[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [9 septembre 1789.] 003 chacune de ces Chambres aura-t-elle l’initiative, c’est-à-dire le droit de proposer les lois, ou l’une des deux seule jouira-t-elle de ce droit ? Ce droit sera-t-il indéfini ? Dans le cas de veto sur l’une des deux Chambres, ce veto sera-t-il indéfini ou déterminé à une législature ? L’une des deux Chambres sera-t-elle un tribunal de judicature pour juger de certaines affaires ? Tel a été le tableau présenté par M. le Président. L’Assemblée a été effrayée du danger qu’il y aurait à se livrer à une aussi grande multitude de questions qui avaient été abandonnées aussitôt qu’elles avaient été proposées. Ce tableau est rejeté. M. Rcwbell propose une question préliminaire : celle de savoir si, dans le cas où la sanction serait accordée au Roi, il pourrait la refuser à tous les décrets faits et à faire par l’Assemblée actuelle. M. Target. J’observe qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette proposition. Nous agissons en vertu du pouvoir constituant ; or, ce seVait mettre en question si le pouvoir constituant ne peut agir qu’avec la permission du pouvoir constitué. La Constitution ne peut être soumise au veto. Nous devons passer sur-le-champ à la solution de la permanence. M. ïlémeuniers. La permanence est la première que vous avez à décider. Elle en présente trois différentes : 1° L’Assemblée sera-t-elle permanente ? 2° A quelles époques ses membres se réuniront-ils ? 3° Enfin, quelle sera la durée de ses sessions ? M. de IScaumelz présente le projet suivant : 1° L’Assemblée nationale sera-t-elle permanente ? 2° Se renouvellera-t-elle graduellement ? 3° Aura-t-elle des sessions tous les ans ? Un membre veut que l’on délibère par oui ou par non, et en conséquence il pose ainsi la question : L’Assemblée nationale sera-t-elle permanente ou périodique? Sera-t-elle composée d’une haute Chambre ? Le veto sera-t-il abolu ou suspensif ? M. Chasset demande que l’on pose ainsi la question de la permanence: « L’Assemblée nationale pourra-t-elle se rassembler quand elle le jugera à propos, et de plein droit 9 » M. le comte de Mirabeau. Si l’on me demande : Voulez-vous la permanence ? je ne puis répondre si je ne sais ce qu’on entend par l’on-nualité. Voulez-vous deux Chambres ? Je réponds que je veux deux Chambres, si elles ne sont que deux sanctions d’une seule; et que je n’en veux qu’une, si lune doit avoir un veto sur l’autre. Voulez-vous un veto absolu ou un veto suspensif r? Je réponds : il faut d’abord me demander si je veux un veto ; puis le veto absolu n’est-il pas un être de raison ? Je pose donc ainsi les questions qui me semblent devoir être délibérées les premières : L’Assemblée nationale sera-trelle permanente, c est-à-dire s’assemblera-t-elle tous les ans ? Les Assemblées se renouvelleront-elles tous les deux ans ? M. Camus. Nous avons trois questions à juger. Tout le monde sait ce que signifie le mot de permanence. 11 n’est pas plus utile de se disputer sur la question d’une ou deux Chambres ou du veto, parce que tout le monde sait encore ce que ces mots signifient. M. Camus propose les questions dans les termes suivants : 1° L’Assemblée nationale sera-t-elle permanente ou périodique ? 2° Y aura-t-il une ou deux Chambres ? 3° La sanction royale aura-t-elle lieu ou non ? 4° Sera-t-c-lle suspensive ou pure et simple ? L’on a adopté cette distribution sur les questions ; mais l’on a longtemps disputé sur ces mots : L' Assemblée nationale sera-t-elle permanente ? 11 a été fait différents amendements. L’incertitude sur le mot permanence semblait inquiéter différents membres. 