224 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1789.] M. Robespierre défend avec chaleur la cause des citoyens persécutés et demande que l’Assemblée prononce sur cet abus d’autorité qu’il regarde comme un attentat à la liberté civile et politique. M. Emmery est d’avis qu’il n’y a pas lieu à délibérer parce que les particuliers arrêtés peuvent se pourvoir devant les tribunaux à raison des excès commis sur leurs personnes. Un membre, frappé de la légèreté avec laquelle M. d’Estherazy a été dénoncé à l’Assemblée, comme auteur de l’arrestation , quoiqu’il fût à 24 lieues de distance, lors de l’événement, propose le décret suivant: « L’Assemblée arrête qu’aucune dénonciation ne pourra lui être faite que sur des pièces authentiques déposées sur le bureau, ou d’après la certification des faits, aux risques et périls du dénonciateur. » L’Assemblée ne délibère point sur cette motion quoiqu’elle ait été appuyée. M. le Président annonce qu’il va se retirer par devers le Roi, à l’effet de présenter divers décrets à sa sanction. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre, vice-président, occupe le fauteuil et la discussion continue. Divers amendements sont présentés et rejetés. M. le Président met en délibération le décret proposé par le comité de rapport ; il est adopté et prononcé ainsi : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait de la procédure instruite contre les quatre citoyens de Marienbourg, arrêtés chez eux dans la nuit du 13 août dernier, et transférés à Avesnes, ainsi qu’il est dit dans le procès-verbal de la séance du 21 août au soir , et de la demande faite à ce même sujet par M. le comte d’Estherazy, suivant sa lettre mentionnée dans le procès-vèrbal du même mois, a chargé M. le président d’écrire à M. le comte d’Estherazy, qu’elle avait vu avec satisfaction que le résultat des recherches qu’elle a fait suivre démontrait qu’il n’avait eu aucune part à la détention de ces quatre particuliers, et qu’il le justifiait en même temps de tout ce qui aurait pu être dit contre lui, à raison de cette affaire, sur le fond de laquelle l’Assemblée déclare au surplus qu’il n’y a pas lieu de délibérer. » La séance est levée et renvoyée à demain, neuf heures du matin. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 30 septembre 1789. M. Duport (1). Motion pour l'établissement des assemblées provinciales, proposée dans les bureaux (2). Messieurs, après avoir rempli cet engagement (1) La motion de M. Duport n’a pas été insérée au Moniteur. (2) M. Duport avait déjà fait une motion sur le même sujet à la date du 30 juillet 1789. La seconde motion n’est que le développement de la première. solennel que vous avez contracté avec les hommes de tous les pays, de manifester leurs droits et ceux des nations; après avoir établi les principes qui doivent diriger toutes les Constitutions, il est temps de les fixer dans celle que vous êtes appelés à donner à cet empire. Vous ne vous êtes point cependant écartés de ce but, vous n’avez pas même cessé d’y marcher; car il fallait sans doute reconnaître et exposer les droits de l’homme avant de concerter les moyens les plus propres à leur en assurer la jouissance, et ce dernier devoir est le seul qui vous reste à remplir en ce moment. Une réflexion plus profonde ne vous échappera pas sans doute, Messieurs : une nation n’est pas libre au jour même où elle reçoit une bonne Constitution. Transportez dans l’Asie les institutions de l’Amérique, faites-les promulguer au nom du despote, elles ne rendront pas, sur-le-champ, le peuple plus heureux et plus libre; ce n’est qu’en ranimant dans toutes les âmes, l’amour, les principes de la justice et de la liberté, qu’on les dispose à concevoir et à chérir les lois et les usages nouveaux que l’on établit. En vain, l’on redoute encore, comme voisins de l’exagération et de la licence, ces mots de justice, droits des hommes, liberté, qui ont avec tous les cœurs généreux une correspondance si intime ; est-il donc permis d’ignorer que rien ne dispose à l’ordre et à la paix comme la liberté ; que les hommes vraiment libres sont toujours généreux, humains et modérés, tandis que rien n’égale la violence et l’exagération des esclaves, lorsque leurs fers sont un moment relâchés? En suivant cette observation, vous verrez, Messieurs, que les combinaisons générales et abstraites des pouvoirs ne peuvent seules rétablir l’ordre et l’empire des lois, mais qu’elles doivent être précédées par des institutions particulières et locales, qui, pouvant atteindre et agir sur les individus, puissent en même temps les modifier d’une manière utile, et les amener aux habitudes et aux mœurs qui conviennent à la liberté. Faut-il donc s’occuper d’abord de l’unité ou de la division