428 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 février 1790.] M. 1© Président interrompt le rapport pour informer l’Assemblée qu’il vient de recevoir du Roi le billet suivant : » Je préviens M. le Président de l’Assemblée na-« tionale que je compte m’y rendre ce matin, « vers midi ; je souhaite y être reçu sans céré-« monie. « Signé, Louis. » La lecture de ce billet a été suivie d’applaudissements répétés et des acclamations de vive le Roi. M. le Président. D’après la lettre du Roi, et vu la simplicité avec laquelle il veut être reçu, ne serait-il pas irrespectueux de ne pas envoyer une députation au-devant de Sa Majesté? Après quelques légers débats sur le nombre et le caractère des membres qui doivent composer cette députation, il est décidé qu’elle sera formée de trente, choisis par M. le président. Ces députés sont : MM. Le Chapelier. Defermon des Chapelières. La Poule. Gérard. de Gouy-d’Arsy. Guillaume. de Latour-Maubourg. Bailly. de Marguerites. d’Ailly. Guillotin. de Blacons. Jouye des Roches. Barnave. de Monlesquiou. de Colbert-Seignelay, évêque de Rhodez. de Rostaing. Rœderer. Dom Gerle. le cardinal de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen. d’Egmont-Pignatellé. l’abbé Sieyes. Rewbell. le vicomte de La Queille. de La Fayette. de Curt. l’abbé de Pradt. de Cléry de Sérans. Target. La députation sort de la salle pour aller au-devant de Sa Majesté. M. le Président. Je pense que dès l’instant que le Roi est dans l’Assemblée, elle cesse d’être corps délibérant; je demande si quelque autre que le Président aura le droit de prendre la parole devant lui. L’Assemblée décide que le Président seul doit parler devant le Roi. M. le Président. Je savais dès hier soir que le Roi avait le dessein de venir aujourd’hui à l’Assemblée ; je n’ai pas eu l’honneur de vous en prévenir, parce que je n’en avais pas la certitude; j’ai cependant, et de concert avec M. Guillotin, pris quelques arrangements que je soumets à votre décision; ils consistent à retirer le bureau des secrétaires, à jeter un tapis devant la place du Président, qui sera occupée par le Roi ; le Président se placera à la droite de Sa Majesté ; et comme elle ne s’assoiera probablement pas, toute étiquette sera mise de côté. L’Assemblée approuve les vues du Président, et l’on s’occupe à les remplir ; le fauteuil destiné au Roi est recouvert d’un velours violet, parsemé de fleurs de lys d’or ; pareil tapis est étendu devant Je fauteuil ; le bureau des secrétaires estdés-cendu et placé devança barre, et le Président préside debout jusqu’à l’arrivée du Roi. L'ordre du jour est ensuite repris. M. Gossin, rapporteur. C’est une heureuse circonstance, pour le département du Bigorre, d’être décrété au moment où le Roi vient favoriser nos travaux et consolider les grandes réformes de l'Etat. Le rapporteur rappelle les diverses demandes des districts qui ont été adressées au comité de constitution et propose un projet de décret. M. Dupont (de Bigorre ) réclame la parole pour présenter le vœu de plusieurs communautés de Rivière-Basse pour être annexées au département de Tarbes. Les députés d’ Armagnac, dit-il, ayant exposé au comité de constitution que ces communautés désiraient demeurer au département d’Auch, j’eus la faiblesse de les croire : je pensais que je ue devais pas attirer au département de Bigorre des communautés contre leur gré. Alors le Condo-mois n’était pas réuni à Auch-, j’ignorais que les envoyés de cette ville avaient publié que le Bigorre n’était point le département. Ces communautés détrompées ont envoyé de nouvelles délibérations en faveur du Bigorre dont elles sont plus voisines que d’Auch. Je propose, par amendement, que les communautés de Rivière-Basse et autres communautés limitrophes soient libres de se réuuir au département d’Armagnac ou de Bigorre, selon qu’elles le trouveront plus convenable. M. Sentetz oppose les limites convenues et signées sous condition entre lui et un député de Bigorre; il prétend que ces communautés ont exprimé le vœu d’appartenir au département d’Auch et il ajoute que les gardes nationales ont chassé les accapareurs de délibérations. L’orateur demande la question préalable sur l’amendement. La question préalable est mise aux voix et adoptée. