BAILLIAGE DE CAUX. CAHIER Des doléances du clergé (1). L’assemblée de l’ordre du clergé du bailliage de Gaux, convoquée et réunie en la ville de Cau-debec, aux termes des lettres de convocation données à Versailles le 24 janvier dernier, pour conférer tant sur les remontrances, plaintes et doléances, que sur les moyens et avis qu’elle a à présenter en l’assemblée des Etats de la nation, et pour élire ses représentants en icelle, Donne par le présent acte aux députés qui seront choisis par la voie du scrutin, ses pouvoirs généraux pour la représenter aux Etats, y proposer, remontrer, aviser, contredire ou consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, la réformation des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties du gouvernement, la prospérité du royaume et le bonheur commun et particulier des citoyens. Le vœu de l’assemblée est qu’aux Etats généraux ses députés opinent par ordre et non par tête. 1° Parce que cette forme étant consacrée par un usage constant auquel il n’a jamais été dérogé, est devenue constitutionnelle ; 2° Parce que chaque ordre ayant ses intérêts particuliers à discuter, et les intérêts de la nation ayant plus ou moins de liaison avec les intérêts particuliers de chaque ordre, il est plus avantageux à chaque ordre d’opiner en particulier avec pleine et entière liberté ; 3° Parce que chaque ordre opinant en particulier, les Etats généraux ont trois barrières à opposer aux abus de l’autorité, et trois préservatifs contre les artifices de la séduction, au lieu de n’en avoir qu’un. Ensuite l’assemblée, considérant que les membres ont trois relations diverses, l’une avec l’Etat dont ils sont citoyens, la seconde avec le duché de Normandie, leur patrie, et la troisième avec la religion sainte dont ils sont les ministres, a jugé à propos de leur donner des mandats particuliers adaptés à chacune de ces relations. Mandats relatifs au bien général de l’Etat. L’assemblée donne à ses députés le mandat de travailler, conjointement avec les autres députés du royaume, à rétablir sur des bases certaines la constitution française dont les principes ont été si longtemps négligés et si violemment ébranlés. Et pour y parvenir : Premièrement, de veiller particulièrement à ce que l’autorité du souverain soit affermie sur des bases inébranlables et qu’on ne porte aucune atteinte aux droits sacrés et imprescriptibles de la monarchie. 2° De régler que les Etats généraux seront désormais assemblés à des époques fixes et déterminées. 3° Que les formes à observer à l’avenir pour la convocation et la tenue de ces assemblées natio-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. nales seront fixées de manière qu’il ne reste ni doute, ni incertitude sur aucun des objets contestés; par exemple, comme il s’est élevé dans quelques bailliages primitifs des difficultés relativement à la présidence de l’ordre du clergé, en l’absence des évêques, qu’il soit décidé clairement quel est celui à qui, selon l’ordre de la hiérarchie, cette présidence sera alors dévolue. 4° Que le droit de la nation, tant de fois reconnu par les souverains, de consentir et octroyer tout impôt soit direct, soit indirect, sera de nouveau reconnu et consacré ; en sorte que, par la suite, il ne puisse être perçu aucun impôt ni fait aucun emprunt qu’il n’ait été consenti par la nation elle-même dans ses Etats généraux, et seufement pour un temps limité. 5° Que cependant, comme il faut prévoir les besoins inopinés d’une guerre qui surviendrait tout à coup, il sera pourvu dans les Etats généraux mêmes à ce besoin éventuel par quelque moyen simple et circonscrit soit pour la quotité, soit pour la durée, de telle sorte qu’on n’en puisse abuser. 6° Que la loi seule puisse priver les citoyens de leur liberté, et que si jamais des raisons d’Etat ou même des motifs de clémence et de bonté déterminent le Roi à faire arrêter quelqu’un de ses sujets, on ne puisse refuser sous trois jours, ni après, daus aucun temps, le renvoi devant les tribunaux ordinaires à celui qui jugera à propos de le réclamer. 7° Que les droits sacrés de la propriété seront de nouveau confirmés et assurés, de manière que, dans la suite, aucun citoyen ne puisse être inquiété dans sa propriété autrement que d’après les lois du royaume, ni être poursuivi ailleurs que devant son juge naturel; et qu’en conséquence, toute commission de juges extraordinaires, tous droits de committimus, toute évocation à des tribunaux étrangers aux justiciables seront abolis. 