[Convention nationale.] ÀRCAIVES PARLEMENTAIRES, j �novembre* 1793 589 Suit le texte du rapport fait par Cambon sur les domaines aliénés d'après un document imprimé. Rapport fait a la Convention nationale, DANS LA SÉANCE DU 1er FRIMAIRE DE LA 2e ANNÉE RÉPUBLICAINE, AU NOM DE LA Commission des finances, des comités DES DOMAINES, DE LÉGISLATION ET DES FINANCES RÉUNIS, SUR LES DOMAINES ALIÉNÉS, par Cambon, député par le département de l’Hérault. (Imprimé par ordre de la Convention nationale) (1). Citoyens, je viens au nom de votre Commis¬ sion des finances, de vos comités des finances, de législation et des domaines réunis, présenter à votre discussion un projet de décret (2), ten¬ dant à déraciner un reste des anciens privi¬ lèges, et procurer aux assignats un nouveau gage de 1,200 à 1,500 millions. Ce n’est pas que les assignats aient besoin dans ce moment de cette augmentation de gage pour relever leur crédit; car je dois vous dire, et à l’Europe entière, que l’assignat est au pair avec le numéraire; je dois vous annoncer qu’on se battait aujourd’hui à la porte de la trésorerie nationale, pour porter des fonds à l’emprunt volontaire afin d’obtenir des ins¬ criptions sur le Grand-Livre. Les égoïstes commencent enfin à sentir que leur fortune et leur repos tiennent à l’exis¬ tence de la République ; et tel a été le succès des mesures que vous avez prises, que ceux qui, il y a quelque temps, avaient peine à payer en assignats les domaines nationaux dont ils se sont rendus adjudicataires, viennent aujour¬ d’hui faire leur paiement avec de l’or et de l’ar¬ gent. Grâces en soient rendues à la mesure vigou¬ reuse que vous avez prise sur le rapport de votre comité de sûreté générale, en ordonnant la confiscation des objets d’or et d’argent qui seront cachés. Les égoïstes qui voient que les comités révolutionnaires sont à la recherche de leur trésor, sont comme les avares ; ils craignent à chaque instant qu’on ne vienne leur enlever leur or ou argent, et ils se trouvent trop heureux qu’on veuille le recevoir en paiement de ce qu’ils doivent à la République. Et vous, puissances amies et alliées de la République française, voulez-vous de l’or, vou¬ lez-vous de l’argent? C’est en France que vous en trouverez, car la raison y a repris son empire, et les hochets du fanatisme et de la superstition, retirés de la main des prêtres, sont destinés à la défense de la liberté. Les Français, qui ne veulent que du pain et du fer, sont prêts à faire tous les sacrifices pour s’en procurer un excédent, car ils ont leur nécessaire. (1) Bibliothèque nationale, 36 p. in-8° Lë38, n° 572. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 137, n° 1. (2) Ce projet de décret, qui avait été présenté par Cambon dans la séance du 22 brumaire (Voy. ci-dessus, p. 103), fut définitivement adopté le 10 fri¬ maire an II, et c’est cette loi, décrétée le 10 fri¬ maire, et non le projet de décret, que Cambon, contrairement à l’usage, a annexée à son rapport. Pour remettre les choses dans l’ordre, nous avons cru devoir disjoindre cette loi du document imprimé. Nous la donnerons ultérieurement, d’après le pro¬ cès-verbal, lorsaue nous publierons la séance du 10 frimaire. Déjà les sommes qui proviennent de l’em¬ prunt volontaire s’élèvent, pour Paris seule¬ ment, à 38 ou 40 millions, dont une partie a été fournie en numéraire. Des receveurs de finances, débiteurs pour arriéré de comptabilité, ayant à leur poursuite les comités révolutionnaires, sont venus s’in¬ former à la trésorerie si on recevrait des lingots d’or et d’argent, en payement de ce qu’ils doi¬ vent à la nation ; mais comme cette offre n’avait d’autre but que de soustraire ces lingots à la vigilance des comités révolutionnaires, et qu’ils provenaient sans doute des espèces monnayées qu’on a fondues, la trésorerie les a refusés; effectivement ils ont été confisqués au profit de la République. Il faut que vous sachiez, citoyens, à quelles mesures vous devez attribuer le commencement de l’amélioration dans les finances; c’est au décret du 8 avril