[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [fl septembre 1700.] MR On fait lecture du procès-verbal d’arrestation. « L’an 1790, le 9 septembre, les maire et officiers municipaux et notables d’Arcis-sur-Àube instruits que M. Necker, accompagné do madame son épouse et de MM. Eienne Guiüant, Dubois et Bertrand, ont été arrêtés à la poste aux chevaux par la garde nationale, qui leur a demandé la représentation de leurs passeports, à quoi ils ont satisfait ; « Considérant que l'Assemblée nationale a décrété la responsabilité des ministres de l’Etat, que les passeports en question annoncent la sortie de France de M. Necker, et que la responsabilité devient nulle étant une fois sorti des frontières; le peuple, pénétré des principes de responsabilité s’est déterminé à retenir M. Necker et ses compagnons de voyage, jusqu’à ce que nous ayous reçu des ordres de l’Assemblée nationale pour les remettre en liberté. Le maire de ce lieu est convenu avec M. Necker, ancien ministre de l’Etat, que, pour sa tranquillité et sûreté personnelle, il serait député extraordinairement deux courriers, pour recevoir les ordres et l’expression des intentions de l’Assemblée nationale sur cette arrestation. « Signé: les officiers municipaux d’Arcis-sur-Aube. » M. Afaloaet. L’Assemblée ne balancera pas sur le parti qu’elle a à prendre. Qu’il me soit permis de lui faire remarquer les déplorables effets. . .. (Des murmures s’élèvent.) M. le Président. Y a-t-il opposition à la demande de M. Necker? M. Charles de CminetU. Si l’on ne permet pas de parler,, il n’y en aura pas : si on me laisse parler il y en aura. M. Gaultier de Blâmât. Je demande que M. le Président soit chargé d’écrire à la municipalité de remettre M. Necker en liberté, et à M. Necker pour assurer la liberté de son voyage. M. le Président. La proposition est que votre président soit chargé d’écrire à la municipalité d’Arcis-sur-Aube, pour lui ordonner de laisser aller M. Necker, et d’écrire en outre une lettre particulière à celui-ci. (M. Charles de Lameth demande la parole.) (Des murmures l’interrompent .) M. Charles deCameth. Qu’on dise nettement s’il n’est pas permis de parler dans l’Assemblée, quand il s’agit d’un ministre, et alors je me tairai. M. de Toulon geon. M. Necker est un honnête homme qui a bien servi son pays. M. llalouet. Je réclame la parole, si la discus** sion n’est pas fermée. M. Charles de JCameth. Je demande au moins la permission de proposer la division sur la proposition qui nous est faite. (Nouveaux murmures. On demande à aller aux voix.) M. Jeannet. Je demande qu’il soit voté des remercîments à la municipalité d’Arcis-sur-Aube. M. Camus. Je ne m’oppose pas à ce qu’on écrive à M. Necker; mais je demande à savoir ce qu’on veut lui écrire, et voici pourquoi. M. Necker pense que telle dépense que l'on croit n’être pas justifiée, ne peut plus être examinée, parce qu’elle n’a point été critiquée lorsqu’il l’a soumise à l’Assemblée , Je veux savoir si on lui écrit une lettre pour le féliciter de son administration. M. de Fouegalt. Je demande que l’Assemblée prenne CQunaissancQ de cette lettre. M. üanpassant. Et que défense soit faite à M. Necker ne sortir de France. (On demande à aller aux voix.) M. Jouye-Des-Roches. Je demande la parole pour empêcher l'Assemblée de tomber dans une contradiction manifeste avec ses principes. Après quelques débats, l’Assemblée rend le dé-cret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que son président écrira à la municipalité d’Arcis-sur-Aube de mettre sur-le-champ M. Necker en liberté, et qu’il adressera à M. Necker une lettre qui lui servira de passeport » (1). Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre de M-de Bouillé à M-le président. Cette lettre est ainsi conçue : «s Je viens de recevoir officiellement la proclamation d’une loi,quiapplaudità la valeur des soldats et au dévoûment des gardes nationales employées dans ['affaire de figncy. Le compte que j’avais rendu au. ministre, des excès de la garnison, a dû faire connaître aux vrais amis de la liberté qu’il était nécessaire de prévenir de pareils abus. L’Assemblée nationale avait bien senti que l’exécution de son décret du 16 était le seul moyen qu’on pût opposer à de pareils délits, Quelque flatteuse que fût pour moi la mission de confiance dont j’étais chargé, je ne vous dissimulerai pas que j’ai eu besoin, pour une entreprise aussi délicate, d’être aussi vivement pénétré de l’amour de mes devoirs, de respect et. dp soumission aux décrets de l’Assemblée nationale, et d’un entier dévouement au service du rçfi et à l’exécution de ses ordres. « Le récit, qui a été remis sous les yeux de l’x4.ssemblée nationale, des événements de la journée du 31, déplorable saps doute pour les malheureuses victimes de l’exécutiou des lois, a donné lieu au décret du 3 septembre, où j’ai vu avec autant de sensibilité que de reconnaissance qpe ma conduite avait été approuvée par l’Assemblée nationale. « J’ai fait le serment, à la nation, à la loi et au roi, de défendre de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée, et j’y serai fidèle ; je ne Graips pas que l’on élève avec succès des doutes sur la pureté de mes démarches, et il me suffit d’être intimement pénétré qu’elles ont eu et qu’elles auront toujours pour base tUPP attachement et mon obéissance aux lois, » (Cette lettre est reçue avec les plus vifs applaudissements.) On fait lecture de la lettre suivante ; elle est adressée par le régiment dp M§4, artillerie, à M. le président : « Il est des sentiments que l’éloquence ne peut peindre. La vive émotion que nous a causé la lecture de la lettre dont vous avez honoré notre ré-(1) Voir ce projet de lettre présenté et adopté au cours de la séance, p. 696. f 696 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il septembre 1790.1 giment de la part de l’Assemblée nationale, est de ce genre : chacune de vos expressions a été entendue avec une nouvelle acclamation; nos cœurs semblaient s’agrandir à chaque trait par le développement touchant des sentiments militaires et des vertus patriotiques qu’elle renferme. Nous osons vous assurer que notre chef ne s'est pas trompé, et que même il n’a point exagéré en exprimant à l’Assemblée nationale notre patriotisme, notre zèle pour le bon ordre et notre respect pour la discipline militaire. Plus jaloux de donner l’exemple des vertus que de recevoir les applaudissements qu’elles excitent, nou3 jurons de nouveau à l’Assemblée nationale que nos bras seront toujours prêts pour la défense de la patrie, que nous serons toujours au-dessus des petites passions employées avec trop de succès par les ennemis de rEtat, dans quelques endroits, pour y introduire le désordre : notre courage ne reconnaîtra d’autre motif que le commandement de nos braves chefs, et notre bravoure d’autre barrière que la soumission à leurs ordres et le respect dû à la loi. G’est sous leur conduite que nous saurons intimider les ennemis de la patrie, et donner des preuves de notre attachement inviolable à la Constitution; c’est en vain qu’elle est menacée, le cri de la nature est pour elle, le courage éclairé de ses amis et au-dessus de toute crainte ; dût-elle être gravée en lettres de sang cette Constitution, le nôtre est prêt à couler pour la maintenir. Tels sont les sentiments dont notre corps entier ne se départira jamais, et dont nous vous prions d’offrir l’hommage à l’Assemblée de nos législateurs. » (On applaudit à diverses reprises.) Un de MM. les secrétaires fait lecture de la lettre de M. le président à M. Necker. La voici : « Je me suis empressé, Monsieur, de rendre compte à l’Assemblée nationale de la lettre que vous in’avez adressée et de votre arrestation à Arcis-sur-Aube. Je vous envoie copie du décret que l’Assemblée vient de rendre. Elle m’ordonne de vous écrire, pour qu’à la vue de cette lettre, il ne puisse être porté, par qui que ce soit, aucun retard ni empêchement à votre voyage, ainsi qu’à celui des personnes qui vous accompagnent. « J’ai l’honneur d’être, etc. « Henri de Jessé, président. » (Ce projet de lettre est adopté.) M. le Président. Le comité de l’imposition demande à présenter son rapport sur la contribution foncière (1). Divers membres croient qu’il est plus instant de continuer à entendre