ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 septembre 1790.] 48 [Assemblée nationale.] tor. Ce même procès-verbal vous fera connaître, Monsieur, les événements qui ont déterminé l’Assemblée générale de Saint-Domingue à se rendre dans le sein de l’Assemblée nationale, et la nécessité où j’ai été de céder au désir qu’elle avait de passer sur le vaisseau, pour se soustraire aux prescriptions et éviter l’éffusiondu sang qui était prêt à couler, M. de Peynier ayant envoyé deux armées pour la dissoudre par la force. «Cent citoyens de Saint-Domingue ont donc passé sur le vaisseau , où je n’ai pu leur donner les aisances auxquelles ils sont accoutumés, tant par la nécessité locale qu’il y avait à se les procurer, que par le peu de temps qui s’est écoulé entre le décret et l’embarquement. « J’ai été bien secondé par MM. Eyrat et Ergot, sous-lieutenants de vaisseau, qui, avec M. de Tressemane, élève de la seconde classe, formaient tout mon état-major. « J’ai tiré parti de la capacité du maître d’équipage et du maître pilote, à qui j’ai confié un quart, qu’ils ont commandé avec intelligence ; je dois également des éloges à la subordination de l’équipage. « Je vous rendrai compte, Monsieur, que j’ai rencontré dans les débarquements de Saint-Domingue, un convoi de trente-cinq voiles, commandé par un vaisseau de cinquante qui les escorte, faisant roule pour l’Europe. « Je suis avec respect, etc. « Signé : Baron de Santo-Domingo. >» Il est aussi fait lecture d’une lettre du sieur d’Augy, se disant président de l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, écrite à bord du vaisseau le Léopard le 12 de ce mois, par laquelle il prie M. le Président de remettre lui-même au roi l’adresse contenue dans le paquet. Il joint à sa lettre différents procès-verbaux destinés à être mis sous les yeux de l’Assemblée nationale. Après la lecture de ces différentes dépêches, l’Assemblée ordonne le renvoi de celles qui concernent la colonie de Saint-Domingue au comité colonial. Elle ordonne également le renvoi au comité de marine, de la lettre du ministre, et de la copie de celle de M. de Santo-Domingo. Quant aux paquets insérés dans la lettre du sieur d’Augy, il est ordonné que M. le Président les renverra à M. le garde des sceaux pour les remettre à leur adresse. M. de Montcalm. Il y a trois questions dans les pièces qui viennent d’être lues. La plus urgente est celle qui concerne le vaisseau La Ferme. Je propose qu’il soit enjoint à la municipalité de Brest de la laisser partir. M. d’Fstourmel. Gela ne suffit pas et je demande que la municipalité soit mandée à la barre. M. de Foucault. Il est temps de mettre un frein à l’aristocratie des municipalités. J’appuie la motion qui vient d’être faite de mander à la barre la municipalité de Brest pour s’être opposée aux ordres du roi. M. Démeunier. Yoici le projet de décret que je vous propose : « L’Assemblée nationale, délibérant sur la lettre adressée par le ministre de la marine de la part du roi, en date du 17 de ce mois ; «Considérant qu’aucune municipalité ou corps administratif ne peut, sous aucun prétexte, arrêter ni suspendre le départ d’aucun bâtiment de guerre, ordonné par Sa Majesté, « Décrète que le roi sera prié de faire parvenir incessamment le présent décret dans tous les ports, et de donner ses ordres en conséquence. » (Ce projet de décret est adopté.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquidation de la dette publique. M. de Talleyrand, évêque d'Autun (1). Messieurs, il s’agit, non pas seulementdedisposerd’une propriété nationale et d’en recueillir le prix ; mais de décréter une opération qui tient essentiellement à l’économie politique, à la restauration des finances et au rétablissement du crédit. Cette opération est de la plus grande importance. Il faut tout dire avant le décret de l’Assemblée ; et le décret rendu, qu’elle qu’ait été l’opinion particulière, il faut tout faire pour assurer le succès de l’opération que vous aurez déterminée. L’intérêt que je prends à cette question est extrême ; il s’y mêle même quelque chose de personnel : car je serais inconsolable si, de la rigueur de nos décrets sur le clergé, il ne résultait pas le salut de la chose publique. Il est nécessaire de retirer les domaines nationaux de l’administration commune: il est important de les vendre le plus cher et le plus promptement possible ; il faut en employer le prix à la diminution de la dette. Tout cela est reconnu et en partie décrété. J’ai proposé, pour créer une nouvelle classe d’acquéreurs en présence de cette nouvelle quantité de biens à vendre, d’admettre directement à l’acquisition les créanciers de l’Etut eux-mêmes. Cette opinion, longtemps combattue, a maintenant peu de contradicteurs. On diffère encore sur les moyens d'exécution ; celui que j’ai indiqué est de donner aux titres des créanciers de l’Etat une valeur monétaire, seulement vis-à-vis de la caisse de l’extraordinaire, pour payement des domaines nationaux. Celui qu’ou y oppose est de convertir ces titres en un papier qui est une valeur monétaire générale et forcé pour tous les objets, en assignats. Je vais me conformer à l’ordre du jour, et traiter la question d’une émission de deux milliards d’assignats sans intérêts, et d’une circulation forcée. L’opération étant générale et touchant à tous les intérêts de la société, je ne la considérerai que dans son ensemble, et je ne m’arrêterai point aux dangers des contrefaçons, à ceux des petits billets et à tous les autres inconvénients de détails sur lesquels on a suffisamment averti votre prudence. Enfin, ne perdant jamais de vue la majesté de l’Assemblée nationale et le bien public qui doit être uniquement l’objet de nos discours, j’écarterai d'une discussion où il ne s’agit que d’éclairer la raison, toutes ces armes empoisonnées, étrangères à nos débats, et dont on s’est pourtant servi trop souvent et avec trop d’avantage. Et, par exemple, avec quel art n’a-t-on pas cherché à intéresser la morale et la pureté de (1) Nous reproduisons le discours de M. de Talleyrand d’après l’impression ordonnée par l’Assemblce nationale et annexée au procès-vernal. Cette version diffère légèrement de celle du Moniteur. [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1790.J 19 l’Assemblée I Avec quel empressement ne s’est-on pas emparé du mot agiotage pour le jeter sur ses adversaires ! Ceux qui demandent des assignats disent : On va prolonger l’existence de la dette ; on veut continuer les rapports forcés des provinces avec la capitale ; c’est pour favoriser les banquiers de Paris , c’est pour entretenir des prêts usuraires sur les dépôts aes effets publics. Eh bien ! on ne veut pas tout cela ; mais ces inconvénients, qu’à la vérité on exagère, peuvent se trouver dans mon système. Ceux qui ne veulent pas d’assignats disent : On a étudié la science des temps ; on a bien combiné, et l’on veut s’assurer en faisant créer des assignats du bénéfice immense du remboursement au pair d’effets publics , achetés à perte et mis en dépôt, en attendant l'émission des assignats : ensuite, sans avoir rien déboursé, l' on profilera de la différence: eh bien ! cela peut être vrai aussi ; mais, dans ce système, cette combinaison est de même inévitable. Quelque parti que vous preniez, il s’établira sur le grand mouvement que l’aliénation des biens nationaux doit donner à la dette publique, des calculs, des profits, des combinaisons, de l’agiotage même, dont l’opinion publique saura bien faire justice ; mais puisque ces inconvénients se trouvent dans tous les systèmes, ce qui convient à l’Assemblée nationale, c’est de dédaigner tout ce qui ne tient pas au fond même delà question, c’est de marcher, uniquement guidée par la raison, droit au but qu’elle se propose. L’Assemblée nationale ordonnera-t-elle une émission de deux milliards d’assignats-monnaie? On préjuge du succès de cette seconde émission, par le succès de la première ; mais on ne veut pas voir que les besoins du commerce, ralenti par la Révolution, ont dû accueillir avec avidité notre premier numéraire conventionnel ; et ces besoins étaient tels que, dans mon opinion, il eût adopté ce numéraire, même quand il n’eût pas été forcé: faire militer ce premier succès, qui même n’a pas été complet, puisque les assignats perdent, en faveur d’une seconde et plus ample émission, c’est s’exposer à de grands dangers ; car l’empire de la loi a sa mesure, et cette mesure, c’est l’intérêt que les hommes ont à la respecter ou à l’enfreindre. Sans doute, les assignats auront des caractères de sûreté que n’a jamais eu aucun papier-monnaie. Nul n’aura été créé sur un gage aussi précieux, revêtu d’une hypothèque aussi solide. Je suis loin de le nier. L’assignat, considéré comme titre de créance, a une valeur positive et matérielle. Cette valeur de l’assignat est précisément la même que celle du domaine qu’il représente : mais cependant il faut convenir, avant tout, que jamais aucun papier national ne marchera de pair avec les métaux: jamais le signe supplémentaire du premier signe représentatif de la richesse n’aura la valeur exacte de son modèle. Le titre même constate le besoin, et le besoin porte crainte et défiance autour de lui. Pourquoi l’assignat-monnaie sera-t-il toujours au-dessous de l’argent? C’est d’abord parce qu’on doutera toujours de l’application exacte de ses rapports entre la masse des assignats et celle des biens nationaux ; c’est qu’on sera longtemps incertain sur la consommation des ventes; c’est qu’on ne conçoit pas à quelle époque deux milliards d’assignats, représentant à peu près la valeur des domaines, se trouveront éteints ; c’est parce que l’argent, étant mis en concurrence avec iM Série. T. XIX le papier, l’un et l’autre deviennent marchandise, et plus une marchandise est abondante, plus elle doit perdre de son prix ; c’est qu’avec de l’argent on pourra toujours se passer d’assignats, tandis qu’il sera impossible avec des assignats de se passer d’argent, et heureusement le besoin absolu d’argent conservera dans la circulation quelques espèces ; car le plus grand de tous les maux serait d’en être absolument privé. Je ne sais comment on s’écarte d’une vérité qui mérite cependant la plus sérieuse attention. La nation, en déclarant la disponibilité des domaines nationaux, n’a pas acquis une propriété nouvelle; elle n’a pas augmenté sa richesse ; la richesse territoriale est restée physiquement la même, puisque aucune cause étrangère n’a accru la valeur intrinsèque de la superficie delà France. La société, prise collectivement, a fait entre ses membres une répartition différente, de laquelle il résultera qu’elle aura payé une portion de sa dette. Les assignats ne représentent donc pas une richesse nouvelle; ils n’ajoutent pas aux facultés, mais seulement aux facilités d’exécution : ils sont un mode, un agent intermédiaire, et non pas un payement définitif. Les créances sur l’Etat, les offres de tout genre étaient des valeurs circulantes, qui faisaient partie de la richesse publique. L’ordre des choses établi par la Révolution ne comporte plus cette circulation. Il faut que les valeurs prennent un autre cours ; il faut qu’elles s’appliquent à un objet différent. Si cette espèce de transmutation des fortunes ne s’opérait que successivement, vous n’auriez aucun effort à faire pour la seconder ; mais cette disposition a besoin d’être subite : il lui faut des secours prompts et certains. L’émission des assignats offre-t-elle ces secours? Les assignats passeront-ils, en droite ligne, des mains des créanciers remboursés dans la caisse de l’extraordinaire, en payements des acquisitions de domaines nationaux faites par ces créanciers ? Ne serviront-ils qu’à exécuter l’échange direct de ces domaines contre la dette publique? Mais alors pourquoi en faire une monnaie forcée, susceptible d’intervenir dans toutes les autres transactions du commerce ? Enfin, pour l’avantage de qui hasardera-t-on une pareille opération ? Qui la demande ? Ce ne peut être les créanciers de l’Etat qui veulent acquérir des domaines publics puisque, daDS tous les systèmes, on propose d’imprimer à leurs titres de créance la faculté d’être donnés en payement de ces acquisitions ; ce ne peut être des citoyens qui ont l’intention d’acquérir de ces domaines, quoiqu’ils ne possèdent pas de créances sur l’Etat, puisqu’ils pourraient de même employer les moyens qu’ils ont de faire ces acquisitions, à se procurer ou des assignats actuels, ou même à bénéfice des créances publiques, que du moins ils ne seraient pas obligés de recevoir au pair de l’argent comme les assignats proposés. Ou démontrerait donc facilement que la partie du public qui demande des assignats, n’a aucune intention d’acheter des domaines nationaux ; en effet, c’est si peu là ce qu’on désire, qu’on vous a parlé d'assignats pour nourrir le commerce, l’industrie et la circulation jusquesdans ses moindres rameaux; et cela est si vrai, qu’on a même proposé d’en créer de sommes qui ne représentent que les salaires et les dépenses habituelles de la vie. Eh bien ! supposons que les assignats forcés ou volontaires fussent reçus dans la circulation avec tout l’empressement et la confiance qu’on doit désirer, peut-on se dissimuler l’influence qu’ils 4 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PA RLEME1S TAIRES. 