8° Lorsque les droits de la nation énoncés ci-dessus relativement à la convocation des Etats généraux, au pouvoir d’octroyer les impôts, à la sûreté des personnes et des propriétés, auront été définitivement réglés et consignés dans une loi qui sera désormais la base de la constitution française, alors, et non avant, les députés constateront le montant des dettes de l’Etat, des dons et pensions, en rechercheront l’origine, en discuteront la légitimité, et ils régleront sur les connaissances qu ’ils auront acquises les sa crifi ces gé rtéreux et patriotiques, et que la dignité du trône, le maintien de la foi publique et les dépenses indispensables dans les divers départements pourront imposer au zèle de la nation. Le clergé du bailliage de Gaux sait trop bien ce qu’il doit à son Roi et à sa patrie pour ne pas leur offrir dans cette fâcheuse circonstance le sacrifice de tous ses privilèges pécuniaires ; le premier ordre de l’Etat ne s’est jamais laissé prévenir lorsqu’il a fallu donner des preuves de zèle et de désintéressement; le clergé du bailliage de Gaux fera toujours voir qu’il est digne de lui appartenir; la seule chose sur laquelle il se permet de faire un §74 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Caux.] vœu, c’est d’être maintenu, conformément à la possession du clergé, dans le droit de faire lui-même la répartition de sa contribution à l’impôt, répartition qui sera faite par des, commissaires électifs et amovibles tous les trois ans, en nombre proportionnel à chaque classe de l’ordre du clergé. 9° L’assemblée donne pouvoir à ses députés de consentir à la vente des domaines, dont la conservation est présentement si peu avantageuse à l’Etat, en prenant toutefois de justes mesures pour que les fonds provenant de cette vente soient emplovés à leur destination. 10° Elle les charge de supplier Sa Majesté de faire dans l’administration de la justice civile et criminelle toutes les réformes dont elle est susceptible, d’abréger les procédures, de diminuer les degrés de juridiction, d’en diviser les ressorts trop étendus ; lorsque le vœu des provinces sera connu et constaté, d’autoriser les municipalités des campagnes à terminer sans frais les petites contestations qui sont une source de haine et de division dans les familles, de proposer le point de la coutume de Caux qui fait des successions un partage contre lequel réclament la nature et la îustice, et de demander la destruction de la vénalité des charges. 11° Elle les charge aussi de demander la suppression des droits d’aides et gabelles, de contrô le, des droits de traite et de marque des cuirs qui sont absorbés en grande partie par les frais de perception, en pure perte pour l’Etat, et qui d’ailleurs sont si onéreux pour les sujets de Sa Majesté et si contraires à la tranquillité, et de demander que ces droits soient remplacés par quelque impôt plus simple, et qui, pesant moins sur les citoyens, puisse cependant remplir le vide occasionné par la suppression de ces impôts. 12° L’assemblée recommande encore à ses députés de chercher avec la plus scrupuleuse attention les moyens les plus propres pour assurer dans l’administration des biens ecclésiastiques les droits des bénéficiers, ainsi que ceux des fermiers qui pourraient se trouver lésés par la résiliation plus ou moins facile des baux. 13° Le clergé, frappé des inconvénients qu’entraînent pour l’amélioration des biens ecclésiastiques les droits d’amortissement qui portent sur les reconstructions des bâtiments, ainsi que les droits sur les échanges des mêmes biens, espère par la voie de ses députés obtenir la suppression d’un droit qui grève aussi sensiblement ses propriétés. Les bois qui font partie des possessions du clergé étant soumis à un régime qui influe' sur leur exploitation, le clergé désire aussi que cet objet soit offert par ses députés à l’examen des Etats généraux. 14° Le clergé du bailliage de Gaux, portant ses vues sur l’intérêt général des citoyens, charge spécialement ses députés de solliciter la suppression de toutes les entraves que le régime actuel peut porter aux intérêts du commerce et de l’agriculture. Mandat relatif à la province de Normandie* L’assemblée donne mandat spécial à ses députés de sé concerter avec tous les autres députés des bailliages de la Normandie, pour faire valoir dans toute leur force les droits qu’a le duché de Normandie au rétablissement de ses Etats provinciaux, interrompus depuis 1654, mais qui, malgré cette interruption, n’ont jamais été ni pu être anéantis, rétablissement fondé sur la constitution primitive, sur la charte de Louis le Butin, appelée Charte aux Normands, sur toutes celles qui l’ont confirmée depuis , et tout récemment sur la promesse de Sa Majesté. Mandats relatifs à l' administration ecclésiastique. L’assemblée donne mandat à ses députés de solliciter: t° L’éxécution des lois sur la fréquente tenue des conciles provinciaux, si nécessaires au maintien de la discipline ecclésiastique. 