11 a été décidé que l’on n’agiterait plus ce que signifie le mot permanence ; malgré ce décret, il y a toujours eu des membres qui se sont expliqués sur ce qu’il signifiait. Les uns ont dit que ar permanence on devrait entendre des assemblées annuelles, et d’autres des assemblées toujours subsistantes. On a ensuite proposé des amendements. Au lieu d’ Assemblée nationale, on voulait mettre le pouvoir législatif, la législature, le Corps législatif et bien d’autres termes ; en sorte que l’on voulait établir une espèce de distinction entre l’Assemblée nationale actuelle et les Assemblées nationales futures. C’est pour faire sentir celte distinction qu’un membre a dit crue cette fois-ci l’Assemblée nationale avait la législature et le pouvoir constituant, et qu’à la prochaine session elle n’aurait que la législature. M. l’abbé Sieyès propose aussi son arrêté : L’Assemblée législative tiendra ses séances tous les ans sans avoir besoin d’aucune convocation, et se mettra elle-même en vacances. Un autre membre veut qu’on pose ainsi la question : L’Assemblée nationale sera-t-elle ou ne sera-t-elle pas permanente ? Bien des membres craignent qu’en déclarant l’Assemblée nationale permanente, cela ne produise une erreur, et qu’on ne pense que c’est l’Assemblée nationale, ou plutôt ses membres, qui se déclarent permanents. M. le comte de Clermont-Tonnerre est de ce nombre. On vous a dit, s’écrie-t-il, que l’Assemblée nationale ne serait pas à l’avenir ce qu’elle est. Tout est nouveau pour nous. Nous marchons à une régénération ; nous nous sommes créé des mots pour exprimer de nouvelles idées. De là l’erreur où l’on tombera : si vous dites que l’Assemblée nationale est permanente, on croira que vous vous serez déclarés vous-mêmes permanents. Je pense, comme M. de Beauharnais, qu'il faut mettre le Corps législatif. M. Kabatid de Saint-Étienne propose l’arrêté suivant : La nation aura toujours un corps permanent de représentants; ils tiendront tous séance une fois par année. Cet arrêté est applaudi ; il semlde prévenir l’ex- 604 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 septembre 1789.] pression du vœu général; mais on ne va pas encore aux voix. M. le duc de la Rochefoucauld veut restreindre le pouvoir des Assemblées nationales futures. Toutes les objections se multiplient de plus en plus, et éloignent davantage le but de l’Assemblée nationale. Impatiente d’aller aux voix, elle demande l’arrêté de M. Camus, et il est décrété que l’Assemblée nationale sera permanente. L’on allait examiner la question suivante, celle de l’unité des pouvoirs législatifs, lorsque M. le comte de Mirabeau fait la motion suivante : « Attendu, dit-il, que l’Assemblée nationale a décrété qu’elle serait perpétuelle, qu’il est décidé qu’il V aura une Assemblée toujours permanente, et qu’il est jugé par là qu’il ri’y aura pas deux Chambres, il n’y a pas lieu à délibérer. » Celte motion a été applaudie et soutenue avec un succès complet. M. Dupont est le premier qui s'opppose à cette question préalable. Auteur d’un projet sur l’organisation des deux Chambres, il regrette que son plan soit aussi rapidement pulvérisé. Il commence par invoquer dans son langage la sagesse de l’Assemblée nationale, et finit par dire qu’il vote pour deux Chambres, quoiqu’il ne veuille pas deux Chambres. M. le comte de Mirabeau. Il me semble qu’il ne doit pas y avoir lieu à délibérer sur cette question, parce que l’Assemblée, en décrétant la permanence, a décrété l’unité. M. Itegnaud s’élève avec véhémence contre la motion de M. le comte de Mirabeau. Eh quoi! s’écrie-t-il, nous touchions au moment de résoudre les grandes questions dont la France attend la solution, et l’on cherche, par des surprises, à éloigner ce moment ! Qui ne s’indignerait contre de pareilles divagations, dont le motif est de nous entraîner toujours loin du but? On a décrété que l’on suivrait les questions telles u’elles ont été proposées par M. Camus; il n’est onc pas permis de mettre en délibération si l’Assemblée suivra ses décrets. M. le comte de Mirabeau. La division de l’Assemblée en sections égales, et pour quelques travaux particuliers, est un fait de police intérieure. En demandant la question préalable sur la seconde question, je n’ai voulu que faire res-sorlir le vice de l’énoncé de la première, et la transposition qu’on avait faite, en la traitant avant la seconde ; j’ai voulu dire, d’une manière laconique, à l’Assemblée qui, moins que jamais, aime les longs discours, que son unité existe essentiellement dans sa permanence. Maintenant je déclare que j’ai toujours redouté d’indigner la raison, mais jamais les individus. M. Regnaud,et