la suite des rapports du comité des finances sur toutes les parties de la dette publique. D'autres membres objectent qu’il faut s’occuper avant tout des rapports du comité de l’imposition, puisque, quelle qu’en doive être la quotité, il est indispensable d’en déterminer les bases. Cette proposition est adoptée. M. de La Rochefoucauld, député de Parisy rapporteur. Messieurs, il a paru très important à votre comité de classer les divers genres de contributions, de droits et de revenus publics, et de (1) Le rapport de M. de La Rochefoucauld, sur la contribution foncière n’a pas été reproduit en entier par le Moniteur. rejeter toutes les impositions mixtes qui, portant à la fois sur des objets de nature différente, ne peuvent avoir que des bases incertaines par leur complication, et qu’engendrer une perception et une comptabilité défectueuses. La plus régulière des impositions anciennes, était le dixième établi sous Louis XIV en 1710, supprimé, rétabli plusieurs fois, et dont l’édit de 1749 a déterminé les formes qui depuis ont subsisté, mais avec des variations dans la quotité, depuis un vingtième jusques à trois ; cet impôt était pourtant encore mixte, puisqu’il portait sur les propriétés foncières et aussi sur les facultés personnelles ; mais au moins on les distinguait pour l’assiette, et les noms de vingtième d'industrie et de vingtième des offices et droits , faisaient de celte imposition trois impositions différentes. Au reste sa presque totalité portait sur les fonds territoriaux, et toutes les terres, excepté celles possédées alors par le clergé de France, y étaient assujetties. La taille , consentie par les états généraux sur la demande de Charles VII, avait été accordée pour deux ans, et depuis, toujours continuée, elle a reçu des accroissements successifs. Lors de son établissement, le clergé et la noblesse en furent exempts ; le clergé comme possédant des biens qui étaient censés appartenir à Dieu, et la noblesse parce que, tenue pour ses fiefs au service militaire personnel, elle était eensée acquitter de cette manière son tribut à l’Etat ; mais véritablement ils s’en exemptèrent, parce qu’ils étaient assez forts pour qu’on ne tentât pas de les y soumettre. Le gouvernement, qui depuis acquit une grande puissance, n’osa pourtant pas s’en servir pour faire cesser cette injuste disparité ; mais il fit mettre à la taille les fermiers des privilégiés, il circonscrivit même les privilèges de la noblesse, et parvint ainsi à étendre plus ou moins la charge toujours illégalement à la vérité et jamais d’une manière égaie, parce qu’il n’osait pas avouer son dessein; et de là résultait le grand mal que cette imposition grevante imprimait encore une sorte d’abjection sur celui qui la payait, parce que, indépendamment des exemptions attribuées aux deux grandes classes ci-dessus citées, une foule de privilèges attachés à des charges, à des fonctions et même à des titres sans fonctions, y dérobaient presque tous les hommes qui jouissaient de quelque crédit, de quelque fortune, de quelque considération. Aussitôt qu’un laboureur, un négociant, un artiste avaient acquis quelque aisance, ils employaient une portion de leurs capitaux pour passer dans la classe des privilégiés ; et si quelques familles devenues riches ont eu le bon sens de rester dans un état qu’elles honoraient et dont elles étaient honorées, tout le reste abandonnait bientôt une profession utile pour repaître une vanité destructive. Cette fatale coutume est, sans contredit, la principale cause de la grande infériorité de notre agriculture, de notre commerce, de notre industrie par comparaison avec nos voisins, que nous égalons pourtant en génie et en lumières, et que nous surpassons peut-être en activité. La taille qui, dans quelques provinces, se percevait sous d’autres noms, était, dan3 certains lieux, assise sur les facultés présumées des contribuables, et s’appelait taille personnelle ; dans d’autres, assujettie à des règles un peu moins arbitraires et fondée sur des bases calculées tant bien que mal, elle se nommait taille tarifée ; et enfin, dans quelques autres, elle était devenue,