SÉANCE DU 25 VENDÉMIAIRE AN III (16 OCTOBRE 1794) - N° 39 215 ROMME : Si je trouvais que les principes qui déterminent ce projet de décret eussent été bien développés dans la discussion, je demanderais qu’il fut mis aux voix; mais comme je suis persuadé du contraire, je crois devoir demander l’ajournement (On murmuré). Quel est celui d’entre vous qui osera me disputer le droit de voter? Personne. Eh bien, je veux voter avec réflexion ( Applaudissements ). Thibaudeau a fait des propositions qui n’ont pas été prévues par le projet de décret; Thuriot a développé des principes qui sont aussi les miens, et je désirerais qu’ils fussent exprimés dans les articles. Ce projet en a dix, et j’avoue que je ne sais pas improviser une pareille loi. La précipitation est contraire aux droits du peuple (On applaudit). J’ai aussi quelques propositions à faire (plusieurs voix : Fais-les !); mais je ne peux pas improviser. Si les vérités qu’on vous présente aujourd’hui sont constantes, elles ne vous échapperont pas demain. Je demande l’impression et l’ajournement. MERLIN (de Thionville) : Lorsque vous avez décrété la République, vous vous êtes tous levés d’un commun accord, et personne n’a demandé ni renvoi ni rapport. Depuis plusieurs jours vous avez chargé les comités de vous présenter les mesures qu’ils vous proposent aujourd’hui, mesures qu’ils regardent comme devant sauver la République que vous avez créée. Ils ont vu les circonstances s’aggraver tous les jours, et ils ont cru qu’elles ne leur permettaient pas même de prendre le temps de faire un rapport. Ils ont été persuadés que vous sentiriez toute la nécessité de ces mesures, quand vous réfléchiriez que, même depuis le 9 thermidor, ces sociétés ne cessent de se frotter contre la Convention. Citoyens, il ne faut pas craindre d’aborder cette caverne, malgré le sang et les morceaux de cadavres qu’on jette aux patriotes qui s’y présentent. Il faut prendre des mesures telles que les fripons et les assassins disparaissent de ces sociétés, et que les citoyens qui veulent réellement sauver la République puissent s’y réunir et y peser avec tranquillité les grands intérêts de la patrie. Je demande que de même que vous avez décrété la République sans renvoi ni rapport, vous décrétiez aujourd’hui le projet qui vous est présenté pour la sauver (On applaudit). [Il est temps d’aborder la caverne, et de mettre au grand jour les cadavres qui y sont amoncelés : il est temps que ces sociétés soient organisées; que les fripons et les assassins en disparoissent. Ce décret, qui sauvera la République, sera aussi applaudi du peuple que celui qui l’a proclamée (Vifs applaudissemens). Le peuple veut la République, et la République sera sauvée malgré les fripons et les assassins. Oui, oui, s’écrie-t-on de toutes parts : l’Assemblée se lève toute entière; les cris de vive la République retentissent longtemps.] (139) [Enfin, l’ajournement est écarté par l’ordre du jour, et malgré la plus vive opposition de (139) Débats, n° 755, 396. quelques membres, le projet est décrété article par article.] (140) La discussion est fermée, et l’article Ier adopté au milieu des plus vifs applaudissements, qui se renouvellent à mesure que les autres articles sont adoptés (141). [Le projet est mis aux voix et décrété : l’article 1er seul a souffert un amendement; après le mot correspondances, on a ajouté ceux-ci en nom collectif, et l’article a été adopté ainsi qu’il suit.] (142) [Tous les articles mis une seconde fois successivement aux voix, sont adoptés l’un après l’autre.] (143) Un membre du comité de Salut public présente, au nom des trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, un projet de loi sur les sociétés populaires; il est adopté en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, réunis, décrète : Article premier. - Toutes affiliations, aggrégations, fédérations, ainsi que toutes correspondances en nom collectif entre sociétés, sous quelque dénomination qu’elles existent, sont défendues comme subversives du gouvernement et contraires à l’unité de la République. Art. IL - Aucunes pétitions ou adresses ne peuvent être faites en nom collectif : elles doivent être individuellement signées. Art. III. - Il est défendu aux autorités constituées de statuer sur les adresses ou pétitions faites en nom collectif. Art. IV. - Ceux qui signeront, comme présidens ou secrétaires, des adresses ou pétitions faites en nom collectif, seront arrêtés et détenus comme suspects. Art. V. - Chaque société dressera, immédiatement après la publication du présent décret, le tableau de tous les membres qui la composent. Ce tableau indiquera les noms et prénoms de chacun des membres, son âge, le lieu de sa naissance, sa profession et demeure avant et depuis le 14 juillet 1789, et la date de son admission dans la société. Art. VI. - Copie de ce tableau sera, dans les deux décades qui suivront la publication du présent décret, adressée à l’agent national du district. Art. VII. - Il en sera, dans le même délai, adressé une autre copie à l’agent national de la commune dans laquelle chaque so-(140) Ann. R.F., n 26. (141) Moniteur, XXII, 255-260; Débats, n 755, 385-396; Ann. Patr., n° 654; Ann. R.F., n° 25, 26; C. Eg., n° 789; F. de la Républ., n° 26, 27; J. Fr., n° 751; J. Mont., n° 5, 6; J. Paris, n” 26; J. Perlet, n” 753, 754; J. Univ., n° 1786, 1788, 1789; Mess. Soir, n” 789, 790; M.U., XLIV, 395-397, 405-408; Rép., n° 26. (142) J. Fr., n” 751; M. U., XLIV, 408. (143) F. de la Républ., n 27. 