des Assemblées nationales, de la prérogative de la couronne, ou du mode des élections? Laisserons-nous, pendant les longs débats que ces questions entraîneront nécessairement, la France dans l’inquiétude et dans l’anarchie? La France ne peut désirer de se voir livrée à des discussions qui n’auront d’effet qu’après notre séparation, et prendre des résolutions qui nedéter-minent qu’un ordre de choses à venir, lorsque le présent réclame tout notre zèle et tous nos travaux. Qu’importe aux provinces l’organisation future de l’Assemblée nationale, qui doit, à la vérité, assurer un jour sa liberté, mais qui, dans le moment actuel, ne remédie à aucun de ses maux ! La Constitution est, pour chaque partie du royaume, la cessation des maux qu’elle éprouve, elle est à Paris le rétablissement des finances, ailleurs celui du commerce et de l’industrie; elle est pour tous la garantie des propriétés, et l’établissement de l’ordre. Dans l’état actuel des choses, de simples prescriptions ne suffisent pas. Vainement organiserez-vous les tribunaux, si leurs décrets ne sont pas respectés ; vainement distinguerez-vous les bornes du pouvoir exécutif, s’il ne parvient pas à être obéi. Puisque d’odieux ministres ont eux-mêmes brisé tous les ressorts de l’autorité, il faut que l’autorité soit reprise dans sa source, et puisée de nouveau dans le sein même de la nation. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1789.] 225 Il faut, en un mot, que le peuple élise au plus tôt les hommes qu’il aime à croire, parce qu’il les aura choisis, des hommes qu’il place lui-même comme intermédiaires pour recevoir vos décrets, et en faciliter et assurer l’exécution. » On ne saurait trop tôt créer parmi nous une espèce d’autorité, à laquelle tous les intérêts les plus chers à l’homme se rallient, ceux qui touchent à son existence, à sa propriété et à son industrie, et qui concentrent cette multitude de besoins locaux, qui affectent plus vivement ceux qui les éprouvent, que les intérêts plus grands, mais plus éloignés d’eux qui nous occupent. Les h assemblées provinciales peuvent seules remplir cet intervalle trop grand qui sépare l’Assemblée nationale des dernières classes du peuple, dont les intérêts et les besoins, toujours si pressants, et si recommandables aux yeux de l’humanité, et même de la politique, ont besoin d’être ramenés à une seule cause pour pouvoir nous occuper, sans quoi ils échappent par les détails à notre zèle et à nos moyens. * Indépendamment de la nécessité de rétablir l’ordre dans les provinces, en fortifiant cette alliance naturelle contre les gens qui sont propriétaires, et qui se tiennent par les rapports de la fortune, de l’éducation, un grand nombre de motifs semblent faire désirer que l’on s’occupe au plus tôt de ces établissements. Dans les circonstances actuelles, on ne peut se n dissimuler que les subsides n’éprouvent la plus grandedifficulté dans leur perception. Dans le relâchement detous les pouvoirs,cettedifficulté nepeut que s’accroître, et si vous n’y portez une prompteet sérieuse attention, il pourrait arriver un moment où la restauration de la France serait au-dessus de vos moyens et de vos efforts. En rassemblant les propriétaires, tous ceux qui sentent le mieux le prix de la protection publique, vous vous assurerez que les subsides nécessaires pour cette protection seront reçus, sinon sans peine, au moins sans résistance. Et les hommes disposés à recevoir la loi, et à reconnaître l’autorité par la considération de leur intérêt prendront, sans peine, les modifications que le régime général du royaume doit leur donner. De plus, malgré les sages précautions que la Justice vous a dictées, Messieurs, lors de la rédaction de vos derniers arrêtés, vous n’avez pas I oublié, sans doute, qu’ils ont rendu précaire et incertaine l’existence des pasteurs des campagnes, de ces hommes dont les fonctions également utiles et respectables exigent qu’il soit pourvu d’une manière prompte , certaine et honorable au traitement qui leur sera assuré. Ces arrangements ne peuvent s’opérer que par les assemblées provinciales. Leur prompt établissement peut seul empêcher l’état d’isolement où les villes sont prêtes à se placer, les unes à l’égard des autres, et relativement aux campagnes, il fera cesser leur division en ralliant leurs intérêts. Jamais il ne s’est présenté un moment plus heureux et plus propice à former ces institutions. Les causes qui semblaient s’opposer à ce qu’elles fussent jamais parfaitement composées, sont détruites, les véritables notions de la liberté et de l’égalité politique sont reconnues. D’ailleurs, en y réfléchissant, l’on voit que les hommes sortent rarement de cette routine, où les retiennent les mœurs, les habitudes et les préjugés. II