2° Qu’on renouvelle les lois sur la sanctification des dimanches et des fêtes, et surtout qu’on tienne la main à la stricte observation de ces lois; qu’on mette un frein à la profanation de ces saints jours en supprimant les marchés publics et les foires qui se tiennent ces jours-là, les jeux publics ainsi que les cabarets et les cafés, sources de scandale et de désordre. 3° Qu’on veille particulièrement sur l’éducation publique; qu’on prépose dans les collèges des hommes uniquement consacrés à cette fonction, aussi recommandables par leurs bonnes mœurs et leur piété que distingués par la science, et qüe leur régime et leur couduite soient soumis à l’inspection de l’évêque diocésain, des officiers municipaux et des curés. 4° Que les lois sur la prohibition des mauvais livres soient rigoureusement observées; qu’on punisse exemplairement les auteurs et tous ceux qui imprimeront et répandront dans le public ces productions contagieuses; et qu’ën conséquence on prenne les plus grandes précautions pour arrêter et circonscrire la trop grande liberté de la presse et des gravures licencieuses. 5° Que le Roi soit supplié d’avoir égard aux remontrances de son clergé relatives à l’édit en faveur des non catholiques ; de peser dans sa sagesse l’importance des représentations qui lui ont été faites ; de réprimer -les assemblées illégales: de mettre un frein aux abus occasionnés par cet édit. On citera ici des exemples de ces abus. Un prétendu ministre s’est permis tout récemment de marier un protestant avec une fille catholique, et née de parents catholiques sur la paroisse Saint-Maclou de Rouen, ainsi que dans Éolbec et ses environs. D’ailleurs les protestants se sont arrogé l’exercice le plus entier de leur religion, telle que l’administration d’un baptême, souvent défectueux, et l’érection de temples ’ où. ils se rassemblent au son des cloches qui appellent les catholiques à l’église. 6° Que le Roi soit aussi supplié d’avoir égard aux remontrances de son clergé, relativement à la nomination des bénéfices à charge d’âmes, dont le patron est non catholique, et de rendre une loi qui remette entre les mains de l’ordinaire la nomination de ces bénéfices jusqu’à ce que le patronage soit exercé par un catholique. 7° De supprimer les monitoires ou de ne les permettre que dans les cas les plus graves; d’en laisser la libre disposition aux officiaux, sans que l’on puisse exercer contre eux aucune contrainte à cet égard. 8° D’abolir les déports établis en Normandie et presque inconnus dans Routes les autres provinces du royaume ; droit peu évident dans son principe, toujours contesté, toujours contraire au bien spirituel et temporel des paroisses, et de dédommager nosseigneurs les évêques et MM. les archidiacres par l’union de quelque bénéfice d’une valeur proportionnée, ou par tout autre moyen que Sa Majesté jugera convenable. 9° Que l’on s’occupe efficacement de l’amélioration des cafés dont le revenu n’est pas suffisant# et notamment des curés à portion congrue à raison [États gén. 1789. Cahiers. des habitants et des charges du bénéfice, ladite augmentation en nature et non pas en argent, autant que faire se pourra. L’assemblée sollicite les mêmes soins de Sa Majesté sur le sort de MM. les vicaires, et une augmentation proportionnelle de leur sor.t à celui des curés, la suppliant de fixer l’honoraire des vicaires de manière que les gros décimateurs v contribuent en proportion des dîmes qu’ils ont dans la paroisse, et que toute loi à ce contraire soit révoquée. 10° Qu’il soit fait un fonds assez considérable pour que les curés qui ne peuvent plus exercer les fonctions du ministère, vicaires et autres prêtres leurs coopérateurs, dont les services n’ont obtenu aucune récompense, puissent y trouver un secours contre les infirmités, les besoins d’un âge avancé, ainsi qu’une augmentation graduelle de revenu à proportion de leurs travaux. 11° Que ce fonds soit administré par l’évêque diocésain et quelques curés de villes et de la campagne, dans un nombre qui sera fixé et proportionné, de manière que les uns et les autres aient une influence suffisante dans la répartition. 12° Que, pour détruire la mendicité, il soit établi au plus tôt dans toutes les paroisses un fonds de charité pour subvenir aux besoins des vieillards, des malades et des familles pauvres, en la manière qu’adoptera la sagesse et la prévoyance du gouvernement , et qu’à cette obligation de justice et d’humanité, les gros décimateurs seront tenus de contribuer en proportion du produit de leurs revenus’ dans chaque paroisse. 