[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 avril 1790. - Livre rouge.] 177 LIVRE ROUGE AVERTISSEMENT. Le comité des pensions s’était proposé de faire imprimer le livre rouge, lorsque les objets qui y sont portés le placeraient à son rang dans la collection des traitements qui est actuellement en distribution. Le dépouillement de ce livre devait être suivi du détail des gratifications extraordinaires, acquits de comptant et autres objets compris aux ordonnances de comptant, dont la masse est énorme. Mais l’ordre de travail que le comité s’est prescrit, pouvant retarder encore de quelques semaines la publicité des détails contenus dans le livre rouge, le comité s’est déterminé à le faire paraître dès à présent. On avertira, à cette occasion, que le livre rouge n’est pas le seul registre qui contienne les preuves de l’avidité des gens en faveur. Les travaux continuels auxquels le comité se livre, lui découvrent une multitude de preuves d’autres déprédations qu’il fera successivement connaître. Dans un moment où la nation travaille à mettre l’ordre et l’économie dans les finances, pour soulager le peuple; dans un moment où le peuple porte, avec confiance, une partie de son nécessaire au Trésor public, il ne faut pas lui laisser ignorer comment les ordonnances de comptant, imaginées pour voiler une infinité de dépenses qu’on aurait eu honte d’avouer, se portèrent : Il faudra mettre, sous les yeux de la nation, l’audace des ministres, dontun, comblé des grâces du roi, et jouissant déjà de 98,622 livres de traitements et pensions, après avoir obtenu, le 17 mars 1785, des pensions pour dix personnes de sa famille; après avoir ajouté, de son auto-(1) Le comité n’a pas, en cet instant, sous les yeux la note de l’année 1780, non plus que celle de l’état complet de 1788 et 1789. Série. T. XIIÏ. rité, le 23 avril, une onzième pension en faveur d’un parent qu’il avait d’abord oublié, formait encore, le 4 septembre 1787, les demandes suivantes : Un duché héréditaire ; 60,000 livres de pension; 15,000 livres réversibles à chacun de ses deux enfants; une somme pour l’aider à arranger ses affaires. Un autre, en se faisant honneur, dans le public, de ne prendre que moitié de la pension de 20,000 livres qu’il était d’usage d’accorder aux ministres, demandait, le 26 novembre 1788, une quittance de 100,000 livres, somme dont il se trouvait débiteur dans son propre département, sur les deniers confiés à sa direction, et donnait, pour motif de sa demande, que ses prédécesseurs avaient obtenu, presque tous les ans, des gratifications de 80 et 100,000 livres. Il faudra que Ton sache comment quelques ministres accordaient des pensions sans la volonté, outre la volonté, contre la volonté du roi; que Ton apprenne que, le 11 février et le 27 mai 1788, des ministres faisaient recevoir au Trésor royal, par leurs secrétaires, des sommes pour lesquelles l’ordonnance du roi ne se trouve datée que de plusieurs jours après. Mais les travaux du comité n’étant pas encore achevés, à cause des détails immenses que les recherches entraînent, il a besoin du temps nécessaire pour mettre ses résultats en ordre. Rien de ce qu’il pourra connaître ne sera soustrait aux yeux de la nation. Il ne parlera jamais que d’après les pièces; il ne dira jamais que la vérité; mais il dira toute vérité; et s’il se rencontrait des obstacles à ce qu’il connût quelque vérité, il dénoncerait ces obstacles à la nation. Le comité pourra faire imprimer, un jour, sa correspondance, afin que le public sache quels sont les ordonnateurs qui se sont empressés de le mettre en état de découvrir les abus ; et quels sont ceux qui se sont vainement flattés de conserver, sous un voile obscur, des détails qu’il était apparemment de leur intérêt de laisser ignorer. Le comité des pensions terminera cette note en répétant ici ce qu'il a déjà annoncé publiquement. Le roi a été souvent trompé par les prétextes dont on couvrait des demandes indiscrètes. En lui présentant des occasions de bienfaisance particulière, on détournait un moment ses yeux des besoins de son peuple. Jamais, lorsqu’il a été question ou de ses affaires, ou de ses goûts per - 12 478 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 avril 1790. — Livre rouge.] sonnels, on n’a pu lui persuader de s’écarter d’une sévère économie. Le comité fera remarquer les réponses du roi à des propositions qui le regardaient personnellement; elles portent : Il n'y a rien de pressé : Bon, à condition que cela n'occasionne pas de nouvelles dépenses (1). Le roi a senti la nécessité indispensable de ré: primer à jamais ces sollicitations importunes qui dévoraient la substance de son peuple : il s’est entouré de la nation, pour y résister et en faire cesser l’abus. Les vœux du roi, pour le soulagement de la France, ne seront pas illusoires. La nation ne peut apercevoir qu’avec satisfaction, qu’en supprimant à l’avenir tous les donB indiscrets, qu’en cessant d’être prodigue pour être toujours généreuse, elle diminuera la masse des dépenses, peut-être, d’un cinquième par chaque année. C’est ainsi qu’en réunissant les travaux et les découvertes des différents comités, l’Assemblée sera enfin à portée de connaître les véritables sources de cette dette immense, qui s’est formée depuis douze ans environ, et dont l’état, au vrai, ainsi que les causes, sont encore un problème. Fait au comité, le premier avril 1790. Signé : CAMUS, GOUPIL PE PREFELN, Gaultier de Biauzat* l’abbé Expilly, le marquis de Montcalm-Gozon, le baron Félix de Wimpfen, Fréteau, Treilhard, de Menou, de Champeaux-Palasne, Cottin, L.