faut l’avouer à la honte des gouvernements; la violence, qui secoue le joug de la loi, et dont nous avons eu dernièrement des ' lre Série, T. IX. exemples, est bien plus rare que cette longue et uniforme injustice, qui, sous l’apparence de la loi, détruit insensiblement les droits les plus sacrés de l’homme, ceux que la nature a gravés dans leur cœur, et qu’elle leur a donné le désir et le devoir de défenare. Les hommes de ce pays surtout sont promptement ramenés au désir de la tranquillité; et vous savez, Messieurs, combien on soupire de toutes parts après l’établissement de l’ordre et de la paix. C’est dans ce moment que vous allez présenter aux provinces ce qu’elles ont généralement voulu des assemblées provinciales. Sans doute il existe encore des difficultés, mais c’est pour les vaincre toutes que nous sommes envoyés. L’Assemblée nationale, centre de tous les intérêts, arbitre naturel de toutes les prétentions, peut seule connaître et diriger sur chaque province le vœu de toutes les autres, et prévenir toutes les divisions. Pendant que vos assemblées se formeront, vous pourrez, Messieurs, avec tout le calme et le temps qu’elles exigent, décider les grandes questions de l’exécution du Corps législatif et de la Constitution. Par là, abandonnant le faible avantage d’une marche méthodique, pour l’avantage réel de commencer l’organisation politique par les premiers fondements, c’est-à-dire, préférant de faire une Constitution à l’écrire, vous rétablirez dans la France celte tranquille activité, qui empêchera les provinces de réagir trop fortement sur vous, et de précipiter vos délibérations. Ici, Messieurs, je m’arrête sur une réflexion qui mérite d’être méditée par vous. Les assemblées provinciales introduites dans la monarchie sont une institution nouvelle et hardie, fruit de la méditation des hommes d’Etat, souhaitée par tous les bons citoyens; elles n’ont pas encore en leur faveur l’imposante sanction de l’expérience et du temps. On peut craindre que ces établissements ne nuisent à l’unité nécessaire dans une monarchie, et qu’ils ne présentent des obstacles à l’action uniforme et suprême de la volonté générale. Ces idées et ces craintes devront nous guider dans leur formation. Ils doivent être tellement circonscrits et déterminés dans leurs fonctions, que s’ils étaient tentés d’en sortir, la réunion de tous les pouvoirs puisse les forcer à s’y replacer. C’est alors que tenant au peuple, et à ses représentants, recevant l’action des uns pour la transmettre aux autres, ils pourront entretenir la vie et le mouvement dans toutes les parties du corps social, y ranimer, y fortifier partout l’esprit public et l’amour des lois et d’une sage liberté, inspirer enfin à tous les citoyens cet amour de la patrie, qui ne reçoit ses premiers développements qu’au sein de la famille et qui, pour atteindre et embrasser tous les concitoyens, a besoin de s’arrêter d’abord sur ceux que le hasard place auprès de lui. S’il est vrai que ce n’est que dans les assemblées que la morale reprend son empire, la vertu et le courage leur ascendant, et que les hommes, forcés d’attirer les regards vers la partie la plus favorable de leur caractère, rougissent de paraître placer leur intérêt au-dessus de l’intérêt général; c’est encore en les multipliant et en les rapprochant du peuple, que l’on recueille toutes les idées utiles au public, qu’elles acquièrent de la maturité et de la consistance, et que l’on parviendra à perfectionner ce grand art de diriger, au profit de la société, les travaux et les lumières de chacun de ses membres. 15 926 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie* octobre 1789.] Dans ce moment, Messieurs, il ne s’agit que de régler les questions principales qui peuvent s’élever sur la formation des assemblées provinciales, et dont les solutions doivent précéder leur établissement ; et c’est peut-être à la résolution de tenir promptement des assemblées provinciales, au moment où les rôles vont se faire, où le rassemblement est rendu facile par la saison et la marche des occupations rurales, que le salut de la France est attaché. La première question paraît devoir être le nombre même des assemblées. Deux idées également extrêmes doivent être évitées dans cette formation. La première serait une trop grande multiplicité, qui compliquerait les ressorts de l’administration, avec laquelle on ne peut jamais voir que des détails, ni former ces vues générales et d’ensemble, qui seules peuvent servir de base. aux délibérations législatives. La seconde, j’ai déjà eu l’honneur de vous l’exposer, Messieurs, ce serait d’établir des assemblées provinciales trop considérables, qui, concentrant les intérêts d’un grand nombre d’individus, pourraient opposer