dernier, qui ordonnait que toutes les dépenses de la République ne seraient payées qu’en assignats; par là, vous arrêtâtes les conspirations dirigées contre les finances. Dumouriez, qui ne négligeait aucune occasion pour trahir la cause qu’il avait feint d’embras¬ ser, se plaignait sans cesse qu’il manquait du numéraire dans les caisses des payeurs de l’ar¬ mée. A cette époque, nous n’avions que 8 mil¬ lions de numéraire dans les caisses nationales; les dépenses de ce métal montaient à 35 mil¬ lions par mois, on ne trouvait à en acheter dans les marchés de la République que 5 à 6 millions par mois, même à des prix exorbitants ; les mar¬ chés de l’Europe nous étaient fermés par les déclarations de guerre qu’on venait faire; ainsi on croyait nous avoir mis dans l’impossibilité de payer. Des discours préparés à l’avance, des principes de liberté de commerce, réclamés à cette tribune, ne firent aucune impression sur vous, et vous eûtes le courage, dans un moment critique, lorsque la trahison de Dumouriez écla¬ tait, lorsque les armées de la République parais¬ saient désorganisées, de résister à toutes les craintes qu’on voulait vous inspirer; vous eûtes assez de confiance dans la vertu des soldats républicains, pour penser que l’esprit d’agiotage n’avait pas fait assez d’impression sur eux pour leur faire oublier leur devoir. Votre espérance ne fut point déçue : le chan¬ gement dans le mode de paiement n’a occa¬ sionné aucune réclamation : les représentants du peuple que vous aviez envoyés auprès des armées et qu’on décriait sans cesse, firent con¬ naître la nécessité de ce décret aux vertueux républicains; depuis cette époque, le Trésor public qui n’a plus dépensé de numéraire, avait amassé dans les caisses nationales, il y a deux mois, d’après le compte qui vous fut rendu par les commissaires de la trésorerie, 66 millions en or ou en argent. Jugez maintenant quels doivent être vos moyens, lorsque tout l’or et l’argent de la Répu¬ blique paraît voidoir venir dans les caisses na¬ tionales, sans avoir recours à l’agiotage. Quelles doivent être les richesses nationales, lorsqu’on présente tous les jours des vases d’or et d’argent pour être envoyés à la Monnaie; lorsqu’un grand nombre d’individus se présente à la caisse d’échange que vous avez établie à la trésorerie nationale, pour y échanger leur or et leur argent contre des assignats ! Ainsi, pour ce qui regarde le gage des assi¬ gnats, il est impossible d’en calculer le mon¬ tant; il est même impossible de l’épuiser, puis- 590 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j irnovembre’1!?!» qu’il s’augmente tous les jours. Vous devez sen¬ tir que les biens des émigrés qui se vendent à un prix bien supérieur à l’estimation, ceux des traîtres qui tombent sous le fer de la loi, et les 1,200 à 1,500 millions, que le décret que je vous propose va procurer, sont plus que suffisants pour en assurer le crédit ; je dis 1,200 à 1,500 mil¬ lions, parce qu’on ne peut rien savoir de positif sur le montant des domaines aliénés depuis 1566, et même antérieurement à cette époque. Oui, les finances de la République sont dans un état si florissant, qu’on pourrait dire qu’il n’est presque plus nécessaire de calculer. Ainsi, la France présente, quand on la croyait épuisée, un gage intarissable affecté aux assi¬ gnats qu’elle a émis, des monceaux d’or et d’ar¬ gent que l’égoïsme laisse enfin circuler, et que chacun s’empresse de faire refluer dans le Trésor national. Que nos ennemis envisagent maintenant notre situation; si la guerre qu’ils nous font doit finir au dernier écu, qu’ils tremblent! car ils sont obligés de payer toutes leurs dépenses avec de l’or et de l’argent que nous méprisons et que nous entassons; ils doivent donc être épuisés avant même que la République ait entamé les trésors que la superstition mourante remet entre ses majns. Attendent -ils leurs succès de la force des armes, du nombre d’hommes qu’ils ont à nous opposer? La France entière est prête à les com¬ battre. La seule première réquisition a produit plus