g94 [Assemblée nationale.] ARCHIVEb PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] sitivement vous eussiez prétendu les exclure, il s’en ensuivrait que dans les communautés où il n’y a presque que des protestants, vous auriez entendu qu’elles seraient sans officiers municipaux et sans administration, ou que du moins ce gouvernement populaire et constitutionnel serait constamment exercé dans ces lieux par les mêmes individus, espèce de privilège d’autant plus propre à indisposer les peuples, qu’ils connaissent mieux les principes de justice depuis qu’ils ont été consacrés par vos décrets. Ceux qui veulent exclure les protestants pour arriver plus sûrement aux places municipales, et forcer les élections en demeurant seuls éligibles, allèguent pour prétexte les édits de 1681 et 1685, édits funestes dont la France déplore encore les sinistres effets, et que leur absurde injustice a heureusement fait tomber en désuétude. Ils argumentent encore de l’édit de Nantes de nov. 1685, qui ne permet aux non catholiques d’occuper des places municipales qu’ autant qu elles n’emportent pas fonctions de judicature. Il est certain, Messieurs, que suivant la lettre de ces dernières dispositions, les non catholiques se trouvent exclus des offices municipaux dans tous les pays méridionaux de la France; car il n’est presque pas de villes dans cette partie du royaume, où les offi-riers municipaux ne soient en usage et possession d’exercer la juridiction politique et criminelle, ou seuls ou concurremment avec les officiers royaux. Je cite pour exemple les villes de Bordeaux, Agen , Nérac, Go odom, Bazas, Marmande, etc. ; et j’en pourrais citer un grand nombre d’autres. Aussi depuis , comme avant l’édit de 1685 , on ne voit aucun protestant élevé aux places municipales dans la province de Guyenne; et il est indubitable qu’ils en seront exclus dans les élections qui vont se faire incessamment en exécution de vos décrets, si vous ne les déclarez pas admissibles, parce que ceux qui sont intéressés à les éloigner prétendent que cet article particulier de l’édit de 1685 est encore dans toute sa force, comme tous les autres articles qui le composent, attendu que vos lois n’y ont pas dérogé expressément. Il faut l’avouer de bonne foi, Messieurs, ce raisonnement a quelque chose de spécieux; mais les adversaires des protestants le regardent comme inexpugnable, et il ne serait pas impossible, que de bons esprits se laissassent séduire par ces prestiges. Cependant, Messieurs, l’époque de la suppression des abus est arrivée ; les droits de l’homme et du citoyen ont été retirés de l’amas des fers sous lesquels le despotisme les avait ensevelis; vous les avez promulgués; vous avez déclaré que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; vous avec déclaré que nul ne pourrait être inquiété pour ses opinions religieuses, vous avez décrété que tous les citoyens, sans distinction de rang et de naissance, pourraient parvenir aux charges et aux emplois; vous avez décrété que tous les citoyens qui payeraient une contribution de dix journées de travail, seraient admissibles aux assemblées municipales de district et de département, et que ceux qui payeraient d’un mar d’argent, seraient admissibles aux fonctions législatives, et vous n’avez certainement pas voulu, Messieurs, que les opinions religieuses fussent un titre d'exclusion pour quel - ques citoyens et un titre d’admission pour d’autres. Si l’intérêt particulier ne faisait pas méconnaître sans cesse les principes souverains de la justice, ceux qui cherchent par des motifs si condamnables à écarter les protestants des emplois publics, entreraient mieux, Messieurs, dans l’esprit, et même dans le texte de vos décrets ; ils porteraient leurs regards sur l’Assemblée nationale, et voyant siéger plusieurs protestants au milieu de vous, ils rougiraient de vouloir exclure des fonctions secondaires de l'administration ceux qu’eux-mêmes avaient nommés pour remplir les fonctions de la législature suprême. II ne me serait jamais venu dans l’idée. Messieurs, de vous demander la décision que je sollicite : nourri de vos principes, animé de votre esprit, je n’aurais jamais pu penser qu’une classe nombreuse de citoyens utiles que j’ai appris à estimer et à chérir, pût être exclue des droits de citoyen, et qu’on songeât à les lui contester. Mais les