même le Courrier de Versailles avec lui (1) peuvent donc à présent s’indigner autant que cela leur conviendra; ils voient bien que peu m’importe. M. de Clermont-Tonnerre combat la motion; mais l’Assemblée commençait à rompre le (t) Ce journal passait alors pour être inspiré par M. Regnaud de Sainl-Jean-d’Angély. silence: le président inutilement crie à l’ordre. Un mouvement de conscience, prononcé par M. de Clermont-Tonnerre, fait naître des murmures, et dotme plus de courage à l’opinant pour soutenir plus fortement encore; les murmures s’apaisent. Pressé par ma conscience, dit-il, c’est sur la foi publique que je réclame contre une surprise. Je sais bien que l’on peut interpréter du mot Assemblée nationale l’induction que l’on en voudrait tirer; mais l’Assemblée nationale a interprété ses sentiments en adoptant l’arrêté de M. Camus; s’il en était autrement, je n’aurais qu’à pleurer sur les ruines de ma patrie. Il est impossible de dire que l’Assemblée, en votant la permanence, a voulu prononcer sur l’unité. Peu à peu la sensation qu’avait produite la motion de M. de Mirabeau diminue, et M. de Clermont-Tonnerre reçoit des applaudissements. Ils ne sont que le prélude du plus affreux désordre. M. le comte de Vîrîcu profite d’un moment de silence pour prendre la parole. Faut-il donc, dit-il, qu’une Assemblée nationale soit emportée par des démagogues et une fougue populaire? Non, messieurs ..... — Puis un f ..... est sorti de sa bouche. (Ici mille cris opposés s’élèvent de tous côtés; ce ne sont plus des plaintes , des reproches , c’est un tumulte universel : ici l’on crie à l'ordre ; là on somme le président d' interrompre l’orateur; plus loin on invoque le règlement.) M. Biauzat sollicite contre l’orateur la honte d’une censure. M. de Virieu descend de la tribune. M. le marquis de Toucault élève la voix et domine les murmures de l’Assemblée; il invoque le règlement, où toute approbation et toute improbation sont défendues. M. de Virieu n’a pas été entendu, dit-il, je demande qu’il le soit. Cette motion est appuyée; mais elle De peut être jugée. Le désordre est à son comble. Te Président montre le règlement : le signe supplée à l’insuffisance de sa voix et apaise les esprits; l’on se lait, et il est encore interrompu par une voix qui s'écrie qu’il n’est pas plus permis aux nobles d’appeler les représentants des communes démagogues, qu’aux communes d’appeler les nobles aristocrates. M. le Président vient à bout d’interroger l’Assemblée pour savoir si M. de Virieu parlera ou non. Mais sa peine est longue et pénible ; sans cesse il lutte contre un chœur infatigable, qui crie constamment qu’on rappelle à l’ordre M. de Virieu. Enfin on va aux voix, et il n’y a pas beaucoup de votants pour refuser la parole à M. de Virieu. Mais il n’en a pas joui. Il allait parier, lorsqu’un des membres des communes, voisin de la tribune, l’accuse d’avoir souilté sa bouche d’un jurement, et d’avoir, d’un geste menaçant, montré une partie de l’Assemblée en prononçant démagogues. M. de Virieu fait bonne contenance ; il laisse à d’autres le soin de le défendre, et répète les accusatious dont le charge son dénonciateur. Ici des membres se retirent, mais en petit [Assemblée naliona'e.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 178e».] 005 nombre. M. le président arrête l’Assemblée prête à se dissoudre. Faut-il donc, dit-il, perdre de vue les grands objets qui nous occupent pour nous livrer à des personnalités? Le calme renaît pour un instant; on oublie les reproches faits à M. de Virieu; après quoi M. le président déclare qu’il a trouvé une de ses expressions trop fortes. Èntin on rejette la motion de M. de Mirabeau. A peine est-elle rejetée, que l’on veut aller aux voix sur l’unité du pouvoir législatif. M. de Lamcth observe qu’il faut déclarer avant tout quelle sera l’organisation des deux Chambres, pour savoir si on doit préférer les deux Chambres à une seule. M. Target veut parler, on l’interrompt. On demande à aller aux voix ; M. le président paraît ne pas entendre. On s’impatiente ; on somme le président de remplir son devoir. M. de Cally-Tollendal demande la parole, on la lui