de 800,000 hommes. Croient-ils que nous manquerons d’armes? qu’ils apprennent qu’à Paris seulement, on fabrique 1,000 fusils par jour, et que nous avons établi d’immenses fonderies de canons qui en fabriquent 1,000 par mois. S’imaginent -ils que nous manquerons de mu¬ nitions de guerre? l’industrie française va s’en occuper, et nous ferons, s’il le faut, une fouille et une lessive générale dans les terres, pour en extraire le salpêtre. Citoyens, c’est en frappant les égoïstes et en adoptant des mesures révolutionnaires, que vous avez assis le crédit des assignats et assuré la liberté de la France ; occupons-nous maintenant de faire rentrer dans les mains de la nation des biens que la flatterie des courtisans avait extor¬ qués aux tyrans. Les domaines, appelés de la Couronne, ont été engagés, inféodés ou échangés par les ci-de¬ vant rois aux prétendus grands qui environ¬ naient le trône et qui ne cessaient d’alléguer des prétendus services rendus à la nation, ou qui promettaient de verser des rétributions qu’ils acquittaient le plus souvent en obtenant des nouvelles faveurs de la part des ministres ou dès tyrans. La nation assemblée, voyant que les vam¬ pires, qualifiés du titre de nobles, se faisaient un apanage de ses domaines, déclara solennel¬ lement en 1566, qu’ils ne pourraient point être aliénés par les rois; aussi, depuis cette époque, toutes les aliénations n’ont été considérées que comme des engagements qui cessaient en rem¬ boursant la somme fournie. Le Corps constituant s’occupa, en dé¬ cembre 17 90, de l’aliénation des domaines en¬ gagés; il rappela les principes de la législation de l’ancien gouvernement, et décréta que tous lès contrats-d’engagement des domaines et droits domaniaux, postérieurs à l’ordonnance de 1566, seraient sujets à rachats perpétuels, et que les ventes et aliénations, dons,- concessions, transports, baux emphytéotiques, baux à plu¬ sieurs vies, depuis cette époque, seraient réputés engagements; il décréta en même temps qu’au¬ cun détenteur des domaines aliénés ne pourrait être dépossédé, sans avoir reçu préalablement le montant de ses finances principales avec ses accessoires. Il permit aux détenteurs de provoquer la vente et adjudication définitive des biens dont ils étaient en jouissance; mais fidèle aux prin¬ cipes qu’il avait adoptés à la fin de sa session, il n’indiqua aucune mesure pour qu’un Tiers acqué¬ reur pût déposséder les détenteurs ; aussi les nobles qui étaient seuls en jouissance de ces biens, n’ayant aucun intérêt à provoquer leur dépossession qui les aurait ruinés, et la loi ne fournissant à aucun citoyen les moyens d’en provoquer la revente, le décret du Corps cons¬ tituant ne produisit aucun effet et resta sans exécution. L’Assemblée législative s’occupa du même objet dans le mois de septembre 1792, elle dé¬ créta que toutes les aliénations dés domaines et droits domaniaux faites depuis 1566 étaient ré¬ voquées; que les biens compris dans lesdites aliénations seraient incessamment réunis aux domaines nationaux; que les détenteurs des¬ dits biens seraient tenus de remettre leurs con¬ trats, quittances de finances et autres, titres de créance, au directeur général de la liquidation, dans les trois mois après la publication, en dé¬ clarant que ceux qui se conformeraient à cette disposition ne pourraient être dépossédés qu’après avoir préalablement reçu le montant de leur finance et ses accessoires, mais qu’en attendant, ils continueraient de percevoir les fruits et produits desdits biens. Elle décréta aussi que tous les détenteurs qui se croiraient dans le cas de quelque exception, ou en droit de se faire déclarer propriétaires incommutables, seraient tenus de se pourvoir dans le délai de trois mois devant le tribunal de district, et qu’alors ils jouiraient des mêines avantages qui étaient accordés à ceux qui au¬ raient remis leur titre au directeur général de la liquidation : qu’est-il résulté de toutes ces dispositions, sans doute combinées par un homme de loi qui croyait perpétuer son état par les procès qui