50 auraient dans la balance journalière des échanges ? N’est-il pas évident que plus il existe de signes représentatifs de la richesse, plus il en faut donner pour acquérir les objets représentés ? Abstraction faite, pour un instant, de nos rapports avec le commerce étranger, il ne résulterait peut-être pas de grands maux de cette élévation numérique du prix des choses, si elle s’étendait également sur tous les objets; mais personne n’ignore (et je vous présente cette observation avec confiance, parce qu’elle intéresse la classe indigente), personne n’ignore, dis-je, que le prix du travail et des salaires n’arrive que lentement à une proportion exacte avec les denrées. Cette observation est constatée parles faits; elle l’est aussi par le raisonnement : car la classe des hommes que leur travail seul nourrit, étant la plus nombreuse, et son travail ne fournissant en générai qu’à sa subsistance de chaque jour, sa propre concurrence et le renouvellement journalier de ses besoins, l’asservissent tellement à la loi du riche, que nécessairement celui-ci conserve quelque temps le moyen de retenir le prix qui fait effort pour s’élever. De là les disproportions les plus choquantes, la misère à côté de l’abondance. Et, en effet, c’est bien ici le cas de séparer des erreurs dans lesquelles ont pu tomber quelques économistes, les vérités éternelles qui sont la base de leur système. Je dis que l’abondance des assignats doit appauvrir les manouvriers de tout genre et nuire par conséquent au succès des manufactures et à la prospérité des campagnes. J’insiste sur cette considération, parce que le danger dont je parle menace le pauvre et le menace tous les jours et à toutes les heures. Point de richesses sans travail, point de travail sans consommation. Puisqu’il faut produire avant de consommer, il faut donc que le prix du travail soit acquitté avant que le manouvrier consomme. Mais le prix du travail étant modique, journalier, applicable aux premiers besoins de la vie, il ne peut jamais être payé qu’avec des monnaies, et le papier ne peut remplir aucune fonction à cet égard. Cependant les assignats auront augmenté le prix de tous les objets de consommation-, et les salariés, restés au même taux, lorsque toutes les valeurs seront peut-être doublées autour d’eux, seront d’autant plus pauvres, d’autant plus malheureux, qu’ils auront produit davantage; car si tout renchérit, la consommatiun sera moindre, et le travail venant ensuite à diminuer, il est impossible que les salaires augmentent. fît, bien loin de croire que le Trésor public sera soulagé, comme on le dit, et que par conséquent l’imposition pourra être diminuée, je dis que l’Etat lui-même, considéré comme créancier et comme débiteur, éprouvera une double perte, et dans sa recette, et dans sa dépense. Créancier, il ne recevra l’impôt qu’atténué par la non-valeur de l’assignat-monnaie ; consommateur, il n’achètera qu’à un prix égal à celui du numéraire effectif, qu’il faudra ou acheter, ou suppléer. Ce n’est pas tout encore. La nation ne laisserait pas éternellement ces assignats dans la circulation ; ils s’éteindraient sans doute à mesure que leur objet serait rempli. Alors il se ferait nécessairement une révolution inverse dans le prix numéraire des choses et des salaires; c’est-à-dire ue ce prix décroîtrait à mesure que la masse es signes représentatifs décroîtrait elle-même; [18 septembre H90.} et cette seconde révolution, dans le commerce et l’industrie, serait plus funeste encore que la première. Ceux qui se livrent immodérément à la séduction des assignats, douteraient-ils de l’effet de cette convulsion dans toutes les parties de l’économie politique? Ne reconuaît-on pas chaque jour l’impossibilité d’empêcher la sortie de l’argent en proportion de t’arrivée des assignats? n’éprouve-t-on pas le besoin indispensable de numéraire pour les dépenses de détail les plus renouvelées; et le prix de ce numéraire ne hausse-t-il pas nécessairement en raison de l’affluence du papier et de l’accroissement du besoin? La caisse d’escompte jouissait du plus grand crédit ; son papier s'échangeait à toute heure contre de l’argent, et dans ses plus beaux jours, son crédit n’a pu sortir des murs de la capitale. Tant il est vrai que la liberté ne s'impose que les restrictions nécessaires, et que la loi ne doit être que la volonté écrite de la liberté elle-même. Mais enfin, suivons les assignats dans leur marche, et voyons quelle route ils auront à parcourir. Il faudra doue que le créancier remboursé achète des domaines avec ses assignats, ou qu’il les garde, ou qu’il les emploie à d’autres acquisitions. S’il achète des domaines, alors votre but sera rempli. Je m’applaudirai avec vous de la création des assignats, parce qu’ils ne se seront pas disséminés dans la circulation; parce qu’enfin ils n’auront fait que ce que je vous propose de donner aux créances publiques, la faculté d’être échangées contre des domaines publics; mais si ce créancier défiant préfère de perdre ses intérêts, en conservant un titre inactif ; mais s’il convertit ses assignats en métaux pour les enfouir, ou en effets sur l’étranger pour les transporter; mais s’il achète un immeuble qui ne soit pas domaine national, ou que son vendeur fasse avec ses assignats des dispositions qui s’écartent également de votre objet; mais si ces dernières classes sont beaucoup plus nombreuses que la première; si, en un mot, les assignats s’arrêtent longtemps dans la circulation, avant de venir s’anéantir dans la caisse de l’extraordinaire; s’ils parviennent forcément et séjournent dans les mains d’hommes obligés de les recevoir au pair, et qui, ne devant rien, ne pourront s’en servir qu’avec perte : s’ils sont l’occasion d’une grande injustice commise par tous les débiteurs, vis-à-vis de tous les créanciers ; si cette expérience démontre, et trop tard, l’illusion même d’une loi qui n’obtiendra que ce qu’elle ne doit point avoir, un effet rétroactif, ea obligeant les créanciers antérieurs à recevoir les assignats au pair de l’argent, tandis qu’elle sera démentie dans l'effet qu’elle ordonne, puisqu’il sera impossible d’obliger les vendeurs à les prendre au pair des espèces, c’est-à-dire sans augmenter le prix de leurs marchandises, en raison de la perte des assignats, alors, combien cette opération ingénieuse aurait-elle trompé le patriotisme de ceux dont la sagacité l’a présentée, et dont la bonne foi la défend, et à quels regrets inconsolables ne serions-nous pas condamnés ? Mais il ne suffit pas d’énoncer les craintes que doit inspirer la création des assignats, il faut justifier ces craintes, en démontrant, par les principes, la vraisemblance des effets que l'on redoute. On veut que les assignats soient monnaie; et la monnaie est la mesure commune des valeurs. L’on entend par la valeur tout ce qui se vend et s’achète. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre H90.J U (Assemblée nationale.} La monnaie, elle-même, considérée comme métal, est aussi une marchandise. Comme mesure, elle a acquis cette prérogative, parce qu’elle est composée de métaux qui la rendent plus propre à remplir cet emploi que les autres signes qu’on aurait pu choisir à sa place : cette fonction lui est tellement affectée, que c’est par sa médiation que s’opèrent tous les échanges. Quoique cette mesure soit à peu près déterminée, cependant, par un effet de l’accroissement ou de la diminution des métaux qui la constituent, ses rapports éprouvent une variation plus ou moins sensible ; et ces métaux, eux-mêmes, considérés comme marchandises, influent sur les rapports des monnaies avec les objets de commerce. Cette vérité, une fois présentée, doit être généralement reconnue. Créer un assignat-monnaie, ce n’est pas assurément représenter un métal-marchandise; c’est uniquement représenter un métal-monnaie : or, un métal simplement monnaie ne peut, quelque idée qu’on y attache, représenter celui qui est en même temps monnaie et marchandise. L’assignat-monnaie, quelque sûr, quelque solide qu’il puisse être, est donc une abstraction de la monnaie métallique; il n’est donc que le signe libre ou forcé, non pas de la richesse, mais simplement du crédit. Il suit de là que donner au papier les fonctions de monnaie, en le rendant, comme l’autre monnaie, intermédiaire entre tous les objets d’échange, c’est changer la quantité reconnue pour unité, autrement appelée, dans cette matière, l’étalon de la monnaie, c’est opérer en un moment ce que les siècles opèrent à peine dans un Etat qui s’enrichit ; et si (pour emprunter l’expression d’un savant étranger) la monnaie fait, à l’égard du prix des choses, la même fonction que les degrés, minutes et secondes à l’égard des angles, ou les échelles à l’égard des cartes géographiques ou plans quelconques, je demande ce qui doit résulter de cette altération dans la mesure commune. Cette vérité est tellement incontestable, que l'or même, l’or, soustrait ou introduit dans la société, produirait les effets les plus marqués ; vous pouvez vous en rappeler la preuve. La quantité d’argent introduite en Europe, depuis la refonte des monnaies en 1726, dont l’abondance avait changé la valeur, relativement à l’or, détermina la dernière refonte des louis. On se souvient encore des discussions multipliées auxquelles cette refonte donna lieu. Il s’agissait de savoir si l’on s’était trompé ou non, d’un vingt-neuvième environ, dans la valeur comparative de ces métaux ; mais on!;était d’accord, des deux parts, que cette erreur, si elle existait, serait d’une grande importance par l’influence qu'elle aurait sur le change et sur la balance du commerce. Comment donc concevoir que, dans le moment où l’on pense à donner à du papier le caractère de monnaie, on s’occupe à peine de la proportion qu’elle aura avec l’ancienne monnaie, et des conséquences qui peuvent résulter d’une erreur ou d’une incertitude à cet égard ? Lors de la création des premiers 400 millions d’assignats, on a cru nécessaire d’ajouter quelques grains au titre de l’assignats-monnaie, en y attribuant 3 0/0 d’intérêt ; aujourd’hui ou croit plus convenable de les retrancher. Dans cette question, ne donne-t-on pas beaucoup au hasard ? Cependant si l’on adoptait la ressource des assignats-monnaie, ce serait au moins de la manière la plus précise, qu’il faudrait faire cette évaluation, puisqu’il est reconnu qu’une erreur d’un vingt-neuvième sur la valeur comparative attribuée à une monnaie, est une erreur grave, et de là résulte incontestablement une des plus fortes objections contre les assignats-monnaie : car s’il est extrêmement difficile de fixer, pour un certain nombre d’années, la valeur de deux métaux, combien plus ne l’est-il pas de déterminer, même par approximation, les rapports entre un papier et un métal, puisqu’il faut faire entrer dans le calcul des quantités morales, dont l’évaluation échappe à toutes les règles? Si, dans le premier cas, on peut commettre des erreurs de 1 0/0, n’est-il pas infiniment probable que dans le second on en commettra souvent de 10 et peut-être de 15 0/0 ? J’affirme donc que la raison ne permet pas de décréter une nouvelle monnaie, sans connaître la proportion qui existera entre le cours de cette monnaie et la monnaie ancienne ; que la justice ne permet pas de la créer, sans être sûr qu’à l’aide de cette proportion, on parviendra à connaître le pair ; et j’oserai ajouter que vous n’avez aucune des données nécessaires pour faire cette appréciation, et pour être assurés de ne pas tomber dans des erreurs énormes qui anéantiront votre commerce avec les nations étrangères. Ce n’est en effet que par comparaison avec les monnaies étrangères, que la valeur d’une monnaie quelconque peut être estimée ; et cette évaluation de la monnaie d’un pays, dans son rapport avec celle d’un autre, ne peut jamais se faire que de métal à métal : sans cela, une nation pourrait déclarer que des feuilles de chêne, des cailloux de telle espèce, avec une empreinte qu’elle spécifierait, représenterait une telle valeur ; ce qui serait, en effet, si cette nation était seule dans l’univers, ou si elle n’avair. aucune communication de commerce avec les autres nations. Mais, dit-on, la monnaie dont il s’agit est bonne dans le fait, puisqu’en définitive il y aura de quoi la changer en valeur réelle : seulement tout le monde ne reconnaîtra pas cette vérité sur-le-champ, et c’est pour cela qu’il faut l’emploi de la force. Voici la réponse. Il n’existe dans la réalité qu’une monnaie dominante dans ce moment, c’est l’argent. Si vous donnez cours au papier, ce sera le papier. Vous ordonnerez que ce papier ne perde pas, j’y consens; mais vous n’empêcherez pa3 que l’argent ne gagne, et ce sera absolument la même chose. Vous verrez bien que dans un payement l’on sera obligé de prendre un assignat de 1,000 livres pour la somme de 1,000 livres, mais vous ne pourrez jamais faire que l’on soit obligé de donner 1,000 livres en écus po ur un assignai de 1 ,000 livres ; c’est là que réside toute la question et c’est par là que s’écroulera tout le système. Je vais plus loin : n’est-il pas vrai que vous répugneriez que les louis valussent 26 liv. 8 s. et les écus 61 liv. 12 s.? Ce serait une altération manifeste dans les monnaies. Eh bien l en y réfléchissant un peu, vous verrez que vous faites absolument la même chose, si vous donnez un cours forcé à un papier quelconque. La preuve en est claire. Un particulier doit 110,000 livres à un autre; il a aujourd’hui en écus cette somme, qu’il doit rembourser dans huit jours; votre décret survient, les assignats perdent 10 0/0 sur l’argent, ou bien, ce qui est la même chose, l’argent gagne 10 0/0 sur les assignats : ce débiteur, qui avait 110,000 livres pour acquitter sa dette de pareille somme, commence par acheter avec 100,000 livres les 110,000 livres dont il a besoin, en assignats, et il paye son créancier; il lui reste donc 10,000 livres 52 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES (18 septembre 1790.] qu’il a gagnées aux dépens de celui à qui il devait, ouaux dépens de quelque autre; d’où l’on voit que le résultat de l’opération, entre le créancier et le débiteur, est absolument le même que si vous aviez ordonné que les écus, qui valent aujourd’hui 6 livres, seraient reçus demain pour 6 liv. 12 s. Si tel est l’effet des assignats, quant à leur circulation intérieure, que sera-t-il dans nos rapports avec le commerce étranger ? L’analyse du change va nous l’apprendre. Le change est le rapport de la dette entre deux nations commerçantes, considéré relativement à la valeur des monnaies qui y ont cours. Le change consiste, ainsi que le mot le désigne, à échanger le titre d’une dette active dans un pays, contre le titre d’une dette passive dans un autre, ou à faire l’opération inverse. Cet échange est soumis à un prix qui tient lieu de la dépense qu’occasionnerait le transport des métaux. Ce prix est plus ou moins fort, suivant qu’une nation est créancière ou débitrice de l’autre, pour une plus ou moins forte somme. Si Paris doit à Londres, c’est à Paris à payer le prix du transport. Paris s’acquitte alors en payant une somme plus forte que celle qu’il devait, relativement à la valeur de ses monnaies. La valeur relative des métaux est donc la base du change entre les nations. Lorsque cette valeur est conservée dans les échanges sans aucune augmentation ou diminution dans les payements respectifs, c’est alors que le change est ce que l’on appelle au pair. Il suit de cet exposé, qu’il n’est aucune autre mesure de commerce entre les nations, que la valeur de l’or et l’argent. L’écu de France, comparé à la monnaie d’or anglaise, vaut environ 29 trois huitièmes sterling. Le change est au air, lorsqu’on paye un écu à Londres avec ces 9 trois huitièmes, ou lorsqu’on paye ces derniers à Paris avec un écu. Le change est avantageux pour Paris, quand on y donne un écu pour recevoir plus de 29 trois huitièmes à Londres. Il lui est désavantageux, quand il faut donner le môme écu pour recevoir moins de deniers sterling. Pour substituer au langage abstrait du commerce, des idées et des expressions plus familières, j’emploierai ici le marc d’argent comme représentant cette mesure commune. Je dis donc, et je pose en principe, que chaque nation peut K à l’autre ce qu’elle doit, de la manière qui t la plus avantageuse, pourvu qu’elle paye tout ce qu’elle doit. En effet, si Londres doit à Paris 100 marcs, il faut, quelque intermédiaire qu’on emploie, que ces cent marcs parviennent a Paris. Mais s’il existe un signe conventionnel qui remplace à Paris le numéraire, et qui remplisse impérieusement ses fonctions, Londres n’a que ce signe à fournir pour acquitter sa dette. Si ce signe représentatif a 6 0/0 moins de valeur que le métal qu’il représente, Londres, avec 94 marcs, aux fractions près, aura acquitté une dette de 100 marcs, etc., etc. Observons ici que la compensation qui s’établira à l’avenir dans les achats et les ventes entre les nations qui commercent avec la France, ne peut avoir lieu pour les opérations consommées, je veux dire pour les ventes effectuées et non acquittées. Londres payera tout ce qu’il doit à Paris avec le papier-monétaire, et Pans payera Londres avec des métaux monnayés. Paris recevra donc moins de sa créance et payera plus de sa dette. Donc les assignats rompront tout équilibre dans le commerce; donc toutes les puissances étrangères étudieront la position du crédit public, pour en profiter avec avantage ; donc elles achèteront à bas prix, et nous vendrons chèrement; donc elles retireront en numéraire réel, en matière d’or et d’argent, tous les bénéfices de leurs spéculations. N’oublions pas (et cette observation est d’un grand poids) que l'argent, en concurrence avec le papier, devient dès l’instant même une marchandise sur laquelle les spéculations sont ouvertes ; que la politique peut se joindre à l’intérêt du commerce, soit, pour acheter, même chèrement, l’argent que l’on est assuré de revendre plus chèrement encore dans d’autres moments, soit pour le dérober à la circulation et accroître ainsi et multiplier les embarras. Telles sont les considérations générales et importantes dans lesquelles j’ai cru devoir me renfermer, parce qu’il m’a semblé que toutes les autres considérations vous étaient suffisamment présentées. Après avoir démontré les dangers de l’émission d’assignats forcés, je vous dirai que vous créerez une monnaie suffisante pour consommer l’échange des domaines nationaux, en adoptant, sauf quelques modifications, le plan que je vous ai proposé, c’est-à-dire en donnant aux dettes publiques la faculté de les acquérir et de les payer. Parla vous appelez la concurrence, vous excitez l’empressement, vous ne servez que ceux qui veulent véritablement acquérir, vous arrivez directement à votre but, sans hasard et sans convulsion, et vous n'aurez pas fait une loi qui, dans ses rapports avec les actes de la société, les conventions et les payements, n’a d’autres effets que des effets rétroactifs. Je conclus donc à ce qu’il soit décrété : 1° Qu’il ne sera point créé d’assignats forcés pour le remboursement de la dette exigible ; 2° Que les créances sur l’Etat seront, sous les formes et modifications qui seront indiquées par le comité d’aliénation, reçues en payements des biens nationaux. M. d’Harambure (1). Messieurs, la nation s’occupe dans ce moment de la liquidation d’une dette exigible de plus de deux milliards. L’Assemblée nationale croit urgent d’en libérer l’Etat, et de diminuer par cette opération cent dix millions d’impôts que la France ne peut supporter sans surcharger outre mesure les contribuables. La nation n’a pas de numéraire pour cette opération, mais elle dispose d’immeubles qu’elle croit au moins équivalents au remboursement qu’elle se propose. Les créances que rembourse la nation n’étaient pas dans la circulation ; l’Assemblée nationale va mettre à leur place des immeubles qui, également, n’étaient pas dans te commerce, mais qui vont s’y trouver. Gette opération est tout à l’avantage de la nation. La question se réduit donc absolument à présenter la méthode la plus facile pour faire passer aux créanciers de l’Etat une portion de ces immeubles, équivalente à la quotité individuelle de leur créance, ou une somme égale en argent provenant de ces mêmes biens. (1) Le discours de M. d’Harambure est simplement mentionné au Moniteur. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 septembre 1790.] 33 On doit s’occuper eu outre de porter les ventes par la concurrence au taux le plus haut, puisque lus on tirera de ces biens, moins tous les contri-uables payeront d’impôt. Je ne vois pas pourquoi on ne s’occupe, dans cette question, que d’une monnaie circulante plus ou moins nombreuse qui me paraît hors de la question. J’ai pris le parti de consigner dans un décret le résumé de mon opinion particulière sur la grande question qui occupe l’Assemblée ; j’y ai indiqué la méthode à suivre pour obtenir les résultats qui m’ont paru les plus désirables et les moins hasardeux dans une opération sur laquelle la France entière a les yeux ouverts. J’ai pensé que la nation n’avait point de numéraire pour acquitter la dette exigible, mais qu’elle possédait des immeubles d’une grande valeur. Qu’il fallait un numéraire fictif qui, sans être forcé, pût cependant se diviser en autant de fractions qu’il en faut pour acquitter les différentes sommes qui composent la dette de l’Etat, et aussi pour que les plus petites sommes dues puissent se convertir en assignations propres à acquérir des immeubles. Une des choses à laquelle j’ai attaché le plus d’importance a été d’établir un procédé qui démontre aux créanciers de l’Etat que nécessairement nulle somme, provenant de la vente de ces immeubles, ne pourra être employée à autre usage qu’à éteindre le titre qui leur est donné; et qu’enfin il sera très rassurant pour le public de savoir que chaque partie des domaines nationaux vendue éteindra nécessairement la même somme d assignations non forcées et d’assignats-monnaie, soit qu’elles se payent en argent ou en effets ; qu?enfin, après trois ans révolus, toute cette monnaie fictive sera retirée de la circulation. Les assignations non forcées que je propose mettront les créanciers à même de remplir leurs engagements les plus sacrés; ils pourront en tirer encore un autre parti, en les plaçant sur des acquéreurs d’immeubles nationaux ; leur pis aller sera d’acquérir des immeubles; enfin ces effets ne seront pas paralysés en leurs mains. Mais