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis de son comité de constitution : « 1° Que le département du Bigorre, dont la ville de Tarbes est le chef-lieu, est divisé en cinq districts, appelés districts de Tarbes, Vie, la Montagne, Bagnères, les Quatre-Vallées, et pays adjacents; « 2° Que dans le district de la Montagne, le siège de l’administration est Argelès, et le siège delà juridiction avec les autres établissements, est à Lourdes; « 3° Que le chef-lieu de l’administration du district des Quatre-Vallées et pays adjacents, est La-barthe de Nestes, et que l’assemblée des électeurs, tenue dans cette ville, déterminera si le siège de la juridiction sera à Labarthe ou à tout autre lieu du district ; « 4° Que l’assemblée de département déterminera, à la première session, s’il est convenable de former un sixième district à Trie ou dans toute autre ville du département, sauf, en faveur des villes de ce département, qui n’ont pas de district, la répartition, s’il y a lieu, des établissements qui seront déterminés par la constitution. » M. Gossin propose un autre décret sur les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 février 1790.] 429 départements du Berry qui est adopté ainsi qu’il suit : L’Assemblée nationale décrète: « 1° Que la province du Berry est divisée en deux départements, suivant la ligne de démarcation arrêtée entre les députés de ladite province, dont le procès-verbal du 3 de ce mois est déposé au secrétariat du comité de Constitution; 2° que le chef-lieu du département du Bas-Berry est provisoirement établi a la ville de Château roux, sauf à l’assemblée du département à décider à la pluralité des voix si ledit département sera ultérieurement fixé à Châteauroux ou à Issoudun ; 3° que dans le département du Bas-Berry, il y aura six districts dont les chefs-lieux sont Issoudun, Château-roux, La Châtre, Argenton, Châtillon-sur-Indre et le Blanc, sauf, en faveur des villes de Vatan, Vallançay, Buzançais, Levroux, Sainl-Benoît-du-Sault, Saint-Gauthier, Aigurande et autres villes et lieux du département, le partage des établissements de chaque district, s’il y a lieu. » A cet instant, un huissier annonce : le Roi. M . le Président est allé recevoir Sa Majesté à la porte, du côté des Feuillants ; Sa Majesté est entrée dans la salle, suivie de plusieurs ministres et accompagnée de la députation. Les applaudissements répétés et les cris réitérés de : Vive le Roi ont manifesté la satisfaction générale de l’Assemblée. Le Roi s’est placé debout devant le fauteuil qui lui était destiné, les ministres derrière lui, et M. le Président à sa droite, tous les membres de l’Assemblée et des galeries debout. Sa Majesté a lu le discours suivant, interrompu dans quelques endroits par les applaudissements les plus vifs. Discours prononcé par le Roi, à l'Assemblée nationale, le 4 février 1790, au matin. * Messieurs, la gravité des circonstances où se trouve la France, m’attire au milieu de vous. Le relâchement progressif de tous les liens de l’ordre et de la subordination, la suspension ou l’inactivité de la justice, les mécontentements qui naissent des privations particulières, les oppositions, les haines malheureuses qui sont la suite inévitable des longues dissensions, la situation critique des linances et les incertitudes sur la fortune publique; enfin, l’agitation générale des esprits, tout semble se réunir pour entretenir l’inquiétude des véritables amis ae la prospérité et du bonheur du royaume. « Un grand but se présente à vos regards, mais il faut y atteindre sans accroissement de trouble et sans nouvelles convulsions. C’était, je dois le dire, d’une manière plus douce et plus tranquille que j’espérais vous y conduire lorsque je formai le dessein de vous rassembler et de réunir, pour la félicité publique, les lumières et les volontés des représentants de la nation ; mais mon bonheur et ma gloire ne sont pas moins étroitement liés au succès de vos travaux. « Je