486 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.' Quelques seigneurs propriétaires, de grandes terres vagues, objecteront peut-être qu’il serait dur de leur faire payer des impôts pour des terres qui ne leur produiront rien, tandis que, par l’abolition des fiefs et des rentes foncières, on les a privés de la ressource de les inféoder ou arrenter; je répondrai qu’ils peuvent encore les vendre par petites portions, ou les donner à rentes franchissables ou à bail à longues années; j’ajouterai qu’il est nécessaire de donner de l’encouragement aux cultivateurs bretons, parce que dans cette province l’agriculture est très-négligée, et qu’en général les terres y sont de mauvaise qualité et difficiles à travailler, et qu’améliorer l’agriculture, c’est augmenter la source de richesses la plus convenable à un grand empire. On pourrait encore engager le Roi à céder gratuitement aux municipalités ce qu’il possède de terres vagues dans chaque paroisse, à charge aux municipalités de les partager aux plus pauvres habitants, et de même engager tous les seigneurs à diviser en petites fermes leurs grandes terres ; ils les affermeraient par proportion beaucoup plus, et il en résulterait un grand avantage pour le royaume , étant reconnu que plusieurs petites fermes produisent beaucoup plus en grains, fruits et bestiaux , qu’une grande de même étendue. D’ailleurs, à ce moyen, au lieu d’enrichir un seul fermier, on en mettra plusieurs dans l’aisance, et on retiendrait dans les campagnes un grand nombre d’hommes qui vont se réfugier dans les villes, où ils sont souvent inutiles, et quelquefois dangereux. 6e ANNEXE. Motion de M. de Robespierre au nom de la province d’Artois et des provinces de Flandre , de Hainaut et de Cambré sis, pour la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs (1). Messieurs, nous venons vous offrir l’une des plus belles occasions qui puissent se présenter à vous de signaler ce zèle pour les intérêts du peuple et pour le bonheur de l’humanité qui est à la fois le premier de tous vos devoirs, et le plus actif de tous vos sentiments. Vous avez détruit entièrement le régime féodal; avec lui, doivent disparaître non-seulement tous les droits onéreux ou humiliants qui en dépendent, mais encore, et à plus forte raison, tous les abus et toutes les usurpations dont il est la source ou le prétexte. Telle est celle dont nous proposons de vous entretenir. Les villages, bourgs et villes de l’Artois possédaient paisiblement, depuis un temps immémorial, des propriétés sur lesquelles reposaient, en grande partie, la richesse et la prospérité de cette province et principalement de nos campagnes. C’étaient surtout des pâturages , des marais , d’où l’on tirait une grande quantité de tourbe nécessaire pour suppléer à la rareté du bois dont la disette est grande et le prix excessif dans cette contrée. A la conservation de ces propriétés étaient attachés presque généralement, l’abondance des bestiaux, la prospérité de l’agriculture , le commerce, les lin s (2) qui faisaient vivre une partie fl) Cette motion n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Elles servaient à rouir, à blanchir, à sécher les lins. de ses habitants, et la subsistance d’une multitude innombrable de familles. Mais elles ne purent échapper aux attentats du despotisme. Les intendants et les états d’Artois, qui se disputèrent et conquirent tour à tour, par des arrêts du conseil l’administration de ces biens communaux, qu’ils enlevèrent aux communautés, nous laissèrent incertains laquelle de ces deux espèces d’administration nous avaient opprimés , par des injustices et des vexations plus craintes. Conversions arbitraires des pâturages et des marais en terres labourables, contre le vœu et l’intérêt des habitants , spoliations violentes , règlements tyranniques dont l’objet était d’enrichir les agents de l’administration aux dépens des citoyens; aucune de ces vexations ne nous fut épargnée. L'une des plus révoltantes fut sans doute celle qui nous ravit une partie de nos biens communaux, pour les faire passer entre les mains des seigneurs. On connaît l’ordonnance des eaux et forêts de 1669, qui, par uu article, adjuge aux seigneurs le tiers des biens qui appartenaient aux communautés, avec ces deux modifications : 1° si les deux autres tiers sont suffisants aux besoins des communautés ; 2° s’ils ont été originairement concédés à titre gratuit. Cette disposition, mitigée par deux exceptions si bizarres et dont