète que les officiers qui ont été réformés de la garde nationale parisienne, et attachés avec leurs appointemens à la suite des différens corps composés de cette garde, par la loi du mois d’août 1791, continueront à jouir du même traitement qui leur étoit attribué avant la loi du 2 thermidor, et seront payés mois par mois desdits appointemens par la Trésorerie nationale, sur état de revue du commissaire des guerres de leur division. Quant au remplacement desdits officiers, la Convention renvoie au comité de Salut public pour y pourvoir. Le présent décret ne sera pas imprimé (115). 68 Un membre prononce un discours ou essai sur la morale calculée; la Convention en ordonne l’impression et la distribution, et renvoie le projet de décret, qui termine ce discours, à l’examen du comité d’instruction publique (116). LAVICOMTERIE : Citoyens, après mille siècles d’erreurs, de crimes et de calamités; (113) P.-V., XLVII, 43. C 321, pi. 1332, p. 20. Minute de la main de Saint-Martin, rapporteur. Bull., 17 vend, (suppl.). (114) J. Fr., n° 743; J. Paris, n° 8; Mess. Soir, n° 781; M. U., XLIV, 280. (115) P.-V., XLVII, 43-44. C 321, pl. 1332, p. 21. Minute de la main de Dubois-Crancé, rapporteur. (116) P.-V., XLVII, 44. Décret attribué à Lavicomterie par C* II 21, p. 7. SÉANCE DU 17 VENDÉMIAIRE AN III (8 OCTOBRE 1794) - N° 68 421 après mille siècles d’une dépravation profonde et générale dont l’homme fait la nature auteur ou complice, je viens vous parler un instant de ses lois immuables et justes comme elle : je viens vous parler de morale, de vertu, du bonheur qui l’accompagne ; je vais tenter d’adoucir, de soulager les maux que les tyrans de l’humanité lui ont fait. De futiles orateurs, des fous, des charlatans de toute espèce, lâches et coupables fauteurs de la tyrannie, traînèrent trop longtemps après eux la foule des humains, leur donnèrent de leurs mains sacrilèges des recettes barbares, des poisons pour des remèdes. On vit de loin en loin quelques philosophes lutter contre l’erreur, contre la perversité publique ; après de vains efforts, le torrent les entraîna, les engloutit. Alors l’oeuvre fatale au monde fut consommée ; le double monstre de l’esclavage et du fa-natisme sembla le frapper pour jamais d’aveuglement, de fureur et d’effroi. Alors le sort du sage isolé, seul perdu dans l’univers, fut affreux; contraint de cacher, de dévorer ses larmes, il n’eut que le ciel pour soutien, et pas un ami sur la terre. Socrate boit la ciguë que lui prépare un prêtre de Cérès; et je vois en morale, depuis Socrate jusqu’à nos jours, un vide de trois mille ans. On n’en parla jamais tant dans l’Inde, dans la Grèce et dans Rome que dans notre Occident; depuis l’irruption des barbares de l’empire romain, depuis le funeste concile de Nicée, où présidait un parricide, il n’y eut pas de sacristain, de prétendu docteur, de plat anachorète qui ne parlât de la morale. Je viens après eux exposer devant la Convention des idées simples sur la science des moeurs ; heureux, si quelques réflexions que m’a dictées l’amoin* de la nature, l’amour de l’humanité, peuvent servir à son bonheur. J’essaierai de calculer par quels moyens on peut diminuer la somme effrayante d’horreurs, de crimes et de perversité; par quels moyens on peut diminuer par conséquent la masse énorme d’infortunes publiques et particulières qui en sont la suite inévitable et méritée. Ces moyens seront simples, seront pris dans les ressorts primitifs, dans les rapports nécessaires de l’homme avec l’homme. Je tenterai enfin de remonter la pensée primordiale, la raison immuable ; j’oserai me ressaisir du fil de la nature, abandonné depuis de longues révolutions. Si j’épargne un soupir au civisme, à la vertu ; si j’empêche une larme de couler, je meurs content, et mon but est rempli. La morale ne fut jamais dans les recueils poudreux des Puffendorf, des Quesnel, des Grotius; encore moins dans cet amas gothique et barbare de distinctions, de sophismes, des Thomas, des Augustin, des Jérôme. Ces charlatans, jadis si révérés, ont indignement confondu