-M. de l’Épeaux. description du livre rouge. Ce livre est un registre de dépense, composé de 122 feuillets, relié en maroquin rouge. On a employé, pour le former, du papier de Hollande, de la belle fabrique de JD. et C. Blauw, dont la devise, empreinte dans le papier, est Pro Patria et Libertate. Les dix premiers feuillets renferment des dépenses relatives au règne de Louis XV ; les trente-deux qui suivent appartiennent au règne du roi ; le surplus est en blanc. Le premier article, en date du 19 mai 1774, porte 200,000 livres pour une d tribution faite aux pauvres à l’occasion de la mort du feu roi. Le dernier article, en date du 16 août 1789, énonce la somme de 7,500 livres pour un quartier de la pension de madame d'Os-sun. Chaque article de dépense est écrit de la main du contrôleur général, et ordinairement paraphé de la main du roi. Le paraphe est une L avec une barre au-dessous. Ainsi le Livre porte successivement l’écriture de M. l'abbé Terray, de M. Tur-got, de M. de Clugni, de M. Necker, de M. Joly de Fleuri, de M. d’Ormesson, de M. de Galonné, de M. de Fourqueux, de M. Lambert, et de M. Nec-ker (2). En général les articles écrits de la même main sont sous une même suite d & numéros; et lorsque i’ administrateur cesse d’être en fonction, il y a un arrêté quelquefois de la main du roi, quelquefois de la main du ministre, avec la signature entière du roi. C’est parmi les arlicles dü temps de M. Turgot, de M. de Clugni, et de M. de Fleuri, qu’il s’en trouve quelques-uns non para-• phés. (1) Voyez le rapport fait au roi, en février 1790, de la recette des fonds du garde-meuble, 22 et 33. (2) Il est impossible de suivre le détail de ces opérations avec quelque intérêt, sans avoir sous les yeux La première communication du livre rouge a été donnée au comité des pensions, chez M. Decker, en présence de M. de Montmorin, le 15 mars, après midi. M. Necker ayant rappelé au comité le désir que le roi avait qu’on ne prît pas connaissance de la dépense de son aïeul, les membres du comité, fidèles aux principes de l’Assemblée nationale, s’abstinrent de porter un œil carieux sur cette dépense; et commencèrent la lecture du Livre au premier article du régne actuel. La lecture finie, le comité demanda que le Livre lui fût envoyé au lieu de ses assemblées, pour y être examiné librement, et pour que les membres du comité pussent prendre toutes les notes qu’ils jugeraient à propos. On consentit que la seule portion qui avait rapport au règne de Louis XV fût scellée d’une bande de papier. L’envoi demandé a eu lieu. Le comité a d’abord fait l’examen le plus attentif de la forme et de l’état du Livre, et après s’être assuré qu’il était dans son intégrité et sans altération, il en a fait le dépouillement qui va suivre. DÉPOUILLEMENT DU LIVRE ROUGE. Le total des sommes portées sur le livre rouge depuis le 19 mai 1774, jusqu’au 16 août 1789, monte à 227,985,716 livres 10 sous 1 denier, Ce total peut être distribué sous plusieurs chapitres, dont on donnera ensuite les détails. Aux frères du roi. Dons, gratifications. Pensions et traitements. Aumônes. Indemnités, avances et prêts. Acquisitions, échanges. Affaires de finances. Affaires étrangères et postes. Dépenses diverses. Dépenses personnelles au roi et a la reinê. l’époque précise à laquelle les ministres de finances, sous Louis XVI, ont succédé les uns aux autres. A l’avénement du roi au trône, M. l’abbé Terray était contrôleur général, depuis le 23 décembre 1769. Le 24 août 1774. M. Turgot. Le 20 mai 1776. M. de Clugni. Octobre 1776. M. Taboureau des Réaux. Le 2 Juillet 1777. M. Necker, nommé conseiller des finances, et directeur général du Trésor royal, au mois d’octobre 1776; et nommé directeur général des finances le 2 I’uillet 1777, M. Tabourean des téaux ayant donné sa démission. 1781. M. Joly de Fleuri. 1783. M. d’Ormesson. Le 3 novembre 1783. M. de Galonné. Le 8 avril 1787. Le 3 mai 1787. Le 31 août 1787. Le 27 août 1788. M. de Fourqueux. M. de Villedeuil. M. Lambert. M. l’archevêque de Toulouse, principal ministre des finances, congédié le 23 août 1788. M. Necker, ministre d’État, directeur général des finances ; depuis, premier ministre des finances.