ils n’iront pas atteindre les personnes qui n’ont jamais eu affaire à l’Etat ; quand on ne peut faire ce qu’il y a de mieux, il faut faire ce qui paraît le plus juste, et surtout choisir dans les possibilités ; ce qui ne peut mettre l’Etat en danger par une secousse trop violente. Par la marche que je prescris dans mon projet de décret aux préposés aux ventes, aux caissiers de l’extraordinaire et aux acquéreurs, tous les contribuables du royaume seront continuellement instruits de l’exactitude de cette importante liquidation, à laquelle tout citoyen a un grand intérêt, puisqu’il s’agit de diminuer la masse de l’impôt de plus de 110 millions. Ce que j’exige des préposés aux ventes et des acquéreurs rend le public juge de la bonne gestion du caissier de l’extraordinaire, et ce qui est prescrit au caissier assure également le public de l’exactitude des préposés aux Ventes. Quoique je sois contre les assignats-monnaie pour la liquidation de l’arriéré, je pense, avec toutes les personnes qui ont suivi vos opérations, que la nation ne peut se dispenser d’approuver comme indispensable une émission de 200 millions d’assignats -monnaie, pour les dépenses courantes et pour atteindre le moment où l’impôt sera dans un plus parfait recouvrement, Et, en outre, je juge que pour payer certaines dettes de l’arriéré des départements, la création de quarante millions d’assignats forcés sera indispensable : quelques-unes de ces créances faisant partie d’un service actif qui manquerait s’il était acquitté en assignations non forcés. On a parlé de créer de petits assignats de 25 livres; ils seraient la ruine de la classe la moins aisée des citoyens. Car s’ils perdaient par comparaison avec l’argent, le riche, en payant sa dépense par semaine, trouverait toujours à les placer : tandis que le pauvre, dont la dépense n’irait pas à 15 livres, serait obligé d’acheter du numéraire. La ville de Tours, avec laquelle mon opinion s’est trouvée conforme, presse pour créer du billon que l’on croit nécessaire ; cette ville invite ses députés à s’opposer aux assignats forcés pour l’acquittement de l’arriéré : elle préfère les assignations non forcées. Voici le décret dans lequel est consignée mon opinion : PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale décrète les articles suivants : Art. 1er. Les dettes exigibles de l'Etat, y compris celles qu’elle range dans cette classe, seront acquittées par des assignations non forcées qui auront les caractères suivants. Art. 2. Elles porteront 3 0/0 d’intérêt; mais il leur sera tenu compte de l'intérêt à 5 0/0 dans les acquisitions des domaines nationaux. Art. 3. Elles seront divisibles à la volonté des créanciers. Art. 4. Elles seront reçues pour comptant, ainsi que leur intérêt échu dans les acquisitions des domaines nationaux, en concurrence avec l’argent et avec les assignats-monnaie. Art. 5. Le caissier de l’extraordinaire sera responsable à la nation, que chaque somme, provenant de la vente d’un immeuble national, éteigne nécessairement pour la même somme d’assignations non forcées ainsi que d’assignats-monnaie. Art. 6. Pour remplir cet objet important, les préposés aux ventes feront signer l’expert et deux officiers municipaux, sur leur registre en recette, afin de s’assurer si c’est en argent et assignats-monnaie ou en assignations non forcées qu’on a payé. Il y sera fait état des numéros dés assignats-monnaie et de ceux des assignations non forcées qui auront servi au payement. Art. 7. La même mention sera faite sur le contrat de vente de l’acquéreur, signé du préposé aux ventes, afin d’y recourir au besoin. Art. 8. Le préposé des véntes qui aura reçu des assignats ou assignations non forcées les bétonnera et les renverra à l’instant à la caisse de l’extrordinaire, ave la copie de son registre, où sera inscrit le nom du bien acquis, ainsi que les numéros comme le prescrit l’article 6. Art. 9. L’argent monnayé sera également envoyé à la caisse de l’extraordinaire. Art. 10. Sous aucun prétexte, le numéraire reçu dans la caisse de l’extraordinaire, pour les ventes des domaines nationaux, ne pourra servir à d’autre usage qu’à l’extinction des assignations non forcées ou des assignats-monnaie. Art. 11. Aussitôt qu’il y aura un million en écus à la caisse de l’extraordinaire, il sera fait un tirage par voie de loterie sur tous les papiers ci-dessus désignés qui n’auront pas été éteints 54 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1790.] par les précédentes ventes, afin d’anéantir la même somme de ces papiers. Art. 12. Le caissier de l’extraordinaire fera imprimer, à la fin de chaque mois, le sommaire des états qui lui sont renvoyés par les préposés aux ventes avec les numéros, le nom des biens acquis, les sommes résultant des ventes, ainsi que les tirages qui auront lieu avec les numéros sortis et remboursés par conséquent en écus. Art. 13. Les assignations non forcées seront disponibles dans les cas suivants : Pour rembourser les hypothèques qui se trouvent sur les charges que l’Etat rembourse; celles qui sont sur les cautionnements de finances et toutes celles qui se trouvent particulièrement affectées sur d’autres créances, dans la classe des dettes que rembourse dans ce moment la nation, et on ne pourra les refuser. Art. 14. Elles seront dans tous les cas disponibles de gré à gré. Art. 15. Après trois années révolues à dater de l’époque où les assignations non forcéesauront été délivrés, toutes celles qui resteraient encore entre les mains du public seront converties en rentes perpétuelles sur l’Etat à 4 0/0 d’intérêts. Il en sera usé de même pour les assignats forcés. Art. 16. A cette époque, la législature avisera aux moyens de tirer le plus grand avantage pour la nation de la portion des domaines nationaux qui n’aura pas été aliénée. Art. 17. Trois mois avant la fin de la dernière année des trois qui ont été fixées pour la liquidation, le caissier de l’extraordinaire fera faire un état exact des sommes dues par ceux des acquéreurs qui, aux termes du règlement de l’aliénation, ont profité de la facilité de ne payer qu’en douze années en s’obligeant annuellement aux intérêts. Il fera faire un tirage par voie de loterie auquel tous créanciers porteurs d’assignations non forcées ou porteurs d’assignats forcés, auront part. Les porteurs des effets que le sort aura favorisés seront mis aux lieu et place de la nation pour être remboursés du capital de leur effet, ainsi que de l’intérêt annuel, comme l’aurait été la nation en vertu du règlement, pour l’aliénation des domaines nationaux : les créanciers qui se trouveront dans cette classe auront alors des particuliers pour créanciers, sans que l’Etat cesse pour cela de les protéger dans tous les cas où ils auraient besoin d’avoir recours aux lois. Art. 18. Il sera décrété une nouvelle émission d’assignats-monnaie, portant intérêt de 3 0/0, d'une somme de 240 millions, en outre des 400 déjà émis ; 200 seront destinés à payer les dépenses courantes du Trésor national ; 40 seront destinés à acquitter certaines dettes de l’arriéré, qu’on ne peut payer avec des assignations non forcées, à moins de déranger l’ordre du service. Cette émission ne pourra être que d’un neuvième à la fois. Art. 19. Comme les assignats-monnaies sont destinés à remplacer les impôts de 1790 et des années antérieures dont le recouvrement a été retardé, on fera verser la moitié de ceux qui auront été recouvrés dans les caisses de l’extraordinaire, afin d’en faire un dernier tirage du montant de cette somme pour éteindre la même sommedeces assignats-monnaie, desassignations non forcées s’il en existe encore. On y joindra en outre tout ce qui rentrera en argent dans la caisse de l’extraordinaire des deux derniers termes de la contribution patriotique. Résultats du décret. Permettez, Messieurs, que j’analyse la méthode que prescrit mon projet de décret et que je fasse apercevoir clairement et en peu de mots ses résultats dans les différentes suppositions. L’Assemblée sera à portée de juger que, dans aucun cas, le royaume ne peuten recevoir une grande commotion. Si les immeubles destinés à paver les créanciers de la dette exigible s’élèvent à une sommeégaleà la dette, il en résultera qu’une partie des créanciers aura acquis des immeubles à la place des capitaux qu’elle avait sur l’Etat; et que l’autre partie des créanciers, que le sort aura bien traitée, sera remboursée en écus par la caisse de l'extraordinaire, en vertu des tirages de loterie qui ont lieu quand il y a un million en écus à cette caisse. Il ne restera donc, dans cette hypothèse, de papiers dans la circulation qu’entre les mains de ceux qui n’auront pas voulu se présenter aux acquisitions, craignant de faire un sacrifice nécessaire dans la circonstance pour se procurer des immeubles. On ne pourra plaindre cette dernière classe de voir ces assignats forcés ou ces assignations non forcées convertis en rentes perpétuelles à 4 0/0. Si, au contraire, les immeubles ou domaines nationaux sont à une moindre somme que la dette, ce qui restera de ces papiers dans la circulation sera converti en rente perpétuelle à 4 0/0, et il n’y aura que les gens qui ne savent pas se décider selon les circonstances, qui éprouveront ce placement de leurs capitaux. Il me paraîtrait qu’il serait contre les principes de cette Assemblée, dans ce cas unique, de ne pas accorder l’intérêt à 4 0/0, puisque ni l’Assemblée, ni les créanciers n’ont pu le prévoir. La nation aurait un moyen pour dédommager cette dernière classe, en la traitant comme la précédente; ce serait de faire paraître son règlement sur l’aménagement des forêts et bois, auquel les particuliers, comme les corps administratifs, seraient également obligés de se conformer, et de recommencer, pour les forêts et grands bois des domaines nationaux, la même opération qui va être faite pour les immeubles mis en vente. On voit que toute la justice qui est au pouvoir de la nation est rendue aux créanciers de l’Etat ainsi qu’aux contribuables, et que cette opération n’excite, dans le royaume, aucune grande commotion. Pour satisfaire la nation, les directeurs du Trésor national iront tous les mois vérifier le registre de recette du caissier de l’extraordinaire, en le comparant avec les états envoyés par les préposés aux ventes ; ils signeront l’état imprimé ainsi que l’état du million qui doit se distribuer par la voie de loterie, quand il se trouvera ce numéraire dans la caisse. Le public sera à portée de suivre l’opération de cette liquidation et finira par savoir la somme à laquelle s’est élevée la vente des domaines nationaux et celles de la dette. Les directoires de départements et de districts veilleront pour la nation à la conservation de ce gage par toute la force publique dont ils disposent, ce qui doit être une de leurs fonctions les plus sacrées. La France n’a besoin, pour tout supplément de numéraire, que d’assurer les payements réguliers du Trésor national. M. de Cîoay demande la parole. On observe qu’il a déjà été entendu dans cette question, [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1790.J 55 L'Assemblée décide qu’il ne sera pas entendu. M. Vernier. Avons-nous besoin d’un papier quelconque ? Le papier portera-t-il intérêt ? En émettra-t-on de plusieurs espèces ; quelle en sera la quotité? Telles sont les questions que je vais parcourir successivement. Je promets d’être très court. Avons-nous besoin d’un papier quelconque ? Oui, n’hésitons pas à le prononcer : l’insuffisance de notre numéraire nécessite cette délibération. Cette insuffisance est accrue par les circonstances, l’exportation et le resserrement. Les trois cinquièmes de l’argent sont comme s’ils n’existaient pas. La nécessité d’accélérer les ventes des biens nationaux donne un grand motif à la création d’un signe quelconque. Ce ne sont plus des spéculations lointaines qui peuvent remédier à nos maux, il faut des secours réels et prompts, comme les maux qui nous