nouvelles que j’ai reçues de ma province ont rendu ma réclamation nécessaire. Il est de votre sagesse, Messieurs, de manifester votre justice; il est de votre dignité de faire connaître à tous, et même d’interpréter vos principes ; il est de votre prudence de prévenir l’intrigue, les prétentions anti-constitutionnelles, les animosités, les ressentiments et l’indignation. J’ai eu l'honneur de vous exposer la question avec la simplicité qui convient à des vérités aussi claires que le jour, et j’ai celui de vous proposer un décret à ce sujet ; et puisque votre silence est interprété à réticence, et par conséquent calomnié, puisque de ce que je ne vous parle aujourd’hui que des droits à la représentation et à l’élection, on pourrait en conclure dans d’autres occasions, au mépris de vos principes et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que les non catholiques ne sont pas admissibles à tous les emplois, j’ai l’honneur de vous proposer, Messieurs, un décret qui n’ait plus besoin d’être interprété en la forme suivante : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que les non catholiquest qui auront d’ailleurs rempli toutes les conditions prescrites dans les précédents décrets pour être électeurs et éligibles, pourront être élus dans tous les degrés d’administration, sans exception; « 2° Que les non catholiques sont capables de tous les emplois civils et militaires, comme les autres citoyens. » M. le comte de Tirieu. Vous avez établi des lois générales; il n’y a point d’exceptions contraires aux non catholiques, ainsi nulle interprétation nécessaire. On pourrait dire tout au plus « que tous ceux qui auront rempli les conditions d’éligibilité seront admis : dérogeant à cet égard à toute loi à ce contraire » . M. Rœderer. Je réclame pour une classe de citoyens qu’on repousse de tous les emplois de la société, qui a son intérêt et son importance. Je veux parler des comédiens. Je crois qu’il n’y a aucune raison solide, soit en morale, soit en politique, à opposer à ma réclamation. M. de Clermont-Tonnerre. Je n’ajoute pas un mot à une chose qui n’a pas besoin d’être développée pour vous frapper. Je propose seulement la formule de décret que voici : « L’Assemblée nationale décrète qu’aucun citoyen actif, réunissant les conditions d’éligibilité ne pourra être écarté du tableau des éligibles, ni exclu d’aucun emploi public à raison de la profession qu’il exerce, ou du culte qu’il professe.» On demande l’ajournement. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette demande. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] Plusieurs personnes réclament la discussion sur l’état des Juifs, comme tenant à la constitution. M. Rewbell. Je pense sur les Juifs comme les Juifs eux-mêmes : ils ne se croient pas citoyens. C’est dans cette opinion que j’admets l’amendement de M. de Clermont-Tonnerre, parce qu’il les exclut en se servant de cette expression, citoyens actifs. M. le comte de Custine. Je demande qu’en s’occupant des non-catholiques l’Assemblée prononce en même temps la liberté de V exercice public de toutes les religions. M. Thtebault, curé de Metz. Vous faites là une motion inconstitutionnelle (Voy. aux Annexes Vopinion imprimée de M. Thiebault sur la proposition de M. de Custine.) M. le Président observe qu’il est deux heures, et qu’il faut procéder à l’élection d’un président, de trois secrétaires et de plusieurs membres pour les différents comités. Il lève la séance, et l’on se retire dans les bureaux. ANNEXES à la séance de l' Assemblée nationale du 21 décembre 1789. PREMIÈRE ANNEXE. Mémoire présenté au comité de constitution pour la division du royaume en départements, par les députés du pays d' Aunis (1). Si les considérations de la plus haute importance peuvent suppléer à la circonscription d’un pays, au défaut des bases exigées par l’Assemblée nationale pour former un département, les députés de la sénéchaussée de la Rochelle ne craindront point d’exposer la demande que leurs commettants les ont expressément chargés de former. Les motifs qui la justifient écarteront sans doute l’idée de ces prétentions déplacées qu’on leur suppose. Le pays d’ Aunis, extrêmement resserré par la mer et par les limites que lui présentent les provinces de Poitou et de Saintonge, n’offre qu’une surface de 130 lieues carrées, y compris le territoire de