l’application était nécessairement arbitraire, ne pouvait jamais être qu’un attentat à la propriété et aux droits inviolables du citoyen. Qu’importe en effet que mes biens soient au niveau ou au-dessus de mes besoins ? Cette circonstance peut-elle vous autoriser à me les voler ? Qu’importe encore que je les aie acquis à titre gratuit ou à titre onéreux ? Dans le second cas ils sont sacrés comme le contrat de vente; dans le premier ils sont sacrés comme le contrat de donation; dans l’un et l’autre, ils sont sacrés comme les droits de la propriété. Par conséquent l’acte qui dépouillait les peuples des biens qui leur avaient été dévolus par une antique concession, pour en investir quelques hommes privilégiés, n’était qu’une infraction absurde des premiers principes de la justice et de l’humanité. S’il était essentiellement nul , dans quelque lieu que ce fût, à plus forte raison devait-il l’être, dans la province d’Artois qui, d’après ses lois particulières, doit être affranchie de l’ordonnance des eaux et forêts. Cependant dans la suite, le droit du plus fort introduisit cette vexation dans notre province ; et les seigneurs envahirent, sous le nom de triage, une grande partie des propriétés de leurs vassaux. L’une des époques les plus mémorables de ces injustices fut l’année 1779. Ce fut alors que les Etats d’Artois formèrent la coupable entreprise de dépouiller les communaux tés qui avaient échappé aux brigandages précédents, sous le prétexte de partager leurs biens et de les convertir en terres labourables. Ce fut alors qu’après avoir essayé les menaces, les artifices, les séductions, les persécutions secrètes, pour les amener à adopter ces opérations ruineuses, ils surprirent clandestinement et firent presque en même temps enregistrer à leur insu, au parlement de Paris, des lettres patentes qui ordonnent le partage de ces propriétés, de manière que le tiers des biens communaux prétendus concédés par le seigneur, à titre gratuit, sera adjugé [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] 4h7 au seigneur, et le 6e de ceux qui étaient possédés à titre onéreux. Ainsi par cette dernière clause qui était l’objet évident de toute cette trame, on enchérissait encore sur l’article ioique de l’ordonnance de 1669, qui ne comprenait que les biens concédés à titre gratuit, avec la condition que nous avons déjà indiquée, en comprenant dans cette usurpation le 6e des biens acquis à titre onéreux, qu’elle exceptait formellement. Nos concitoyens opprimés réclamèrent contre cet attentat : mais la commission intermédiaire des Etats d’Artois, rendait des ordonnances et les dépouillait par provision, et leurs réclamations mêmes étaient punies comme des crimes. Nous avons vu ses ordres arbitraires plonger dans les prisons une multitude innombrable de citoyens qui n’avaient commis d’autre faute que d’invoquer la protection des lois en faveur de leurs propriétés violées ; nous avons vu, pour la même cause, leurs cachots regorger longtemps des malheureuses victimes de leur tyrannie ; nous avons vu des femmes, mettre au monde et allaiter dans ces lieux d’horreur des enfants dont l’existence faible et languissante attestait sous quels auspices ils l’avaient reçue. Mais ce qu’on ne croira pas peut-être dans les lieux qui ne furent point le théâtre de ces scènes atroces, c’est que nous avons vu nos oppresseurs parcourir, à main armée, nos campagnes comme un pays ennemi, pour subjuguer leurs paisibles habitants qui n’opposaient à leurs violences que des réclamations juridiques; c’est que l’un des membres de notre commission intermédiaire, après avoir présenté aux ministres les citoyens les plus pacifiques comme des rebelles armés contre l’autorité, a conduit des troupes réglées contre nos bourgades qu’il a investies, au milieu de la nuit, et dont les habitants arrachés au sommeil, fuyants comme dans une ville prise d’assaut, étaient arrêtés par ses satellites et traînés en prison comme des criminels; crime si atroce que bientôt les ministres eux-mêmes détrompés de ces grossières impostures, se hâtèrent de désavouer les ordres militaires qu’on leur avait surpris. Et quel était le principal agent de ces horribles manœuvres? Un député du tiers état, qui, réunissant à cette qualité celle d’agent d’un grand seigneur, avait formé le projet de désoler son pays, pour livrer à son maître des propriétés immenses que l’inique partage devait lui procurer ..... Qui pourrait raconter tous les maux, toutes les persécutions