m [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [1S septembre 1790.) M. Martineau. Le projet de décret que propose le comité est inconstitutionnel ; l’Assemblée ne peut casser un jugement lorsqu'il existe un tribunal à cet effet, qui est le conseil du roi. M, Démeunier. Le Corps législatif peut pourtant déclarer qu’il y a contravention à ses décrets. M. Merlin. Je propose de rendre un décret général portant que tous jugements et arrêts rendus pn contravention aux décrets de l’Assemblée nationale doivent être cassés. (On demande la division sur le projette décret du comité.) M. Frétean présente une rédaction qui est adoptée par le rapporteur, et il en résulte le dé-cret suivant : « L’Assemblée nationale, sur la dénonciation qui lui a été faite par la municipalité dp Paris, faisant Ips fonctions de directoire de départe-: ment et de district, d’un arrêt de la chambre des vacations du parlement de la même ville, du 26 août dernier, rendu entre Simon Péteil, les religieux bénédictins des Blanc-Manteaux etladite municipalité; considérant qu’il importe à la nation d’arrêter les poursuites qui, depuis, et nonobstant la publication du décret des 14 et 20 avril précédent, ont été exercées par des communautés religieuses, chapitres ou bénéficiers, contre leurs ci-devant locataires ou fermiers, pour les loyers ou fermages de la présente année ; « Déclare que tout jugement postérieur à la dite publication, qui tendrait à obliger les locataires ou fermiers de biens ci-devant ecclésiastiques, non compris dans l’exception portée par l’article 8 dudit décret, de payer en d’autres mains qu’en celles des receveurs dp districts, les loyers ou fermages dus pour les fruits etrevenus de la présente année, doit être regardé comme non avenu ; sans préjudice de l’exécution des articles 27 et 28 du décret des 6 et 11 août dernier, en ce qui concerne les loyers et fermages dus pour les fruits et revenus des années précédentes, à raison des biens ci-devant possédés par les communautés religieuses», M. l’abbé Gouttes, membre du comité de liquidation, commence à faire un rapport concernant les travaux utiles auxquels s’est livré le sieur de Mandre, curé de Dppnely. On observe que les affaires de cette nature ne doivent point être traitées dans les séances du matin ; et sur la demande de quelques membres, il est décrété que ce rapport est ajourné à la séance de ce soir. Un courrier extraordinaire, venu de Montéli-mar, apporte un paquet contenant une adresse des soldats du régiment Soissonnais, et un mémoire d’observations sur la vérification des comptes de leurs corps. Après la lecture de cette adresse, l’Assemblée en ordonne le renvoi, ainsi que du mémoire y joint, au comité militaire, pour en rendre compte dans le plus court délai. U a ensuite donné lecture d’une adresse de la municipalité de Versailles, par laquelle elle dé-nopce les diverses infractions aux décrets de l’As-sembiée nationale, exercées sur les propriétés des particuliers et sur celles du roi, par des troupes de braconniers. M. Regnand (de Saint-Jean-d’Angély). Je demande le renvoi de cette adresse au comité des domaines, pour qu’il en fasse un rapport sur-le-champ. (Après quelques observations l’Assemblée renvoie l’examen de cette affaire à ses comités des domaines et de féodalité réunis, et les charge d’en faire le rapport à deux heures.) Un de MM. les secrétaire $ fait lecture d’une lettre de M. de La Luzerne, Elle est ainsi conçue : « Le roi m’a ordonné de communiquer à l’As-semblée nationale les nouvelles importantes que je reçois de Saint-Domingue, par un courrier qui m’a été expédié de Brest, « Le Léopard, vaisseau de 74, y a mouillé le 14 de ce mois, commandé par un lieutenant dé vaisseau ; il avait appareillé de Saint-Marc, le 8 août. M. de La Galissonnière et environ les deux tiers des officiers qui formaient l’état-major du Léopard sont restés au Port-au-Prince près du gouverneur général. « 11 paraît que le 8 août les troupes que de Peynier avait fait partir, sur la réquisition dé l’assemblée provinciale du Nord, étant prêtes à entrer dans Saint-Marc, plusieurs