3g [États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 mai 1789.] conférer avec les commissaires des autres ordres, il a été proposé de prendre cet objet en considération ; et la matière mise en délibération, il a été arrêté, à la pluralité de 173 voix, de nommer, dès à présentées commissaires pour se concerter avec les deux autres ordres. Collationné conforme à la minute. Signé : Le Carpentier de Chaillouet, secrétaire de l'ordre de la noblesse, La députation se retire. M. de Mirabeau. N’est-ce pas une grâce que MM. de la noblesse accordent aux autres ordres, lorsqu’ils nomment des commissaires pour se concerter avec eux ? Puisqu’ils ont eu le droit de se refuser à l’ajournement ordonné par le Roi; de vérifier leurs pouvoirs séparément ; de se constituer en Chambre, sans le consentement des autres ordres, qui les empêche d’aller en avant, de faire une constitution, de régler les finances, de V promulguer des lois? Les nobles ne sont-ils pas tout en France? Qu’est*ce qu’une corporation de vingt-quatre millions d’individus ? Cela vaut-il la peine d'être compté pour quelque chose? Je ne sais à quoi pensent nos écrivains politiques, lorsqu’ils nous disent que c’est là la nation, comme si les nobles n’étaient pas la nation par excellence. S’ils veulent bien admettre en tiers les vingt-quatre millions d’individus non nobles, c'est de leur part un généreux sacrifice, purement volontaire, et que personne n’a le droit d’exiger ; demandez plutôt à M. l’évêque de Nancy (de La Fare). La députation de la noblesse est bientôt suivie d’une députation du clergé composée de six membres à la tête de laquelle se trouvent les évêques d’Orange (Dutillet) et de Lydda (Gobel). M. Gobel, évêque de Lydda , portant la parole, a remis sur le bureau les deux arrêtés suivants : 1° Sur la proposition qui a été faite par MM. les députés de l’ordre du tiers de se réunir en commun pour faire la vérification des pouvoirs, les membres du clergé assemblés ont chargé leurs députés de témoigner à MM. du tiers-état le zèle et l’attachement dont ils sont pénétrés pour eux, et le désir de concourir à la plus parfaite harmonie entre les ordres ; et qu’en conséquence ils sont convenus de nommer des commissaires et d’inviter les deux autres ordres à en nommer pareillement, à l’effet de conférer ensemble et de se concerter sur la proposition faite par MM. les députés de l’ordre du tiers-état. 2° Les membres du clergé assemblés ont l’honneur de prévenir MM. de l’ordre du tiers-état que, conformément à la résolution prise le 7 mai, ils ont nommé huit commissaires, prêts à se réunir à ceux de la noblesse et du tiers-état, pour prendre sans délai les moyens les plus propres à faire régner entre les ordres la plus parfaite harmonie. M. Rabaud de Saint-Etienne. Je propose de nommer un certain nombre de personnes auxquelles il sera permis de conférer avec les commissaires nommés par MM. les ecclésiastiques et les nobles, pour réunir tous les députés dans la M salle nationale, sans pouvoir jamais se départir des principes de l’opinion par tête et de l’indivi sibilité des Etats généraux. M. Chapelier. Je propose d’adopter et faire notifier au clergé et à la noblesse la déclaration suivante : Les députés des communes de France, en vertu de la convocation du Roi, de l’annonce faite par M. le garde des sceaux au nom de Sa Majesté et de la publication des hérauts d’armes, s’étant rendus le 6 mai dans la salle des Etats où ils n’ont point trouvé les députés de l’église et de la noblesse, ont appris avec étonnement que les députés de ces deux classes de citoyens, au lieu de s’unir avec les représentants des communes, se sont retirés dans des appartements 'particuliers ; ils les ont vainement attendus pendant plusieurs heures et tous les jours suivants. Quelques-uns des députés des communes s’étant fait instruire du lieu où étaient les députés de l’église et de la noblesse, ont été leur représenter que par leur retardement à se rendre dans la salle générale ils suspendaient toutes les opérations que le peuple français attend des dépositaires de sa confiance ; que les communes ont vu avec regret que les députés de l’église et de