publiques ou secrètes que les malheureux habitants des campagnes ont souffertes pendant plusieurs années d’exactions, de violences et de procès ruineux ! Car plusieurs communautés eurent le courage d’en soutenir contre toute les intrigues et contre le crédit formidable de leurs oppresseurs ; et au parlement de Paris et au conseil d’Etat... Enfin celles dont les biens n’avaient pu encore être partagés obtinrent par un arrêt la permission de les conserver. Mais toutes ont conservé le cruel souvenir de tant d’injustices, et l’un des objets que nos commettants nous ont recommandés avec le plus d’intérêt et d’unanimité est le soin de vous en demander la réparation, et de solliciter auprès de vous une loi, qui rende à celles dont les pâturages et les marais ont été mis en culture le droit de les remettre à leur premier usage, s’ils jugent que leur intérêt l’exige, et qui restitue à toutes la portion considérable qui leur a été injustement ravie avec les fruits perçus depuis 1762, époque du premier arrêt surpris pour Yitry. Les mêmes droits et des circonstances semblables ont dicté le même vœu à toutes les provinces Belgiques, où les communautés dépouillées par les manœuvres du despotisme et de l’aristocratie, attendent avec impatience la restitution et la justice qui leur sont dues. Les vexations qu’elles ont éprouvées offrent même cette circonstance particulière que la cupidité et l’injustice leur ont enlevé par des arrêts du conseil, non-seulement le tiers des biens concédés à titre gratuit ; non-seulement le 6e de ceux qui avaient été acquis à titre onéreux ; mais même le tiers de cette dernière espèce de propriété. Et d’ailleurs quel surcroît d’iniquité dans tous ces pâturages essentiellement iniques par eux-mêmes ! Il est des seigneurs, qui en ont envahi la moitié ; une foule d’autres, au lieu de prendre en une seule masse la part qu’ils s’attribuaient ont choisi pour leur lot, diverses portions éparses qui était à leur convenance, de manière qu’ils ne peuvent pas même en jouir sans traverser, sans gêner, sans détériorer celles qu’ils ont laissées aux habitants... Partout enfin la tyrannie féodale a ajouté à ses injustices les preuves de ce mépris insultant pour les droits des hommes, qui la caractérise .... Il dépend de vous, Messieurs, de réparer aujourd’hui ses ravages, après avoir abattu sa puissance, et de faire bénir, par un seul acte, votre autorité tutélaire dans l’étendue d’une vaste contrée. Nous ne voyons pas du moins quelle objection nous pouvons prévoir ici contre une pareille demande. La justice exige en général la restitution de tous les biens dont les communautés ont été dépouillées même en remontant à l’époque de l’ordonnance de 1669 ; mais il en est ici une très-grande partie, à l’égard desquels cette question est décidée par des raisons particulières et singulièrement péremptoires, même dans tous les systèmes. Rappelons -nous d’abord que l’ordonnance de 1669 faisait présent aux seigneurs du tiers des biens appartenait aux communautés, à deux conditions: la première que ces biens auraient été concédés gratuitement, la seconde, que les deux autres tiers seraient suffisants pour les besoins des habitants. Or, indépendamment des deux exceptions établies, par cet article, il est évident que jamais il n’a pu transmettre aux seigneurs la propriété d’aucune partie de ces biens. En effet, sans compter d'abord que rien n’est si difficile à reconnaître, ni sujet à une décision arbitraire que le titre primitif de ces possessions; sans compter que si l’on remonte ici à la véritable origine de la propriété, il est de fait qu’elles appartenaient d’abord et par le droit aux peuples ; et qu’il n’y a pas plus de raison de s’arrêter à l’époque de la possession des seigneurs, que de se reporter à celle de la propriété du peuple ; que souvent ces prétendues concessions n’ont jamais été vérifiées, et que, dans ce cas, les biens devaient être présumés avoir toujours appartenu aux communautés malgré la maxime féodale contraire ; il suffit d’observer, comme nous l’avons déjà fait, qu’à quelque titre que les communautés fussent propriétaires au temps de l’ordonnance de 1669, à titre gratuit ou à titre onéreux, leurs propriétés n’en étaient pas moins inviolables ; que par conséquent, lorsque le despotisme aristocratique et ministériel entreprit d’en transférer une partie aux seigneurs, c'est-à-dire à lui-même, il excéda évidemment son pouvoir, et fît non pas une loi, 