toutes les notions du juste et de l’injuste, du vice et de la vertu. Ces révérends fous ont rempli pendant quinze cents ans l’Europe de leur démence; et plût au ciel que leurs visions n’eussent été que ridicules! Mais les fureurs sacerdotales, les fureurs de l’école, excitées, allumées par eux, ont semé, ont couvert l’Europe entière, une partie de l’Afrique, de l’Asie et du Nouveau-Monde, des membres déchirés, des lambeaux noirs et sanglants des chrétiens stupides, féroces et malheureux. Mais enfin, après quinze siècles de carnage, après quinze siècles de larmes et de sang, la philosophie a brisé le sceptre de fer, a brisé le poignard du fanatisme dans ses mains parricides; mais enfin la raison a mis un terme à leur atroce folie, a fermé les plaies profondes qu’ils avaient faites à l’humanité ; mais un ressouvenir long et cruel, une cicatrice affreuse en restera longtemps encore. Je n’attaquerai point la dépravation successive, presque éternelle par l’immortalité du souffle qui nous anime, ni par l’existence toujours agissante, toujours présente de la nature, qui peut, fait, détruit tout pour le refaire encore. Ces idées, ces vérités, consolantes pour la vertu, ne frappent pas un coup assez fort pour arrêter des grands criminels la fatale énergie. Citoyens, il n’importe pas au bonheur de la République et du monde de sonder les abîmes sans fond de la métaphysique, mais de trouver sur la terre un point d’appui, un principe démontré, d’où découle invinciblement la félicité publique, auquel les lois rappellent, se rattachent sans cesse, si vous voulez que la liberté triomphe du temps, des secousses et des révolutions. Il est des empires, il est des agrégations d’hommes qui, sous le nom même de républiques, sont dans un état de vieillesse, de caducité permanente. Semblables à un corps rachitique, ils se soutiennent par des efforts inouïs pendant quelques générations, ce qui n’est qu’un point dans le torrent inépuisable des siècles et des jours ; et cet état malheureux n’est dû qu’au défaut de lois qui reposent sur la morale. La créance des supplices éternels en intensité et en durée, destinés aux coupables, le Tar-tare, l’Achéron des anciens, n’attestent que l’impuissance des législateurs, ne présentent que l’ignorance mille fois démentie des prêtres, des fourbes qui les ont inventés. Il n’y a pas de vieille, il n’y a presque pas un enfant qui ne sache aujourd’hui que ces contes, que ces impostures ont fait le tour du monde sans le rendre meilleur. J’attaquerai donc, je renverserai des tréteaux anciens et modernes; je détruis, je chasse devant moi des fantômes bizarres et cruels; je mets à leur place les lois primitives, sur lesquelles sont posées, sont établies les bases immuables de la société ; je mets à la place d’une doctrine mystique et mensongère la raison qu’on entend d’un pôle à l’autre; la raison, la morale, la liberté, l’égalité, l’humanité, la nature, voilà les divinités que j’adore, voilà les divinités qui consoleront la terre des maux que lui ont faits les tyrans et les prêtres. Tout ce qui fut, est et sera, l’auteur inexplicable, inexpliqué de la nature, ne peut être rendu par un emblème. Des emblèmes furent toujours et seront encore les dieux des fanatiques et des fripons. 422 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les planètes, que les peuples antiques de la Chaldée ne consultèrent d’abord que pour fixer le retour, la fin étemelle des saisons ; l’astre étincelant qui, sans s’épuiser, roule dans l’espace infini la lumière par torrents, qui les roule depuis des millions d’années; ce globe de feu qui, dans sa vieillesse immortelle, donne la vie, détruit, fait tout renaître ; le soleil que les anciens Persans révérèrent d’abord comme l’auteur de la fécondité de la terre, eut bientôt ses mages, ses charlatans et ses prêtres. L’Egypte consacra dans l’origine le boeuf comme un animal nécessaire au labour; l’oignon, comme une plante salutaire ; dans l’Inde, la vache fut révérée comme un animal utile ; et tout a fini par être adoré ; tout emblème a