la noblesse n’ont pas encore déféré à cet avertissement; que le clergé et la noblesse ont envoyé des députations au corps national auquel ils devaient se réunir, et sans lequel ils ne peuvent faire rien de légal, qu’ils ont nommé des commissaires pour aviser avec d’autres et délibérer entre eux ; que les représentants du peuple ne doivent pas s’abandonner à des moyens couciliatoires qui ne peuvent être discutés et délibérés qu’en commun dans l’Assemblée des Etats généraux; que la noblesse a ouvert un registre particulier, pris des délibérations, vérifié des pouvoirs, établi des systèmes ; que cette vérification partielle ne suffisait pas pour constater la régularité des procurations. Les députés des communes déclarent qu’ils ne reconnaîtront pour représentants légaux que ceux dont les pouvoirs auront été examinés par des commissaires nommés dans l’Assemblée générale par tous ceux appelés à là composer, parce qu’il importe au corps de la nation comme aux corps privilégiés, de connaître et de juger la validité des procurations des députés qui se présentent, chaque député appartenant à l’Assemblée générale, et ne pouvant recevoir que d’elle seule la sanction qui le constitue membre des Etats généraux ; que l’esprit public étant le premier besoin de l’Assemblée nationale, et la délibération commune pouvant seule l’établir, ils ne consentiront pas que, par des arrêtés particuliers des Chambres séparées, on porte atteinte au grand principe ; qu’un député n’est plus, après l’ouverture des Etats généraux, le député d’un ordre ou d’une province, mais, qu’il est le représentant de la nation ; principe qui doit être accueilli avec enthousiasme par les députés des classes privilégiées, puisqu’il agrandit leurs fonctions. Les députés des communes invitent donc et interpellent les députés de l’église et de la noblesse à se réunir dans la salle des Etats où ils sont attendus depuis huit jours, et à se former en Etats généraux pour vérifier les pouvoirs de tous les représentants de la nation. Ils invitent ceux qui ont reçu l’ordre spécial de délibérer en commun, et ceux qui, libres de suivre cette patriotique opinion, l’ont déjà manifestée, à donner l’exemple à leurs collègues et à venir prendre la place qui leur est destinée; c’est dans cette réunion de tous les sentiments, de toutes les opinions que sont fixés sur les principes de la raison et de l’équité les droits de tous les citoyens. Il en coûte à tous les députés des communes de penser que depuis ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 mai 1789. 37 [États généraux.] dix jours on n’a pas encore commencé les travaux qui assureront le bonheur public et la splendeur de l’Etat; qu’on n’a pu porter à un Roi bienfaisant le tribut d’hommages et de reconnaissance que lui méritent l’amour qu’il a témoigné pour ses sujets et la justice qu’il leur a rendue; que ceux qui pourraient retarder l’accomplissement de devoirs si importants eD sont comptables envers la nation. Les députés des communes arrêtent que la présente déclaration sera remise aux députés de l’église et de la noblesse pour leur rappeler les obligations que leur impose leur qualité de représentants nationaux. Les motions de M. Rabaud de Saint-Etienne et de M. Chapelier deviennent l’objet de la discussion. Plusieurs membres ayant demandé d’être entendus, les débats sont prolongés à la séance suivante. ÉTxYTS GÉNÉRAUX. Séance du jeudi 14 mai 1789. CLERGÉ. M. l’archevêque de Vienne et M. l’évêque de Langres, qui ont été nommés commissaires conciliateurs, demandant leur remplacement, il est procédé à un nouveau scrutin pour le choix de deux autres membres. MM. Thibaut, curé de Sainte-Croix de Metz, et Gouttes, curé d’Argeliers, réunissent la majorité. Mais sur la déclaration qu’ils font qu’ils renoncent à leur nomination, et qu’ils désirent que MM. les évêques qui ont le plus de voix après eux soient nommés, MM. l’archevêque d’Arles et l’évêque de Clermont le sont. Ensuite M. le président propose d’envoyer au Koi une nombreuse députation pour lui présenter le respect et les hommages du clergé, et d’inviter les autres ordres à s’y réunir. Cette proposition est reçue avec