les ai garantis, par une continuelle vigilance, de l’influence funeste que pouvaient avoir sur eux les circonstances malheureuses au milieu desquelles vous vous trouviez placés. Les horreurs de la disette que la France avait à redouter l'année dernière, ont été éloignées par des soins multipliés et des approvisionnements immenses. Le désordre que l’état ancien des finances, le discrédit, l’excessive rareté du numéraire et le dépérissement graduel des revenus devaient naturellement amener; ce désordre, au moins dans son éclat et dans ses excès, a été jusqu’à présent écarté. J’ai adouci partout, et principalement dans la capitale, les dangereuses conséquences du défaut de travail; et nonobstant l’affaiblissement de tous les moyens d’autorité, j’ai maintenu le royaume, non pas, il s’en faut bien, dans le calme que j'eusse désiré, mais dans un état de tranquillité suffisante pour recevoir le bienfait d’une liberté sage et bien ordonnée : enfin, malgré notre situation intérieure généralement connue, et malgré les orages politiques qui agitent d’autres nations, j’ai conservé la paix au dehors, et j’ai entretenu avec toutes les puissances de l’Europe les rapports d’égards et d’amitié qui peuvent rendre cette paix plus durable. « Après vous avoir ainsi préservés des grandes contrariétés qui pouvaient si aisément traverser vos soins et vos travaux, je crois le moment arrivé, où il importe à l’intérêt de l’Etat, que je m’associe d’une manière encore plus expresse et plus manifeste à l’exécution et à la réussite de tout ce que vous avez concerté pour l’avantage de la France. Je ne puis saisir une plus grande occasion que celle où vous présentez à mon acceptation des décrets destinés à établir dans le royaume une organisation nouvelle, qui doit avoir une influence si importante et si propice sur le bonheur de mes sujets et sur la prospérité de cet empire. « Vous savez, Messieurs, qu’il y a plus de dix ans, et dans un temps où le vœu de la nation ne s’était pas encore expliqué sur les assemblées provinciales, j’avais commencé à substituer ce genre d’administration à celui qu’une ancienne et longue habitude avait consacré. L’expérience m’ayant fait connaître que je ne m’étais point trompé dans l’opinion que j’avais conçue de l’utilité de ces établissements, j’ai cherché à faire jouir du même bienfait toutes les provinces de mon royaume, et pour assurer aux nouvelles administrations la confiance générale, j’ai voulu que les membres dont elles devaient être composées fussent nommés librement par tous les citoyens. Vous avez amélioré ces vues de plusieurs manières; et la plus essentielle, sans doute, est cette subdivision égale et sagement motivée, qui, en affaiblissant les anciennes séparations de province à province, et en établissant un système généra] et complet d’équilibre, réunit davantage à un même esprit et à un même intérêt toutes les parties du royaume. Cette grande idée, ce salutaire dessein vous sont entièrement dus ; il ne fallait pas moins qu’une réunion de volontés de la part des représentants de la nation ; il ne fallait pas moins que leur juste ascendant sur l’opinion générale, pour entreprendre avec confiance un changement d’une si grande importance, et pour vaincre, au nom de la raison, les résistances de l’habitude et des intérêts particuliers. «Je favoriserai, je seconderai par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, le succès de cette vaste Organisation, d’où dépend le salut de la France ; et je crois nécessaire de le dire, je suis trop occupé de la situation intérieure du royaume, j’ai les yeux trop ouverts sur les dangers de tout genre dont nous sommes environnés pour ne pas sentir fortement que, dans la disposition présente des esprits, et en considérant l’état où se trouvent les affaires publiques, il faut qu’un nouvel ordre de choses s’établisse avec calme et avec tranquillité, ou que le royaume soit exposé à toutes les calamités de l’anarchie. « Que les vrais citoyens y réfléchissent, ainsi que je l’ai fait, en fixant uniquement leur attention sur le bien de l’Etat, et ils verront que,