216 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ciété est établie. Cette copie sera et demeurera affichée dans le lieu des séances de la municipalité. Art. VIII. - A Paris, l’envoi prescrit par l’article précédent, sera fait à l’agent national près la commission de police administrative; et l’affiche ordonnée par le même article aura lieu dans la salle des séances de cette commission. Art. IX. - La formation, l’envoi et l’affiche des tableaux ordonnés par les trois articles précédens, seront renouvelés dans les deux premières décades de nivôse prochain, et ensuite de trois mois en trois mois. Art. X. - Tout contrevenant à une disposition quelconque du présent décret sera arrêté et détenu comme suspect (144). La séance est levée. Signé, CAMBACÉRÈS, président ; BOISSY [d’ANGLAS], PELET, A.P. LOZEAU, LAPORTE, ESCHASSERIAUX jeune, Pierre GUYOMAR, secrétaires (145). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 40 SALLENGROS : Citoyens collègues, l’agriculture et le commerce sont à coup sûr les sources principales de l’abondance, de la prospérité et du bonheur public; or, c’est avec raison que la Convention nationale porte l’attention la plus sérieuse pour les améliorer et leur donner le degré de perfection dont ils sont susceptibles dans les diverses parties de la République. Pour y parvenir, on a entendu, avec le plus vif intérêt, différentes motions, plusieurs discours prononcés à cette tribune ou à la barre, qui présentaient des lumières, des réflexions avantageuses ; et pour en accélérer l’effet, vous les avez renvoyées aux comités compétents, pour en faire les rapports le plus promptement possible. Je dois compte à la patrie des connaissances que j’ai pu acquérir dans les commissions dont j’ai été chargé, ou que j’ai apprises par les localités que j’ai habitées ou fréquentées. (144) P.-V., XLVII, 199-201. C 321, pl. 1336, p. 6, minute de la main de Delmas, rapporteur. Bull. , 25 vend. ; Débats, n° 754, 382-383; Moniteur, XXII, 244; Ann. Patr., n° 654; Ann. R.F., n” 26; C. Eg., n” 789; F. de la Républ., n” 26; J. Fr., n" 751; J. Mont., n' 5; J. Paris, n° 26; J. Perlet, n° 754; J. Univ., n” 1786; Mess. Soir, n" 790; M.U., XLIV, 408; Rép., n” 26. (145) P.-V., XLVII, 201. Je fixe le cours de la Sambre, et je m’y arrête : la Sambre a sa source dans le territoire de Frémy, aux confins du département de l’Aisne, à deux petites lieues de Landrecies. Déjà la Sambre est navigable à Landrecies; elle continue de l’être jusqu’à son embouchure, c’est-à-dire jusqu’à la Meuse, et indirectement jusqu’au Rhin. Tout le monde sait, ou peut aisément savoir, les denrées de première nécessité que produisaient si abondamment la Belgique, le pays de Liège et quantité d’autres provinces dont nos braves et intrépides frères d’armes ont chassé les vils satellites des tyrans coalisés contre la cause de l’égahté et de la liberté. Le fer, l’acier, le cuivre, l’étain, la potasse, le chanvre, le bois de charpente et de construction, les ardoises, la houille ou le charbon de terre, telles sont les riches productions qui y croissent ou qu’on en extrait. Il n’est pas étonnant qu’avec ces productions les habitants du pays soient si opulents, et qu’ils soient parvenus à rendre leur terrain un des plus fertiles qui soient dans l’Europe. Depuis longtemps les cultivateurs et les habitants laborieux du département du Nord, vers le sud-est, ceux de l’Aisne et des Ardennes, pour fertiliser les champs qu’ils exploitent, vont chercher à grands frais le charbon et les cendres dites de mer, qu’on y trouve si facilement, et que les frais de transport rendent trop rares. Il y a aussi très longtemps que des ingénieurs instruits, et que leurs talents ont rendus recommandables, ont démontré qu’un petit canal d’une excavation peu coûteuse, également avantageux à la défense de la République et à son commerce, était suffisant pour transporter, avec peu de dépenses, ces diverses marchandises dans la majeure partie de la France. Voici comme s’exprime le général Lafitte, commandant du génie, dans un de ses mémoires qu’on trouve au comité des Travaux publics : « Le projet de jonction de l’Escaut à la Sambre et à l’Oise a été détaillé en 1781 et 1782, et nous avons tâché, dit-il, d’y réunir tous les avantages de la défense et du commerce. » Par ce projet, Lafitte expose que la longueur de l’excavation pour la jonction de la Sambre à l’Oise, est de quatorze mille toises, et que la dépense se monte à 2 millions. Duclos, ingénieur en chef du département du Nord, reconnaît, par un tableau de navigation intérieure par lui fait et rédigé à Dunkerque, le 19 ventôse dernier, qu’il existe plusieurs projets anciens et modernes, dans les bureaux de la guerre et de l’intérieur, relatifs au canal de jonction de la Sambre à l’Oise, par le Noirieux, entre Guise et Landrecies. Il ajoute, dans ce mémoire, que le département du Nord n’a aucunes pièces ni renseignements à cet égard, pour la partie qui le concerne. Ne doit-on pas supposer que la dernière proposition de cet ingénieur est pour le moins erronée, quand je puis affirmer à la Convention nationale, à la République entière, que j’ai été un de ceux qui présentèrent, dans le mois de décembre 1790, et remirent sur les bureaux du conseil général de ce département un mémoire imprimé qui dé-