320 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 janvier 1790.] ANNEXE a la séance de l’Assemblée nationale du 25 janvier 1790. Discours de M. de Robespierre, sur la nécessité de révoquer les décrets qui attachent l’exercice des droits de citoyen à la contribution du marc d’argent ou d’un nombre déterminé de journées d’ouvriers (1). Messieurs, j’ai douté un moment si je devais vous proposer mes idées sur des dispositions que vous paraissiez avoir adoptées. Mais j’ai vu qu’il s’agissait de défendre la cause de la nation et de la liberté, ou de la trahir par mon silence, et je n’ai plus balancé. J’ai même entrepris cette tâche avec une confiance d’autant plus ferme que la passion impérieuse de la justice et du bien public, qui l’imposait, m’était commune avec vous, et que ce sont vos propres principes et votre propre autorité que j’invoque en leur faveur. Pourquoi sommes-nous rassemblés dans ce temple des rois? sans doute pour rendre à la nation française l’exercice des droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes. Tel est l’objet de toute constitution politique. Elle est juste, elle est libre, si elle le remplit : elle n’est (1) Le Moniteur ne contient qu’un sommaire du discours de M. de Robespierre. Nous reproduisons ce document d’après la version imprimée en avril par les soins du club des Cordeliers qui la fit précéder de la note suivante : CLUB DES CORDELIERS. Sur la lecture faite dans le sein de la société, à sa séance du 20 avril, d’un imprimé intitulé discours de M. Robespierre, à l’Assemblée nationale, sur la nécessité de révoquer les décrets qui attachent l’exercice des droits du citoyen à la contribution du marc d’argent en un nombre déterminé de journées d’ouvriers ; La société n’a pu s’empêcher de se rappeler tous les efforts de la tyrannie, durant les jours d’un régime corrompu, pour étouffer les ouvrages du vrai génie, inséparable de la vertu sincère et généreuse. La société a réfléchi par combien de ruses et d’artifices on s’y est pris, pour pouvoir les décréditer, lorsqu’il aurait été dangereux ou inpraticable d’employer les ressorts de l’oppression. La société, vérifiant, chaque jour, à quel poiut les manœuvres et les détractions sont encore pratiquées pour arrêter la propagation des grandes vérités, dont la connaissance universelle est seule capable d’enfanter le vrai civisme; voulant y contribuer de toutes ses forces, a arrêté d’employer les voies de l’impression et de l’affiche, pour déclarer à tous les amis de la raison et de la liberté que le discours de M. de Robespierre lui a paru propre à devenir le manuel de ces générations de citoyens, qu’elle forme l’espoir consolant de voir remplacer celles qui, aujourd’hui, luttent glorieusement sur le passage laborieux de l'état de servitude à celui de liberté : En conséquence, la société invite toutes les autres sociétés patriotiques à faire lire dans leurs séances cette production d’un esprit juste et d’une âme pure, à se pénétrer des principes qu’elle contient; elle engage les pères de famille à les inculquer àleurs épouses et à leurs enfants; espérant qu’un pareil trophée est incomparablement plus digne de devenir la récompense d’un auteur vertueux que ces renommées passagères commandées par l’intrigue, adoptées par l’enthousiasme, et que ces vains honneurs funèbres dont gémissent la vertu et la raison, en attendant que la postérité les démente. Signé : Peyre, président. Momoro, Rutledge, secrétaires. qu’un attentat contre l’humanité, si elle le contrarie. Vous avez vous-mêmes reconnu cette vérité d’une manière frappante, lorsqu’avant de commencer votre grand ouvrage, vous avez décidé qu’il fallait déclarer solennellement ces droits sacrés, qui sont comme les bases éternelles sur lesquelles il doit reposer; « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. « La souveraineté réside essentiellement dans la nation. c La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à sa formation, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants, librement élus. « Tous les citoyens sont admissibles à tous les emplois publics, sans aucune autre distinction que celle de leur vertu et de leurs talents. » Voilà les principes que vous avez consacrés ; il sera facile maintenant d’apprécier les dispositions que je me propose de combattre, il suffira de les rapprocher de ces règles invariables de la société humaine. 1° La loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peut concourir à sa formation? non. Cependant interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d’ouvriers le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l’Assemblée législative, qu’est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangère à la formation de la loi? Cette disposition estdonc essentiellement anti-constitutionnelle et anti-sociale? 2° Les hommes sont-ils égaux en droits, lorsque les uns, jouissant exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membres du corps législatif, ou des autres établissements publics, les autres de celle de les nommer seulement, Jes autres restent privés en même temps de tous ces droits? non; telles sont cependant les monstrueuses différences qu’établisseDt entre eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou passif, moitié actif, ou moitié passif, suivant les divers degrés de fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées d’imposition directe ou un marc d’argent? Toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles, anti-sociales. 3° Les hommes sont-ils admissibles à tous les emplois publics sans autre distinction que celle des vertus et des talents, lorsque l’impuissance d’acquitter la contribution exigée les écarte de tous les emplois publics, quels que soient leurs vertus et leurs talents? non; toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles et anti-sociales. 4 Entin la nation est-elle souveraine, quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté? non, et cependant vous venez de voir que ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français. Que serait donc votre déclaration des droits si ces décrets pouvaient subsister? une vaine formule. Que serait la nation ? esclave : car la liberté consiste à obéir aux lois qu’on s’est données, et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre constitution? une véritable aristocratie. Car l’aristocratie est l’état où une partie des citoyens est souveraine et le reste est sujet, et quelle aristocratie! [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 janvier 1790.) 3