13° Que, selon les demandes faites aux assemblées provinciales et de département, la présidence dans les assemblées municipales des campagnes soit déférée, en l’absence du seigneur, aux curés, pour rendre à leur état spirituel et civil l’honneur qui leur est dû, et aussi pour ne pas les écarter de ces assemblées où leur présence est précieuse et nécessaire à tant de titres. 14° Que les fabriques jouissent de la liberté de remplacer à leur volonté les sommes provenantes de rentes remboursées , soit sur le Roi, soit sur le clergé et le pays d’Etats, soit sur les particuliers. 15° Que l’on mette à exécution l’édit de 1695, concernant la juridiction ecclésiastique, et que, conformément aux dispositions qu’il contient, les deniers des fabriques ne puissent être employés à la réédification des presbytères et des églises, à la décharge des propriétaires, mais qu’ils soient employés à l’entretien du culte public et aux décorations intérieures. 16° Que l’on exécute pareillement le règlement du clergé de 1770, en ce qui concerne la convocation et la nomination des députés aux assemblées ecclésiastiques, soit générales, soit diocésaines. 17» Que l’on rende une loi qui, après un mûr examen, fixe irrévocablement l’opinion sur la nature de l’usure et du prêt de commerce, pour diriger celle du peuple et des ministres de la religion. 18° Que Sa Majesté soit suppliée d’accorder l’enregistrement et l’exécution de sa déclaration du 29 mai 1786, qui annulle l’arrêt de règlement du parlement de Normandie de 1784, sur le fait des dîmes, et qui règle la manière de percevoir les dîmes insolites, en sorte que ceux qui en prétendront l’exemption soient tenus d’en faire la preuve par quarante ans ; l’assemblée recommande à ses députés de faire une attention particulière au mémoire des agents du clergé, article des dîmes. Quant aux autres objets non énoncés ci-dessus, [Bailliage de Câüx.J 575 qui pourront être proposés et discutés aux Etats généraux pour Raffermissement de la constitution, splendeur de l’Etat, et le bonheur des citoyens de tous les ordres, l’assemblée déclare qu’elle s’en rapporte aux lumières et au zèle de ses; députés, et qu’elle leur donne à cet effet tout pouvoir nécessaire. Arrêté île samedi 21 mars 1789, Signé Depradt, président; Osmont, député du clergé, etc... Collationné conforme à l’original par nous, secrétaire du tiers-état du bailliage de Caux, dépositaire d’icelui. A Caudebec le 27 mars 1789. Signé Jullien, MANDAT POUVOIRS ET INSTRUCTIONS Que la noblesse du bailliage de Caux , assemblée à Caudebec , donne à ses députés aux Et,at géné - roMoc, convoqués à Versailles le 27 avril 1789(1). Députés ; MM. le marquis de Quairon, le marquis de Thitoutot, le comte de Bonneville* MANDAT ET POUVOIRS. L assemblée de l’ordre de la noblesse du bailliage de Caux donne mandat et pouvoirs aux députés qui seront élus par scrutin de la représenter aux Etats généraux. En conséquence, pour procurer autant qu’il est en elle le rétablissement de la constitution de la province de Normandie dont elle fait partie, leur donne mandat : 1° De faire valoir auprès des Etats généraux le droit possédé par la Normandie de s’assembler en Etats provinciaux, droit incontestable, et dont il lui est bien important que l’exercice ne soit plus suspendu. 2° De représenter qu’en suivant ses droits dans toute leur étendue, elle pourrait réclamer que les Etats provinciaux fussent assemblés suivant leur ancienne constitution, ou que ieur organisation fût réformée d’après ieur propre délibération ; mais que, pour resserrer d’une manière plus particulière les liens qui l’unissent au royaume, et mettre plus sûrement la province à portée de participer aux avantages de la régénéral ion générale que .l’on a droit d’espérer, elle préfère de tenir l’exercice de ses droits delà nation toute entière. De déclarer en conséquence, au nom de l’assemblée, qu’elle consent à ce que Inorganisation des Etats de la province de Normandie soit réglée par les Etats généraux, comme elle le sera pour toute la France ; mais qu’elle réclame, de la manière la plus forte, pour qu’ils soient rassemblés dans le terme le plus rapproché, et chargés seuls de l’administration et de la répartition des impôts dans la province, parce que, dans le cas où cette faveur ne serait pas générale dans tout let royaume, alors les députés réclameront le droit qu’a la province d’organiser elle-même ses Etats provinciaux. 3° L’assemblée, persuadée que les Etats généraux s’occuperont avant tout du rétablissement de la constitution française, donne mandat à ses députés de se réunir aux autres représentants ae la nation pour statuer que les Etats généraux soient permanents, ou, au moins, assemblés périodiquement et à des époques fixes et très-rap-prochées ; que les formes de leurs assemblées, le (1) Nous publions ce cahier d’aprïs an imprimé de la Bibliothèque du Sénat ARCHIVES PARLEMENTAIRES.