devaient en être la suite? La direction générale de la liquidation n’a reçu qu’environ 180 titres, dont aucun n’est encore liq üdé; et les hommes patriotes, à la manière des rois, récompensés par lé produit des sueurs du peuple, ont profité de la pâture jetée à l’avidité des hommes de loi; ils ont com¬ mencé une procédure, et ils attendent patiem¬ ment la contre-révolution qu’ils désirent et qu’ils provoquent. C’est ainsi qu’avec un chiffon de papier bar¬ bouillé par un procureur, ils ont paralysé l’exé¬ cution du décret qui devait procurer à la nation la rentrée des domaines usurpés ; et avec des chicanes que les procureurs n’ont pas oubliées, ils espèrent perpétuer leur possession -illégitime jusqu’à ce qu’une révolution vienne la leur con-firmer ; la République n’a * eu d’autre avantage que de se trouver en procès avec tous les enga-gistes, et elle a dans ce moment devant les tri¬ bunaux de districts 18 à 20,000 procès qui rui¬ nent le Trésor public en enrichissant les hommes de loi. C’est dans cet état que votre Commission et vos comités ont trouvé la législation -> sur; les [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 591 domaines engagés : ils ont cru que vous deviez y apporter une prompte réforme ; ils ont réduit à leur juste valeur les prétentions des enga¬ gistes; et en adoptant les principes que vous avez décrétés sur la dette publique, tout l’hydre de la chicane a disparu. Voici quel est le sys¬ tème adopté par vos comités. Il est simple : nous ne pensons pas qu’il puisse être combattu avec succès. Les engagistes des domaines et droits doma¬ niaux ne peuvent être considérés que comme des créanciers de la République qui ont prêté sur gage. Par la loi du 24 août dernier sur la consolida¬ tion de la dette publique, vous avez décrété que tous les créanciers de la dette exigible se¬ raient remboursés après leur liquidation en assi¬ gnats, pour les sommes au-dessous de 3,000 liv. et en inscriptions sur le grand-livre pour celles au-dessus ; en appliquant ces principes aux créances des engagistes, les biens qji étaient leur gage doivent rentrer de suite dans les mains do la nation. Nous vous proposons de décréter que toutes les aliénations et engagements des domaines et droits domaniaux faits avec clause de retour ou sujets au rachat à quelque époque qu’ils puissent remonter, et ceux d’une date posté¬ rieure au 1er février 1566, quand même la clause de retour y serait omise, sont et demeurent défi¬ nitivement révoqués; c’est une confirmation du décret du Corps législatif, qui a pour base les principes de l’ancien gouvernement sur la domanialité. Nous n’avons pas cru devoir adopter une exception que le Corps constituant avait faite en faveur des provinces réunies à la France postérieurement à l’ordonnance de 1566; les principes de législation doivent être uniformes pour toute la République qui est une et indi¬ visible. Nous avons cru devoir vous proposer de con¬ server l’exception qui a été toujours décrétée en faveur des aliénations, des terres vaines et vagues, mais à condition qu’elles aient été et soient maintenant en valeur; vous devez rendre justice à ceux qui ont fertilisé ces terres desti¬ nées dans l’origine aux plaisirs des ci-devant seigneurs, puisqu’ils ont honoré l’agriculture et servi la société. Les mêmes motifs nous ont engagés à con¬ server une exception en faveur des citoyens qui ont fait des établissements, ou qui ont mis en valeur des fossés et remparts des villes; sans cette mesure vous risqueriez de déposséder des citoyens honnêtes et peu fortunés, qui ont placé de bonne foi leurs capitaux d’une manière utile à la société. Nous vous proposons aussi, d’après les prin¬ cipes que vous avez adoptés en faveur des sans-culottes, de distinguer parmi les engagistes, ceux qui n’ont aliéné que des terrains de contenance au-dessous de 10 arpents, pourvu, toutefois, que leur fortune soit au-dessous d’un capital de 10,000 livres, non compris le montant de l’objet aliéné; il est inutile de vous développer les motifs de cette exception qui n’a