4gg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] mais un acte de violence et d’usurpation qui n’a jamais pu anéantir, ni altérer les droits imprescriptibles du peuple ; et il est impossible de voir dans l’exécution de cet ordre arbitraire et injuste rien autre chose qu’une spoliation violente et un vrai brigandage ; on sait que le brigandage et la rapine ne peuvent jamais constituer un titre de propriété. On sait même qu’un titre de cette espèce est un obstacle invincible à la prescription. Et d’ailleurs peut-on opposer la prescription au peuple ? Peut-on opposer au peuple une possession quelque longue qu’elle ait été si elle était le fruit de l’oppression où il gémissait, et durant laquelle ses réclamations même auraient été punies comme des crimes ! Et ne sait-on pas encore, que même pour les particuliers, que même dans les causes civiles, la violence et la fraude opposent un obstacle insurmontable à la prescription ! Que sera-ce donc, dans la cause du peuple, dans la cause de la liberté contre la tyrannie? Jadis on regardait comme imprescriptibles les aliénations du domaine, faites même sous les auspices de la bonne foi et sous le sceau d’un consentement libre ; et le patrimoine sacré du peuple pourrait être prescrit, lorsqu’il lui a été arraché par la force ! Mais à qui i’opposerait-on, cette prescription? au législateur lui-même. Car il n’est ici question que d’une loi à porter. Or, si le législateur peut révoquer ses propres lois, à plus forte raison, le véritable législateur peut-il changer les ordonnances du législateur provisoire, qui s’était emparé de ses fonctions. Si le ministre de 1669 a pu enlever aux communes une partie de leurs biens, pour les donner aux seigneurs, à plus forte raison pouvez-vous la retirer aujourd’hui des mains de ces derniers pour la restituer aux légitimes propriétaires. Ou bien l’article de l’ordonnance de 1669 était nul, ou il était valide; dans le premier cas il ne peut nous être opposé; dans le second, la loi que vous ferez aujourd’hui aura au moins la même force et la même puissance ; et il y aura entre elle et l’édit ministériel, cette différence, que celui-ci n’était qu’un acte absurde et tyrannique, et que la vôtre, ouvrage de la volonté générale, réparera l’injustice qu’il a faite, et rétablira les droits de l’homme qu’il a violés.... On trouvera peut-être cette logique bien redoutable pour les seigneurs; nous en conviendrons volontiers, pourvu que l’on avoue qu’elle est aussi consolante pour le peuple et conforme à la justice et à l’humanité. Pourra-t-on bien nous objecter qu’elle blesse la propriété ? mais que l’on nous dise donc quel est le véritable propriétaire, de celui qui a été dépouillé de son bien par la force, ou de celui entre les mains duquel ont passé ses dépouilles. Dira-t-on que celui qui depuis a acquis ces biens de bonne foi, ne doit pas en être évincé? Mais tous ceux qui achètent le bien d’autrui, sont-ils dispensés par leur bonne foi de le rendre au vrai propriétaire ? Ce qu’un tel événement peut avoir de malheureux pour l’autre prive-t-il celui-ci de ses droits? et certes quel est celui qui mérite ici plus d’égards et de commisération, ou du seigneur riche qui perdra un objet qui ne lui appartient pas, ou des malheureux vassaux à qui il faut le restituer? Voilà ce que nous opposons en général à l’ordonnance de 1669; mais indépendamment de toutes ces raisons, nous pourrions trouver dans ses disposions mêmes de quoi appuyer notre réclamation et nos raisonnements. En effet n’exige-t-elle pas cette condition, pour toucher aux biens communaux, que les deux tiers restant, soient suffisants pour les besoins des habitants ? mais, nous le demandons, quand cette condition a-t-elle été remplie ? Dans quels lieux s’est-on informé des besoins et des intérêts des peuples, pour l’appliquer? N’est-il pas constant, n’est-il pas notoire, que partout l’ambition et la cupidité ont étendu cette loi oppressive, sans aucune distinction ? Et de bonne foi croit-on qu’en effet les seigneurs qu’elle favorisait étaient trop pauvres, et les infortunés habitants des campagnes trop riches, de manière qu’ilfallût ôter à ceux-ci, pour donner à ceux-là? Tout ce que nous pouvons assurer, du moins pour nos provinces, c’est que ces injustes spoliations déguisées sous le nom de partage, c’est que les absurdes opérations qui ont changé l’état de leurs biens communaux, ont ruiné ou appauvri les communautés et les ont réduites presque partout à une profonde misère. Ainsi l’ordonnance