menacent : l’activité du commerce et le bonheur de la France en dépendent. Concluons donc qu’il faut un remède ; c’est un papier. Ce papier portera-t-il intérêt ? En émettra-t-on de plusieurs espèces ? Si vous lui donnez intérêt, tout est manqué. Celui que vous avez accordé aux assignats n’a été qu’un bénéfice de plus pour l’agiotage. Ce que l’on pourrait faire, ce serait d’accorder une espèce de prime à ceux qui achèteraient des biens nationaux. On demande si ces biens suffiront pour l'extinction des assignats ? Cette objection est la plus vaine et la plus futile de toutes celles qu’on peut faire. Combien de nations, ayant un numéraire fictif bien plus considérable que celui qu’on nous propose, n’en ressentent point de mauvais effets, quoique leur papier n’ait pas d’hypothèque foncière ! J’ai donc eu raison de dire que l’objection était dérisoire. Émettra-t-on des assignats, des quittances de finances ou des obligations nationales? L’Assemblée, éclairée parla discussion, animée par son zèle pour le rétablissement de la chose publique, prendra le meilleur de tous les moyens. Les assignats sont un papier utile à l’agriculture, au commerce et auK manufactures, je pencherais donc de ce côté , je ne conçois pas comment on a pu proposer des quittances de finances. Les créanciers de l’État viennent sans cesse au comité nous (lire qu’ils sont poursuivis par ceux à qui ils doivent. Comment pourrait-on leur donner en payement un papier qui ne leur donnerait aucune facilité pour satisfaire leurs créanciers ? Dernière question ; Quelle sera la quotité des assignats émis ? Voilà, sans doute, ce qu'il y a de plus important et de plus difficile à résoudre. L’on peut faire une émission progressive jusqu’à la concurrence de tous les biens nationaux’, mais cette progression doit être statuée et l’on doit en fixer le terme. La première émission, par exemple, pourrait être de 4 ou 500 millions, et celles qui doivent succéder n’excéderaient pas la valeur des biens aliénés. Par là vous prévenez l’engorgement et vous rapprochez tous les systèmes. Personne ne peut dire : Ce plan est parfait et je réponds du succès. Le sage dit : Je crois que ce moyen est bon, on n’en proposa pas de meilleur. Il faut donc prendre ce parti qui présage du succès sans trop faire craindre le danger. Il faudrait aussi avoir un emprunt viager toujours ouvert, arce que ceux qui ne pourraient acquérir des ieus nationaux porteraient leurs assignats dans les caisses de l’emprunt. Je vous ai fait part de mes réflexions, et sans proposer aucun parti je les abandonne à votre jugement. M.Démeanier (1). Messieurs, les défenseurs les plus zélés du système qui rembourse la dette exigible en assignats-monnaie, convenant de la hardiesse et même des dangers de l’opération, avouant qu’ils ne l’adoptent que parce que les autres mesures ont plus d’inconvénients, c’est pour nous une obligation rigoureuse d’en examiner soigneusement les détails et les comparer aux autres moyens qu'on a proposés. La question étant d'ailleurs très compliquée, le parti qu’on prendra pouvant amener une subversion générale des propriétés et Égs fortunes, pouvant renverser la Constitution que vous élevez avec tant de peine, chacun de nous doit écarter les préventions et appliquer toutes les forces de son esprit à une discussion si importante. Puisqu’il s’agit enfin d’éviter une grande erreur qui ne serait plus susceptible de remède, qui ferait oublier les nobles travaux de l’Assemblée nationale , nous serions coupables, si des considérations quelconques S’emportaient sur notre devoir; et si, dans la crainte de déplaire , nous redoutions de nous montrer dans une délibération d’où dépend le sort de l’Etat. Je ne perdrai pas de vue ces vérités. Écartant les questions secondaires qui seront la matière d’une autre délibération, j’examinerai impartialement, et sans aucune crainte, les avantages et les inconvénients des divers moyens de rembourser la dette exigible ; et après les avoir comparés, l’un à l’autre, je présenterai avec franchise le résultat de mon opinion sur la question principale. En déclarant que les biens du clergé et les domaines de la couronne sont des propriétés nationales, vous aviez dissipé toutes les inquiétudes sur l’abîme des finances ; vous vous trouviez dans une position inespérée: on était sûr de l’exécution paisible du premier de vos décrets, qui a mis la dette de l’Etat sous la garde de l'honneur et la loyauté du peuple français : les bons citoyens vivaient tranquilles sur cet objet, lorsqu’un système hasardé, lorsque des combinaisons irréfléchies, adoptées par l’éloquence et le patriotisme, sont venus, au milieu d’un si grand nombre de sujets d’inquiétude , nous jeter dans une situation d’autant plus périlleuse, qu’elle est l’ouvrage de l’Assemblée elle-même , et qu’elle nous prive de cette réunion de courages et de volontés , qui a fait jusqu’ici notre force et nos succès. On est frappé d’abord des circonstances où l’on propose de créer pour deux milliards d’assignats-monnaie; c’est parmi les orages de la plus grande des révolutions ; c’est à une époque où l’Etat, qu’ila fallu désorganiser pour le soumettre à une régénération complète, n’a pas encore l’habitude de la soumission aux pouvoirs publics, établis par la Constitution ; c’est dans un temps où la confiance inséparable de l’ordre ne peut exister, où les ennemis du bien public cherchent toutes les occasions de faire naître du désordre, qu’on nous propose cette mesure. On ne peut s’empêcher de remarquer ensuite qu’on la propose à la nation française, c’est-à-dire à un peuple qui, en accueillant à une épo-(1) Le Moniteur ne donne qu’une Analyse du discours de M. Démeunier. 56 [Atsemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* (18 septembre 1790.] que peu éloignée de nous, un système de numéraire fictif, excédant toute proportion et toute mesure, a donné un exemple de banqueroute et de bouleversement dans les fortunes et les propriétés, unique dans les annales du monde ; qui a inspiré une telle frayeur des opérations de ce genre, qu’il ne peut même apercevoir ce que le système de Law avait de raisonnable ; qui est ainsi, de tous les peuples, celui dont il faut ménager les opinions et les préjugés avec le plus de soin. On est donc tenté de croire, sans autre examen, qu’il est convenable de rejeter les deux milliards d’assignats-monnaie, qu’en les supposant bons partout ailleurs, ils seraient mauvais en France, et principalement à l’époque où nous sommes ; que l’ancienne prévention des Français ruinerait seule une opération qui présente d’ailleurs des dangers si terribles. Si, laissant ces accessoires à l’écart, on consulte l’expérience des peuples sur le résultat d’un numéraire fictif trop considérable, on voit que le papier-monnaie a toujours inspiré de la défiance; qu’un discrédit plus ou moins grand l’a toujours frappé ; que l’accroissement de la valeur des denrées en a toujours été la suite ; que cet accroissement s’est élevé pour l’ordinaire à un taux effrayant; que partout on a contenu les murmures et les violences à l’aide du despotisme et de la supercherie, et qu’enfin les raisonnements insidieux ou les prestiges de l’art oratoire ne peuvent anéantir ces vérités. Je sais qu’on ne doit pas assimiler nos assignats à ces papiers-monnaie qui n’ont qu’un gage chimérique, et dont les banques et les gouvernements, abusant de la crédulité du vulgaire, ont fait un usage si scandaleux. Je sais que leur émission sera progressive ; mais ces assignats qu’on ne mettra pas tout à coup dans la circulation, qu’on regardera, si l’on veut, comme des lettres de change sur les propriétés territoriales, quoique le premier caractère d’une lettre de change soit d’être payée à une époque fixe, ne seront point remboursables à volonté. Us seront du papier ; malgré la sûreté de son hypothèque, les ouvriers, les hommes peu éclairés ne le compareront jamais à l’argent; et si votre puissance a renversé tant d’abus, si elle a fait disparaître un si grand nombre de préjugés, elle échouera ici, parce que, d’un côté, les explications ne sont pas à la portée de tout le monde, et que, de l’autre, les malheurs, en se précipitant, ne vous laisseront pas le loisir d’éclairer le peuple. Avant d’exposer les suites désastreuses du système que je combats, il est à propos de retracer rapidement les avantages qu’on lui suppose, et de prouver que ces avantages sont nuis ou exaérés. On nous dit qu’il précipitera la vente des omaines nationaux ; qu’il en augmentera la va' leur; qu’il attachera tout le monde à la Révolution ; qu’il arrachera promptement les domaines nationaux des mains des municipalités et des corps administratifs , qui ne peuvent les bien régir ; qu’enfin si on ne l'adopte pas, il faudra surcharger le peuple d'impôts , pour payer l'intérêt des quittances de finances, et que cet accroissement d'impôts sera de cent millions. Mais est-il prouvé que les quittances de finances ralentiraient la vente? N’y a-t-il pas lieu de penser, au contraire, qu’elles la rendraient plus prompte, puisqu’en général elles appartiendraient à la classe aisée des citoyens, qui, ayant éloigné ses capitaux du commerce, serait plus disposée à les employer à l'achat des biens-fonds ; que, d’ailleurs, les deux milliards d’assignats, répandus dans des millions de mains' affaibliraient pour chacun des individus, porteurs de quelques-uns de ces assignats, le désir de les réaliser en terres-L' accroissement de la valeur des domaines nationaux est plus sûr ; mais si l’opération est injuste, immorale et dangereuse, certes on ne doit pas se permettre d’insister sur cet accroissement; et on verra, par la suite, que l’émission, même progressive, de deux milliards d’assignats-monnaie, serait injuste, immorale et dangereuse. On s’écrie qu’ow attachera tout le monde à la Révolution; mais ce sont les anciens magistrats et les officiers ministériels supprimés, ce sont les financiers et les faiseurs de service, ceux qu’enrichissaient les anciens abus, qu’il faut attacher à la Révolution , et les quittances de finances en offrent le seul moyen; car on a tout fait pour le peuple, et il connaît trop ses intérêts pour ne pas aimer une Révolution qui l’a tiré de la servitude et lui a rendu tous ses droits. J’ajouterai que les assignats-monnaie, et surtout les petits assignats de 50 et 25 livres, peuvent seuls le tourner contre vous. De combien de remarques ce prétendu avantage serait susceptible ! Il faudrait d’abord examiner si les mécontents peuvent arrêter la Révolution; si l’on peut, sans nécessité, faire usage d’un poison si actif; s’il est raisonnable d’ajouter cette cause de désordre et de dissolution à toutes celles qui nous environnent et qui sont inséparables de la belle entreprise que nous avons formée; si ce n’est pas une dérision d’insister sur ce point, lorsque les adversaires des deux milliards d’assignats soutiennent que tout ce papier-monnaie produira, parle surhaussement du prix des denrées, un bouleversement général ; si c’est par la cupidité qu’on peut attacher les Français à la nouvelle Constitution; s’il est permis de compter sur d’autres appuis que la raison et la justice ; si les porteurs d’une quantité d’assignats, excédant toute mesure et toute proportion, ne deviendraient pas, en quelques mois, autant d’ennemis des lois que vous avez faites; si ce n’est pas le dernier terme de l’imprudence de rechercher de faibles avantages, en compromettant notre liberté et celle du genre humain; si l’on peut faire valoir cette raison, lorsqu’on vous répond que l’infâme banqueroute, pouvant être, devant être la suite de deux milliards d’assignats-monnaie, on s’expose à flétrir, auprès des contemporains et auprès de la postérité, et l’opération en elle-même, et ceux qui l’auraient faite, et la grande cause nationale à laquelle on l’aurait attachée. Je demanderai, en outre, s’il est juste de ne voir ici que des calculs arithmétiques ; si dans une question qui est peut-être la plus abstraite et la plus étendue de toutes celles de l’économie politique, il est convenable de ne présenter qu’une idée simple qu’on peut contester, et s’il ne faut pas calculer aussi les émeutes, les séditions et les innombrables désordres qu’on a lieu de redouter? On arrachera, nous dit-on , les domaines nationaux des mains des municipalités et des corps administratifs qui ne peuvent les bien régir. Si cet avantage est réel , si on ne peut l’obtenir d’une autre manière, il doit être compté pour quelque chose. Mais il s’agit de savoir si une proportion démesurée d’assignats-monnaie entraînera des désordres et des émeutes, car alors on s’expose à retarder la vente, au lieu de l’accélérer. Et, en effet, pour faire, pour achever les ventes, on a besoin de tranquillité et d’une soumission entière à la loi et aux pouvoirs publics. (ÀMemblée national».