encore été adoptée par aucune loi, et qui est toute en faveur du pauvre. Mais comme plusieurs engagistes pourraient profiter de ces exceptions pour couvrir des actes illégaux qui ont eu lieu lors de leur engagement, nous vous proposons de décréter qu’elles ne seront point applicables lorsqu’il y aura eu dol ou fraude, lors dé l’aliénation; et comme la faveur a présidé aux aliénations, et qu’on a couvert des formes légales toutes les usurpations, le dol et la fraude pourront être prouvés par enquête ou par notoriété publique, si les objets aliénés sous le nom de terres vaines et vagues étaient lors de l’aliénation des terrains en cul¬ ture ou en valeur. Enfin ces exceptions ne pourront avoir lieu qu’autant que les détenteurs rapporteront leurs certificats de résidence de non émigration et de civisme. La révocation des aliénations serait illusoire si vous ne décrétez en même temps que la régie nationale des droits d’enregistrement et des domaines prendra de suite possession au nom de la nation, après en avoir référé au directoire du district et obtenu son autorisation, de tous les domaines aliénés, nonobstant toutes les exceptions qui ont été faites par les lois précé¬ dentes ; par cette mesure, vous terminerez tous les procès, car ceux qui les ont intentés pour rester en jouissance, jusqu’à la contre-révolu¬ tion, dès qu’ils se verront dépossédés, s’en désis¬ teront, n’ayant plus d’intérêt à poursuivre leur chicane. En prenant possession des domaines aliénés, il faut en faire constater l’état actuel et l’ esti¬ mation que nous croyons devoir être fixée, d’après le prix courant en 1789; le procès-verbal d’estimation, qui doit déterminer le montant de la liquidation qui sera due aux engagistes, con¬ tiendra les dégradations commises sur les biens et la valeur des réparations à y faire, la valeur des coupes des bois anticipées, celle des futaies qui auraient été exploitées; les impenses et amé¬ liorations dûment autorisées, lesquelles ne se¬ ront estimées que jusqu’à concurrence de la valeur dont les biens se trouveront augmentés d’après l’estimation qui en sera faite lors de la prise de possession. Les experts auront à estimer quel a été, pen¬ dant les dix dernières années, le produit desdits domaines, afin que nous puissions connaître si lors de l’aliénation il y a eu lésion contre le Trésor public. Enfin les experts distingueront, dans leur esti¬ mation, pour quelle valeur les droits féodaux et autres qui ont été supprimés sans indemnité étaient compris dans l’aliénation, afin de faire supporter aux possesseurs, qui ont voulu jouir d’un privilège contraire aux droits de l’homme, la peine que leur vanité doit mériter; ainsi nous dirons au possesseur : « Tu as voulu jouir des honneurs seigneuriaux, ils ont péri entre tes mains, tu en supporteras la perte. » Toutes les estimations confiées aux experts méritent la surveillance de la Convention, qui doit bien se garder de les confier aux avocats, aux hommes de loi, aux feqdistes, aux agents et fermiers des ci-devant privilégiés, qui pour¬ raient sacrifier les intérêts de la République en faveur de leurs anciens maîtres ou de leurs amis. Nous vous proposons de décréter que les esti¬ mations seront faites par trois experts qui ne pourront être choisis que parmi les agriculteurs ou artisans qui n’avaient pas d’autre état avant la Révolution, et qui n’auront été ni fermiers ni agents des ci-devant privilégiés; mais comme ces sans-culottes ne connaissent pas les an¬ ciennes formes de la chicane, il faut que toutes leurs opérations soient simples et dégagées des formes de justice; nous avons cru qu’ils devaient être dispensés de ,1a prestation du serment, foc- b92 [Convention nationale.] ARCHITES PARLEMENTAIRES. Ï7"en breÏ793 malité inutile dans une République où tous les fonctionnaires sont responsables de leurs opéra¬ tions; enfin il faut les obliger de terminer leurs opérations dans un mois, sans que leur travail soit sujet ni au timbre, ni au droit d’enregistre¬ ment. La proposition que nous vous faisons de faire procéder