des membres de rassemblée coloniale qui y siégaient, et divers particuliers se sont embarqués sur Je Léopard , qui a fait route pour la France, et a transporté environ cent passagers à Brest. La lettre de l’officier qui a commandé le Léopard , et un très long procès-verbal dont je vous fais passer la copie, contiennent les seuls détails qui me soient parvenus, La dépêche de M. dePeyoier,endatedu5 août, que je vous ai communiquée le 13 de ce mois, faisait prévoir une partie de ce qui est arrivé ; je n’ai point encore reçu les dépêches que ce gouveri-neur général m’avait certainement écrites pendant les derniers jours de juillet, en sorte que je ne suis officiellement instruit d’aucun des événements qui ont précédé la réquisition de l’assemblée provinciale du Nord et la marche des troupes. Il est très vraisemblable qu’elles n’auront éprouvé aucune résistance, et qu’il en parviendra irmes-samraent des nouvelles détaillées de ce qui s’est passé après le départ pour France du Léopard. « P. -S, Le commandant du port de Brest me mande que peu après l’urrjvée du Léopard, un officier municipal est venu requérir de lui, ap nom du conseil général de la ville, que le vaisseau La Ferme, qui n’attendait que le vent favorable pour mettre sous vpile et aller relever celui qui est en station à la Martinique n’eût point à partir avant de nouvelles réponses de l’Assemblée nationale: je la priede faire cesser ce retardement, qui peut devenir très préjudiciable au service. * Copie de la lettre de M. de Santo-Domingo à M. de La Luzerne. « Monsieur, « J’ai l’honneur de vous faire part que je viens de mouiller à Brest, aujourd’hui 14 septembre, étant parti de Saint-Marc le 8 août, avec le vais* seau le Léopard, que commandait M. de La Galissonnière. Les circonstances qui l’ont mis dans le cas de ne pas achever sa mission, et qui m’ont porté à le remplacer seront consignées, fort en détail, dans un procès-verbal que j’ai eu l’honneur de remettre à M. le comte �d’Heo ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 septembre 1790.] 48 [Assemblée nationale.] tor. Ce même procès-verbal vous fera connaître, Monsieur, les événements qui ont déterminé l’Assemblée générale de Saint-Domingue à se rendre dans le sein de l’Assemblée nationale, et la nécessité où j’ai été de céder au désir qu’elle avait de passer sur le vaisseau, pour se soustraire aux prescriptions et éviter l’éffusiondu sang qui était prêt à couler, M. de Peynier ayant envoyé deux armées pour la dissoudre par la force. «Cent citoyens de Saint-Domingue ont donc passé sur le vaisseau , où je n’ai pu leur donner les aisances auxquelles ils sont accoutumés, tant par la nécessité locale qu’il y avait à se les procurer, que par le peu de temps qui s’est écoulé entre le décret et l’embarquement. « J’ai été bien secondé par MM. Eyrat et Ergot, sous-lieutenants de vaisseau, qui, avec M. de Tressemane, élève de la seconde classe, formaient tout mon état-major. « J’ai tiré parti de la capacité du maître d’équipage et du maître pilote, à qui j’ai confié un quart, qu’ils ont commandé avec intelligence ; je dois également des éloges à la subordination de l’équipage. « Je vous rendrai compte, Monsieur, que j’ai rencontré dans les débarquements de Saint-Domingue, un convoi de trente-cinq voiles, commandé par un vaisseau de cinquante qui les escorte, faisant roule pour l’Europe. « Je suis avec respect, etc. « Signé : Baron de Santo-Domingo. >» Il est aussi fait lecture d’une lettre du sieur d’Augy, se disant président de l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, écrite à bord du vaisseau le Léopard le 12 de ce mois, par laquelle il prie M. le Président de remettre lui-même au roi l’adresse contenue dans le paquet. Il joint à sa lettre différents procès-verbaux destinés à être mis sous les yeux de l’Assemblée nationale. Après la lecture de ces différentes dépêches, l’Assemblée ordonne le renvoi de celles qui concernent la colonie de Saint-Domingue au comité colonial. Elle ordonne également le renvoi au comité de marine, de la lettre du ministre, et de la copie de