l’île de Ré. Mais dans ce petit espace et sur les côtes qui le bordent on trouve 5 ports (2), les deux meilleures rades (3), où se rendent en temps de guerre, les convois qui doivent être escortés, et où les vaisseaux, à leur retour des Indes, trouvent le plus sûr atterrage; trois villes considérables (4), soixante bourgs, cent vingt villages, et deux cents hameaux ou écarts. Dans les parties du nord et du midi, le génie, l’industrie et des dépenses considérables ont rendu au continent par de superbes dessèchements un terrain que la mer couvrait autrefois et qui donne aujourd’hui des blés de la plus belle et meilleure qualité. Dans les autres parties, les richesses du (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) La Rochelle, Rochefort, La Flotte, Saint-Martin, Daligre. (3) La rade de l’île d’Aix, celle de la Flotte. (4) La Rochelle, Rochefort, Saint-Martin. 695 commerce ont animé et perfectionné la culture de la vigne, la seule dont le sol aride et sablonneux soit susceptible; l’industrie a converti les vins en eaux-de-vie, et secondant ailleurs la nature, a établi et multiplié les marais salants. Ainsi, par les efforts constants de la plus active industrie, ce petit pays est devenu une province précieuse à l’Etat, et une des plus peuplées du royaume. On n’y compte guère moins de cent trente mille habitants dont une partie forme la meilleure classe de nos matelots. Le sel, le vin, les eaux-de-vie, les différents blés et fourrages qu’on retire des marais désséchés sont le produit ordinaire du sol du pays d’Aunis et de l’étonnante industrie de ses habitants. Cette petite province paye pour la taille ou accessoires 461,011 livres 12 sols 1 denier ; pour les vingtièmes 365,612 livres 16 sols 3 deniers et plus de 700,000 livres en droits d’aides. La ville de la Rochelle n’existe et ne peut exister que par le commerce auquel sa situation avantageuse l’a toujours appelée. Placée entre Nantes et Bordeaux, elle ne peut se soutenir entre ces deux puissantes rivales qu’autant qu’elle sera protégée et encouragée. Considérée comme ville de guerre, elle est le boulevard et le dépôt des forces qui protègent nos côtes depuis Rayonne jusqu’à Brest. Sous ces deux rapports elle doit mériter une attention particulière de la part de l’Assemblée nationale. La ville de Rochefort, un des principaux départements de la marine royale, digne du plus grand intérêt, d'après ses bâtiments, ses magasins, ses formes pour la construction des vaisseaux de guerre, et son nouvel hôpital, outre le port de Roi, en offre un autre au commerce, avec de nouvelles ressources pour l’encourager. L’un et l’autre sont d’une nécessité évidemment reconnue pour l’approvisionnement de nos escadres et de nos colonies, et pour la libre et facile exportation des denrées et différentes productions des provinces qui nous avoisinent. Nous n’entrerons dans aucun détail sur l’établissement et sur la rade de l’île d’Aix; sur le port et sur la rade de la Flotte; sur la ville, la citadelle et le port de Saint-Martin; sur le commerce de l’île de Ré avec le Nord; sur le port et bourg de Daligre. Il suffit de les nommer pour en désigner les avantages et Futilité, qui, confiés à l’administration d’un département particulier, ne pouvaient qu’accroître et se multiplier. Daligre, ci-devant Marans, est l'entrepôt naturel des productions du Bas-Poitou, et un des marchés les plus considérables du royaume et même de l’Europe. Les avantages de la situation du pays d’Aunis y ont de tout temps appelé le commerce, et établissent la nécessité de l’y protéger et de l’y fixer. La Rochelle, une des plus anciennes villes commerçantes du royaume, est la première qui a entrepris les voyages de long cours; toutes les entreprises, capables d’étendre le commerce de France ont été exécutées par ses vaisseaux. Ce sont eux qui ont introduit en France la première barrique de sucre, venue de nos colonies; c’est la Rochelle qui a formé nos premières colonies, et qui a donné son nom à un des établissements les plus considérables du nord de l’Amérique; c’est elle qui avait établi le Canada, et qui avait le plus contribué à l’établissement de la Louisiane. Si la perte de l’un et la cession de l’autre à l’Espagne, privent cette ville d’une branche de commerce qu’elle faisait presque exclusivement, il entrera dans les vues de l’Assemblée nationale