à l’estimation par trois experts n’a d’autre but que d’éviter les longueurs qu’entraî¬ nent les opérations d’un tiers arbitre, en cas de partage. Les frais des experts seront à la charge de la République; mais, afin de les utiliser, leur pro¬ cès-verbal d’estimation servira de base à ceux d’enchère et d’adjudication, qui auront lieu lors de la vente des biens. Il sera malheureusement impossible d’éviter, lors de la prise de possession, beaucoup de récla¬ mations qui occasionneront des procès, soit sur la domanialité, soit sur l’estimation ou ventila¬ tion des biens. Vos comités n’ont pas cru que toutes ces con¬ testations dussent être jugées par les tribunaux de district, la chicane pourrait les y perpétuer; ils ont pensé qu’elles devaient être instruites et jugées en présence et sur l’avis du procureur syndic de district, ainsi qu’il est prescrit par les lois rendues sur les communaux; vous vous rap¬ pelez sans doute que les contestations sur les communaux doivent être jugées sommairement et sans frais, par des sans-culottes, qui ne con¬ sulteront que la probité et la justice, et que les hommes de loi en sont exclus. Le jugement des arbitres devra être rendu dans le mois et exécuté sans appel. Cependant, comme il s’agit des intérêts majeurs pour la République, et qu’il serait possible (car tout est à l’intrigue) que des arbitres se laissassent sé¬ duire, la nation doit en tirer vengeance. C’est dans cette vue que nous vous proposons de dé¬ créter que la régie nationale du droit d’enregis¬ trement et des domaines, et le procureur syndic de district, seront tenus, chacun de leur côté, de faire connaître au Corps législatif les déci¬ sions portées par les arbitres, avec leur avis, pour y être statué par le Corps législatif, lorsque les intérêts de la République auront été lésés. Ces principes sont fondés sur la plus exacte justice; car si les détenteurs peuvent employer la séduction, les représentants du peuple doivent se réserver la surveillance. Il sera peut-être difficile de connaître, dans un bref délai, tous les domaines aliénés depuis 1566 et même antérieurement. Pour y parvenir, nous vous proposons de décréter que les dépositaires publics ou particuliers, qui auront des titres rela¬ tifs aux domaines aliénés, seront tenus d’en faire la déclaration dans un mois au directoire du district, sous peine d’être déclarés suspects, et comme tels mis en état d’arrestation. La régie nationale d’enregistrement sera char¬ gée de se transporter de suite, accompagnée de deux commissaires des corps administratifs, dans toutes les archives, dépôts et greffes pu¬ blics, même dans les dépôts particuliers, pour y rechercher et se faire remettre tous les titres, indications de titres et documents relatifs aux domaines aliénés, pour les déposer au secréta¬ riat du district de la situation des biens. Enfin, nous avons pensé que les détenteurs des domaines aliénés devaient être tenus d’en faire leur déclaration au directoire de district, d’ici au 1er jour de pluviôse de l’an II (19 fé¬ vrier 1794, vieux style), ou dans la décade après la sommation qui leur sera faite, sous peine d’être déchus de toutes répétitions envers la République. Avec ces trois mesures, nous espérons que rien ne restera inconnu. Lorsque la régie du droit d’enregistrement aura pris possession de tous les domaines aliénés, ils seront administrés, régis et vendus comme tous les autres domaines nationaux. Après nous être occupés des intérêts de la. République, nous avons dû vous proposer nos vues sur le mode et les principes à adopter pour la liquidation des créances des détenteurs des domaines aliénés; nous vous avons déjà dit que nous considérions leurs titres comme des créances exigibles dues par la République; en conséquence, nous vous proposons de décréter que tous les détenteurs seront tenus de pré¬ senter, d’ici au 1er messidor de la 2 e année (19 juin 1794), tous leurs titres de créance, à la liquidation, sous peine d’être déchus de toute répétition envers la République. Le directeur général de la liquidation