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1T90.J Î57 D’ailleurs en fixant le dernier terme de la vente à deux années, ainsi que je le proposerai, on ménage à l’opération toute la promptitude dont elle est susceptible. Si vous n’ adoptez pas les deux milliards d’assignats-monnaie, il faudrd surcharger le peuple d’impôts pour payer l’intérêt des quittances de finances, et cet accroissement d'impôts sera de cent millions. Tel est le cri, mille fois répété de nos adversaires, et j’avoue que l’un de mes co-députés, dont je connais les lumières, M. Anson, m’a étonné hier en présentant un calcul aussi faux. C’est ainsi qu’on égare l’opinion, et qu’on se trompe soi-mème en se livrant sans réflexion à un sentiment estimable. D’abord cette raison semble être tirée du code perfide où sont consignées les ruses avec lesquelles on séduit les hommes. On oublie tout simplement ici le revenu des domaines nationaux : on évalue à 70 millions le revenu des biens seuls du clergé; il y a lieu de croire qu’il excède cette somme. Mais quand on voudrait le réduire à cause de la mauvaise administration de tous les petits corps chargés de la perception ; quand on accorderait aux quittances de finances un intérêt de 5 pour 100 (taux qu’on pourrait sans injustice réduire ou borner aux six premiers mois et graduer ensuite sur une proportion décroissante), n’a-t-on pas démontré « qu’en supposant deux ans pour la vente, on aurait seulement à payer pour un an, qui est le terme moyen, la différence entre la valeur du revenu des biens nationaux et l’intérêt de ces sommes; c’est-à-dire à cause des 400 millions d’assignats, la différence des 70 millions à 92, ou 22 millions, si on donne pour 1,600 millions de nouveaux assignats; et celle de 70 à 117, ou 47 millions, si on en distribue encore pour deux milliards et 100 millions? » Puisqu’on reproduit toujours cette objection, il faut répéter la réponse décisive qu’on a faite; et la voici: « que l’on n’impose pas les intérêts de la dette exigible; que dans les deux années, terme auquel on peut fixer la durée des ventes, ils soient compris avec les remboursements, ce qu’il est aisé défaire, même sans retarder le payement de ces intérêts; ..... Qu’ensuite, après deux ans, lorsque les biens nationaux, aliénés à des particuliers, auront ouvert une nouvelle source de richesses, lorsque les mouvements, causés par la Révolution, dans la distribution des richesses et des travaux, auront fait place à un nouvel équilibre, l'on fasse un nouveau calcul, et qu’alors l’un proportionne l’impôt au besoin. » Je le répéterai, enfin, l’argent qu’il faudra acheter pour la solde des troupes, pour les ateliers de charité et beaucoup d’autres objets, le surhaussement du prix des munitions de la marine et de la guerre, ne serait-il pas plus onéreux au Trésor public que l’intérêt des quittances de finances ou des obligations nationales ? Les avantages que font valoir les partisans des deux milliards d’assignats-monnaie sont donc nuis ou exagérés. Si j’analyse maintenant l’effet de deux milliards d’assignats jetés dans la circulation, et je le redis encore, je l’ai bien entendu, l’émission sera progressive, n’est-il pas aisé d’y faire apercevoir des inconvénients et des dangers de toute espèce? D'abord, ils augmenteront le prix des denrées; l’accroissement de valeur des objets de première nécessité sera tel qu’on défie d’en calculer le terme. Plusieurs des préopinants ont déjà démontré ce point. Je me bornerai à un raisonnement qu’on a oublié : ou les deux milliards d’assignats feront reparaître l’argent, comme on ose le dire, ou ils achèveront de le faire disparaître. Dans la première hypothèse, les signes représentatifs doubleront ou augmenteront dans une proportion quelconque; et alors il faudra une quantité plus grande de papier pour obtenir, dans les échanges, la même quantité de marchandises ou la même mesure d’une denrée. Gela est si vrai que le prix des marchandises et des denrées ne s’accroît, chaque année, en Europe, que parce que, chaque année, les trésors de l’Amérique viennent augmenter la masse de nos espèces; que depuis la découverte du Nouveau-Monde, on peut suivre, d’une année à l’autre, la progression de la valeur des denrées sur l’argent. Si les deux milliards d’assignats achèvent de faire disparaître le numéraire ; d’après cette vérité triviale : l’argent vaut mieux que le papier qui n’est pas remboursable à vue; le propriétaire d’un objet de première nécessité, le vendra plus cher, si on demande à le payer en papier. Dans son évaluation, ce propriétaire comptera les dangers à courir, les terreurs vraies ou fausses de son esprit, la mauvaise chance des événements futurs que l’imagination exagère toujours dans les pays agités; mille causes de cette nature aviliront le papier et augmenteront la valeur des denrées. On assure que les assignats mettront de l’aisance dans les affaires. Oui il y aura quelques jours d’illusion, et bientôt l’effroyable misère paraîtra. Et qu’on ne me dise pas que le prix des salaires se proportionnera à celui des denrées; c’est une grande erreur du système des économistes; c’est sur une idée chimérique, jouer la subsistance du pauvre. Quand on conviendrait qu’une longue suite d’années doit produire cette espèce d’équilibre, tout le monde étant d’accord que la prompte aliénation des domaines nationaux est nécessaire, il n’y aurait pas assez de temps pour soustraire le travail des pauvres à la tyrannie des riches. Le système des assignats-monnaie serait donc très nuisible au pauvre; il mettrait donc les honnêtes gens à la merci des fripons ou des propriétaires avides; il ferait donc 24 millions de dupes, pour enrichir un très petit nombre d’hommes d’une coupable habileté. L’effet des assignats-monnaie, dans les grandes villes, présente des calamités d’un autre genre; et quel est l’homme assez aveugle ou assez intrépide, pour dire : ces malheurs n’arriveront pas, ou bien nous saurons les braver ? Les dernières classes des citoyens, les ouvriers, les rentiers, dont le revenu suffit à peine à leur subsistance, dans les temps ordinaires, se trouveraient bientôt sans ouvrage ou sans ressources. Leur désespoir ne ménagerait plus rien; d’impérieux besoins leur donneraient de la fureur; et leurs trop justes malédictions poursuivraient les auteurs de leurs maux. Certes, la délibération qui nous occupe étonne de bien des manières; mais ce qui doit le plus exciter de surprise, c’est que, dans les circonstances où nous sommes, l’Assemblée nationale paraisse indécise sur cette question. Car, enfin, avec une force publique qui n’est pas consolidée, avec de nouveaux pouvoirs et de nouvelles lois qui n’ont pas encore acquis toute l’autorité qu’ils obtiendront, au point d’exaltation où sont les esprits, qui pourrait garantir les propriétés? Qui pourrait répondre de contenir le peuple, le jour où la livre de pain augmenterait d’un sol dans tout le royaume? Qui pourrait le contenir dans la capitale et dans les grandes villes? J’interpelle ici les partisans des deux milliards d’assignats-monuaie; qu’ils osent traiter 5g (AifMbUfe BiUonal«.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ces craintes de chimériques ! Il serait donc très imprudent d’exposer les grandes villes aux catastrophes que je viens d’indiquer. Si le projet que je discute étaitadopté, si l’opinion de quelques hommes trompés, sans doute, entraînait vos suffrages, ne voyez-vous pas, Messieurs, qu’au moment où l’on apprendrait cette désastreuse résolution, les citoyens sages, les citoyens timides, les gens riches ou aisés, songeraient à abandonner la France, et feraient tous les sacrifices pour soustraire au naufrage une partie de leur fortune ? L’asile le plus incommode ou le plus éloigné leur semblerait préférable à une contrée, où les suites d’un rêve enfanté par la cupidité en délire anéantiraient le seul espoir qui nous soutienne dans nos travaux, l’espoir de la paix et de la liberté. Les assignats-monnaie achèveraient donc de diminuer les ressources d’un pays, d’où le mécontentement, le préjugé et l’amour du repos ont éloigné tant de familles. Je demanderai, de plus, si nos manufactures et notre commerce soutiendraient la concurrence avec les fabriques et le commerce de l'étranger? si nos ateliers pourraient se relever du coup qu’ils ressentiraient? si le désavantage de nos changes n’anéantirait pas très promptement cette balance de 60 millions que nous payent les autres peuples, et sur laquelle on a fait hier un sophisme bien grossier? Et lorsque les nations tributaires de notre industrie ne nous payeront plus rien, ou nous payeront une somme très faible, que deviendront ces millions d’ouvriers qui, déjà, éprouvent de la détresse? Je demanderai si en moins de deux ans les restes du crédit commercial de la France au dehors, ne seraient pas épuisés? Si nos manufactures languissantes depuis quelques années, par la faute de notre gouvernement, et l’habileté des gouvernements voisins, ne verraient pas consommer leur ruine? J’invoquerai ici le témoignage des villes de commerce et des négociants les plus éclairés : si quelques villes, si quelques négociants ont paru favorables au système que je combats, c’est que les hommes ne portent pas assez leurs regards hors de l’enceinte où ils se trouvent. Les deux milliards d’assignats-monnaie, on ne peut en douter, causeraient donc une perte irréparable à notre commerce. Et cependant on les vante comme le remède universel qui doit vivifier le commerce, qui doit tout ranimer. On assure qu’ils formeront une rosée bienfaisante, qu’ils deviendront une abondante mine d’or. C’est, nous dit-on encore, le mouvement qui animera tout, qui réparera tout; c’est un germe de vie qui manque à la société, et qu’il faut lui donner; et pour qu’on ne doute pas de tant de magnifiques promesses, on observe que la société sera dissoute, si les assignats ne valent pas des écus. — Oui, sans doute, les deux milliards d’assignats-monnaie seront une pluie d’or pour quelques agioteurs ; mais d’ailleurs ils répandront la stérilité et la misère. Dans le pompeux étalage de leurs effets sur le commerce, on n’a pas manqué de dire qu’ils diminueraient l’intérêt de l’argent ; mais si cette assertion est de bonne foi, si c’est par inadvertance qu’on ne parle pas du surhaussement du prix des salaires qui excéderait le bénéfice résultant de la diminution de l’intérêt, on ne voit le commerce que dans les remueurs de papiers, et on ne le voit pas où il est, c’est-à-dire dans les fabriques et les ateliers. Voici une seconde réponse : la cupidité, qui jamais ne sommeille, se met trop à découvert ; elle ne craint pas la ser-[18 septembre 1790.) vitude ; pour en sortir, elle ne veut faire aucun sacrifice; au milieu d’une Révolution qui établit la liberté publique, elle ne veut pas qu’il y ait d’interruption dans ses profits; on le conçoit: mais elle pourrait cacher cette disposition ; car enfin, l’intérêt de l’argent ne peut diminuer avant le retour de l’ordre et la parfaite consolidation des lois, c’est un axiome