quelque résistance aux décrets de l’Assemblée nationale. En portant à soixante-dix environ le nombre de ces assemblées, il semble que l’on évite les deux excès. La division de la France en carrés à peu près égaux, serait la plus belle et la plus utile des opérations à cet égard. Au-dessous de ces assemblées, vous jugerez convenable, Messieurs, de former des districts qui soient entre le peuple et ceux qui sont chargés du soin d’administrer leurs intérêts ; enfin vous formerez des municipalités de villes et de campagnes ; et, pour ces dernières, il serait peut-être utile de réunir plusieurs villages ou hameaux, soit pour leur donner plus de consistance, soit pour fortifier les liens de la fraternité et de l’union entre eux. Vous fixerez sûrement les conditions qui devront régler les élections de toutes ces assemblées. Vous penserez peut-être qu’une propriété quelconque doit être nécessaire pour ceux qui seront élus. La propriété est la seule chose qui fixe et attache un homme à une province plutôt qu’à une autre ; elle l’attache encore d’une manière certaine à la chose publique. Quant au mode d’élection, il me paraît que les propriétaires de chaque ville ou village doivent choisir les municipalités, celles-ci les districts, et les districts des assemblées provinciales, en yjoignant un doublement de simples électeurs. Peut-être est-ce la seule manière d’unir la liberté des élections, et les motifs de liaison qui doivent exister entre des assemblées qui ont des fonctions correspondantes. Quant aux fonctions de ces assemblées, elles peuvent être déterminées par leur titre même, si vous arrêtiez qu’elles s’appelleront dorénavant assemblées administratives. Quant aux détails, ils seraient réglés par le comité que vous nommerez, ou pourraient être déterminés par la suite. Vous aurez aussi à fixer les rapports entre les villes et les campagnes, et l’intérêt si grand, si recommandable, et si oublié des dernières, vous portera sans doute à leur donner une proportion qui, pour être juste, doit sûrement être plus forte que celle des villes. En conséquence, je propose qu’il soit au plus tôt nommé un comité pour rédiger un plan pour les assemblées provinciales qui seront arrêtées promptement par l’Assemblée nationale, et établies tout de suite dans tout le royaume. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRESIDENCE DE M. MOUNIER. Séance du jeudi 1er octobre 1789, au matin (1). M. le Président a ouvert la séance par là lecture d’une lettre, datée de ce jour, de M. le premier ministre des finances ; elle est conçue en ces termes : « Monsieur le Président, je vous prie de vouloir . bien me faire donner le moment où l’Assemblée nationale permettrait que j’eusse l’honneur de l’entretenir d’objets relatifs à sa dernière délibération sur les finances. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Signé : Necker. » L’Assemblée décide que le ministre sera admis à midi. M. de Wîrieuj l'un des trésoriers de la caisse patriotique , annonce à l’Assemblée un don en diamants et argenterie fait par madame la marquise de Massol, lequel don a été apporté par la demoiselle Thierry, sa femme de chambre ; il f annonce ensuite un don patriotique de 20,000 livres fait par le corps de la librairie et imprimerie de la ville de Paris ; il demande que la demoiselle Thierry et les syndics de la librairie soient introduits à la barre, ce qui est accordé. M. Knapen, syndic, portant la parole, dit: Nosseigneurs, venir au secours de la patrie est le devoir de tous les citoyens. Le corps de la A librairie et imprimerie de Paris s’empresse de donner des preuves de son zèle aux dignes représentants de la nation, dont les exemples excitent si puissamment au patriotisme. Nous venons déposer entre les mains de votre auguste Assemblée 20,000 livres, avec le regret de ne pouvoir offrir à la nation une somme plus considérable. M. le Président. L’Assemblée nationale, t voulant vous témoigner sa satisfaction pour les 1 sacrifices que vous faites à la patrie, vous invite à assister à la séance. M. le Président annonce que le Roi a sanctionné le décret sur les gabelles, et que Sa Majesté examinera incessamment ceux sur l’im-positioD des privilégiés et sur l’abolition des droits de franc-fief. � M. le Président. L’Assemblée reprend son ordre du jour qui appelle la discussion de l'article L du projet du nouveau comité de Constitution concernant le Corps législatif. Cet article est ainsi conçu : « Art. 4. Aucun impôt ou contribution en nature ou en argent ne peut être levé, aucun emprunt manifesté ou déguisé ne peut être fait sans le consentement exprès des représentants de la nation. » Cinq amendements sont proposés sur cet article. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.