n’ad¬ mettra, comme titres de créances, que les quit¬ tances des trésoriers de l’ancien gouvernement justifiant les sommes versées au Trésor public sous diverses dénominations, les impenses et améliorations dûment autorisées et le montant des frais justifiés que l’ancien gouvernement s’était engagé de rembourser. Le liquidateur déduira le montant des répa¬ rations à la charge des détenteurs, celui des coupes des bois anticipées, des futaies exploi¬ tées et celui des droits féodaux et autres qui ont été supprimés par les décrets, quoique l’ancien gouvernement les eût aliénés. Nous vous avons déjà dit que nous pensions que cette perte de¬ vait être supportée par les détenteurs. Enfin s’il résulte du procès-verbal des experts, lors de la prise de possession, que le revenu des domaines aliénés pendant les dix dernières années réunies égale le montant de la liquida¬ tion, nous avons pensé qu’il ne devait pour lors y avoir lieu à aucun remboursement ; cette me¬ sure quoique rigide est nécessaire, si vous vou¬ lez faire regorger le montant des déprédations commises par les anciens ministres en faveur des courtisans. Nous avons pensé aussi que vous deviez reje¬ ter de la liquidation les frais du marc d’or que les Assemblées constituante et législative avaient admis dans le remboursement. Les dé¬ tenteurs calculaient, sans doute, que le mon¬ tant de ces frais leur était remboursé par le produit de l’objet aliéné; et nous pensons que la jouissance les en a indemnisés. Nous avons aussi pensé que vous deviez dé¬ créter que les finances ou deniers d’entrée, pour les aliénations faites par baux à vie ou au-dessus de neuf ans ne seraient remboursés que dans la proportion du temps qui sera retranché de la jouissance, que nous avons fixé à trente ans pour un bail à vie , et à quarante ans pour celui sur plusieurs têtes. Le Corps constituant avait adopté ces bases; mais il avait pensé que les baiUistes à vie, qui auraient joui pendant trente ans, recevraient toujours le remboursement du tiers de leur finance ou deniers d’entrée, et que les baillistes à plusieurs vies, qui auraient joui plus de qua¬ rante ans, auraient droit à un remboursement du quart desdites finances ou deniers d’entrée. C’est ce remboursement que nous vous propo- [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 593 sons de supprimer, la jouissance a assez indem¬ nisé les détenteurs. Lorsque la liquidation des créances prove¬ nant des domaines aliénés sera terminée, les propriétaires seront remboursés ou inscrits sur le grand-livre pour le montant du capital et des intérêts, ainsi qu’il est prescrit pour les créances exigibles sur la nation. En adoptant les mesures que nous vous pro¬ posons, nous avons pensé qu’il convenait de révoquer toutes les lois relatives aux domaines aliénés ou engagés, et à la liquidation de leur finance, et que vous deviez décréter que toutes les contestations indécises seront réglées et jugées d’après les bases que nous vous propo¬ sons : par ce moyen, vous faciliterez les opéra¬ tions des arbitres, des experts et des liquida¬ teurs qui n’auront qu’une loi à connaître, et vous éviterez les interprétations que la mau¬ vaise foi et la chicane pourraient rechercher dans les lois précédentes. Après avoir terminé la législation relative aux domaines aliénés, vous aurez à vous occuper de la réforme des lois relatives aux échanges qui ont été faits par l’ancien gouvernement, et qui ont donné lieu à une foule de dilapidations, que votre devoir vous oblige de réformer. Voici le projet de décret que votre Commis¬ sion et vos comités m’ont chargé de vous pro¬ poser. ( Suit le texte de la loi décrétée le 10 frimaire an II. Nous la donnerons à cette date, d'après le prcoès -verbal.) II. Le représentant Dubouchet se plaint d’avoir été dénoncé aux Jacobins par UN COMMISSAIRE DU CONSEIL EXÉCUTIF RELATIVEMENT A LA MISSION Qü’lL A REM¬ PLIE DANS LE DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-Marne (1). Compte rendu du Moniteur universel (2). Dubouchet-Je demande à faire lecture d’une