celle de M. de Santo-Domingo. Quant aux paquets insérés dans la lettre du sieur d’Augy, il est ordonné que M. le Président les renverra à M. le garde des sceaux pour les remettre à leur adresse. M. de Montcalm. Il y a trois questions dans les pièces qui viennent d’être lues. La plus urgente est celle qui concerne le vaisseau La Ferme. Je propose qu’il soit enjoint à la municipalité de Brest de la laisser partir. M. d’Fstourmel. Gela ne suffit pas et je demande que la municipalité soit mandée à la barre. M. de Foucault. Il est temps de mettre un frein à l’aristocratie des municipalités. J’appuie la motion qui vient d’être faite de mander à la barre la municipalité de Brest pour s’être opposée aux ordres du roi. M. Démeunier. Yoici le projet de décret que je vous propose : « L’Assemblée nationale, délibérant sur la lettre adressée par le ministre de la marine de la part du roi, en date du 17 de ce mois ; «Considérant qu’aucune municipalité ou corps administratif ne peut, sous aucun prétexte, arrêter ni suspendre le départ d’aucun bâtiment de guerre, ordonné par Sa Majesté, « Décrète que le roi sera prié de faire parvenir incessamment le présent décret dans tous les ports, et de donner ses ordres en conséquence. » (Ce projet de décret est adopté.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquidation de la dette publique. M. de Talleyrand, évêque d'Autun (1). Messieurs, il s’agit, non pas seulementdedisposerd’une propriété nationale et d’en recueillir le prix ; mais de décréter une opération qui tient essentiellement à l’économie politique, à la restauration des finances et au rétablissement du crédit. Cette opération est de la plus grande importance. Il faut tout dire avant le décret de l’Assemblée ; et le décret rendu, qu’elle qu’ait été l’opinion particulière, il faut tout faire pour assurer le succès de l’opération que vous aurez déterminée. L’intérêt que je prends à cette question est extrême ; il s’y mêle même quelque chose de personnel : car je serais inconsolable si, de la rigueur de nos décrets sur le clergé, il ne résultait pas le salut de la chose publique. Il est nécessaire de retirer les domaines nationaux de l’administration commune: il est important de les vendre le plus cher et le plus promptement possible ; il faut en employer le prix à la diminution de la dette. Tout cela est reconnu et en partie décrété. J’ai proposé, pour créer une nouvelle classe d’acquéreurs en présence de cette nouvelle quantité de biens à vendre, d’admettre directement à l’acquisition les créanciers de l’Etut eux-mêmes. Cette opinion, longtemps combattue, a maintenant peu de contradicteurs. On diffère encore sur les moyens d'exécution ; celui que j’ai indiqué est de donner aux titres des créanciers de l’Etat une valeur monétaire, seulement vis-à-vis de la caisse de l’extraordinaire, pour payement des domaines nationaux. Celui qu’ou y oppose est de convertir ces titres en un papier qui est une valeur monétaire générale et forcé pour tous les objets, en assignats. Je vais me conformer à l’ordre du jour, et traiter la question d’une émission de deux milliards d’assignats sans intérêts, et d’une circulation forcée. L’opération étant générale et touchant à tous les intérêts de la société, je ne la considérerai que dans son ensemble, et je ne m’arrêterai point aux dangers des contrefaçons, à ceux des petits billets et à tous les autres inconvénients de détails sur lesquels on a suffisamment averti votre prudence. Enfin, ne perdant jamais de vue la majesté de l’Assemblée nationale et le bien public qui doit être uniquement l’objet de nos discours, j’écarterai d'une discussion où il ne s’agit que d’éclairer la raison, toutes ces armes empoisonnées, étrangères à nos débats, et dont on s’est pourtant servi trop souvent et avec trop d’avantage. Et, par exemple, avec quel art n’a-t-on pas cherché à intéresser la morale et la pureté de (1) Nous reproduisons le discours de M. de Talleyrand d’après l’impression ordonnée par l’Assemblce nationale et annexée au procès-vernal. Cette version diffère légèrement de celle du Moniteur.