de 1669 condamne elle-même toutes ces infractions des droits de la propriété, et elle a toujours réclamé contre elles, puisque la condition même à laquelle elle les avait attachées n’a pas été remplie. Mais ce que nous venons de dire, ne regarde que les biens communaux prétendus concédés à titre gratuit; mais ceux qui n’avaient été concédés par les seigneurs en aucune manière et qu’ils ont envahis! Mais ceux qui étaient acquis à titre onéreux, et qu’ils ont usurpés ! sous quel prétexte se dispensera-t-on de les restituer, lorsque l’ordonnance même qui était le prétexte de ces usurpations, les proscrit elle-même expressément;? Or, il en est une foule de ce genre, dans toutes les parties de la Frauce, et surtout, dans les provinces dont nous réclamons les droits. Vous avez déjà vu entre autres; des ordres arbitraires surpris au ministère, même à une époque très-récente, en enlever le sixième aux communautés de l’Artois; vous avez vu la Flandre dépouillée du tiers de ces biens, exceptés même par l’ordonnance de 1669, sans compter les vexations plus grandes qui ont encore excédé ces bornes. Dira-t-on, par exemple, que les infâmes intrigues, que les attentats multipliés contre la liberté dont nous avons rendu compte, sont devenus des titres de propriété contre ceux de nos concitoyens qu’ils ont opprimés 1 Quel est celui qui osera soutenir, dans l’Assemblée des représentants du peuple, qu’il est déchu de ces droits, dès qu’il a plu à quelques tyrans de les lui ravir; que le vol et la rapine peuvent lui être opposés pour l’en dépouiller, tandis qu’on ne les regarderait que comme des motifs de restitution dans la cause d’un particulier?... Mais, vous, Messieurs, votre jugement sur ce point est déjà prononcé d’avance, par celui qui a proscrit le régime féodal. Il survivrait à lui-même dans ce qu’il eut jamais de plus odieux, si l’oppression dont nous parlons pouvait se prolonger. N’est-ce pas à titre de seigneurs, n’est-ce pas en vertu de la puissance féodale, que l’ou s’est emparé des biens que nous réclamons? Gomment donc pourraient-ils les conserver quand la puissance féodale n’est plus? si des droits qui avaient au moins quelque chose de légitime dans cet ancien système sont anéantis, comment des usurpations, que l’injustice féodale elle-même aurait proscrites, pourraient-elles subsister ? après avoir déclaré qu’en France les terres devaient être libres, comme les personnes, et affranchies par conséquent de toutes charges seigneuriales, comment laisserez-vous ces biens eux-mêmes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] entre les mains des seigneurs qui les ont usurpés par le plus criant abus de leur pouvoir? Quelques-uns, dit-on, voudraient nous proposer de consacrer tous ces actes d’oppression, sous le prétexte qu’une conduite contraire donnerait un effet rétroactif à votre loi; mais quel autre effet une loi, qui ordonne des restitutions nécessaires, peut-elle avoir, que celui de retirer les biens qui en doivent être l’objet, des mains de ceux à qui ils n’appartiennent pas, pour les rendre aux propriétaires? ce n’est point là un effet rétroactif; c’est l’effet naturel et essentiel de la loi. Quand vous éteignez un droit seigneurial qui était perçu annuellement, la charge dont vous voulez délivrer le peuple, disparaît entièrement : mais à l’égard des biens qui lui ont été ravis, sous le nom de triage ou autrement, si vous vous contentez de dire: « Le triage à l’avenir, sera supprimé ; » vous laissez subsister la spoliation dont il est la victime; vous dites bien, « à l’avenir il ne sera plus permis d’attenter à la propriété du peuple; >: mais vous dites en même temps, « ses oppresseurs continueront de jouir de la propriété qu’ils s’attribuent sur une partie de ses biens, » et sous le prétexte chimérique de ne point donner à la loi un effet rétroactif qui n’existerait pas, vous prolongez réellement dans l’avenir, la privation funeste des droits dont il a été dépouillé, et le plus odieux monument de l’empire féodal. Saisissez donc, Messieurs, avec empressement cette occasion facile que nous vous présentons, d’accorder au peuple un grand bienfait. Tant d’obstacles s’opposent souvent à votre zèle pour le bonheur de l’humanité! Profitez de ce moyen de le satisfaire, au moins en partie. Hélas! dans ce moment même que les puissants ennemis du bien public s’efforcent d’aggraver la misère de nos concitoyens, par d’injustes alarmes, par des soupçons sinistres et par mille intrigues