lettre que j’écrivais à la Convention, lors de ma mission dans le département de Seine-et-Marne. (1) La plainte de Dubouchet n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 1er frimaire an II; mais il y est fait allusion dans les comptes rendus de cette séance publiés par divers journaux de l’époque. (2) Moniteur universel [n° 63 du 3 frimaire an II (samedi 23 novembre 1793), p. 255, col. 2]. D’autre part, le Journal des Débats et des Décrets (frimaire an II, n° 429, p. 5) et le Mercure universel [2 fri¬ maire an II (vendredi 22 novembre 1793), p. 25, col. 1] rendent compte de la plainte de Dubouchet dans les termes suivants : I. Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets. Dubouchet, qui avait été envoyé dans le départe¬ ment de Seine-et-Marne, lit une lettre qu’il écrivait à la Convention. Il y donnait des détails des mesures révolutionnaires qu’il avait prises et du succès qu’elles avaient eu. Cependant, un commissaire du pouvoir exécutif, qui se trouvait dans le même département, le dénonça. Il espère qu’on lui rendra la justice qui lui est due. « Le représentant du peuple, etc , à ses col¬ lègues. « Les mesures ré voluticgm aires se continuent avec célérité et avec énergie. Les arrestations se multiplient. J’ai fait saisir à Fontainebleau 66 réfugiés, nobles, membres du Parlement de Paris et autres. L’esprit public s’électrise. Les sans-culottes respirent. J’ai donné des fêtes civi¬ ques aux dépens des aristocrates qui n’en ont pas profité; des contributions ont été exigées de la part des riches. Les visites domicilaires ont produit beaucoup d’argenterie armoriée. Toutes les craintes, toutes les alarmes sur les subsistances doivent se dissiper. Les récoltes ont été abondantes dans ce département. S’il n’y a point de dilapidations, le calme doit renaître avec les approvisionnements. J’ai poursuivi la vente du mobilier des émigrés. J’ai fait punir les accapareurs, accéléré l’exécu¬ tion de la taxe des denrées. L’argenterie des églises et les cloches sont à la disposition de la nation. On n’éprouve plus d’opposition de la part des paysans. Vive ta République ! vive la Convention ! vive la Montagne ! tel est le cri una¬ nime des citoyens du département de Seine-et-Marne. Voilà, mes collègues, la conduite que j’ai tenue. J’ai cependant été dénoncé aux Jacobins, par Rousselin, dont je n’ai fait qu’humilier l’or¬ gueil. La Convention renvoie le compte de Dubou¬ chet au comité de Salut public. Suit le texte du compte rendu de Dubouchet d'après un document imprimé. Compte rendu a la Convention nationale DE LA MISSION DU REPRÉSENTANT DU PEUPLE Dubouchet, envoyé dans le départe¬ ment de Seine-et-Marne et autres adja-£ CENTS, DEPUIS LE 11 SEPTEMBRE JUSQU’AU >16 NOVEMBRE (VIEUX STYLE); PAR DUBOU¬ CHET ( Imprimé par ordre de la Convention nationale (1)). Citoyens mes collègues, je viens de remplir l’importante mission dont vous m’aviez chargé. Vous m’aviez confié de grands pouvoirs, je m’en suis servi pour faire le bien, pour établir le triomphe de la liberté et de l’égalité, pour rallier autour de moi les sans -culottes, pour les rallier autour de vous, leur faire connaître leurs droits, leur faire aimer et chérir le gouvernement répu¬ blicain qu’ils avaient adopté sans le connaître. L’esprit public était dégradé et avili dans le La Convention renvoie au comité de Salut public cette lettre et les détails que Dubouchet pourra avoir à lui communiquer. II. Compte rendu du Mercure universel. Dubouchet, envoyé en commission dans le dépar¬ tement de Seine-et-Marne, annonce qu’il a rempli sa mission dans ce département. Les arrestations y ont été nombreuses : les patriotes maintenant, respirent. Toutes les administrations sont renouve¬ lées, les riches égoïstes imposés; des fêtes civiques ont été célébrées à leurs dépens. Les bataillons qui sont nombreux n’attendent plus que des armes pour partir. ( Applaudissements.) (1) Bibliothèque nationale : 20 pages in-8°, Lë’9 n° 42. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 5, n° 10. lre SÉRIE, T. LXXIX. 38