dégénéré en superstition grossière, en vile idolâtrie. Il est temps d’achever de détromper les vieux enfants de la terre, de ne plus montrer aux hommes des fantômes qui égarent, qui faussent leur raison ; il est temps de marcher devant eux, la morale calculée à la main; cette morale, et le chef d’oeuvre, et une combinaison admirable, et le digne ouvrage de la nature, est le digne ouvrage de ce Dieu que le prêtre outrage, méconnaît, et que tout annonce. Il faut donc forcer les hommes d’être vertueux par leurs propres intérêts, leur faire voir que leurs besoins et leurs devoirs sont liés d’une chaîne indissoluble qu’ils ne peuvent tenter de briser sans se rendre malheureux; et le problème du bonheur du monde est résolu, parce que le bonheur et la vertu sont inséparables. Malheur étemel à qui peut en douter! Calculons par quelle magie, par quel voeu tacite de la totalité des êtres, tout scélérat se donne bien des tourments pour n’être que malheureux ; et si la démonstration, si le calcul est évident, il embrassera nécessairement la vertu, parce que nul individu ne travaille pour le malheur. Je ne peux donner dans ce discours qu’un aperçu rapide de preuves; je laisserai à des mains plus heureuses le soin, la tâche honorable d’achever le code du genre humain, le catéchisme respectable de la morale. Je ne dirai point à l’homme, comme les prêtres, comme les fourbes de tous les siècles : Dieu, la nature te pardonnera tes crimes si tu observes tel rite, si tu pratiques telle cérémonie, si tu fais telle expiation, etc. ; je lui dirai, au contraire : Non, il ne te pardonnera point; ta grâce n’est pas en sa puissance. Un crime commis, il n’en peut empêcher les effets qui retombent sur ta tête, il n’en peut empêcher le résultat inévitable qu’il y a attaché en créant les hommes, en créant la morale, qu’il ne peut changer. Il est moins impossible que la race des hommes périsse tout entière que la morale, tant que les hommes, tant que deux hommes existeront. Cette vérité profonde est le grand ressort de l’univers moral. Au lieu de ces fourberies antiques et cruelles dont des prêtres menteurs ont aveuglé l’homme malheureux, ont aveuglé jusqu’au sauvage errant dans les forêts, je lui dirai : « O toi qui cherches le bonheur dès l’instant que tu vois le jour; qui ne peux vaincre, quoi que tu fasses, ce désir inné, énergique et tout-puissant, obéis à cette loi générale, à ce ressort admirable, unique et suprême, par qui la nature fait mouvoir, conduit, régit, perpétue l’univers animé; elle l’a profondément gravée dans ton coeur ; elle en a fait un mode invincible, nécessaire à ton existence, à ta conservation. Sois donc heureux ; mais souviens-toi que tu marches dans la même route que le reste des humains; sois donc heureux, mais souviens-toi que tu ne peux l’être tout seul : la somme de ton bonheur a pour limite le bonheur de ton semblable ; si tu veux la franchir, les tourments, les haines, les vengeances s’accumuleront sur ta tête; l’atteinte que tu porteras au bonheur destiné à chaque individu ne te donnera que des soucis, des supplices et des remords. Leur vengeance sera ou publique, ou secrète, ou lente, ou précipitée, mais toujours inévitable : tel est l’ordre du destin, auquel tu ne peux te soustraire. » Les exemples ne manqueront point à l’appui de ce principe, de cette vérité démontrée en morale. Les grands scélérats en fourniront la preuve dans le cours de leur vie, dont la fin a presque toujours été publiquement tragique. Que quelques hommes inattentifs et légers ne s’abusent point par l’apparence du crime fortuné. Qu’ils l’interrogent, et qu’il réponde; au terme fatal de la vie, qu’ils lui demandent s’il fut heureux. Il répondra en soupirant : « Hélas ! je suis désabusé trop tard; je n’ai eu qu’in-quiétudes, anxiétés, angoisses, et pas un jour serein, pour prix du crime qui m’avait promis et dont j’avais attendu le bonheur. » Voilà la punition secrète, temporelle, attachée au crime par la nature, à laquelle on ne peut échapper. Ces vérités, ces supplices présents, inévitables, entre