qui n’est ignoré de personne, et en le laissant à l’écart, ne donnera-t-on pas lieu de penser qu’on veut mettre en usage tous les moyens de séduction et se conformer à tous les goûts ? On vient de voir que les partisans des deux milliards d’assignats-monnaie présentent, à l’appui de leur système, de prétendues vérités qui sont d’une fausseté évidente. Je vais relever une autre assertion bien plus extraordinaire. On ose soutenir que les quittances de finances favoriseraient l’agiotage, peste que les assignats peuvent seuls détruire. Cette objection est étrange. Voyez dans la supposition des deux milliards d’assignats-monnaie les capitalistes et les joueurs, qui ont eu soin de préparer leur coup à l’avance, arrivant avec quelques millions en espèces, faisant, dès les premiers mois, baisser les assignats de 10, de 20 pour 100 ; gagnant ainsi 20 pour 100 à les échanger contre des écus ; payant au même instant, avec ces assignats, les dettes qu’ils auraient eu soin aussi de contracter à l’avance; voyez leurs émissaires courant les divers pays de l’Europe, où l’on a transporté quelques parties de notre numéraire; voyez-les intéressant les capitalistes étrangers, pour mieux assurer le succès de leurs immorales spéculations ; voyez-les tenant les citoyens honnêtes dans un véritable coupe-gorge; suivez-les, si vous le pouvez, dans leur marche ténébreuse, ils y mettent en usage toutes les ruses, toutes les perfidies de cet art infernal, de la baisse et de la hausse artificielle des effets publics ; art, qui de nos jours, a été porté à la perfection qui déshonore la France, et que vous devez proscrire avec indignation. On se souvient que lors du système de Law, on vit s’élever quelques fortunes monstrueuses au milieu de l’Etat ruiné dans toutes ses familles. Les deux milliards d’assignats-monnaie seraient donc très utiles aux agioteurs qui vendraient l’argent au poids de l’or, ou à des hommes perdus de dettes qui répareraient leurs affaires. Les uns et les autres, après s’être enrichis plus ou moins, iraient au loin jouir de leur proie, et rire de notre sottise et de notre misère. Vous avez déclaré plusieurs fois, Messieurs, que vous chercheriez à diviser les domaines nationaux, à les mettre à la portée des petits cultivateurs ; et, conformément aux vues de bienveillance et de justice qui vous ont toujours animé en faveur des habitants de la campagne, vous avez voulu restreindre le nombre des grands propriétaires, diminuer l'inégalité des fortunes territoriales, autant qu’il est possible de le faire dans une vaste contrée où, depuis la fondation de la monarchie, un petit nombre d’hommes, maîtres de tout, n’abandonnaient, au reste de la nation, que de misérables salaires. D’après ces intéressants motifs, vous n’avez demandé qu’une somme modique au moment de l’acquisition ; vous avez laissé douze années pour payer le reste : eh bien, on a démontré que les deux milliards d’assignats-monnaie tendraient à exclure de ces acquisitions les petits cultivateurs et les petits propriétaires ; que le porteur d'assignats, devenus trop nombreux, payera 30,000 francs en papier, ce qu'il n'aurait voulu payer que 20, 000 frûnûs 80 [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [18 septembre IT90.] en argent ; que ce haussement indéfini de prix exclura le cultivateur et le petit capitaliste qui n'a que de l'argent. Cette disposition si populaire, si favorable au pauvre, qui lui permet de payer en douze ans, que la nécessité obligera vraisemblablement de modifier dans le système des obligations nationales, il faudra donc la révoquer tout à fait dans celui des partisans des assignats-monDaie. Il arriverait en effet de deux choses l’une : au premier moment de discrédit, que nos troubles intérieurs accroîtraient, précipiteraientde millema-nières, les porteurs d’une somme considérable en assignats, ou se jetteraient sur les terres pour un gage si hasardeux, et alors les bons effets de la clause de douze ans ne subsisteraient plus ; ou les ventes n'éprouveraient aucune rapidité, et alors il faudrait, durant douze années qui ne peuvent être fort tranquilles, laisser dans la circulation environ un milliard de papier-monnaie, c’est-à-dire prolonger un moyen terrible, qu’on nous vante comme le seul expédient qui puisse promptement nous tirer d’affaire. Ce serait donc violer nos propres décrets, renoncer à l’esprit qui nous a constamment animé, oublier les intérêts du pauvre, que de rembourser toute la dette exigible en assignats-monnaie. Pour mieux nous séduire, on représente cette mesure comme la seule vraiment équitable à l’égard des porteurs de créances exigibles : on dit, ce dont tout le monde tombera aisément d’accord, qu’il faut les autoriser à payer leurs créanciers bailleurs de fonds avec le remboursement qu’ils recevront du Trésor public; et c’est ainsi que, sous le voile d’une idée morale, appliquée à deux individus, on part d’un point à peu près convenu, pour arriver à un résultat qui serait une véritable injustice envers la nation entière et des millions de citoyens en particulier. Cette nation et ces millions de citoyens ont aussi des droits qu’il faut respecter. D’abord, je demanderai qu’elle était la certitude de l’hypothèque du bailleur de fonds sur une charge de magistrature ou de finance, sur un office ministériel, ou sur un cautionnement? les ressources d’un gouvernement abîmé sous le fardeau de ses dettes? le Trésor royal qui ne pouvait plus être alimenté que faiblement, et qui consumait ses recettes en prodigalités et en folles dépenses ? L’ancienne machine de ce gouvernement s’écroulait; la banqueroute, une insurrection désordonnée contre les abus étaient inévitables : ainsi les bailleurs de fonds couraient d’extrêmes dangers; iis allaient éprouver de grandes pertes. On régénère la nation, on fait une Constitution, on réforme tous les abus, on établit des barrières qui les empêcheront de renaître, on rembourse le créancier immédiat; mais en le remboursant avec une quittance de finance; si l’on oblige le bailleur de fonds à la recevoir sans pouvoir la transmettre autrement que de gré à gré, je demande s’il pouvait transmettre autrement son titre sur le titulaire d’une charge, ou le propriétaire d’un cautionnement? si son gage précaire, transformé en hypothèque sur les domaines nationaux, garantie car ta nation, et à l’époque où ses représentants ont mis toutes les dettes de l’État sous la garde de l’honneur et de ia loyauté du peuple français, n’est pas beaucoup plus “sûr ? s’il ne doit pas se regarder comme fort heureux? D’ailleurs, le bailleur de fonds sur des charges ou des affaires abusives, n’est pas exempt de tout reproche, et il ne pourrait imputer qu’à lui les suites de son imprévoyance ou de sa cupidité. J’observerai en passant qu’on a donné lieu à la confusion des idées, en appelant du nom de créances exigibles, des parties qui ne sont point exigibles, en réclamant un titre uniforme pour toutes ces créances; et certes c’est s’exposer à des longueurs et à un travail inutile. On peut, sans dénaturer le titre, lorsqu'il n’y a point de liquidation à faire, admettre ce titre à la vente des domaines nationaux ; y admettre, par exemple, tels qu’ils sont, les bordereaux ou les coupons d’intérêt des emprunts à terme. S’il y a des bailleurs de fonds hypothécaires sur ces papiers, on peut les subroger au propriétaire apparent, et, dans Tune et l’autre hypothèse, personne n’aurait le droit de se �plaindre. Quoi ! parce que le despotisme avait tout enchevêtré, avait tout corrompu, la nation ne pourrait redevenir libre! Elle serait obligée de souffrir des abus, parce que le Trésor public n’aurait pas des milliards en espèces pour les remboursements! Pourquoi ne parle-t-on ici que des porteurs de créances exigibles et de leurs bailleurs de fonds, et par quel étrange renversement d’idées ne compte-t-on ni les intérêts de la société entière, ni ceux des millions de citoyens qui ne sont ni créanciers du Trésor public, ni bailleurs de fonds sur les charges de magistrature ou de finance, les offices ministériels ou les cautionnements? Rembourser les créanciers immédiats en quittances de finance, en les autorisant à s’acquitter de la même manière envers ceux qui ont prêté la totalité ou une partie de leurs fonds d’avance; admettre à la vente des domaines n>- lionaux, les titres liquides, tels qu’ils sont, des créanciers immédiats, en offrant la subrogation à leurs créanciers bailleurs de fonds, c’est donc rendre à ceux-ci un véritable service, que l’équité n’ordonne pas ; mais adopter l’expédient des assignats-monnaie, c’est ruiner les derniers porteurs de ces assignats; c’est vouloir fouler et ruiner le peuple dans les temps à venir, parce qu’on Ta ruiné dans les temps passés, parce qu’un gouvernement dissipateur avait imaginé de vendre des charges, de vendre le droit de pressurer et de fouler le peuple: c’est préparer nous-mêmes l’esclavage et la misère de la France, que nous voulons, que nous devons rendre libre et heureuse. Nous aurons à rendre un corn de sévère du parti que nous adopterons dans une question qui menace d’une subvention générale, les fortunes et les propriétés. Si Ton décrète deux milliards d’assignats-monnaie, au lieu de la reconnaissance que nous avons lieu d’espérer à la suite de nos infatigables travaux, j’ai peur que la France entière ne nous accable de son mécontentement. Il est de notre devoir de braver la haine des ennemis de la Constitution : il faut supporter les plaintes et les reproches , lorsque l’inflexible règle de la justice et de la nécessité a dicté nos décrets. Ce que nous avons fait pour réformer les abus, nous le ferions encore; mais, parce que rien ne peut nous résister, faire un usage aveugle de la puissance qui nous e�t confiée; consacrer par une loi le plus cruel et (pourquoi craindrais-je de le dire?) le plus insensé île tous ses systèmes ; jouer ainsi les intérêts de la nation, jouer ainsi ia liberté, la fortune et 1a tranquillité publiques : ce serait le comble de l’imprudence, et rien ne pourrait nous justifier. Ce n’est pas tout ; et cette dernière considération, je le présume, frappera les vrais amis de la liberté. Quand l’émission de deux milliards d’assignats-monnaie n’entraînerait pas promptement 0Q (Assemblée nationale.) les suites désastreuses qui me paraissent inévitables, l’opinion publique, qui fait la force de tous vos décrets, s’étant montrée, je ne dirai pas absolument contraire, mais peu favorable en cette occasion, les citoyens, dans leur terreur de l’avenir, ne s’écrieraient-ils pas qu’il est impossible de souffrir l’unité du Corps législatif? Pour prévenir des opérations si cruelles, n’y aurait-il pas à craindre que la nation ne désirât deux Chambres? Vous saperiez donc vous-mêmes l’une des bases de votre Constitution. J’ai fait voir que les prétendus avantages de deux milliards d’assignats-monnaie sont nuis ou exagérés. Je crois avoir prouvé: 1° qu’ils augmenteraient les prix �.des denrées, et que ce surhaussement serait très nuisible aux journaliers et aux pauvres citoyens ; 2° que les désordres qu’ils feraient naître dans les grandes villes sont incalculables, et qu’on ne peut même conserver l’espoir de les réprimer; 3° que loin de rappeler les citoyens, qui, dès le commencement de la Révolution, se sont éloignés de la France, il en résulterait une émigration considérable ; 4° que nos manufactures et notre commerce, au dehors, éprouveraient de grandes pertes ; 5° qu’ils favoriseraient l’agiotage, et qu’on verrait des fortunes colossales, élevées sur la ruine de tous les citoyens; 6° que loin de produire la meilleure vente des domaines nationaux, ils nuiraient, sous plusieurs rapports, à cette ressource précieuse de l’Etat; 7° que sous le vain prétexte d’être équitables envers les porteurs de créances exigibles, on serait envers la nation entière d’une injustice révoltante; 8° que chacun de nous subirait des reproches pour avoir concouru à l’adoption d’un moyen désastreux que la nécessité ne commandait pas ; 9° que vous saperiez vous-mêmes l’une des bases de votre Constitution, puisqu’on s’écrierait vraisemblablement, d’une extrémité de la France à l’autre, qu’il y a trop de danger à souffrir l’unité du Corps législatif. Les modifications qu’a développées hier l’un des préopinants , s'éloignent beaucoup moins qu’on n’a paru le croire du système qui rembourse en assignats-monnaie la totalité de la dette exigible. M. Anson désire qu’outre les assignats-monnaie, on paye en obligations nationales, qui auront une prime de 3 0/0 ; il propose de laisser au créancier remboursable , l'option des assignats-monnaie ou de obligations nationales non forcées, mais portant intérêt. Il offre, pour sujet de tranquillité, un emprunt qu’on pourrait au besoin ouvrir à 4 0/0, et dans lequel on ne recevrait que les obligations nationales. 