acclamation. NOBLESSE. M. de Ba tz, grand sénéchal d’Albret, dit qu’il est chargé, par la sénéchaussée de Tartas, de lire à la Chambre le procès-verbal d’élection de M. le comte d’Artois. Après cette lecture, il ajoute que M. le comte d’Artois a appris cette élection avec reconnaissance et sensibilité, mais qu’il lui a dit que les ordres du Roi l’empêchent d’accepter. Le même propose d’envoyer une députation à M. le comte d’Artois pour lui témoigner le désir que la noblesse a qu’il accepte sa nomination. Sur cette proposition, un autre membre demande à M. le sénéchal d’Albret si M. le comte d’Artois l’a chargé de faire le rapport à la Chambre. Il répond que non, mais que la sénéchaussée d’Albret l'en a chargé. Après cette réponse, il est arrêté que la Chambre ne connaissant pas officiellement le refus de M. le comte d’Artois ni les ordres prétendus du Roi, il n’y a pas lieu de délibérer. On reprend l’examen des pouvoirs contestés et l’on continue d’entendre les réclamations et des défenses opposées de part et d’autre. La séance est levée. COMMUNES. M. Ifalouet. Je viens vous présenter un troisième avis que j’ai rédigé en projet de déclaration dans les termes suivants : « Les députés des communes apprenant par les arrêtés des députés de la noblesse qu’ils se sont constitués en ordre, et qu’ils ont cependant nommé des commissaires conciliateurs ; présumant que l’intention de MM. de la noblesse est de consentir à une vérification commune des pouvoirs respectifs, ou que leurs commissaires conciliateurs ont une autre mission inconnue aux députés des communes ; dans tous les cas l’Assemblée non constituée desdits députés ne pouvant arrêter qu’en conférence un vœu commun, a résolu de le manifester, et d’en rendre compte au Roi et à la nation, ainsi qu’il suit : « Nous députés des communes, profondément pénétrés des obligations que nous avons contractées envers la nation, et désirant avec ardeur les remplir religieusement, déclarons que notre mission est de concourir de toutes nos forces à asseoir, sur des fondements inébranlables, la constitution et la puissance de l’empire français, de telle sorte que les droits de la nation et ceux du trône, l’autorité stable du gouvernement, la propriété légale et la liberté de chaque individu, soient assurés de toute la protection des lois et de la force publique. « Pour parvenir à cette fin, nous devons et nous désirons vivement nous réunir à nos codéputés, MM. du clergé et de la noblesse, et soumettre aux Etats généraux la vérification de nos pouvoirs respectifs. Assemblés chaque jour, depuis le 5 mai, nous avons invité avec instance, et nous réitérons nos invitations à MM. du clergé et de la noblesse, de procéder à cette vérification , nous espérons de leur patriotisme et de toutes les obligations qui leur sont communes avec nous, qu’il ne différeront pas plus longtemps de mettre en activité l’Assemblée nationale; nous demandons en conséquence, et nous acceptons toute conférence qui aurait pour but cet objet : nous sommes d’autant plus impatients d’en accélérer le moment, qu’indépendammentdes travaux importants qui doivent nous occuper, nous sommes affligés de n’avoir pu rendre encore au Roi, parune députation des Etats généraux, les remer-cîmenls respectueux, les vœux et les hommages de la nation. « Nous déclarons formellement être dans l’intention de respecter et n’avoir aucun droit d’attaquer les propriétés et prérogatives légitimes du clergé et de la noblesse ; nous sommes également convaincus que les distinctions d’ordre ne mettront aucune entrave àl’union età l’activité nécessaires aux Etats généraux. Nous ne nous croyons pas permis d’avoir aucune disposition irritante, aucun principe exclusif d’une parfaite conciliation entre les différents membres des Etats ; et notre intention est d’adopter tous les moyens qui conduiront sûrement à une constitution qui rendrait à la nation l’exercice de ses droits, l’assurance d’une liberté légale et de la paix publique : car tel est notre dêvoir et notre serment. » La motion de M. Malouet n’a pas de succès, quoique quelques membres cherchent à la soutenir. Les débats sur les deux autres motions sont prolongés.