les mains d’hommes sensibles, éloquents, vertueux, vaudront bien les tortures destinées, dit-on, aux criminels après qu’ils auront cessé d’être, dont au moins l’éloignement diminue l’étendue, la réalité et l’effet. La nature, on n’en peut douter, sans croire que le monde n’est point arrangé suivant des combinaisons dont le détail échappe, mais dont l’ensemble frappe l’homme le moins attentif ; la nature, dis-je, a créé le bonheur, que les tyrans ont presque effacé de la terre ; cette vérité consolante est démontrée au raisonnement; le bonheur est le maintien de l’ordre, est le maintien de l’arrangement étemel ; le malheur ou le crime, car ils sont identifiés, sont le désordre qu’amènent les passions fatales. Je dirai donc à l’enfant de la nature : « Si tu veux jouir de quelque félicité, évite tout penchant dépravé ; vois le front jauni, pâle, livide de ce malheureux nourri de fiel, de soucis et de haines ; considère ses lèvres mornes, tremblantes : comme tous ses traits sont frappée d’une empreinte funeste! Ton coeur sensible souffre de ses douleurs : eh bien, descends dans le fond de son âme, vois la cause de ses tourments honteux et secrets; c’est là que la nature a buriné la vérité terrible. Lis : « La prospérité de mon frère, le succès d’un rival, que je n’ai pu abaisser, fait de ma vie un long supplice, et creuse mon cercueil. » SÉANCE DU 17 VENDÉMIAIRE AN III (8 OCTOBRE 1794) - N° 68 423 Eh! cruel! eh! malheureux! ne vois-tu pas que ton désespoir est ton ouvrage ; que la cause affreuse n’en est que dans ton coeur, que tu n’as qu’à vouloir pour cesser d’être malheureux. Te faut-il donc plus d’efforts pour aimer que pour haïr? Veux-tu recouvrer le bonheur que tu as banni d’autour de toi; reviens à la nature, reviens aux sentiments généreux, honnêtes, vertueux. Sois donc humain, doux, indulgent ; ces vertus te sont nécessaires pour vivre avec des êtres aussi faibles que toi; sans elles la vie n’est qu’un tourment ; sans elles, la société ne serait tjpi’un état de guerre plus ou moins ouvert, qu’un affreux conflit de toutes les passions. Au lieu d’être en proie aux convulsions du crime, au lieu d’être occupé de ses combinaisons cruelles, essuie les larmes de l’indigence honnête, aide de tous tes moyens le mérite obscur et oublié, soutiens l’infortuné que son destin accable ; songe qu’il peut un jour t’accabler comme lui, songe enfin que tout malheureux a droit à tes bienfaits. Mais ce n’est pas assez, pour t’attacher les coeurs, de répandre tes dons, tes richesses ; aime si tu veux avoir des amis ; sache supporter leurs défauts; excuse leurs faiblesses, nul n’en est exempt ; apprends à pardonner si tu veux qu’on te pardonne ; sois juste, parce que, sans la justice, le monde ne serait qu’un chaos de crimes et de malheurs; sois reconnaissant, parce que l’ingratitude tarit les bienfaits et dessèche les âmes ; sois modeste, garde-toi de te préférer aux autres : l’orgueil heurte l’orgueil, et révolte tous les coeurs généreux; réprime les transports d’une injuste colère, si tu veux que tes actions, guidées par la sagesse, ne te causent point de regrets. L’homme irascible fait quelquefois, en un instant, le malheur de sa vie. Fais rougir celui qui t’outrage, et t’en fais un ami. Je n’irai point, en pieux atrabilaire, défendre à l’homme les plaisirs que la nature a faits pour lui, a semés sous ses pas, quand il en peut jouir sans troubler le bonheur commun et sans se nuire à lui-même. Je lui dirai : Use, n’abuse point ; les gémissements, les regrets, une vieillesse précoce et douloureuse t’attendent, si tu accumules en un instant les plaisirs que la nature a créés pour être répandus sur le cours de la vie. Je lui dirai : Si tu te livres avec excès, si tu t’abandonnes aux voluptés, à l’intempérance, la nature te punira en abrégeant tes jours. Garde-toi d’oublier, garde-toi de blesser les devoirs sacrés de la nature; elle vengerait ses lois outragées, à la fin de ta carrière, par l’abandon cruel et juste de ceux à qui tu donnas le jour. Rends donc à ton vieux père les soins