11 n’a présenté aucun calcul approximatif sur le nombre de ceux que déterminerait le petit appas delà prime en faveur des obligations nationales, et il a bien fait, car il serait peu considérable ; ce projet modifié, qui est une suite de la discussion, donne lieu d’espérer qu’on abandonnera successivement tout ce que le premier plan a de dangereux. Mais il reste beaucoup de chemin à faire : en effet, ce serait une illusion de penser que dans les circonstances où nous sommes, au milieu de tant de sujets d’inquiétudes, on préférât des obligations nationales à des assignats-monnaie. Il est trop évident que chacun voudrait se tirer d’affaire; qu’un très petit nombre de personnes songeraient à la prime, et que toutes ou presque toutes demanderaient des assignats, qui auraient la même faveur dans l’acquisition des domaines nationaux, et qui de plus seraient de la monnaie. Les adversaires de deux milliards d’assignats-monnaie n’entendront jamais à ce moyen de conciliation, à moins qu’on (48 septembre 1790.) ne détermine une quotité, que l’on ne pourra excéder, à moins qu’on ne propose de décréter, par exemple, qu’il n’y aura jamais plus de huit cents millions d’assignats; car enfin on ne s’arrange pas ainsi à l’aventure et d’une manière aveugle dans des choses de cette importance : mais il ne paraît pas qu’on soit encore arrivé à ce point : il faut en convenir d’ailleurs, cette fixation ne laisserait pas l’entière option dont on nous parle maintenant. On est donc réduit à attendre que le progrès de la discussion donne lieu à d’autres rapprochements; les prétendues modifications indiquées par M. Anson sont donc inadmissibles. Parce que 400 millions d’assignats ont réussi, parce que 3 ou 400 millions de plus, devenus nécessaires pour le service de cette année et le commencement de l’année prochaine, et si l’on veut, pour aider sagement la circulation, réussiraient, il ne faut donc pas en conclure qu’une émission qui excéderait toute proportion et toute mesure aurait du succès. On pourrait réduire la question à des termes bien simples. Il faut se débarrasser de la dette exigible : tout le monde est d’accord sur ce point. Les quittances de finances sur les domaines nationaux, avec un intérêt et à des conditions qu’on déterminera, ou l’admission à la vente de ces biens, des titres de créances liquides, sans qu’il soit nécessaire de les dénaturer, sont un moyen naturel, simple et qui ne présente aucun danger. Mais au lieu de cette ressource certaine, que la destinée, qui nous a fait tant de mal, avait du moins mis en réserve pour notre salut, il s’agit de savoir si vous adopterez un autre moyen qui compromettra toutes les propriétés et toutes les fortunes, pour enrichir des agioteurs, pour favoriser inconsidérément un petit nombre de créanciers surchargés d’effets publics, dont peut-être une grande partie a été achetée dans l’espoir de l’opération qu’on vous propose; si sous le prétexte d’être plus que justes envers les porteurs de créances exigibles, vous exposerez les derniers porteurs d’assignats. On a eu soin de s’emparer de l’imagination, en présentant de grandes vues ; d’exalter le courage en faisant ressortir la hardiesse de l’entreprise ; on a répandu au dehors de cette Assemblée, que les adversaires des deux milliards d’assignats-monnaie sont les ennemis de la Constitution : on s’est ainsi permis une lâche calomnie; on a eu l’adresse de masquer les dangers, et de n’offrir que les avantages de son système, de montrer un abîrne ouvert devant nous, comme sites domaines nationaux, quel que soit le papier qui les payera, ne devaient pas combler cet abîme, comme si les assignats-monnaie n’étaient pas un gouffre qui peut engloutir les fortunes particulières, et la fortune et la liberté publique; on a assuré, on a répété, que nous n’avions d’autre moyen de sortir d’embarras: cependant la vente des domaines nationaux est sûre; aucune puissance sous le ciel ne peut l’empêcher ; et vous êtes les maîtres de la terminer en deux ans. Enfin, suivant les adroits calculs de tous les ambitieux qui veulent faire servir les hommes à leurs vastes desseins, on n’a rien négligé de ce qui peut épouvanter les faibles ; moyens futiles, stratagèmes surannés qui, je l’espère, ne feront aucune impression sur les législateurs de la France. De pareilles opérations sont les crimes des despotes et de leurs ministres : elles sont dignes de leur imprévoyance et de leur mépris pour l’espèce humaine; mais elles sont indignes de vous. 11 faut le déclarer à haute voix, le système ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1790*] 0{ de deux milliards d’assignats-monnaie est déraisonnable; il nous a trop occupé, et il est temps de terminer cette longue discussion qui peut-être fera sourire la prospérité. Et moi aussi, je puis le dire, en finissant, « j’atteste la patrie que je ne vous ai rien dissimulé des dangers qu’elle court ». Puisse-t-elle échapper à de si grands périls ! Je conclus à ce que la dette exigible soit remboursée en quittances de finances, dans la forme et aux conditions qui seront déterminées par une délibération particulière, et non pas en assignats-monnaie. Au moment de la délibération, je proposerai de décréter les bases suivantes : Bases à décréter. 1° La somme des assignats-monnaie ne pourra excéder 800 millions ; 2° On déterminera incessamment l’espèce des créances sur le Trésor public qui seront remboursées, et celles dont on dénaturera le titre ; 3° Les créances dont on dénaturera le titre seront remboursées en quittances de finances, ou obligations sur les domaines nationaux, dans la forme et aux condions qui seront fixées par une délibération particulière ; 4° Le créancier bailleur de fonds sur un office, une charge ou un cautionnementdéclarés remboursables, sera tenu de recevoir des quittances de finances en payement ; 5° La vente de la totalité des biens du ci-devant clergé se fera en deux ans; 6° Les directoires de département feront terminer, dans le délai de deux mois, l’estimation de la totalité des domaines nationaux. Je demande, de plus, qu’on recueille les voix par appel nominal, sur le projet d'environ deux milliards de nouveaux assignats-monnaie. M. le Président. Les comités des domaines et de féodalité sont prêts à vous présenter le résultat de leur travail sur les délits qui vous ont été dénoncés ce matin par l’adresse de la municipalité de Versailles. M. Barrère-Vieuzac, au nom du comité féodal et des domaines, lit les pièces envoyées aux comités, relativement à i’ad resse de la municipalité de Versailles ; il fait également lecture de la proclamation du département de Seine-et-Oise. Il résulte des pièces qu’hier et avant-hier les désordres ont augmenté; 2,000 hommes avec des fusils et bâtons ont violé les clôtures du grand parc, et menacent de s’introduire dans le petit : le château même est également menacé. Le comité a appris ce matin par la municipalité que le nombre des séditieux s’était accru d’un tiers. — Le comité pense que la proclamation du directoire du département doit être improuvée, en ce que ce directoire s’est attribué le pouvoir judiciaire; il a ordonné que des informations fussent faites, il a annoncé qu’il punirait les coupables ..... Le comité présente un projet de décret dans la première partie duquel cette proclamation est blâmée; la seconde contient des dispositions relatives aux attroupements. M. Muguet demande la division de la première partie et l’adoption de la seconde. M. Charles de Lameth. Il est de la plus grande importance de prévenir les malheurs qui nous menacent; on ne peut voir sans inquiétude que des hommes égarés, dont le nombre était d’abord peu considérable, sont, en peu de jours, presque devenus un corps d’armée. Je conçois que la municipalité ait exagéré ces attroupements ; mais fussent-ils moins considérables, ils n’en seraient pas moins dangereux. Il faut réprimer, par une grande masse de force , des attroupements toujours inquiétants, parce que les ennemis du bien public sont prêts à en profiter, qu’ils les aient suscités ou non. (Il s'élève des murmures dans la partie droite.) La marche des ennemis du bien public n’est que trop connue. ( Les murmures augmentent).— Quelques membres du côté droit veulent que M. deLamethsoit rappelé à l’ordre, d’autres demandent qu’il nomme ces ennemis du bien public.) Je ne crois pas que quelqu’un veuille s’appliquer ce que je dis; vous devez prendre de sages précautions. Pendant qu’on fait détruire le gibier dans le parc de Versailles, on persuade au roi que l’Assemblée nationale veut l’affliger et le priver de ses uniques plaisirs, on lui conseille de vendre sa vénerie, Quel est le but de ces conseillers perfides? c’est d’indisposer tous les Français contre l’Assemblée nationale en leur faisant croire qn’elle a voulu priver un roi qu’ils aiment, d’un exercice qui lui fut toujours cher. En appuyant la division proposée par M. Muguet, je demande que M. le Président se retire vers le roi pour l’engager à ne pas vendre ses équipages de chasse, pour l’assurer que l’Assemblée prendra toutes les précautions nécessaires pour faire rentrer dans le devoir des hommes égarés et pour qu’on respecte ses plaisirs. Il fautfaire marcher toutes les forces qu’il sera possible de réunir, de l’artillerie, s’il est nécessaire. (Le côté droit murmure.) On fera aisément rentrer dans l’ordre, sans qu’il en coûte du sang, par ce seul appareil (Les murmures augmentent ), car, en vérité, je ne sais si l’on est altéré; mais c’est un cruel breuvage. (Une grande partie de l’Assemblée applaudit.) M. Fréteau. J’appuie l’avis du préopinant. Je désire d’autant plus que l’Assemblée nationale atteste au roi ses sentiments et tous ceux des vrais Français, que je sais qu’on a fait tout ce qu’on a pu pour empoisonner vos intentions, pour tromper le roi sur le décret que vous avez rendu au sujet des forêts royales. Ce décret est calqué sur des dispositions ordonnées par les meilleurs de nos rois. J’ai lu le testament d’un roi Philippe, qui demande pardon à son peuple d’avoir laissé tomber les clôtures de ses parcs et de ses forêts. Louis IX, Charles V, Louis XII ont fait relever celles de la forêt de Fontainebleau, et tous ces rois, dont la mémoire est chère aux Français, n’avaient pas fait autant que Louis XVI pour le bonheur du peuple. J’appuie la proposition de faire un rassemblement considérable de troupes pour dissiper les attroupements. Vous savez qu’on a trouvé à Angers de l’argent sur les séditieux qui ont été arrêtés; des lettres et des avis très nombreux m’attestent que l’argent a été aussi distribué à Nancy et à Brest. Tout se réunit pour faire présumer qu’il y a des malintentionnés, soit au dehors, soit au dedans, et qu’il est important de ne pas laisser la plus légère trace d’insurrection. Je sais que maintenant on travaille les régiments suisses. Ne serait-ce pas les mêmes hommes dont nous avons connu les œuvres à Nancy, à Angers, à Brest, etc.? (Une grande partie de L'Assemblé * applaudit.) On cherctie à détacher les treize cantons de leur