odieuses; grâce à leurs funestes soins ce peuple souffrant ignore jusqu’aux lois bienfaisantes par lesquelles vous avez préparé le bonheur de la nation entière. Dissipez, Messieurs, dissipez ces nuages alarmants, qui s’élèvent pour obscurcir l’aurore de la liberté naissante. Portez dans les cœurs inquiets et abattus l’espérance, la consolation et la joie, par un acte éclatant de justice et d’humanité, qui leur montrera toute la différence qu’ils doivent mettre entre les représentants du peuple et ceux qui cherchent à le tromper, après l'avoir opprimé. Hâtez-vous de leur donner ce gage du bonheur dont ils seront redevables à vos travaux, et de conquérir, pour ainsi dire, cinq provinces de plus à la constitution et à la liberté! 7® ANNEXE. Lettre de plusieurs membres de V Assemblée nationale à leurs commettants des provinces de Flandre et du Cambrésis. (Nota. Ce document a été inséré au Moniteur du 10 décembre 1789. Nous avons pensé qu’il devait également trouver place dans les Archives Parlementaires.) Messieurs, envoyés par vous à l’Assemblée nationale, et toujours tendrement attachés aux provinces dont votre choix nous a confié les intérêts en même temps que ceux de la nation, nous ne pouvons vous dissimuler plus longtemps ni la 489 douleur profonde, ni les inquiétudes amères dont nous accablent les libelles et les propos séditieux que font circuler au milieu de vous vos plus grands ennemis. Ces esprits pervers, désespérés de ne pouvoir maintenir par la force les abus dont ils se sont engraissés si longtemps, cherchent à les reconquérir par la ruse. Ne pouvant plus vous tyranniser ouvertement, ils entreprennent de vous séduire. A les entendre, l’Assemblée nationale n’a rien fait pour votre bonheur, et vous avez tout à craindre de l’exécution de ses décrets. Voilà, en deux mots, à quoi se réduisent leurs clameurs insidieuses. L’Assemblée nationale n’a rien fait pour votre bonheur! Mais auriez-vous oublié, Messieurs, qu’elle vous a déchargés des impôts les plus désastreux qui excitaient journellement vos plaintes, la dîme et le droit de franc-fief? Qu’elle vous a déclarés tous égaux en droits, tous admissibles aux emplois, aux places, aux dignités quelconques, sans autre distinction que celle des vertus et des talents? Qu’elle a détruit entièrement le régime féodal ; et que si par là elle a, comme elle le devait, laissé subsister les propriétés et les droits légitimes des seigneurs, elle a du moins révoqué toutes les usurpations qu’on s’était permises contre votre liberté? Qu’elle vous a délivrés du fléau des justices seigneuriales, qui tout à l’heure vont être irrévocablement anéanties? Qu’elle s’est engagée de vous faire administrer gratuitement la justice, par des juges que vous choisirez vous-mêmes, engagement qui sera réalisé sous très-peu de mois ? Qu’elle va, dans l’instant, vous donner des municipalités et des assemblées provinciales, dont vos seuls suffrages nommeront tous les membres, et qui vous délivreront pour toujours des intendants et des subdélégués ? Qu’elle a affranchi vos terres du droit exclusif de la chasse, et vous a rendu le droit que vous tenez de la nature, de tuer le gibier qui dévaste vos champs ? Qu’elle a aboli tous les privilèges, toutes les exemptions qui, en matière d’impôts, surchargeaient le pauvre pour alléger le riche? QuVlle vous a mis pour jamais à l’abri des impôts qui ne seraient pas nécessités par les véritables besoins de l’Etat, et que vous n’auriez pas expressément consentis par l’organe de vos représentants? Qu’elle a élevé un mur inébranlable entre votre liberté et les ordres arbitraires, et vous a rendus indépendants de toute autre autorité que de celle de la loi et des officiers publics qui commandent en son nom? Qu’elle a mis la loi elle-même dans vos mains, en établissant pour principe fondamental que le pouvoir de la faire n’appartient qu’à la nation, représentée par ses députés librement élus? Que par ces deux dernières dispositions elle a fait de vous un peuple parfaitement libre, puisque la liberté consiste à n’obéir qu’aux lois émanées de la volonté générale? Que, par ces mêmes dispositions, elle vous a préservés à jamais des malheurs que le despotisme et des erreurs ministérielles avaient accumulés sur vos têtes sous l’ancien régime? Qu’en s’occupant de l’établissement d’un nouvel ordre dans les finances, elle vous prépare une diminution d’impôts qui deviendra progressivement très-sensible ? Qu’enfin, dans tous ses travaux, elle n’est oc-