qu’il a prodigués à ton enfance; sois fils tendre, époux, ami fidèle, si tu veux qu’on le soit envers toi. La fidélité alimente la confiance, et la confiance réciproque diminue les chagrins, fait le charme de la vie. Que la vérité soit empreinte dans tous tes discours. Garde-toi de tromper ; le mensonge est un vice honteux ; le mensonge fait rougir l’homme devant l’homme, la honte, le mépris est le digne salaire du fourbe, de tout imposteur; enfin, si tu trahis, tu invites à te trahir. Que le malheur, que l’humanité t’intéressent; laisse échapper de tes mains tout ce que l’homme, dans l’infortune, a droit d’attendre d’une âme sensible et vertueuse. Si cette maxime sacrée et générale est empreinte dans tous les coeurs, il se fera une action et réaction de bienfaits, dans lesquelles tu auras une part nécessaire. Répands sur le métier et le travail tes richesses, ton or, qui, sans cet usage, n’est que méprisable : sois sûr que le malheur ne peut être le partage de l’homme qui rend l’homme heureux. Rien ne peut lui enlever un bonheur indépendant de la fortune et du suffrage des humains ; son bonheur est dans son âme, dans son âme où régnent le contentement intérieur, le calme et la paix. Sois citoyen; défends, aime par-dessus tout ta patrie ; meurs, s’il le faut, pour la sauver ; il est doux de mourir pour elle. Ne souffre pas qu’elle retombe sous le joug des rois, des tyrans et des prêtres ; arrache-la des mains abjectes et cruelles des intrigants, des fripons et des traîtres ; songe que, sous leur règne méprisable, tu ne serais plus qu’un forçat qui baignerait de pleurs la rame à laquelle ils t’auraient attaché ; que la liberté achetée par des flots de sang de tes frères serait peut-être pour cent siècles exilée de la terre. N’envie point le triomphe passager, le bonheur apparent du crime, de la tyrannie insultante. Garde-toi de désirer le fatal avantage d’opprimer tes semblables; les remords, les tourments, la honte sont les fruits amers et cruels de l’ambition. L’oppresseur, un tyran, arme contre lui tous les bras d’un peuple généreux; le tyran frémit devant le citoyen intrépide et qui ne craint pas la mort. Enfin, la nature punit les crimes de la terre par des tourments terrestres temporels, soit physiques ou moraux. Elle récompense la vertu par un bonheur temporel, soit physique ou moral. La honte, les terreurs, les remords sont les compagnons inséparables du crime, et les exécuteurs des vengeances terribles et secrètes de la nature. Le suffrage des âmes honnêtes, l’intérêt, l’amour, l’estime publique, le respect même arraché au crime, sont des monuments durables érigés par elle à la vertu, indépendants des hommes. Ses motifs sont l’intérêt évident de chaque individu, de chaque société, de toute l’espèce humaine, dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les circonstances; son objet est la conservation, le calme et le bonheur de tous les hommes. Voilà un abrégé rapide des bases de la morale de la nature. Je suis convaincu qu’il n’est pas d’autre moyen de rendre à la terre le bien-être et la paix, que des idées fausses et mensongères en ont bannis, que cette morale calculée qu’il faut graver dans le coeur de l’enfance ; il faut lui répéter souvent ces vérités sensibles; il faut lui mettre dans les mains des livres où elles soient démontrées par le raisonnement étemel; que des exemples frappants, que des faits les plus récents viennent l’appuyer. Si nous avions une échelle morale de per- 424 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE versité, nous aurions précisément le degré de supplice, et si je peux m’exprimer ainsi, le tarif du malheur d’un criminel. Si nous pouvions descendre d’un point connu de probité, de perfection, de vertu, à tel individu, nous aurions la somme de son bonheur. Si l’homme pouvait voir comme la nature, l’ensemble de ces détails n’échapperait point à sa sagacité; mais il n’y a que le principe qui lui soit connu, moralement démontré. Citoyens, si ces moyens, si ces conceptions trompaient nos espérances, il faudrait, en répandant