refuse. à l’Assemblée l’offre de sa démission, et à la supplier de l’accepter. Il a proposé à l’Assemblée de ne point accepter cette démission, et d’engager M. le président à continuer ses fonctions. Cette proposition ayant été adoptée, l’Assemblée a chargé M. de Clermont-Tonnerre d’annoncer à M. le président qu’elle n’accepte pas sa démission, et qu’elle l’engage à continuer les fonctions qu’elle lui a confiées ; et cependant, jusqu’à ce qu’il les ait reprises, elle a invité M. de Clermont-Tonnerre à le remplacer. Il a été ensuite fait lecture d’une lettre de M. d’André, député d’Aix eu Provence, par laquelle il annonce à l’Assemblée que le Roi vient de lui confier, pour la Provence, une commission momentanée, et il la prie d’agréer les motifs de son absence. Le comité d’agriculture et de commerce a fait annoncer que, pour satisfaire au décret de l’Assemblée, il a choisi six de ses membres pour s’occuper de l’affaire des colonies. La liste de ces six membres a été proclamée ainsi qu’il suit : MM. MM. M. le Président pose ainsi la question : Y aura-t-il une ou deux Chambres? Mais le trouble recommence; les objections sur la question posée ainsi rappellent le désordre. M. de ’CalIy-Tollendaï veut encore parler, et l’on accuse M. le président de l’avoir fait prier par un huissier de monter dans la tribune. Un autre membre le somme de lui déclarer s’il n’est pas las de fatiguer l’Assemblée. M. le Président est offensé ; il rompt l’Assemblée, la convoque en bureaux pour nommer un autre président, et se retire. L’Assemblée reste immobile pendant quelque temps : ensuite on demande un président. D’abord on jette les yeux sur M. le duc de Liancourt. Il monte à la tribune, et dit que c’est à M. Clermont-Tonnerre à accepter, comme dernier président. M. de Clermont-Tonnerre monte à la tribune, il défend M. le président; il dit qu’il a été trop offensé, et qu’il n’est pas permis à un individu de le sommer de déclarer s’il n’est pas las de fatiguer l’Assemblée ; que le sentiment de la sensibilité est plus ancien que toutes les constitutions, et que ce sentiment est si puissant sur des Français qu’il les a fait vivre si longtemps sans constitution. Enfin il prie de regarder l’Assemblée comme rompue, ou qu’il ne montera au bureau que pour offrir une nouvelle démission. L’Assemblée applaudit à M. de Clermont. 11 prend la place de président, lève, la séance, et l’indique à ce soir sept heures et demie. Turckeirn. Gilletde la Jacqaeminiére. De Fontenay. Lasnlier de Vaussenay, Roussillon. Heurtault de la Mervilie. On a repris la discussion commencée à la séance du lundi soir, 7 de ce mois, sur la gabelle ; et quelques riilîicultôs s’étant élevées sur l’ordre dans lequel doivent être appelés ceux qui avaient demandé la parole, l’Assemblée a décidé, comme règle générale pour l’avenir, qu’à l’ouverture de chaque discussion il sera fait publiquement une liste de ceux qui réclameront la parole, et que cette liste sera invariablement suivie. En exécution de ce règlement, la liste, dressée à l’ouverture de la discussion actuelle, a réglé l’ordre de l’appel. La discussion sur la gabelle a lieu. Les uns veulent que l’on établisse la gabelle dans toutes les provinces indistinctement, et que le sel soit payé alors six sous la livre. D’autres veulent que l’on ne paie que six sous la livre jusqu’à une certaine époque. Enfin quelques membres font revivre le funeste projet de M. de Calonne. Tout le monde sait qu’il voulait, diminuant le prix du sel, y assujettir tous les citoyens, même les enfants de sept ans, dont il portait la consommation à sept livres pesant. Cnfin la séance est levée sur les dix heures, et l’on renvoie l’affaire à la séance prochaine de relevée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Du mercredi 9 septembre 1789, au soir. M. de Clermont-Tonnerre, ancien président, a ouvert la séance par la lecture d’une lettre de M. de La Luzerne, évêque, duc de Lan-gres, président actuel, qui l’engage à renouveler Séance du jeudi 10 septembre (1). M. le comte de Clermont-Tonnerre ouvre la séance, et fait les fonctions de président. (i) Cette séance est incomplète au Moniteur.