des larmes, répéter avec ce Romain abusé, sensible et outrageant les dieux : « Le bonheur, la vertu ne sont que des fantômes. » Mais non, législateurs, il est digne de vous de donner, et vous donnerez au peuple que vous représentez un code de lois appuyées sur la morale, sur la vertu. Il faut, pour propager ces principes sacrés, seul fondement de la société, établir des chaires de morale calculée à la place de ces tréteaux de théologie, qui ont si longtemps désolé la terre, qui ont été les ateliers honteux et redoutables où le mensonge, l’hypocrisie, l’ignorance forgeaient, au nom du ciel, les chaînes de la terre ; d’où sont sortis l’humiliation, les malheurs, le long avilissement des siècles. Celui qui fera ce code de la morale, qui fera un tableau, une échelle approximative des crimes et de leurs supplices, aura bien mérité du genre humain. Je propose à la Convention de décréter : Art. premier. Tous les savants sont invités de donner à la Convention nationale une échelle graduée des délits, et des tourments qu’ils traînent après eux sur la terre. II. Tous les ouvrages seront envoyés au comité d’instruction publique, qui sera chargé d’en faire un rapport à la Convention. III. Tous les membres de la Convention pourront avoir recours aux originaux. IV. Chaque ouvrage ne pourra excéder cent pages in-8°. V. Le concours sera ouvert le 30 vendémiaire, et fermé le 1er messidor. VI. La Convention accorde une palme civique à l’auteur dont l’ouvrage lui paraîtra digne d’être proclamé, et en outre une somme de 12 000 livres ; ou on renverra à un second concours. L’assemblée décrète l’impression et le renvoi au comité (117). La séance est levée (118). Signé, CAMBACÉRÈS, président; PELET, A.P. LOZEAU, LAPORTE, ESCHASSERIAUX [jeune], BOISSY [d’ANGLAS], P. GUYOMAR, secrétaires. (117) Moniteur, XXII, 193-196; J. Univ., n 1785, 1786. Mention dans F. de la Républ., n° 18; Gazette Fr., n° 1012; J. Fr., n° 743; J. Mont., n° 162; J. Perlet, n" 745; J. Paris, n°18; J. Univ., n” 1779; Mess. Soir, n“ 781 ; M. U., XLIV, 267; Rép., n° 18. (118) P.-V., XLVII, 44. AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 69 La société populaire de Brion-du-Gard [Gard], écrit à la Convention nationale qu’elle ne sauroit souffrir plus longtemps que l’injustice et le crime soient à l’ordre du jour, puisqu’elle y a substitué la justice et la vertus elle ne veut plus que le bien succombe sous le mal dont on l’avoit environné, ni que des hommes voués par erreur au système désastreux d’un moderne conspirateur, se fassent un jeu de l’honneur et de la vie des citoyens; que la liberté publique soit plus longtemps outragée, mais elle entend, au contraire, que les personnes et les propriétés soient respectées. Elle exprime, enfin, son horreur pour l’oppression, son dévouement à la République, son respect et son attachement à la représentation nationale, et l’invite à rester à son poste (119). 70 [La commission des Administrations civiles, police et tribunaux au citoyen Bordas, représentant du peuple, de Paris, le 14 vendémiaire an III\ (120) Citoyens représentons, Il résulte de la vérification que nous avons fait faire au bureau des décrets de la Convention, que des expéditions du décret du 5 fructidor, relatif aux autorités constituées dY rieix-la-Montagne [ci-devant Saint-Yrieix-la-Perche, Haute-Vienne] n’ont effectivement été envoyées qu’à la municipalité, au tribunal et au juge-de-paix de cette commune ; nous nous sommes empressés d’en adresser, par le courrier de ce jour, une expédition à l’agent national, conformément au désir de ta lettre d’hier. Le chargé provisoire, Aumon. 71 PORCHER : la police, cet objet essentiel de tout bon gouvernement, est, depuis le 9 thermidor, presque entièrement privée de l’action qui peut la rendre utile dans cette ville immense ; depuis cette époque, les ressorts de cette magistrature conservatrice de l’ordre, de la tranquillité, de la salubrité et des moeurs, sont presque entièrement rompus ou au moins fortement énervés. (119) Bull., 17 vend. (120) C 321, pl. 1338, p. 19.